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Kitabı oku: «Le Vicaire de Wakefield», sayfa 13

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Chapitre XXVI

Réformes dans la prison. – Pour rendre les lois complètes, elles devraient récompenser aussi bien que punir

LE lendemain matin de bonne heure, je fus réveillé par ma famille, que je trouvai en larmes à mon chevet. L’aspect lugubre de tout ce qui était autour de nous les avait, à ce qu’il semble, abattus sous son influence. Je les grondai doucement de leur chagrin, en leur affirmant que je n’avais jamais dormi avec plus de tranquillité, et je m’informai ensuite de ma fille aînée, qui n’était pas avec eux. Ils m’apprirent que son malaise et sa fatigue de la veille avaient augmenté sa fièvre, et qu’on avait jugé qu’il valait mieux ne pas l’amener. Mon premier soin fut d’envoyer mon fils retenir une chambre ou deux pour y loger la famille, aussi près de la prison qu’il serait possible d’en trouver. Il obéit; mais il ne put trouver qu’une seule pièce, qu’il loua à bas prix pour sa mère et ses sœurs, le geôlier ayant l’humanité de consentir à ce que lui et ses deux petits frères couchassent dans la prison avec moi. On leur prépara donc, dans un coin de la chambre, un lit qui me parut être tout ce qu’il fallait. Je désirai cependant savoir d’abord si mes jeunes enfants voudraient bien coucher en un lieu qui avait semblé les effrayer en entrant.

«Eh bien! mes bons enfants, m’écriai-je, comment trouvez-vous votre lit? J’espère que vous n’avez pas peur de coucher dans cette chambre, toute sombre qu’elle paraisse?

– Non, papa, dit Dick; je n’ai peur de coucher nulle part où vous êtes.

– Et moi, dit Bill, qui n’avait encore que quatre ans, j’aime mieux tous les endroits où est mon papa.»

J’assignai ensuite à chaque membre de la famille ce qu’il avait à faire. Ma fille reçut pour instruction particulière de veiller à la santé affaiblie de sa sœur; ma femme devait s’occuper de moi; mes petits garçons auraient à me faire la lecture. «Et quant à vous, mon fils, continuai-je, c’est du labeur de vos mains que nous devons tous attendre notre subsistance. Votre salaire d’homme de peine suffira pleinement, avec la sobriété convenable, à nous entretenir tous, et même confortablement. Voilà que tu es âgé de seize ans, mon fils; tu as de la force, et elle t’a été donnée dans un but bien utile: elle doit sauver de la faim vos parents et votre famille sans ressources; préparez-vous donc aujourd’hui même à chercher de l’ouvrage pour demain, et rapportez chaque soir pour notre entretien l’argent que vous gagnerez.»

Lui ayant ainsi donné ses instructions et ayant réglé tout le reste, je descendis à la prison commune, où je pouvais jouir de plus d’air et d’espace. Mais je n’y étais pas depuis longtemps que les blasphèmes, l’obscénité et la brutalité qui m’assaillaient de tous côtés me chassèrent dans ma chambre. J’y restai pendant quelque temps, réfléchissant à l’étrange infatuation de ces misérables qui, voyant le genre humain tout entier en guerre ouverte contre eux, travaillaient encore à se faire pour l’avenir un formidable ennemi.

Leur endurcissement excitait ma compassion la plus profonde et effaçait de mon esprit mon propre mal. Il me parut même que c’était un devoir qui m’incombait que d’essayer de les ramener. Je résolus donc de redescendre encore, et, en dépit de leur mépris, de leur donner des conseils et de les vaincre par la persévérance. M’étant rendu au milieu d’eux, je fis part de mon dessein à M. Jenkinson, qui en rit de bon cœur, mais qui le communiqua aux autres. La proposition fut reçue avec la plus grande gaieté, car elle promettait de fournir un nouveau fonds d’amusement à des gens qui n’avaient pour s’égayer d’autres ressources que celles qu’on peut tirer de la moquerie et de la débauche.

