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Kitabı oku: «Le Vicaire de Wakefield», sayfa 14

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Comme je parlais, ma femme, que je n’avais pas encore vue de la journée, apparut, l’air terrifié, faisant des efforts pour parler sans pouvoir y parvenir. «Pourquoi, mon amour, m’écriai-je, pourquoi vouloir ainsi accroître mon affliction par la vôtre? Eh quoi! si nulle soumission ne peut ramener notre rigoureux maître, s’il m’a condamné à périr en ce lieu de misère, et si nous avons perdu une enfant bien-aimée, vous trouverez encore de la consolation dans vos autres enfants lorsque je ne serai plus. – En effet, reprit-elle, nous avons perdu une enfant bien-aimée. Ma Sophia, ma plus chérie, est partie, arrachée de nos bras, enlevée par des ruffians!

– Comment, madame! s’écria mon compagnon de prison, miss Sophia enlevée par des scélérats! C’est impossible, en vérité.»

Elle ne put répondre que par un regard fixe et un flot de larmes. Mais la femme d’un des prisonniers, qui était présente et qui était entrée avec elle, nous fit un récit plus clair: elle nous apprit que, pendant que ma femme, ma fille et elle se promenaient ensemble sur la grande route à une petite distance du village, une chaise de poste attelée de deux chevaux était arrivée près d’eux et s’était aussitôt arrêtée. Alors, un homme bien vêtu, mais qui n’était pas M. Thornhill, en était descendu, avait saisi ma fille par la taille, et, la poussant de force dans la voiture, avait ordonné an postillon de rouler, de sorte qu’ils avaient été hors de vue en un moment.

«Maintenant, m’écriai-je, la mesure de mes infortunes est comble, et il n’est au pouvoir de rien sur terre de me frapper d’un autre coup. Quoi! pas une de laissée! Ne pas m’en laisser une! Le monstre! Je portais cette enfant dans mon cœur! Elle avait la beauté d’un ange et presque la sagesse d’un ange aussi! Mais soutenez cette pauvre femme; ne la laissez pas tomber… Ne pas m’en laisser une!

– Hélas! mon mari, dit ma femme, vous paraissez avoir besoin d’appui plus encore que moi. Nos malheurs sont grands; mais je saurais supporter celui-ci et d’autres encore, si seulement je vous voyais tranquille. Ils peuvent me prendre mes enfants, et le monde tout entier, si seulement ils me laissent mon mari!»

Mon fils, qui était là, s’efforça de modérer notre chagrin; il nous suppliait de prendre courage, car il espérait que nous pouvions encore avoir lieu d’être reconnaissants ici-bas. «Mon fils, m’écriai-je, regardez le monde autour de vous, et voyez s’il y a aucun bonheur de reste pour moi maintenant. Tout rayon de consolation n’est-il pas éteint pour nous? Ce n’est plus qu’au delà du tombeau que peuvent briller nos espérances! – Mon cher père, répondit-il, j’espère qu’il y a encore quelque chose qui vous donnera une minute de satisfaction, car j’ai une lettre de mon frère George. – Quoi de nouveau pour lui, enfant? interrompis-je. Connaît-il notre misère? J’espère qu’on a épargné à mon garçon jusqu’à la plus petite part de tout ce que souffre sa misérable famille! – Oui, monsieur, reprit-il. Il est parfaitement gai, content et heureux. Sa lettre n’apporte rien que de bonnes nouvelles; il est le favori de son colonel, qui promet de lui faire avoir la première lieutenance qui deviendra vacante!

