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Kitabı oku: «Le portrait de monsieur W. H.», sayfa 7

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POÈMES EN PROSE33

I – L'artiste

Un soir naquit dans son âme le désir de modeler la statue du Plaisir qui dure un instant. Et il partit par le monde pour chercher le bronze, car il ne pouvait voir ses oeuvres qu'en bronze.

Mais tout le bronze du monde entier avait disparu et nulle part dans le monde entier on ne pouvait trouver de bronze, hormis le bronze de la statue du Chagrin qu'on souffre toute la vie.

Or, c'était lui-même, et de ses propres mains, qui avait modelé cette statue et l'avait placée sur la tombe du seul être qu'il eût aimé dans sa vie. Sur la tombe de l'être mort qu'il avait tant aimé, il avait placé cette statue qui était sa création, pour qu'elle y fût comme un signe de l'amour de l'homme qui ne meurt pas et un symbole du chagrin de l'homme, qu'on souffre toute la vie.

Et dans le monde entier il n'y avait pas d'autre bronze que le bronze de cette statue.

Et il prit la statue qu'il avait créée et il la plaça dans une grande fournaise et la livra au feu.

Et du bronze de la statue du Chagrin qu'on souffre toute la vie, il modela une statue du Plaisir qui dure un instant.

II – Le faiseur de bien

C'était la nuit et Il était seul.

Et Il vit de loin les murailles d'une cité considérable et Il s'approcha de la cité.

Et quand Il en fut tout près, Il entendit dans la ville le trépignement du plaisir, le rire de l'allégresse et le fracas retentissant de nombreux luths. Et Il frappa à la porte et un des gardiens des portes lui ouvrit.

Et Il contempla une maison construite de marbre et qui avait de belles colonnades de marbre à sa façade, les colonnades étaient tapissées de guirlandes et au dehors, et au dedans il y avait des torches de cèdre.

Et Il pénétra dans la maison.

Et quand Il eut traversé le hall de chalcédoine et le hall de jaspe et atteint la grande salle du festin, Il vit, couché sur un lit de pourpre marine un homme dont les cheveux étaient couronnés de roses rouges et dont les lèvres étaient rouges de vin.

Et Il alla à lui et le toucha sur l'épaule et lui dit:

– Pourquoi vivez-vous ainsi?

Et le jeune homme se retourna, et Le reconnut et Lui répondit.

Il Lui dit:

– Un jour, je n'étais qu'un lépreux et vous m'avez guéri. Comment vivrais-je autrement?

Et, un peu plus loin, Il vit une femme dont le visage était fardé et le costume de couleurs voyantes et dont les pieds étaient chaussés de perles. Et près d'elle vint, avec l'allure lente d'un chasseur, un jeune homme qui portait un manteau de deux couleurs.

Or, la face de la femme était comme le beau visage d'une idole et les yeux du jeune homme brillaient de convoitise.

Et Il le suivit rapidement.

Il toucha la main du jeune homme et lui dit:

– Pourquoi regardez-vous cette femme de cette façon?

Et le jeune homme se retourna et Le reconnut et dit:

– Un. jour que j'étais aveugle, vous m'avez donné la vue. Qui regarderai-je d'autre?

Et Il courut en avant et toucha le vêtement de couleurs voyantes de la femme et lui dit:

– Il n'y a pas ici d'autre route à prendre que celle du péché…

Et la femme se retourna et Le reconnut. Et elle rit et elle dit:

– Vous m'avez pardonné mes péchés et cette route est une route agréable.

Et Il sortit de la ville.

Et quand Il sortait de la ville, Il vit assis sur le côté de la route un jeune homme qui pleurait.

Et Il vint à lui et toucha les longues boucles de ses cheveux et lui dit:

– Pourquoi pleurez-vous?

Et le jeune homme releva la tête pour le regarder et Le reconnut et Lui répondit:

– Un jour que j'étais mort, vous m'avez fait me lever d'entre les morts. Comment ferais-je autre chose que pleurer?

III – Le disciple

Quand Narcisse mourut, la mare de ses délices se changea d'une coupe d'eaux douces en une coupe de larmes salées et les Oréades vinrent, en pleurant, à travers le bois, chanter près de la mare et la consoler.