Je leur lus une partie du service d’une voix haute et simple, et je vis que mon auditoire s’en divertissait sans réserve. D’obscènes murmures, des gémissements de contrition ironiques, des clignements d’yeux, des accès de toux, tour à tour excitaient les rires. Je continuai néanmoins à lire avec ma solennité naturelle, sentant que ce que je faisais en améliorerait peut-être quelques-uns, sans pouvoir d’aucun d’eux recevoir la moindre souillure.

Après la lecture, j’entamai une exhortation calculée au début plutôt pour les amuser que pour les condamner. J’ai déjà fait observer que leur bien était le seul motif qui pût m’engager à agir ainsi, que j’étais leur compagnon de prison, et que maintenant prêcher ne me rapportait plus rien. J’étais affligé, leur disais-je, de les entendre parler d’une façon si impie, parce qu’ils n’y gagnaient rien et qu’ils pouvaient y perdre beaucoup. «Soyez-en sûrs, en effet, mes amis, m’écriai-je – car vous êtes mes amis, quoique le monde puisse renier votre amitié, – quand même vous prononceriez douze mille jurons en un jour, cela ne mettrait pas un sou dans votre bourse. Que signifie-t-il donc de faire à tout moment appel au diable et de courtiser son amitié, puisque vous voyez qu’il vous traite si indignement? Il ne vous a rien donné ici-bas, vous le voyez, qu’une bouche pleine de jurons et un ventre vide, et, d’après les meilleurs renseignements que j’ai de lui, il ne vous donnera rien de bon plus tard.

«Si nous sommes maltraités dans nos relations avec un homme, nous nous adressons naturellement ailleurs. Ne vaudrait-il donc pas la peine d’essayer seulement comment vous trouveriez le traitement d’un autre maître, qui, du moins, nous donne de belles promesses pour nous faire venir à lui? Assurément, mes amis, de toutes les stupidités du monde celui-là doit avoir la plus grande qui, après avoir dévalisé une maison, court demander protection aux agents de police. Et pourtant, en quoi êtes-vous plus sages? Vous êtes tous à chercher un appui auprès de quelqu’un qui vous a trahis déjà, à vous adresser à un être plus malicieux qu’aucun de tous les agents de police; car ceux-ci se contentent de vous attirer dans le piège et de vous perdre; mais lui attire et perd, et, ce qui est pire que tout, c’est qu’il ne vous lâchera pas quand le bourreau aura fini.»

Lorsque j’eus conclu, je reçus les compliments de mon auditoire; quelques-uns vinrent me serrer la main, jurant que j’étais un très honnête garçon et qu’ils désiraient faire plus ample connaissance. Je leur promis conséquemment de reprendre ma harangue le lendemain, et je conçus réellement quelque espoir d’opérer une réforme. J’avais toujours eu pour opinion, en effet, qu’il n’est pas d’homme qui ait passé l’heure de l’amendement, tous les cœurs étant accessibles aux traits de la réprimande si seulement l’archer sait viser juste où il faut.

Lorsque j’eus ainsi satisfait mon désir, je retournai à ma chambre, où ma femme préparait un frugal repas. Cependant M. Jenkinson pria qu’on lui permît d’ajouter son dîner au nôtre, et de jouir – comme il fut assez bon pour le dire en termes exprès – du plaisir de ma conversation. Il n’avait pas encore vu les membres de ma famille, car ils venaient à ma chambre par une porte donnant sur l’étroit corridor décrit plus haut, et évitaient ainsi la prison commune. Aussi, à la première rencontre, Jenkinson ne parut pas peu frappé de la beauté de ma plus jeune fille, que son air pensif contribuait encore à rehausser, et mes petits garçons ne passèrent pas non plus inaperçus.

«Hélas! docteur, s’écria-t-il, ces enfants sont trop bons et trop beaux pour un endroit comme celui-ci!

– Eh! monsieur Jenkinson, répliquai-je, grâce au ciel, mes enfants ont une éducation morale passable, et s’ils sont bons, le reste importe peu.