«Et êtes-vous sûr de tout cela? s’écria ma femme. Êtes-vous sûr que rien de mal n’est arrivé à mon garçon? – Rien du tout, en vérité, madame, répondit mon fils; vous verrez la lettre, qui vous fera le plus grand plaisir; et si quelque chose peut vous procurer de la consolation, je suis sûr que cela le fera. – Mais êtes-vous sûr, insista-t-elle encore, que la lettre est bien de lui, et qu’il est réellement si heureux? – Oui, madame, répliqua-t-il, elle est certainement de lui, et il sera un jour l’honneur et le soutien de notre famille. – Alors je remercie la Providence, cria-t-elle, de ce que ma dernière lettre n’ait pas été à son adresse. Oui, mon ami, continua-t-elle en se tournant vers moi, je confesserai maintenant que, si la main du ciel s’est douloureusement appesantie sur nous en d’autres circonstances, elle nous a été cette fois favorable. Par la dernière lettre que j’ai écrite à mon fils, lettre écrite dans l’amertume de la colère, je lui demandais, au prix de la bénédiction de sa mère et s’il avait le cœur d’un homme, de faire en sorte que justice fût faite à son père et à sa sœur, et de venger notre cause. Mais grâces soient rendues à celui qui dirige toutes choses! elle n’est pas parvenue à son adresse, et je suis en repos. – Femme, m’écriai-je, tu as agi très mal, et en un autre temps mes reproches auraient pu être plus sévères. Oh! à quel effroyable abîme tu as échappé, un abîme qui vous aurait engloutis tous les deux, toi et lui, dans une ruine sans fin. La Providence, en vérité, a été ici plus bienfaisante pour nous que nous ne le sommes pour nous-mêmes. Elle a conservé ce fils pour être le père et le protecteur de nos enfants, quand je serai parti. Que je me plaignais injustement d’être dépouillé de toute consolation, puisque j’apprends qu’il est heureux et ignorant de nos peines! Qu’il reste toujours comme en réserve pour soutenir sa mère dans son veuvage et pour protéger ses frères et ses sœurs! Mais quelles sœurs a-t-il qui lui restent? Il n’a plus de sœurs maintenant; elles sont toutes parties; on me les a dérobées, et c’en est fait de moi. – Père, interrompit mon fils, je vous prie de me permettre de lire cette lettre; je sais qu’elle vous fera plaisir.» Et, ayant reçu ma permission, il lut ce qui suit:

«Honoré Monsieur,

«J’ai distrait mon imagination pour quelques instants des plaisirs qui m’entourent pour les fixer sur des objets plus plaisants encore, le cher petit foyer domestique. Mon esprit se représente ce groupe innocent écoutant avec grande attention chacune de ces lignes. C’est avec délices que je vois ces visages qui n’ont jamais senti la main flétrissante de l’ambition ou de la misère! Mais quel que soit votre bonheur à la maison, je suis sûr qu’il sera encore accru quand vous apprendrez que je suis parfaitement content de ma position, et de toute manière heureux ici.

«Notre régiment a reçu contre-ordre et ne doit pas quitter le royaume; le colonel, qui fait profession d’être mon ami, me mène avec lui dans toutes les maisons où il a des relations, et, après ma première visite, je me trouve généralement reçu avec un redoublement d’égards quand je la renouvelle. J’ai dansé la nuit dernière avec lady G***, et si j’étais capable d’oublier vous savez qui, je pourrais peut-être réussir. Mais c’est ma destinée de me rappeler toujours les autres, tandis que je suis moi-même oublié de la plupart de mes amis absents, et dans ce nombre je crains, monsieur, de devoir vous placer; car j’ai longtemps attendu le plaisir d’une lettre de la maison, mais inutilement. Olivia et Sophia avaient aussi promis de m’écrire, mais elles semblent m’avoir oublié. Dites-leur qu’elles sont deux franches petites friponnes, et que je suis en ce moment dans la plus violente colère contre elles; et cependant, je ne sais comment, bien que je veuille tempêter un peu, mon cœur ne répond qu’à de plus tendres émotions. Dites-leur donc, monsieur, qu’après tout je les aime de grande affection, et soyez assuré que je reste toujours

«Votre fils soumis.»

