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Kitabı oku: «La Chèvre d'Or», sayfa 5

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XX
LE LIVRE DE RAISON

L'abbé hésitait en me donnant le livre, il semblait regretter de me l'avoir offert. Et puis, pourquoi cette expresse recommandation de n'en jamais rien dire à M. Honnorat non plus qu'à Norette?

J'ai tressailli, je me le rappelle, oui! visiblement tressailli quand l'abbé, sans penser à mal, laissa échapper ces syllabes: «la Chèvre d'Or» dont l'obsession depuis quelque temps me poursuit.

Aurait-il remarqué mon émotion? me soupçonnerait-il, lui aussi, comme Galfar, de rêver la conquête des trésors enfouis au Puget-Maure?

Malgré que l'abbé insistât, j'ai refusé d'aller manger le lièvre au presbytère; j'ai même, prétextant un travail d'importance, des lettres pressées à écrire, faussé pour ce soir compagnie aux Gazan.

Et me voilà, dans mon infâme auberge, en train de dîner face à face avec Ganteaume qui m'observe, qui se demande ce que peut bien contenir le précieux bouquin placé près de moi, sur la table, et que je ne quitte pas du regard.

Mais Ganteaume en sera pour sa curiosité.

Quelque chose me dit que sous cette reliure en cuir fauve, criblée par les vers, piquée par les mites, molle, pareille à l'amadou, je vais trouver, sinon la solution, du moins les prémices du problème dont l'inconnu de plus en plus me préoccupe et m'attire.

J'attends d'être rentré chez moi; et seul, écoutant le plaintif chevrotement de Misé Jano dans sa logette, tournant le dos au paysage, toujours sublime, à cette heure où le soleil tombe, des collines et de la mer, les doigts tremblants, ému comme quelqu'un qui craint de trouver vide un coffret antique et mystérieux, je dénoue le ruban fané qui ferme la tranche du livre.

L'abbé ne m'a pas trompé.

C'est un de ces livres de raison, d'usage commun autrefois dans les familles provençales, memorandum manuscrit sur les pages respectées duquel, avec les naissances, les morts, les mariages, on relatait, au jour le jour, les gros et menus faits concernant le pays ou la maison.

Mais ces archives domestiques des Gazan ont ceci pour elles qu'elles remontent au delà du xve siècle. Car si, précédant quelques feuilles de la fin demeurées blanches, les dernières pages noircies révèlent, par leur fine et ferme écriture, la main d'une riche bourgeoise, sage contemporaine de la Pompadour, les lettres gothiques du commencement, régulières, ornées, magistrales, sont dues évidemment à la plume savante du clerc de la chapelle ou du tabellion écrivant, attentifs, sous la dictée des châtelaines.

Il y a deux semaines, c'eût été pour moi un régal, une vraie débauche, que de dévorer des yeux, les compulsant, les annotant, au risque de me laisser surprendre par l'aurore, ces feuillets jaunis où, depuis le bisaïeul de Norette, je puis, d'année en année, presque de jour en jour, remonter jusqu'à l'origine, aux lointains ancêtres venus d'Orient.

Quelle source de documents, quelle mine pour mes études! Mais aujourd'hui c'est autre chose que j'y cherche: un détail, une indication ayant rapport avec l'ermitage, la fontaine, le cadran énigmatique et indéchiffré du vieux médecin cabaliste.

Par malheur, bien des pages manquent qu'on dirait intentionnellement arrachées.

Nulle trace de la légende, rien que quelques lignes constatant qu'en l'année 1503, noble Melchior Gazan, dans une intention de bienfaisance et pour assurer le repos des âmes «des deux qui sont morts», a permis aux ermites, présentement et aussi longtemps qu'elle coulera, de conduire «par tuyaux de terre jusqu'à leur ermitage et chapelle, sous la condition d'en laisser la jouissance et la tombée aux gens qui passeront sur le chemin, la source lui appartenant et naturellement jaillissante au lieu dit: Rocher de la Chèvre».

XXI
LA FONTAINE

Que le trésor ait existé, c'est certain; la légende, la tradition, certains faits relevés par moi, tout le prouve.

Qu'il existe encore, c'est probable: comment aurait-on fait pour en tenir secrète la découverte?