– J’imagine, monsieur, reprit mon compagnon de prison, que cela doit vous donner une grande consolation d’avoir cette petite famille autour de vous?

– Une consolation, monsieur Jenkinson! répondis-je. Oui, c’est vraiment une consolation, et je ne voudrais pas être privé d’eux pour tout au monde, car d’un cachot ils peuvent faire un palais. Il n’y a qu’une manière en cette vie d’atteindre mon bonheur, ce serait de leur faire du mal.

– Je crains alors, monsieur, s’écria-t-il, d’être en quelque façon coupable; car je crois que je vois ici – il regardait mon fils Moïse – quelqu’un à qui j’ai fait du mal, et dont je désire le pardon.»

Mon fils se rappela immédiatement sa voix et ses traits quoiqu’il l’eût vu auparavant déguisé, et, lui prenant la main, il lui pardonna en souriant. «Cependant, ajouta-t-il, je ne peux m’empêcher de vous demander ce que vous avez pu voir dans ma figure, pour croire que je ferais une bonne cible à duperies.

– Mon cher monsieur, répondit l’autre, ce n’est pas votre figure, ce sont vos bas blancs et le ruban noir de vos cheveux qui m’ont tenté. Mais, sans rabaisser votre intelligence, j’en ai dupé de plus sages que vous, de mon temps; et pourtant, malgré tous mes tours, les sots ont fini par être trop nombreux pour moi.

– Je suppose, s’écria mon fils, que le récit d’une vie comme la vôtre doit être extrêmement instructif et amusant.

– Ni l’un ni l’autre, répondit M. Jenkinson. Les écrits qui ne dépeignent que les supercheries et les vices du genre humain entravent notre réussite en augmentant nos soupçons dans la vie. Le voyageur qui se défie de chaque personne qu’il rencontre et tourne le dos à l’aspect de tout homme qui a l’air d’un voleur arrive rarement à temps à la fin de son voyage.

«Vraiment je crois, par ma propre expérience, qu’il n’y a pas d’individu plus idiot sous le soleil qu’un homme habile. On me trouvait rusé dès ma petite enfance. Je n’avais que sept ans, que les dames déclaraient que j’étais un petit homme accompli; à quatorze ans, je connaissais le monde, je portais mon chapeau sur l’oreille et j’aimais les dames; à vingt, bien que je fusse parfaitement honnête, tout le monde me croyait si rusé que personne ne voulait se fier à moi. C’est ainsi qu’à la fin je fus obligé de devenir un aigre-fin pour ma défense personnelle, et que j’ai toujours vécu depuis, la tête toute gonflée et agitée de plans pour faire des dupes, et le cœur palpitant de la crainte d’être découvert. Je riais souvent de votre honnête et simple voisin, Flamborough, et d’une façon ou de l’autre je le filoutais généralement une fois par année. Eh bien, l’honnête homme n’en a pas moins continué à marcher sans méfiance et est devenu riche, tandis que moi, je continuais à être malin et rusé, et que j’étais pauvre sans le soulagement d’être honnête. Mais, ajouta-t-il, faites-moi connaître votre cas et ce qui vous a amené ici; peut-être, tout en n’ayant pas l’adresse d’éviter la prison moi-même, pourrai-je en tirer mes amis.»

Pour satisfaire à sa curiosité, je lui appris toute la suite d’accidents et de fautes qui m’avaient plongé dans mes ennuis présents, et ma complète impuissance à me libérer.

Après avoir écouté mon histoire et être resté silencieux quelques minutes, il se frappa le front comme s’il avait trouvé quelque chose d’important, et prit congé en disant qu’il allait voir ce qu’on pouvait faire.

CHAPITRE XXVII

Continuation du même sujet

LE lendemain matin, je fis part à ma femme et à mes enfants du plan que j’avais formé pour la réforme des prisonniers; ils l’accueillirent avec une unanime désapprobation, en alléguant son impossibilité et son inconvenance. Ils ajoutaient que mes efforts ne contribueraient en rien à leur amendement, mais jetteraient probablement du déshonneur sur ma profession.