Et quand elles virent que la mare s'était, de coupe d'eaux douces, transformée en coupe de larmes salées, elles relâchèrent les boucles vertes de leurs cheveux et crièrent à la mare.

Elles disaient:

– Nous ne nous étonnons pas que vous pleuriez aussi sur Narcisse qui était si beau.

– Mais Narcisse était-il si beau? dit la mare.

– Qui pouvait mieux le savoir que vous? répondirent les Oréades. Il nous a négligées, mais vous il vous a courtisée, et il s'est courbé sur vos bords, et il a laissé reposer ses yeux sur vous et c'est dans le miroir de vos eaux qu'il voulait mirer sa beauté.

Et la mare répondit:

– J'aimais Narcisse parce que, lorsqu'il était courbé sur mes bords et laissait reposer ses yeux sur moi, dans le miroir de ses yeux je voyais se mirer ma propre beauté.

_IV – Le __maître_

Or, quand les ténèbres tombèrent sur la terre, Joseph d'Arimathie, ayant allumé une torche de bois résineux, descendit de la colline dans la vallée.

Car il avait affaire dans sa maison.

Et s'agenouillant sur les silex de la Vallée de Désolation, il vit un jeune homme qui était nu et qui pleurait.

Ses cheveux étaient de la couleur du miel et son corps comme une fleur blanche, mais les épines avaient déchiré son corps et sur ses cheveux, il avait mis des cendres comme une couronne.

Et Joseph, qui avait de grandes richesses, dit au jeune homme qui était nu et qui pleurait.

– Je ne m'étonne pas que votre chagrin soit si grand, car sûrement Il était un homme juste.

Et le jeune homme répondit:

– Ce n'est pas pour lui que je pleure, mais pour moi-même. J'ai aussi changé l'eau en vin et j'ai guéri le lépreux, et j'ai rendu la vue à l'aveugle. Je me suis promené sur les eaux et j'ai chassé les démons, les habitants des tombeaux. J'ai nourri les affamés dans le désert où il n'y avait aucune nourriture et j'ai fait se lever les morts de leurs étroites couches et à mon ordre, et devant une grande multitude de peuple, un figuier stérile a refleuri. Tout ce que l'homme a fait, je l'ai fait. Et pourtant on ne m'a pas crucifié.

V – La maison du jugement

Et le silence régnait dans la maison du jugement et l'homme parut nu devant Dieu.

Et Dieu ouvrit le livre de la vie de l'homme.

Et Dieu dit à l'homme:

– Ta vie a été mauvaise, et tu t'es montré cruel envers ceux qui avaient besoin de secours et envers ceux qui étaient dénués d'appui. Tu as été rude et dur de coeur. Le pauvre t'a appelé, et tu ne l'as pas entendu, et tes oreilles ont été fermées au cri de l'homme affligé. Tu t'es emparé pour ton propre usage de l'héritage de l'orphelin et tu as envoyé les renards dans la vigne du champ de ton voisin. Tu as pris le pain des enfants et tu l'as donné à manger aux chiens et mes lépreux qui vivaient dans les marécages, et qui me louaient, tu les as pourchassés sur les grandes routes, sur ma terre, cette terre dont je t'avais formé, et tu as versé le sang innocent.

Et l'homme répondit et dit:

– J'ai également fait cela.

Et derechef Dieu ouvrit le livre de la vie de l'homme.

Et Dieu dit à l'homme:

– Ta vie a été mauvaise et tu as caché la beauté que j'ai montrée et le bien que j'ai caché, tu l'as négligé. Les murailles de ta chambre étaient d'images peintes et, de ton lit d'abomination, tu te levais au son des flûtes. Tu as bâti sept autels aux péchés que j'ai soufferts, et tu as mangé ce que l'on ne doit pas manger, et la pourpre de tes vêtements était brodée de trois signes de honte. Tes idoles n'étaient ni d'or ni d'argent qui subsiste, mais de chair qui périt. Tu baignais leur chevelure de parfums et tu mettais des grenades dans leurs mains. Tu oignais leurs pieds de safran et tu déployais des tapis devant eux. Avec de l'antimoine, tu peignais leurs paupières et, avec la myrrhe, tu enduisais leurs corps. Devant elles tu t'es incliné jusqu'à terre et les trônes de tes idoles se sont élevés au soleil. Tu as montré au soleil ta honte et à la lune ta folie. Et l'homme répondit et dit:

– J'ai également fait cela.