«Dans toutes nos misères, m’écriai-je, quelles grâces n’avons-nous pas à rendre de ce qu’un membre de notre famille soit exempt, du moins, de ce que nous souffrons! Que le ciel soit son gardien, et qu’il conserve ainsi mon garçon heureux pour être le soutien de sa mère veuve et le père de ces deux petits, qui font tout le patrimoine que j’aie maintenant à lui léguer! Puisse-t-il préserver leur innocence des tentations du besoin, et être leur guide dans les sentiers de l’honneur!»

J’avais à peine dit ces mots qu’un bruit qui ressemblait à du tumulte parut venir de la prison au-dessous. Il s’éteignit bientôt après, et l’on entendit un cliquetis de fers le long du corridor qui conduisait à ma chambre. Le gardien de la prison entra, tenant un homme tout sanglant, blessé et chargé des plus lourdes chaînes. Je tournai des regards compatissants sur le misérable à mesure qu’il approchait; mais ils se changèrent en regards d’horreur lorsque je vis que c’était mon propre fils. «Mon George! mon George! Est-ce toi que je vois ainsi? Blessé! enchaîné! Est-ce là ton bonheur? Est-ce là l’état dans lequel vous me revenez? Oh! puisse cette vue briser ici mon cœur et me faire mourir! – Où est votre force d’âme, monsieur? répondit mon fils d’une voix intrépide. Je dois souffrir; ma vie est condamnée, qu’ils la prennent donc!»

J’essayai de contenir mon émotion pendant quelques minutes en silence, mais je pensai mourir de l’effort. «O mon garçon, mon cœur pleure de te voir ainsi, et je ne peux pas, je ne peux pas l’empêcher. Dans le moment où je te croyais heureux et où je priais pour ta préservation, te revoir ainsi! Enchaîné! blessé! Et encore la mort des jeunes est un bonheur. Mais moi, je suis vieux, un vieil homme tout à fait, et j’ai dû vivre pour voir un tel jour! Voir mes enfants tomber tous avant le temps autour de moi, pendant que je reste, survivant misérable, au milieu des ruines! Puissent toutes les malédictions qui ont jamais écrasé une âme s’abattre lourdes sur le meurtrier de mes enfants! Puisse-t-il vivre comme moi, pour voir!..

– Arrête, père, reprit mon fils, ou je rougirais pour toi! Comment, monsieur, oublieux de votre âge, de votre mission sacrée, pouvez-vous ainsi vous arroger la justice du ciel, et lancer en haut ces malédictions qui ne tarderont pas à redescendre sur votre tête grise, pour l’écraser et la détruire! Non, monsieur; que ce soit votre souci maintenant de me préparer à la mort infamante que je dois bientôt souffrir, de m’armer d’espérance et de résolution, et de me donner la force de boire cette amertume qui doit bientôt être mon partage.

– Mon enfant, vous ne devez pas mourir. Je suis sûr qu’aucune faute de ta part ne peut mériter un si affreux châtiment. Jamais mon George n’a pu être coupable d’un crime tel que ses aïeux aient honte de lui.

– Mon crime, monsieur, répondit mon fils, est, je le crains, un crime impardonnable. Quand j’ai reçu de la maison la lettre de ma mère, je suis venu sur-le-champ, résolu à punir le larron de notre honneur, et je lui envoyai l’ordre de me rencontrer sur le terrain; au lieu d’y répondre en personne, il dépêcha quatre de ses domestiques pour se saisir de moi. Je dus blesser mortellement, je le crains, le premier qui m’attaqua; mais les autres me firent prisonnier. Le lâche est décidé à mettre la loi à exécution contre moi; les preuves sont indéniables: j’ai envoyé un cartel, et comme j’ai le premier transgressé le statut, je ne vois pas d’espoir de pardon. Mais vous m’avez souvent charmé par vos leçons sur la force d’âme; faites maintenant, monsieur, que je les retrouve dans l’exemple que vous me donnerez.