«Excusez-moi, répliquai-je. Ces gens, tout déchus qu’ils sont, sont encore des hommes, et c’est là un excellent titre à mon affection. Les bons conseils repoussés reviennent enrichir le cœur de celui qui les donne; et quand même l’instruction que je leur communique ne les amenderait pas, elle m’amendera, moi, certainement. Si ces misérables, mes enfants, étaient des princes, il y en aurait des milliers tout prêts à leur offrir leur ministère; mais, à mon avis, le cœur enfoui dans une prison est aussi précieux que celui qui siège sur un trône. Oui, mes trésors, si je peux les amender, je le ferai; peut-être ne me mépriseront-ils pas tous. Peut-être pourrai-je en arracher un du gouffre, et ce sera une grande conquête, car y a-t-il sur terre chose aussi précieuse que l’âme de l’homme?»

En disant ces mots, je les laissai, et je descendis à la prison commune, où je trouvai les détenus fort en gaieté, attendant mon arrivée, et ayant préparé chacun quelque bonne farce de prison à jouer au docteur. Ainsi, au moment où j’allai commencer, l’un d’eux tira, comme par accident, ma perruque de travers et me demanda pardon. Un second, qui se tenait à quelque distance, eut le talent de lancer entre ses dents un jet de salive qui tomba en pluie sur mon livre. Un troisième criait Amen d’un ton affecté qui amusait grandement les autres. Un quatrième avait furtivement enlevé mes lunettes de ma poche. Mais il y en eut un dont la farce leur fit à tous plus de plaisir que tout le reste: ayant remarqué la manière dont j’avais disposé mes livres sur la table devant moi, il en retira un très adroitement et mit à la place un volume de plaisanteries obscènes qui lui appartenait. Cependant je n’accordai aucune attention à tout ce que ce groupe malfaisant de petites créatures pouvait faire, mais je poursuivis, sentant parfaitement que ce qu’il y avait de ridicule dans ma tentative n’exciterait l’hilarité que la première ou la seconde fois, tandis que ce qu’il y avait de sérieux serait durable. Mon dessein réussit, et, en moins de six jours, quelques-uns étaient pénitents et tous attentifs.

Ce fut alors que je m’applaudis de ma persévérance et de mon ardeur, pour avoir ainsi donné de la sensibilité à des misérables dénués de tout sentiment moral. Je me mis à songer à leur être utile aussi dans l’ordre temporel, en rendant leur situation un peu plus confortable. Jusque-là, leur temps se partageait entre la disette et les excès, les orgies tumultueuses et les plaintes amères. Toutes leurs occupations consistaient à se quereller les uns les autres, à jouer au cribbage10, et à tailler des fouloirs à tabac. Cette dernière espèce d’industrie oiseuse me suggéra l’idée de mettre ceux qui voudraient travailler à tailler des formes pour les fabricants de tabac et les cordonniers. Le bois convenable était acheté par une souscription générale, et, une fois fabriqué, vendu par mes soins; de sorte que chacun gagnait quelque chose tous les jours, une bagatelle sans doute, mais assez pour son entretien.

Je ne m’arrêtai pas là: j’établis des amendes pour punir l’immoralité, et des récompenses pour le travail extraordinaire. Ainsi, en moins d’une quinzaine, je les avais formés en quelque chose de sociable et d’humain, et j’eus le plaisir de me regarder comme un législateur qui aurait ramené les hommes, de leur férocité native, à l’amitié et à l’obéissance.