Et pour la troisième fois, Dieu ouvrit le livre de la vie de l'homme.

Et Dieu dit à l'homme:

– Ta vie a été mauvaise, et avec le mal tu as payé le bien et avec l'imposture la bonté. Tu as blessé les mains qui t'ont nourri et tu as méprisé les seins qui t'avaient donné leur lait. Celui qui vint à toi avec de l'eau est parti altéré et les hommes hors la loi qui t'ont caché dans leurs tentes la nuit, tu les as livrés avant l'aube. Tu as tendu une embuscade à ton ennemi qui t'avait épargné et l'ami qui marchait avec toi, tu l'as vendu pour de l'argent, et à ceux qui t'ont apporté l'amour, tu as en échange donné la luxure.

Et l'homme répondit et dit:

– J'ai également fait cela.

Et Dieu ferma le livre de la vie de l'homme et dit:

– Vraiment je devrais t'envoyer en enfer. C'est en enfer que je dois t'envoyer.

Et l'homme s'écria:

– Tu ne le peux pas.

Et Dieu dit à l'homme:

– Pourquoi ne puis-je t'envoyer en enfer et pour quelle raison?

– Parce que j'ai toujours vécu en enfer, répondit l'homme.

Et le silence régna dans la maison du jugement.

Et après un moment Dieu parla et dit à l'homme:

– Puisque je ne puis t'envoyer en enfer, vraiment je t'enverrai au ciel. C'est au ciel que je t'enverrai.

Et l'homme s'écria:

– Tu ne le peux pas.

Et Dieu dit à l'homme:

– Pourquoi ne puis-je t'envoyer au ciel et pour quelle raison?

– Parce que jamais et nulle part je n'ai pu m'imaginer un ciel, répliqua l'homme.

Et le silence régna dans la maison du jugement.

VI – Le maître de sagesse

Depuis son enfance, il avait été, comme quiconque, bourré de la parfaite connaissance de Dieu et, même quand il n'était qu'un gamin, bien des saints, comme aussi certaines saintes femmes qui habitaient la libre cité, dans laquelle il était né, avaient été saisis d'un grand émerveillement à ses réponses graves et sages.

Et quand ses parents lui eurent donné la robe et l'anneau de l'âge viril, il les embrassa et les quitta pour aller courir le monde, car il voulait parler de Dieu au monde.

Car il y avait, en ce temps-là, dans le monde, bien des gens qui ne connaissaient aucunement Dieu ou n'avaient de lui qu'une connaissance incomplète ou adoraient les faux dieux qui habitent les bois sacrés et ne se soucient pas de leurs adorateurs.

Et il fit face au soleil et voyagea, marchant sans sandales, comme il avait vu marcher les saints, et portant à sa ceinture une besace de cuir et une petite gourde d'argile brunie.

Et comme il marchait le long de la grande route, il était plein de cette joie qui naît de la parfaite connaissance de Dieu, et il chantait les louanges de Dieu sans interrompre ses chants et, après quelque temps, il entra dans un pays inconnu où s'élevaient bien des cités.

Et il traversa onze cités.

Et quelques-unes de ces cités étaient dans les vallées, d'autres sur les bords de grandes rivières et d'autres assises sur des collines.

Et, dans chaque cité, il trouva un disciple qui l'aima et le suivit, et une grande multitude de peuple de chaque cité le suivit aussi et la connaissance de Dieu se répandit sur toute la terre et bien des chefs de gouvernement furent convertis.

Et les prêtres des temples, dans lesquels il y avait des idoles, trouvèrent que la moitié de leur gain était perdu et, quand, à midi, ils battaient leurs tambours, personne ou bien peu de gens venaient avec des pains et des offrandes de viande, comme ç'avait été l'habitude du pays avant l'arrivée du pèlerin.

Cependant, plus la foule qui le suivait s'accroissait, plus le nombre de ses disciples grandissait, plus son affliction augmentait.