Mais le moyen de l'atteindre… voilà l'obscur! Et peut-être sa destinée est-elle de dormir jusqu'à la fin des jours, aveugle sous terre, inutile, comme tant d'autres trésors perdus, dont les métaux, les pierreries, ne ressusciteront plus jamais aux joies vivantes de la lumière.

Un matin pourtant, sans songer, une préoccupation instinctive, plus que la volonté, me conduisant, je suis monté vers l'ermitage.

Le soleil, depuis longtemps sur l'horizon, mais invisible encore derrière les montagnes, colorait leurs cimes en rose. Arrivé devant la fontaine, je regardais ses deux mascarons cracher l'eau, tandis que des gouttes pleuraient, très claires, aux fils de ses mousses.

Tout à coup le soleil parut, inondant le plateau d'une nappe de clarté blanche; et l'ombre du petit monument, droite et nette, vint s'allonger jusqu'à mes pieds.

Alors – la mémoire a de ces hasards, les idées de ces associations subites – songeant au distique latin du cadran, je me suis soudain rappelé, pour l'avoir lu sans doute quelque part, l'aventure de Robert Guiscard, en Sicile, et la colonne qu'il trouva, et la statue couronnée d'un cercle de bronze où était gravé: «Le 1er mai, au soleil levant, j'aurai une couronne d'or.» Mots dont un Sarrasin, prisonnier du comte Robert, sut pénétrer le sens caché. Car Robert, sur ses indications, ayant fait fouiller, le 1er mai, au soleil levant, l'endroit qu'indiquait l'extrémité de l'ombre projetée par la statue, il y trouva, dit le chroniqueur, un grand et très riche trésor.

Évidemment, si l'inscription tracée par le vieux docteur mesmérien sur le cadran de l'ermitage a jamais signifié quelque chose, et si toutefois le trésor existe, c'est l'ombre d'un objet quelconque qui doit en indiquer la place.

Et pourquoi pas l'ombre de la fontaine, puisqu'elle s'appelle fontaine de la Chèvre d'Or?

Ils n'ont certes pas si tort que cela, sauf leur croyance en la vertu de la verge tournante et de la messe noire, les gens qui viennent, pendant la nuit, remuer le sol autour de la fontaine!

Ils brûlent, comme on dit; mais leurs efforts resteront vains, car, non plus que moi, ils ne savent l'heure du jour ni la saison où l'ombre serait indicatrice.

Tout repère manque, l'inscription elle-même est abolie; et l'abbé qui l'a jadis lue n'en garde qu'un souvenir vague suffisant pour irriter ma curiosité, insuffisant pour m'être un guide.

Moins heureux que Robert Guiscard, n'ayant pas, hélas! à mon service un prisonnier sarrasin, un de ces fils d'Agar héréditairement experts à deviner le secret des figures, je renoncerai donc au trésor du Puget-Maure.

Et, me raillant un peu moi-même, amusé de mes rêveries, je m'étais étendu sous un buisson, avec le désir d'oublier le trésor, tandis que la fontaine, traversée de rayons obliques, semblait, vision obsédante, rouler dans son cristal, dans son écume, des diamants et des fragments d'or.

XXII
LE ROCHER DE LA CHÈVRE

Depuis, j'ai réfléchi; car ceci à la fin devient attachant comme la poursuite d'un problème.

Si le trésor lui-même ou l'entrée du souterrain qui, à en croire certains récits, le renferme, se trouve autour de la fontaine, on pourrait aboutir en sondant avec soin le rond de terrain circonscrit que parcourt, plus ou moins étendue selon les saisons, l'ombre portée de sa pyramide.

Mais je suis assuré maintenant que le trésor ne se cache point là.

La fontaine date à peine de quatre cents ans, et n'est point contemporaine du trésor.

D'ailleurs, – un enfant y eût songé tout de suite, – d'après le livre de raison, le nom de fontaine de la Chèvre d'Or s'appliquant au petit monument dressé pour les ermites, ne saurait signifier grand'chose; car évidemment on ne l'a appelée ainsi que par extension, en souvenir du rocher dit: «de la Chèvre» d'où descend la vraie source, la source mère.

En tout cas, trouver le rocher est facile.

Les tuyaux, depuis quatre siècles, s'étant crevés en maints endroits, je n'ai qu'à suivre une demi-heure durant, le long de la pente aride, cette ligne verte tracée sur le sol par les consoudes et les prêles, plantes dont la présence révèle le voisinage de l'eau; et me voilà sur un plateau semé de débris, restes probables de quelque château-fort, en présence d'un bloc calcaire, figuré bizarrement, au pied duquel, cristalline, la source s'épanche.