– Et aussi les retrouverez-vous, mon fils. Je suis maintenant élevé au-dessus de ce monde et de toutes les joies qu’il peut donner. De ce moment, j’arrache de mon cœur tous les liens qui le retenaient à la terre, et je me mets en mesure de nous préparer l’un et l’autre pour l’éternité. Oui, mon fils, je montrerai la voie, et mon âme guidera la vôtre dans le voyage, car nous prendrons notre essor ensemble. Je vois maintenant et je suis convaincu que vous ne pouvez attendre aucun pardon ici-bas, et je ne peux que vous exhorter à le chercher à ce plus grand des tribunaux où nous aurons bientôt tous les deux à répondre. Mais ne soyons pas avare dans notre exhortation; que tous nos compagnons de prison en aient leur part. Bon geôlier, qu’il leur soit permis de se tenir ici pendant que je vais essayer de les rendre meilleurs.» En disant ces mots, je fis un effort pour me lever de mon lit de paille, mais la force me manqua et je ne pus que m’appuyer contre le mur. Les prisonniers s’assemblèrent suivant mon invitation, car ils aimaient à entendre mes conseils. Mon fils et sa mère me soutenaient de chaque côté; je regardai et vis qu’il ne manquait personne. Alors je leur adressai l’exhortation qui suit.

Chapitre XXIX

Égalité de traitement de la part de la Providence démontrée vis-à-vis des heureux et des malheureux ici-bas. De la nature du plaisir et de la peine il ressort que les misérables doivent recevoir la compensation de leurs souffrances dans la vie future

«MES amis, mes enfants, et compagnons de souffrance, lorsque je réfléchis à la répartition du bien et du mal ici-bas, je trouve qu’il a beaucoup été donné à l’homme pour jouir, mais encore plus pour souffrir. Quand même nous passerions en revue le monde entier, nous ne trouverions pas un seul homme assez heureux pour qu’il ne lui reste rien à désirer; mais nous en voyons journellement des milliers qui nous montrent par leur suicide qu’il ne leur reste rien à espérer. Dans cette vie, donc, il apparaît que nous ne saurions être entièrement satisfaits, mais que cependant nous pouvons être absolument misérables.

«Pourquoi l’homme doit ainsi sentir la douleur, pourquoi notre misère est chose nécessaire à la formation de la félicité universelle; pourquoi, lorsque tous les autres systèmes sont rendus parfaits par la perfection de leurs parties subordonnées, le grand système exige pour sa perfection des parties qui non seulement ne sont pas subordonnées aux autres, mais qui sont en elles-mêmes imparfaites? Ce sont là des questions qui ne pourront jamais être expliquées et qui seraient inutiles si on les savait. Sur ce sujet, la Providence a jugé bon d’éluder notre curiosité, se contentant de nous accorder des motifs de consolation.

«Dans cette situation, l’homme a invoqué le secours amical de la philosophie, et le ciel, voyant l’inhabileté de celle-ci à le consoler, lui a donné l’aide de la religion. Les consolations de la philosophie sont très propres à distraire, mais elles sont souvent fallacieuses. Elle nous dit que la vie est remplie de bonnes choses si seulement nous en voulons jouir, et d’un autre côté, que, si nous avons inévitablement des misères ici-bas, la vie est courte et qu’elles seront bientôt passées. Ainsi ces consolations se détruisent mutuellement; car si la vie est un lieu de bien-être, sa brièveté doit être un malheur, et si elle est longue, nos maux sont prolongés. C’est pourquoi la philosophie est faible; mais la religion réconforte sur un ton plus élevé. L’homme est ici, nous dit-elle, pour disposer son esprit et le préparer à un autre séjour. Lorsque l’homme bon quitte le corps et est tout entier un esprit glorieux, il trouve qu’il s’est fait ici-bas un ciel de félicité; tandis que le misérable qui a été déformé et souillé par ses vices se sépare de son corps avec terreur et voit qu’il a anticipé la vengeance du ciel. C’est donc à la religion qu’il faut se tenir dans toutes les circonstances de la vie comme à notre consolateur le plus véritable; car si nous sommes heureux déjà, c’est un plaisir de penser que nous pouvons rendre ce bonheur sans fin; et si nous sommes misérables, il est très consolant de penser qu’il y a un lieu de repos. Ainsi aux hommes fortunés la religion présente une continuation de bénédictions, et aux misérables un changement qui les tire de peine.