Et il ne savait pas pourquoi son affliction était si grande, car il parlait toujours de Dieu et selon la plénitude de parfaite connaissance de Dieu que Dieu lui avait donnée.

Et, un soir, il sortit de la onzième cité qui était une cité d'Arménie; et ses disciples et une grande foule de peuple le suivirent, et il monta sur une montagne et s'assit sur un rocher qu'il y avait sur la montagne.

Et ses disciples se rangèrent autour de lui et la multitude s'agenouilla dans la vallée.

Et il plongea sa tête dans ses mains et pleura, et dit à son âme:

– Pourquoi suis-je plein d'affliction et de crainte et pourquoi chacun de mes disciples est-il comme un ennemi qui s'avance en pleine lumière?

Et son âme lui répondit et dit:

– Dieu t'a rempli de la pleine connaissance de lui-même et tu as donné cette science aux autres. Tu as divisé la perle de grand prix et tu as partagé en fragments le vêtement sans couture. Celui qui répand la sagesse se vole lui-même. Il est comme celui qui donne un trésor à un voleur. Dieu n'est-il pas plus sage que ce que tu l'es? Qui es-tu pour répandre le secret que Dieu t'a confié? J'étais riche un jour et tu m'as appauvrie. J'ai vu Dieu un jour et maintenant tu me l'as caché.

Et de nouveau il pleura, car il savait que son Âme lui disait la vérité et qu'il avait donné aux autres la parfaite connaissance de Dieu et qu'il était comme un homme qui s'est accroché aux pans de la robe de Dieu et que sa foi l'abandonnait en raison du nombre de ceux qui croyaient en lui.

Et il se dit à lui-même:

– Je ne parlerai plus de Dieu. Celui qui répand la sagesse se vole lui-même.

Et, quelques heures plus tard, ses disciples vinrent près de lui et, s'inclinant jusqu'à terre, lui dirent:

– Maître, parle de Dieu, car tu as la parfaite connaissance de Dieu et nul homme autre que toi n'a cette connaissance.

Et il leur répondit et leur dit:

– Je vous parlerai de toutes les autres choses qui sont dans le ciel et sur la terre, mais de Dieu je ne vous en parlerai pas. Ni maintenant ni en aucun temps je ne vous parlerai plus de Dieu.

Et ils s'irritèrent contre lui et lui dirent:

– Tu nous as conduits dans le désert pour que nous puissions t'écouter. Veux-tu nous renvoyer affamés, nous et la grande foule que tu as invitée à te suivre.

Et il leur répondit et leur dit:

– Je ne vous parlerai pas de Dieu.

Et la multitude murmura contre lui et lui dit:

– Tu nous as conduits dans le désert et tu ne nous as pas donné de nourriture à manger. Parle-nous de Dieu et cela nous suffira.

Mais il ne leur répondit pas un mot, car il savait que s'il parlait de Dieu il leur donnerait un trésor.

Et les disciples s'en furent tristement et la multitude retourna dans ses maisons. Et beaucoup moururent en route.

Et, quand il fut seul, il se leva et se tourna vers la lune et voyagea pendant sept lunes, ne parlant à aucun homme et ne répondant à aucune question.

Et quand la septième lune fut à son déclin, il atteignit ce désert qui est le désert de la grande Rivière.

Et ayant trouvé vide une caverne qu'habitait jadis un Centaure, il la prit pour abri et s'y fit une natte de jonc pour y coucher et mener la vie d'un ermite.

Et, chaque heure, l'ermite louait Dieu qui avait permis qu'il apprît à le connaître et à connaître son admirable grandeur.

Or, un soir, comme l'ermite était assis devant la caverne où il s'était organisé un lieu de repos, il aperçut un jeune homme au visage pervers et beau qui passait en habits simples et les mains vides.

Chaque soir, le jeune homme repassa les mains vides et, chaque matin, il revint les mains pleines de pourpre et de perles, car c'était un voleur, et il volait les caravanes de marchands.

Et l'ermite le regarda et il eut pitié de lui. Mais il ne lui dit pas un mot, car il savait que celui qui dit un mot perd la foi.