Et il serait grandement à désirer que le pouvoir législatif voulût ainsi diriger la loi vers la réforme plutôt que vers la sévérité, qu’il parût convaincu que l’œuvre d’extirper les crimes ne s’accomplit pas en rendant les châtiments familiers, mais en les faisant formidables. Alors, au lieu de nos prisons actuelles, qui prennent les hommes coupables ou les rendent tels, qui enferment des misérables pour avoir commis un crime, et les renvoient, s’ils en sortent vivants, propres à en commettre des milliers, nous verrions, comme dans d’autres pays de l’Europe, des lieux de pénitence et de solitude, où les accusés seraient entourés de personnes capables de leur inspirer du repentir s’ils sont coupables, ou de nouveaux motifs de vertu s’ils sont innocents. C’est là, et non en augmentant les châtiments, le moyen d’amender un état; je ne puis même m’empêcher de mettre en question la validité de ce droit assumé par les sociétés humaines de punir de la peine capitale des fautes d’une nature légère. Dans le cas de meurtre, le droit est évident, car c’est notre devoir à nous tous, en vertu de la loi de défense personnelle, de retrancher l’homme qui a prouvé qu’il ne respectait pas la vie d’autrui. Contre ceux-là la nature tout entière se lève en armes; mais il n’en est pas ainsi vis-à-vis de celui qui vole mon bien. La loi naturelle ne me donne aucun droit de prendre sa vie, car, pour elle, le cheval qu’il vole est autant sa propriété que la mienne. Si, donc, j’ai un droit quelconque, ce doit être en vertu d’un contrat fait entre nous, et stipulant que celui qui privera l’autre de son cheval mourra. Mais c’est là un contrat sans valeur, car nul homme n’a le droit de faire marché de sa vie, non plus que de la supprimer, puisqu’elle ne lui appartient pas. Et d’ailleurs le contrat est inégal et serait annulé même dans une cour d’équité moderne, car il emporte une grande pénalité pour un avantage insignifiant, puisqu’il est bien préférable que deux hommes vivent plutôt qu’un seul monte à cheval. Or un contrat qui est sans valeur entre deux hommes l’est également entre cent, ou entre cent mille; car, de même que dix millions de cercles ne pourront jamais faire un carré, de même les voix réunies de millions de personnes ne sauraient prêter le moindre fondement à ce qui est faux. C’est ainsi que la raison parle, et la nature laissée à elle-même dit la même chose. Les sauvages, qui sont dirigés par la loi naturelle seule, sont très respectueux de la vie les uns des autres; ils répandent rarement le sang autrement que par représailles d’une première cruauté.

Nos ancêtres saxons, tout féroces qu’ils étaient à la guerre, n’avaient que peu d’exécutions en temps de paix; et, dans tous les gouvernements primitifs qui portent encore, fortement marquée, l’empreinte de la nature, presque aucun crime n’est tenu pour capital.

C’est parmi les citoyens d’un état de civilisation raffinée que les lois pénales, lesquelles sont entre les mains des riches, pèsent sur les pauvres. Les gouvernements, à mesure qu’ils vieillissent, semblent prendre l’humeur morose du grand âge; et, comme si nos biens nous devenaient plus chers à mesure qu’ils s’accroissent, comme si, plus notre opulence est énorme, plus nos craintes s’étendaient, toutes nos possessions sont chaque jour encloses comme d’une palissade de nouveaux édits et entourées de gibets pour épouvanter tous les envahisseurs.

Je ne saurais dire si c’est à cause du nombre de nos lois pénales ou à cause de la licence de notre population que ce pays offre plus de condamnés en un an que la moitié des États de l’Europe pris ensemble. Peut-être est-ce dû aux deux causes, car elles s’engendrent mutuellement l’une l’autre. Lorsque, par des lois pénales sans discernement, une nation voit le même châtiment attaché à des degrés de culpabilité divers, le peuple, n’apercevant pas de distinction dans les peines, est conduit à perdre tout sentiment de distinction dans le crime, et c’est cette distinction qui est le boulevard de toute moralité: ainsi la multitude des lois produit des vices nouveaux, et les vices nouveaux appellent de nouvelles rigueurs.