Ce plateau, irrégulièrement quadrangulaire, accessible du côté par où s'en va la source, a pour fossés, des trois autres côtés, une falaise à pic que couronnent encore des restes de murailles.

Le sol résonne sous les pas, des excavations, naturelles ou creusées de main d'homme, s'ouvrent aux flancs de la falaise. C'est ici et non à l'ermitage, ici, dans ce paysage solitaire et pétrifié, que doit habiter la Chèvre d'Or.

Mais la difficulté se complique.

Fouiller au hasard serait folie: sous une mince couche de briques brisées et de pierrailles, tout le plateau se présente comme une table de roc vif.

En outre, il ne s'agirait pas que de fouiller le plateau. Le bloc surplombe l'escarpement: et c'est sur la paroi qu'à cette heure du jour, comme sur un cadran gigantesque, son ombre chemine.

N'est-ce pas une illusion? La pointe du rocher, nettement dessinée, se dirige vers un inaccessible trou noir bâillant en bouche de caverne. Si pourtant le hasard m'avait servi! Si j'étais arrivé juste à l'instant où l'ombre indique l'entrée mystérieuse…

A ce moment, un bref appel: «Ici, Guerrier!» m'a fait tressaillir, sonnant clair dans la solitude.

C'était un vieil homme, un berger qui appelait son chien.

Absorbé par mes songeries, je ne l'avais pas entendu venir.

Lui, sans mettre la main au chapeau, immobile sur son crâne paysan comme un chapeau de grand d'Espagne, me salua du classique: «A Dieu soyez!» Puis, laissant Guerrier mordiller aux jambes cinq ou six brebis en train d'éplucher l'herbe rare, et désormais ne s'occupant pas plus de moi que si je n'existais pas, il se mit à fumer sa pipe, gravement, par bouffées économes et mesurées, le regard perdu à l'horizon, les jambes pendant sur l'abîme.

XXIII
DISCOURS DE PEU-PARLE

Étant retourné plusieurs fois au rocher de la Chèvre, j'ai fini par lier connaissance avec Peu-Parle. Tel est le sobriquet de cet homme silencieux.

Sa taciturnité est grande. Brièvement, à son habitude, il en explique les raisons.

– «Pourquoi parler quand on n'a rien à dire; pourquoi, surtout, parler si l'on a quelque chose à dire, puisque neuf fois sur dix se taire serait le plus sage?»

Et Peu-Parle se tait énormément, avec délices, passant ses heures, comme la première fois où je le rencontrai, près du rocher de la Chèvre, toujours assis à la même place, toujours l'œil fixé sur le même point.

Les gens prétendent que Peu-Parle a le secret.

C'est pour cela que chaque matin, hiver comme été, il monte là-haut, et qu'on le voit, des journées entières, couver du regard un endroit connu de lui seul, retraite de la Chèvre fée.

Peu-Parle, s'il voulait, serait riche comme un Crésus. Il ne veut pas, l'idée lui suffit. Gardien jaloux d'un trésor qu'il dédaigne, refusant d'y toucher, craignant d'en laisser approcher les autres, il vit ainsi depuis quarante ans, heureux, déguenillé, avec son rêve et sa chimère.

Peu-Parle passe pour sorcier; les vieilles femmes qui s'en vont couper les lavandes, ont vu la nuit, quand il garde après le soleil couché, des formes étranges se promener devant son feu.

Les hommes, même courageux, n'aiment guère entendre sur le tard l'aigre aboi de son chien Guerrier et le bruit de ses souliers ferrés dans les pierrailles.

D'ailleurs, brave homme, et respecté comme on respecte les puissances!

Un jour, Peu-Parle m'a parlé.

Je lui avais offert du tabac pour en bourrer sa pipe que, faute d'argent, il suçait à vide. L'attention le toucha, nous causâmes.

– «Alors vous êtes venu pour le trésor?.. Ne dites pas non; je parle peu, mais j'entends bien et je descends quelquefois au village… Venu même de très loin, paraît-il. Bon! le trésor du roi de Majorque vaut bien qu'on fasse quelques lieues.

– Du roi de Majorque?