Et, un matin, comme le jeune homme revenait les mains pleines de pourpre et de perles, il s'arrêta, fronça les sourcils, frappa du pied sur la table et dit à l'ermite:

– Pourquoi me regardez-vous toujours de la sorte quand je passe? Qu'est-ce donc que je vois dans vos yeux? Car aucun homme ne m'a regardé auparavant de cette façon. Et c'est pour moi un aiguillon et un chagrin.

Et l'ermite lui répondit et dit:

– Ce que vous voyez dans mes yeux, c'est de la pitié. C'est la pitié qui vous regarde par mes yeux.

Et le jeune homme ricana d'un rire méprisant et cria à l'ermite d'une voix amère.

Il lui dit:

– J'ai de la pourpre et des perles dans mes mains et vous n'avez pour vous coucher qu'une natte de jonc. Quelle pitié auriez-vous pour moi? Et pour quelle raison avez-vous cette pitié?

– J'ai pitié de vous, dit l'ermite, parce que vous ne connaissez pas Dieu.

– La connaissance de Dieu est-elle une chose précieuse? demanda le jeune homme.

Et il s'approcha de l'entrée de la caverne.

– Elle est plus précieuse que toute la pourpre et toutes les perles du monde, répondit l'ermite.

– Et la possédez-vous? dit le jeune voleur.

Et il s'approcha encore.

– Jadis, répondit l'ermite, j'ai possédé vraiment la parfaite connaissance de Dieu, mais dans ma folie je l'ai partagée et je l'ai divisée entre bien d'autres hommes. Même encore maintenant pareille ressouvenance est et demeure pour moi plus précieuse que la pourpre et les perles.

Et quand le jeune voleur entendit cela, il jeta la pourpre et les perles qu'il portait dans ses mains et, tirant une épée pointue d'acier recourbé, il dit à l'ermite:

– Donnez-moi sur l'heure cette connaissance de Dieu que vous possédez ou je vais vous tuer sans hésiter? Pourquoi ne tuerai-je pas celui qui possède un trésor plus grand que mon trésor?

Et l'ermite étendit ses bras et dit:

– Ne vaudrait-il pas mieux pour moi d'aller dans les cours les plus éloignées de la maison de Dieu et le louer que de vivre dans le monde et de ne pas le connaître? Tuez-moi si c'est votre volonté. Mais je ne livrerai pas ma connaissance de Dieu.

Et le jeune voleur tomba à genoux et le supplia, mais l'ermite ne voulut ni lui parler de Dieu ni lui donner son trésor.

Et le jeune voleur se leva et dit à l'ermite:

– Qu'il en soit comme vous le voulez. Pour moi, je vais aller à la Ville des Sept Péchés qui n'est qu'à trois jours de marche d'ici, et pour ma pourpre on me donnera du plaisir et pour mes perles on me vendra de la joie.

Et il reprit la pourpre et les perles et s'en fut rapidement.

Et l'ermite l'appela à grands cris. Il le suivit et l'implora.

Durant trois jours, il suivit le jeune voleur sur la route, et il le supplia de revenir, de ne pas entrer dans la cité des Sept Péchés.

Et, à tout moment, le jeune voleur regardait l'ermite, et l'appelait, et lui disait:

– Voulez-vous me donner cette connaissance de Dieu qui est plus précieuse que la pourpre et les perles? Si vous voulez me donner cela, je n'entrerai pas dans la Cité.

Et toujours l'ermite répondait:

– Je vous donnerai tout ce que j'ai, à l'exception d'une seule chose, car cette chose-là il ne m'est pas permis de la donner.

Et, au crépuscule du troisième jour, ils arrivèrent près des grandes portes écarlates de la Cité des Sept Péchés.

Et de la Cité le bruit de mille éclats de rire vint jusqu'à eux.

Et le jeune voleur rit en réponse et s'efforça de frapper à la porte.

Et comme il y frappait, l'ermite courut sur lui, et le saisit par les pans de ses vêtements et lui dit:

– Étendez vos mains et mettez vos bras autour de mon cou; approchez votre oreille de mes lèvres et je vous donnerai ce qu'il me reste de la connaissance de Dieu.

Et le jeune voleur s'arrêta.

Et, quand l'ermite lui eut livré sa connaissance de Dieu, il tomba sur le sol et pleura, et de grandes ténèbres lui cachèrent la ville et le jeune voleur si bien qu'il ne les vit plus.