«Mais, bien que la religion soit très bienfaisante pour tous les hommes, elle promet des récompenses particulières aux malheureux; les malades, ceux qui sont nus, ceux qui sont sans foyer, ceux dont le fardeau est lourd, les prisonniers, sont l’objet des plus fréquentes promesses dans notre sainte loi. L’auteur de notre religion fait surtout profession d’être l’ami des misérables, et, au contraire des faux amis de ce monde, il accorde toutes ses caresses aux abandonnés. Les étourdis ont blâmé cela comme une partialité, comme une préférence qu’aucun mérite ne justifie. Mais ils n’ont jamais réfléchi qu’il n’est pas au pouvoir du ciel lui-même de faire que l’offre d’une félicité incessante soit un don aussi grand pour les heureux que pour les misérables. Pour les premiers, l’éternité n’est qu’une simple bénédiction, puisqu’elle ne fait à tout le plus qu’augmenter ce qu’ils possèdent déjà. Pour les seconds, c’est un double avantage; car elle diminue leurs peines ici-bas et elle les récompense plus tard par la félicité céleste.

«Mais la Providence est encore à un autre point de vue plus tendre aux pauvres qu’aux riches; car, faisant ainsi la vie après la mort plus désirable, elle en adoucit le passage. Les misérables sont depuis longtemps familiers avec tous les aspects de l’horreur. L’homme de douleur se couche tranquillement, sans biens à regretter, et peu d’attaches seulement retardent son départ; il ne sent que l’angoisse de la nature dans la séparation finale, et celle-ci n’est en aucune façon plus grande que celles sous lesquelles il a plié déjà; car, après un certain degré de souffrance, à chaque nouvelle brèche que la mort ouvre dans la constitution de l’homme, la nature oppose charitablement l’insensibilité.

«Ainsi la Providence a donné aux misérables deux avantages sur les heureux dans cette vie: une plus grande félicité en mourant, et dans le ciel toute cette supériorité de bonheur qui naît du contraste de la jouissance avec la peine. Et cette supériorité, mes amis, n’est pas un petit avantage: elle semble être une des joies du pauvre dans la parabole; car, bien qu’il fût déjà dans le paradis et sentît tous les ravissements que peut donner ce séjour, on mentionne cependant, comme un surcroît à ce bonheur, qu’il avait été jadis misérable, et que maintenant il était consolé; qu’il avait su ce que c’était que d’être malheureux, et que maintenant il sentait ce que c’est que d’être heureux.

«Ainsi, mes amis, vous voyez que la religion fait ce que la philosophie ne saurait jamais faire: elle montre l’égalité de traitement de la part du ciel vis-à-vis des heureux et des malheureux, et ramène toutes les jouissances humaines à peu près au même niveau. Elle donne aux riches et aux pauvres le même bonheur dans la vie future, et des espérances égales pour y aspirer; mais si les riches ont l’avantage de jouir des plaisirs ici-bas, les pauvres ont la satisfaction infinie de savoir ce que c’est que d’avoir jadis été misérables, lorsqu’ils sont couronnés d’une félicité sans terme désormais; et, quand même on appellerait cela un avantage léger, comme il est éternel, il doit compenser par sa durée ce que le bonheur temporel des grands a eu de plus en intensité.