– Eh! oui, un ancien roi arrivé par mer, qui plus tard fut obligé de fuir… Vous savez ces choses mieux que moi et me faites bavarder. Mais n'importe! Peu-Parle s'appelle Peu-Parle, il ne conte que ce qu'il veut, il a tout deviné l'autre jour en vous voyant regarder l'ombre.

«Que vous a fait la Chèvre d'Or? Pourquoi ne pas la laisser tranquille sur sa montagne? Elle va, vient, au clair de lune, buvant l'eau pure, broutant la mousse, et ne fait de mal à personne.

«Quand on l'aura prise, la belle avance!

«Captive, la Chèvre d'Or se vengera, car l'or est source de toute misère. C'est à cause de lui que les hommes se haïssent, c'est à cause de lui que les femmes ne vont pas vers qui sait les aimer. Dans le clos des ermites, il y a deux tombes, M. Honnorat les connaît bien, les tombes de deux cousins, presque deux frères, qui moururent de mort sanglante pour avoir cherché la Chèvre d'Or.

«Que l'or reste oublié, que la Chèvre d'Or reste libre!

«Si je pouvais, – moi, Peu-Parle, – comme les gens croient, rien qu'en levant un doigt, faire reparaître au soleil les richesses que ce rocher recouvre, je ne lèverais pas le doigt, je laisserais dormir les richesses…»

Peu-Parle, quelques instants encore, continua son discours où se mêlaient, ainsi que dans une apocalyptique vision, la fabuleuse Chèvre d'Or avec les préoccupations plus positives des trésors du roi de Majorque.

Puis, fatigué sans doute de son effort, il siffla Guerrier, se dressa; et, me tendant la main:

– «Réussir dans cette entreprise serait beau, je vous souhaite bonne chance!.. Autrefois, jeune, j'ai tenté; mais la hardiesse ne suffit pas, il faut encore qu'on vous aime. Les hommes inventent, calculent. C'est la femme qui a la clef d'or: faites-vous aimer de Norette!»

XXIV
UN BOUQUET

L'aventure tourne au conte de fée.

Ainsi, d'après le vieux Peu-Parle, pour parvenir jusqu'au trésor, je dois d'abord me déguiser en prince Charmant, à mon âge! Auquel cas, j'aurais pour Belle au Bois dormant, mon Dieu, oui! Mlle Norette.

Mais Norette n'est pas princesse, la maison de M. Honnorat, quoique pittoresque, n'a que de très lointains rapports avec les châteaux perdus au fond des forêts enchantées, et je ne veux pas, sur de chimériques espérances, m'établir soupirant d'une petite villageoise.

Car elles sont bien chimériques, ces espérances! et je m'amuse fort, moi-même, d'analyser l'étrange travail qui, en raison de l'isolement où je vis, s'est peu à peu fait dans mon âme.

Eh quoi! parce qu'un matin de désœuvrement, l'idée m'est venue de consacrer aux Arabes de Provence une étude plus ou moins érudite; parce qu'il me plaît de rechercher les traces légères que leur passage a pu laisser dans le pays; parce que, le jour de mon arrivée, les nuages de l'air surchauffé, la grisante odeur des résines et des lavandes m'ont donné, l'espace de quelques secondes, une hallucination, suite naturelle d'un rêve; et parce que, Misé Jano l'ayant perdue, j'ai ramassé une clochette inscrite de caractères qui me parurent curieux, voici que, depuis un grand mois, plus crédule qu'un paysan, plus visionnaire qu'un berger, je perds mon temps à chercher les moyens de conquérir, au fond de la caverne que garde sans doute un dragon, les richesses du roi de Majorque!

Tout en songeant ainsi, je redescendais machinalement la montagne, mais du côté opposé à celui par lequel j'étais venu.

Un étroit sentier, visible à peine, serpente là, au milieu des blocs moussus et des verdures. Car, autant le versant méridional, brûlé du soleil, est aride, autant le versant nord, presque toujours dans l'ombre et perpétuellement humecté par un suintement d'eaux souterraines venues, sans doute, du même mystérieux réservoir qui alimente la source du roc de la Chèvre, offre d'agréable fraîcheur.

Nos montagnes ont de ces contrastes; et, dans certains coins privilégiés, souvent le printemps se continue, tandis qu'à quelques pas les feuillages et les herbes sèchent aux flammes de l'été.

Des fleurs croissaient en cet endroit, des fleurs alpestres, délicates, d'espèces inconnues. J'en cueillis et finis par faire un bouquet que j'encadrai, pour mieux le garantir, d'une collerette de fougères et de capillaires. Cette précaution me permit de l'apporter intact au village.