Et comme il était là courbé tout en larmes, il s'aperçut que quelqu'un était debout à côté de lui et celui qui était debout à côté de lui avait des pieds d'airain et des cheveux comme de la laine fine.

Et il releva l'ermite et lui dit:

– Jusqu'ici tu as eu la parfaite connaissance de Dieu; maintenant tu as le parfait amour de Dieu. Pourquoi pleures-tu?

Et il le baisa.

L'ÂME HUMAINE SOUS LE RÉGIME SOCIALISTE34

Le principal avantage qui résulterait de rétablissement du socialisme serait, à n'en pas douter, que nous serions délivrés par lui de cette sordide nécessité de vivre pour d'autres, qui dans l'état actuel des choses, pèse d'un poids si lourd sur tous presque sans exception. En fait, on ne voit pas qui peut s'y soustraire.

Çà et là, dans le cours du siècle, un grand homme de science, tel que Darwin; un grand poète, comme Keats; un subtil critique comme Renan; un artiste accompli, comme Flaubert, ont su s'isoler, se placer en dehors de la zone où le reste des hommes fait entendre ses clameurs, se tenir à l'abri du mur, que décrit Platon35 réaliser ainsi la perfection de ce qui était en chacun, avec un avantage incalculable pour eux, à l'avantage infini et éternel du monde entier.

Néanmoins, ce furent des exceptions.

La majorité des hommes gâchent leur existence par un altruisme malsain, exagéré, et en somme, ils le font par nécessité. Ils se voient au milieu d'une hideuse pauvreté, d'une hideuse laideur, d'une hideuse misère. Ils sont fortement impressionnés par tout cela, c'est inévitable.

L'homme est plus profondément agité par ses émotions que par son intelligence, et comme je l'ai montré en détail dans un article que j'ai jadis publié sur la Critique et l'Art36, il est bien plus facile de sympathiser avec ce qui souffre, que de sympathiser avec ce qui pense. Par suite, avec des intentions admirables, mais mal dirigées, on se met très sérieusement, très sentimentalement à la besogne de remédier aux maux dont on est témoin. Mais vos remèdes ne sauraient guérir la maladie, ils ne peuvent que la prolonger, on peut même dire que vos remèdes font partie intégrante de la maladie.

Par exemple, on prétend résoudre le problème de la pauvreté, en donnant aux pauvres de quoi vivre, ou bien, d'après une école très avancée, en amusant les pauvres.

Mais par là, on ne résout point la difficulté; on l'aggrave, le but véritable consiste à s'efforcer de reconstruire la société sur une base telle que la pauvreté soit impossible. Et les vertus altruistes ont vraiment empêché la réalisation de ce plan.

Tout de même que les pires possesseurs d'esclaves étaient ceux qui témoignaient le plus de bonté à leurs esclaves, et empêchaient ainsi d'une part les victimes du système d'en sentir toute l'horreur, et de l'autre les simples spectateurs de la comprendre, ainsi, dans l'état actuel des choses en Angleterre, les gens qui font le plus de mal, sont ceux qui s'évertuent à faire le plus de bien possible. C'est au point qu'à la fin nous avons été témoins de ce spectacle: des hommes qui ont étudié sérieusement le problème, et qui connaissent la vie, des hommes instruits, et qui habitent East-End, en arrivent à supplier le public de mettre un frein à ses impulsions altruistes de charité, de bonté, etc. Et ils le font par ce motif que la Charité dégrade et démoralise. Ils ont parfaitement raison.

La Charité est créatrice d'une multitude de péchés.

Il reste encore à dire ceci: c'est chose immorale que d'employer la propriété privée à soulager les maux affreux que cause la privation de propriété privée; c'est à la fois immoral et déloyal.

Sous le régime socialiste, il est évident que tout cela changera.

Il n'y aura plus de gens qui habiteront des tanières puantes, seront vêtus de haillons fétides, plus de gens pour procréer des enfants malsains, et émaciés par la faim, au milieu de circonstances impossibles et dans un entourage absolument repoussant.