Il serait à désirer que le pouvoir, au lieu d’imaginer de nouvelles lois pour punir le vice, au lieu de tirer avec dureté les cordes de la société jusqu’à ce qu’une convulsion vienne les faire se rompre, au lieu de retrancher de son sein comme inutiles des misérables avant d’avoir essayé leur utilité, au lieu de transformer la correction en vengeance, il serait à désirer que nous missions à l’épreuve les moyens préventifs de gouvernement, et que nous fissions de la loi le protecteur, mais non le tyran du peuple. Nous verrions alors que des créatures, dont nous regardions les âmes comme des scories, n’ont manqué que de la main de l’affineur; nous verrions alors que des créatures, aujourd’hui attachées à de longs tourments pour éviter au luxe de ressentir un moment d’angoisse, pourraient, si on les traitait comme il convient, servir à donner du nerf à l’État dans les temps de danger; que, de même que leurs visages, leurs cœurs aussi sont semblables aux nôtres; qu’il y a peu d’esprits si avilis que la persévérance ne puisse amender; qu’il n’est pas besoin de la mort pour faire qu’un homme ait vu son dernier crime, et que le sang ne sert guère à cimenter notre sécurité.

CHAPITRE XXVIII

Le bonheur et le malheur dans cette vie dépendent de la prudence plutôt que de la vertu, car le ciel regarde les maux ou les félicités terrestres comme des choses purement insignifiantes en soi et indignes de ses soins dans leur répartition

DÉJÀ quinze jours s’étaient écoulés depuis mon arrestation; mais, depuis mon arrivée, je n’avais pas eu la visite de ma chère Olivia, et il me tardait grandement de la voir. Je fis part de mon désir à ma femme, et le matin suivant la pauvre fille entra dans ma chambre, appuyée au bras de sa sœur. Le changement que je vis dans sa physionomie fut un coup pour moi. Les grâces sans nombre qui y faisaient naguère leur séjour en avaient fui, et la main de la mort semblait avoir modelé tous ses traits pour m’alarmer. Ses tempes étaient creusées, la peau de son front tendue, et une fatale pâleur siégeait sur sa joue.

«Je suis bien aise de te voir, ma chérie, m’écriai-je. Mais pourquoi cet abattement, Livy? J’espère, mon amour, que vous avez trop de considération pour moi pour laisser le chagrin miner ainsi une vie que je prise autant que la mienne. Du courage, enfant, et nous pourrons encore voir des jours plus heureux.

– Vous avez toujours été bon pour moi, monsieur, répliqua-t-elle, et la pensée que je n’aurai jamais l’occasion de partager ce bonheur que vous promettez ajoute à ma peine. Le bonheur, je le crains, ne m’est plus destiné ici-bas, et j’ai hâte d’être loin d’un lieu où je n’ai trouvé que le malheur. En vérité, monsieur, je voudrais que vous fissiez votre soumission à M. Thornhill; cela pourrait, jusqu’à un certain point, l’induire à la pitié envers vous, et cela me donnerait quelque soulagement en mourant.

– Jamais, enfant, jamais on ne m’amènera à reconnaître ma fille pour une prostituée; car, si le monde regarde votre faute avec mépris, qu’il m’appartienne du moins de la considérer comme une marque de simplicité crédule, et non comme un crime. Ma chérie, je ne suis nullement malheureux en ce lieu, quelque lugubre qu’il paraisse, et soyez sûre que tant que vous continuerez à vivre pour ma joie, lui n’aura jamais mon consentement de vous faire plus misérable en en épousant une autre.»

Après le départ de ma fille, mon compagnon de prison, qui était présent à cette entrevue, me fit avec assez de bon sens des remontrances sur mon obstination à refuser une soumission qui promettait de me donner la liberté. Il me fit remarquer que le reste de ma famille ne devait pas être sacrifié à la paix d’une seule enfant, et de la seule qui m’eût offensé. «D’ailleurs, ajouta-t-il, je ne sais pas s’il est juste de mettre ainsi obstacle à l’union de l’homme et de la femme, comme vous le faites à présent, en refusant de consentir à une alliance que vous ne pouvez pas empêcher, mais que vous pouvez rendre malheureuse.