«Telles sont donc les consolations que les misérables ont spécialement pour eux, et par lesquelles ils sont au-dessus du reste du genre humain; à d’autres égards, ils sont au-dessous. Ceux qui veulent connaître les misères des pauvres doivent voir leur vie et la supporter. Déclamer sur les avantages matériels dont ils jouissent, c’est simplement répéter ce que personne ne croit ni ne pratique. Les hommes qui ont les choses nécessaires à l’existence ne sont pas pauvres, et ceux à qui elles manquent ne peuvent pas ne pas être misérables. Oui, mes amis, nous ne pouvons pas ne pas être misérables, il n’est point de vains efforts de l’imagination qui puissent calmer les besoins de la nature, changer en un air élastique et doux les humides vapeurs d’une prison, ou apaiser les sanglots d’un cœur brisé. Que, de sa couche moelleuse, le philosophe nous dise que nous pouvons résister à tout cela! Hélas! l’effort par lequel nous y résistons est encore la souffrance la plus grande. La mort est peu de chose, et tout homme peut la supporter; mais les tourments sont épouvantables, et c’est là ce que nul ne sait endurer.

Pour nous, donc, mes amis, les promesses de bonheur dans le ciel devraient nous être particulièrement chères; car si notre récompense n’est que dans cette vie seulement, alors nous sommes vraiment de tous les hommes les plus misérables. Lorsque je regarde autour de moi ces sombres murailles faites pour nous terrifier aussi bien que pour nous enfermer, cette lumière qui ne sert qu’à montrer les horreurs du lieu, ces fers que la tyrannie a imposés et que le crime a rendus nécessaires; lorsque j’examine ces visages émaciés et que j’entends ces gémissements, ô mes amis, quel glorieux troc le ciel ne serait-il pas pour tout cela! S’envoler à travers des régions illimitées comme l’air, se chauffer au soleil de l’éternelle béatitude, chanter et chanter encore des hymnes de louanges sans fin, n’avoir point de maître pour nous menacer ou nous outrager, mais la face même de la suprême Bonté pour toujours devant les yeux! Quand je songe à ces choses, la mort devient la messagère des plus joyeuses nouvelles; quand je songe à ces choses, sa flèche la plus aiguë devient le bâton où je m’appuie; quand je songe à ces choses, quoi dans la vie qui vaille qu’on le possède? quand je songe à ces choses, quoi qui ne mérite d’être dédaigneusement rejeté? Les rois, dans leurs palais, devraient soupirer après de tels avantages; mais nous, humiliés comme nous le sommes, nous devrions nous élancer ardemment vers eux.

«Et toutes ces choses sont-elles pour être à nous? A nous elles seront à coup sûr, si seulement nous voulons essayer de les atteindre; et, ce qui est un encouragement, bien des tentations nous sont interdites qui retarderaient notre poursuite. Essayons seulement de les atteindre, et elles seront certainement à nous; et, ce qui est encore un encouragement, elles le seront même bientôt, car si nous jetons un regard en arrière sur la vie passée, elle ne paraît que comme un bien court intervalle; quoi que nous pensions du reste de la vie, on la trouvera de moindre durée encore. A mesure que nous devenons plus vieux, les jours semblent devenir plus courts, et notre intimité avec le temps amoindrit toujours le sentiment que nous avons de son passage. Prenons donc courage maintenant, car bientôt nous serons au bout de notre voyage; nous déposerons bientôt le lourd fardeau dont le ciel nous a chargés. Si la mort, seule amie des misérables, se rit quelque temps du voyageur fatigué en se faisant voir à lui et en fuyant à ses yeux comme l’horizon, le temps n’en viendra pas moins, certainement et promptement, où les grands superbes du monde ne nous fouleront plus contre terre sous leurs pieds, où nous penserons avec plaisir à nos souffrances ici-bas, où nous serons entourés de tous nos amis et de ceux qui ont mérité notre amitié, où notre béatitude sera ineffable et, pour couronner tout, sans fin.»