La sécurité de la société ne sera plus subordonnée, comme elle l'est aujourd'hui, au temps qu'il fait. S'il survient de la gelée, nous n'aurons plus une centaine de mille hommes forcés de chômer, vaguant par les rues dans un état de misère répugnante, geignant auprès des voisins pour en tirer des aumônes ou s'entassant à la porte d'abris dégoûtants pour tâcher d'y trouver une croûte de pain et un logement malpropre pour une nuit. Chacun des membres de la société aura sa part de la prospérité générale et du bonheur social, et s'il survient de la gelée, personne n'en éprouvera d'inconvénient réel.

Et d'autre part, le socialisme en lui-même aura pour grand avantage de conduire à l'individualisme.

Le socialisme, le communisme, – appelez comme vous voudrez le fait de convertir toute propriété privée en propriété publique, de substituer la coopération à la concurrence, – rétablira la société dans son état naturel d'organisme absolument sain, il assurera le bien-être matériel de chaque membre de la société. En fait, il donnera à la vie sa vraie base, le milieu qui lui convient. Mais pour que la vie atteigne son mode le plus élevé de perfection, il faut quelque chose de plus.

Ce qu'il faut, c'est l'individualisme. Si le socialisme est autoritaire, s'il existe des gouvernements armés du pouvoir économique, comme il y en a aujourd'hui qui sont armés du pouvoir politique, en un mot, si nous devons avoir des tyrannies industrielles, alors ce nouvel état de choses sera pire pour l'homme que le premier.

Actuellement, grâce à l'existence de la propriété privée, beaucoup d'hommes sont en état de produire une somme extrêmement restreinte d'individualisme.

Les uns sont soustraits à la nécessité de travailler pour vivre, les autres sont libres de choisir la sphère d'activité où ils se sentent réellement dans leur élément, où ils trouvent leur plaisir: tels sont les poètes, les philosophes, les hommes de science, les hommes cultivés, en un mot les hommes qui sont parvenus à se définir, ceux en qui toute l'humanité réussit à se réaliser partiellement.

D'autre part, il existe bon nombre d'hommes qui, dépourvus de toute propriété personnelle, toujours sur le point de tomber dans l'abîme de la faim, sont contraints à faire des besognes bonnes pour les bêtes de somme, à faire des besognes absolument désagréables pour eux, et la tyrannie de la nécessité, qui donne des ordres, qui ne raisonne pas, les y force. Tels sont les pauvres, et on ne trouve chez eux nulle grâce dans les manières, nul charme dans le langage, rien qui rappelle la civilisation, la culture, la délicatesse dans le plaisir, la joie de vivre.

Leur force collective est d'un grand profit pour l'humanité. Mais ce qu'elle y gagne se réduit au résultat matériel.

Quant à l'individu, s'il est pauvre, il n'a pas la moindre importance. Il fait partie, atome infinitésimal, d'une force qui, bien loin de l'apercevoir, l'écrase, et d'ailleurs préfère le voir écrasé, car cela le rend bien plus obéissant.

Naturellement, on peut dire que l'individualisme tel que le produit un milieu où existe la propriété privée, n'est pas toujours, que même, en règle générale, il est rarement d'une qualité bien fine, d'un type bien merveilleux, et qu'à défaut de culture et de charme, les pauvres ont encore bien des vertus.

Ces deux assertions seraient tout à fait vraies.

La possession de la propriété privée est souvent des plus démoralisantes, et il est tout naturel que le socialisme voie là une des raisons de se délivrer de cette institution. En fait, la propriété est un vrai fléau.

Il y a quelque temps des hommes parcoururent le pays en disant que la propriété a des devoirs. Ils le dirent si souvent d'une façon si ennuyeuse, que l'Église s'est mise à le dire. On l'entend répéter dans toutes les chaires.

Cela est parfaitement vrai. Non seulement la propriété a des devoirs, mais elle a des devoirs si nombreux, qu'au delà de certaines limites, sa possession est une source d'ennuis. Elle comporte des servitudes à n'en plus finir pour les uns; pour d'autres une continuelle application aux affaires: ce sont des ennuis sans fin.

Si la propriété ne comportait que des plaisirs, nous pourrions nous en accommoder, mais les devoirs qui s'y rattachent la rendent insupportable. Nous devons la supprimer, dans l'intérêt des riches.