– Monsieur, répliquai-je, vous ne connaissez pas l’homme qui nous opprime. Je sens parfaitement qu’aucune soumission de ma part ne pourrait me procurer la liberté, même pour une heure. On me dit que, précisément dans cette chambre-ci, un de ses débiteurs, pas plus tard que l’année dernière, est mort de besoin. Mais quand ma soumission et mon approbation pourraient me transférer d’ici dans le plus beau des appartements qu’il possède, je n’accorderais ni l’une ni l’autre, car quelque chose me dit à l’oreille que ce serait sanctionner un adultère. Tant que ma fille vivra, aucun mariage qu’il puisse contracter ne sera jamais légal à mes yeux. Si elle m’était enlevée, je serais, il est vrai, le plus vil des hommes d’essayer, par ressentiment personnel, de séparer ceux qui désirent s’unir. Non, tout scélérat qu’il est, je voudrais alors qu’il fût marié, pour prévenir les conséquences de ses futures débauches. Mais aujourd’hui, ne serais-je pas le plus cruel de tous les pères de signer un instrument qui doit mettre mon enfant au tombeau, dans le seul but d’éviter la prison moi-même, et ainsi, pour échapper à une douleur, de briser sous mille autres le cœur de mon enfant?»

Il reconnut la justesse de cette réponse, mais il ne put s’empêcher de faire observer qu’il craignait que la vie de ma fille ne fût déjà trop attaquée pour me tenir prisonnier longtemps. «Toutefois, continua-t-il, quoique vous refusiez de vous soumettre au neveu, j’espère que vous n’avez rien à objecter à mettre votre cas devant l’oncle, qui a la plus haute réputation du royaume pour tout ce qui est juste et bon. Je vous conseillerais de lui envoyer une lettre par la poste, l’informant de tous les mauvais traitements de son neveu, et je gage ma vie qu’en trois jours vous aurez une réponse.» Je le remerciai de l’idée, et immédiatement je me mis en devoir de l’exécuter. Mais je manquais de papier, et malheureusement tout notre argent avait été dépensé ce matin-là en provisions. Néanmoins, il m’en fournit.

Les trois jours suivants, je fus dans l’anxiété de savoir quel accueil ma lettre avait bien pu recevoir; mais en même temps j’étais fréquemment sollicité par ma femme de me soumettre à toutes les conditions plutôt que de rester ici, et à chaque heure on me répétait des détails sur le déclin de la santé de ma fille. Le troisième et le quatrième jour arrivèrent, mais je ne recevais point de réponse à ma lettre: les plaintes d’un étranger contre un neveu favori n’avaient aucune chance de succès, de sorte que ces espérances s’évanouirent bientôt comme toutes les précédentes. Mon esprit, toutefois, se soutenait encore, bien que l’emprisonnement et le mauvais air commençassent à altérer visiblement ma santé, et que mon bras qui avait souffert de l’incendie devînt de plus en plus malade. Cependant mes enfants se tenaient assis autour de moi, et tandis que j’étais étendu sur ma paille, ils me faisaient tour à tour la lecture ou écoutaient mes conseils en pleurant. Mais la santé de ma fille déclinait plus vite que la mienne; chaque nouvelle qui me venait d’elle contribuait à accroître mes appréhensions et ma peine. Le matin du cinquième jour, après avoir écrit la lettre envoyée à sir William Thornhill, je fus effrayé d’apprendre qu’elle avait perdu l’usage de la parole. Ce fut alors que la prison me fut véritablement douloureuse; mon âme s’élançait de sa geôle vers le chevet de mon enfant pour l’encourager, pour l’affermir, pour recevoir ses derniers vœux et enseigner à son âme le chemin du ciel! D’autres renseignements arrivèrent.