Quant aux vertus des pauvres, il faut les reconnaître, elles n'en sont que plus regrettables.

On nous dit souvent que les pauvres, sont reconnaissants de la charité. Certains le sont, nul n'en doute, mais les meilleurs d'entre eux ne sont jamais reconnaissants. Ils sont ingrats, mécontents, indociles, ingouvernables, et c'est leur droit strict.

Ils sentent que la Charité est un moyen de restitution partielle ridiculement inadéquat, ou une aumône sentimentale, presque toujours aggravée d'une impertinente indiscrétion que l'homme sentimental se permet pour diriger tyranniquement leur vie privée.

Pourquoi ramasseraient-ils avec reconnaissance les croûtes de pain qui tombent de la table du riche?

Leur place serait à cette même table, et ils commencent à le savoir.

On parle de leur mécontentement. Un homme qui ne serait pas mécontent dans un tel milieu, dans une existence aussi basse, serait une parfaite brute.

Aux yeux de quiconque a lu l'histoire, la désobéissance est une vertu primordiale de l'homme. C'est par la désobéissance que s'est accompli le progrès, par la désobéissance et la révolte.

Parfois on loue les pauvres d'être économes. Mais recommander l'économie aux pauvres, c'est chose à la fois grotesque et insultante. Cela revient à dire à un homme qui meurt de faim: «ne mangez pas tant». Un travailleur de la ville ou des champs qui pratiquerait l'économie serait un être profondément immoral. On devrait se garder de donner la preuve qu'on est capable de vivre comme un animal réduit à la portion congrue. On devrait se refuser à vivre de cette façon; il est préférable de voler ou de recourir à l'assistance publique, ce que bien des gens regardent comme une forme du vol. Quant à mendier, c'est plus sûr que de prendre, mais prendre est plus beau que mendier. Non, un bomme pauvre qui est ingrat, dépensier, mécontent, rebelle, est probablement quelqu'un, et il y a en lui bien des choses. Dans tous les cas, il est une protestation saine.

Quant aux pauvres vertueux, nous pouvons les plaindre, mais pour rien au monde nous ne les admirerons. Ils ont traité pour leur compte personnel avec l'ennemi, et vendu leur droit d'aînesse pour un très méchant plat. Il faut donc que ce soient des gens extrêmement bornés.

Je comprends fort bien qu'on accepte des lois protectrices de la propriété privée, qu'on en admette l'accumulation, tant qu'on est capable soi-même de réaliser dans de telles conditions quelque forme de vie esthétique et intellectuelle. Mais ce qui me paraît tout à fait incroyable, c'est qu'un homme dont l'existence est entravée, rendue hideuse par de telles lois puisse se résigner à leur permanence.

Et pourtant la vraie explication n'est point malaisée à trouver, la voici dans toute sa simplicité.

La misère, la pauvreté ont une telle puissance dégradante, elles exercent un effet paralysant si énergique sur la nature humaine, qu'aucune classe n'a une conscience nette de ses propres souffrances. Il faut qu'elle en soit avertie par d'autres, et souvent elle refuse totalement de les croire.

33.Publiés au complet pour la première fois dans la Fortnightly Review de juillet 1894, les Poèmes en prose ont été réimprimés plusieurs fois en Amérique et à Paris (1904-1906). La Maison du Jugement et le Disciple furent publiés isolément, dès 1893, dans The Spirit Lamp d'Oxford.
34.Cette étude a été insérée dans la Fortnightly Review en février 1891, réimprimée en 1891 à New-York et en Angleterre en 1895 en une édition non mise dans le commerce, et quatre fois rééditée depuis la mort d'Oscar Wilde. Il en existe une traduction allemande récente.
35.Allusion à l'allégorie de la caverne dans La République, livre VII.
36.La Critique et l'art. Cette étude fait partie du volume Intentions, si bien traduit par M. J. – J. Renaud, (Stock, éditeur), p. 98. Elle avait paru pour la première fois dans la Nineteenth Century en juillet. 1890 et en volume l'année suivante.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 aralık 2017
Hacim:
180 s. 1 illüstrasyon
Tercüman:
Telif hakkı:
Public Domain
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