Elle était expirante, et moi j’étais privé de la pauvre consolation de pleurer à ses côtés. Mon compagnon de prison, un moment après, vint m’apporter la dernière nouvelle. Il me recommandait d’être patient. Elle était morte! – Le lendemain matin, il revint et me trouva avec mes deux petits garçons, maintenant ma seule compagnie, qui mettaient en œuvre tous leurs innocents efforts pour me consoler. Ils me priaient de les laisser me faire la lecture et me demandaient de ne pas pleurer, parce que j’étais maintenant trop vieux pour verser des larmes. «Et ma sœur n’est-elle pas un ange maintenant, papa? s’écriait le plus âgé. Et alors, pourquoi vous chagrinez-vous pour elle? Je voudrais bien être un ange, hors de ce lieu qui me fait peur, si mon papa était avec moi. – Oui, ajoutait mon mignon le plus jeune, le ciel, où est ma sœur, est un lieu plus beau que celui-ci et où il n’y a rien que de bonnes gens, tandis que les gens d’ici sont très méchants.»

M. Jenkinson interrompit cet innocent babil en faisant remarquer que maintenant que ma fille n’était plus, je devais songer sérieusement au reste de ma famille et essayer de conserver ma propre existence, qui déclinait chaque jour par le manque des choses nécessaires et d’un air sain. Il ajouta qu’il m’incombait maintenant de sacrifier tout orgueil ou tout ressentiment personnel au bien-être de ceux qui comptaient sur moi pour vivre et que j’étais dorénavant obligé, et par la raison et par la justice, de me réconcilier avec mon seigneur.

«Le ciel soit loué! répliquai-je. Il ne me reste aucun orgueil aujourd’hui. Je haïrais mon propre cœur si j’y voyais caché de l’orgueil ou du ressentiment. Au contraire, puisque mon oppresseur a jadis été mon paroissien, j’espère un jour lui présenter une âme sans souillure devant le tribunal éternel. Non, monsieur, je n’ai pas de ressentiment maintenant, et bien qu’il m’ait pris ce que je considérais comme plus cher que tous ses trésors, bien qu’il m’ait tordu le cœur, – car je suis malade presque à en perdre le sentiment, bien malade, mon compagnon, – jamais cependant cela ne m’inspirera le désir de la vengeance. Je suis maintenant disposé à approuver ce mariage, et si cette soumission peut lui faire plaisir, qu’il sache que si je lui ai fait quelque injure, j’en ai du regret.»

M. Jenkinson prit une plume et de l’encre et écrivit ma soumission à peu près telle que je l’ai exprimée, et je la signai de mon nom. Mon fils reçut mission de porter la lettre à M. Thornhill, qui était alors à son château, à la campagne. Il y alla, et six heures après il revint avec une réponse verbale. Il avait eu quelque difficulté, dit-il, à réussir à voir son seigneur, les domestiques étant insolents et soupçonneux; mais il l’avait vu par hasard, au moment où il sortait pour quelque affaire relative aux préparatifs de son mariage qui devait avoir lieu dans trois jours. Il continua son récit en nous disant qu’il s’était avancé de la plus humble manière et avait remis la lettre, et que M. Thornhill, après l’avoir lue, avait déclaré que toute soumission venait aujourd’hui trop tard et était inutile, qu’il avait appris notre démarche auprès de son oncle, laquelle avait trouvé le mépris qu’elle méritait, et que, quant au reste, toute demande, à l’avenir, devait être adressée à son avoué et non à lui. Il fit remarquer, toutefois, que, comme il avait une très bonne opinion de la discrétion des deux jeunes demoiselles, elles auraient été sans doute les intercesseurs les mieux agréés.

«Eh bien! monsieur, dis-je à mon compagnon de prison, vous découvrez maintenant le caractère de l’homme qui m’opprime. Il sait être à la fois facétieux et cruel. Mais qu’il me traite comme il voudra, je serai bientôt libre, en dépit de tous ses verrous pour me retenir. Je me dirige vers un séjour qui paraît plus brillant à mesure que je m’en approche. Cette attente me relève dans mes afflictions, et si je laisse derrière moi une famille d’orphelins sans appui, peut-être se trouvera-t-il quelque ami qui les aidera pour l’amour de leur pauvre père, et quelques-uns les soulageront aussi peut-être pour l’amour de leur père qui est au ciel.»

10.Sorte de jeu de cartes où celui qui a la main a le droit de prendre des cartes dans le jeu de son adversaire (to crib, enlever, chiper).