M. Honnorat, que je rencontrai se promenant seul sur la place, l'admira fort à cause de sa rareté en cette saison. Je lui dis l'avoir cueilli pour Mlle Norette.

– «Vous tombez mal! c'est aujourd'hui jour de lessive, et les jours de lessive la maison devient inhabitable. J'avais pris la fuite et n'osais plus aller chercher ma pipe, malheureusement oubliée. Norette est avec Saladine en train d'étendre dans la cour. Après tout, rien ne coûte d'essayer, un bouquet embellira peut-être son humeur.»

Sur des cordes partout se croisant, d'un angle à l'autre, entre les arcades, Saladine, privilégiée par sa haute taille, disposait, d'un air toujours bourru, les toiles que Norette lui passait, et que Ganteaume, religieusement, passait à Norette.

M. Honnorat n'avançait que prudemment, à moitié rassuré par ma présence.

– «Norette? regarde, Norette: le galant bouquet qu'on veut t'offrir.»

Je ne sais ce qu'avait mon bouquet, pareil pourtant à tous les bouquets! mais au seul aspect des pauvres fleurs, Ganteaume devint rouge jusqu'aux oreilles. Saladine me jeta un regard de dogue en soupçon, et Norette, qui les serrait déjà dans ses doigts tremblants, me parut, pour un hommage si banal, ressentir une émotion vraiment singulière.

– «Filons maintenant, j'ai ma pipe!» me disait le bon M. Honnorat.

Et moi, tout en le suivant, je songeais à la phrase énigmatique de Peu-Parle: «C'est la femme qui a la clef d'or, faites-vous aimer de Norette.»

Est-ce que Peu-Parle, en sa qualité de sorcier, aurait vu des choses que je n'ai point vues? Est-ce que, sans que je m'en doute, par caprice de jeune fille, Mlle Norette m'aimerait?

XXV
LES OURSINS DU PATRON RUF

Une surprise m'attendait.

Sur la porte, qui rencontrons-nous? Patron Ruf, toujours rasé, toujours tanné, portant de chaque main un panier d'oursins frais pêchés dont les piquants, couleur de châtaigne, se remuaient encore lentement au milieu de leur emballage d'herbe marine.

M. Honnorat, cette fois, ose affronter Norette, affronter Saladine. Que sont la lessive et les femmes quand il s'agit d'un ami comme patron Ruf et d'oursins engraissés par la pleine lune?

Aussitôt le dîner s'improvise, car les oursins n'attendent pas. On me convie ainsi que l'abbé, à qui patron Ruf dépêche Ganteaume.

Saladine, décidément vaincue, séchera son linge où elle pourra; et nous voilà tous attablés dans la cour aux blanches arcades, sous la vigne en treille dont le cep, perdant son écorce, a l'air d'un bon vieux boa qui mourrait.

C'est patron Ruf qui bravement, sans craindre les pointes, décoiffe l'un après l'autre les oursins comme on fait des œufs à la coque.

Une! deux! et l'étoile de chair jaune-orange apparaît nageant dans une noirâtre mixture d'eau de mer et d'algues triturées.

L'abbé, homme aux préjugés montagnards, répugne à manger ces bêtes vivantes. Moi-même, amateur novice, je fais tomber l'algue et l'eau de mer sur mon assiette, me contentant du jaune que je cueille avec mon couteau. M. Honnorat et patron Ruf nous raillent. Ils n'y mettent pas, eux, tant de façons. Ils gobent le tout: eau, algues, étoile! ils raclent la coque avec des mouillettes; et radieux, la barbe ruisselante, M. Honnorat s'écrie:

– «On dirait qu'on mâche la mer!

– Encore, interrompt patron Ruf, n'est-ce pas ainsi, entre des murs, que l'oursin se mange; mais sur le rivage, dans la barque, en écoutant battre le flot. A six heures du matin, quand le soleil chasse la brume, pourvu que j'aie un bon pain tendre, une bouteille de clairet, je viens à bout de mes six douzaines, et Rothschild n'est pas mon cousin!»

Mlle Norette a mis le bouquet sur la table, bien en face d'elle; baissant les yeux, le rose aux joues, toutes les fois que je la regarde ou que je regarde le bouquet.

Elle est d'ailleurs très gaie aujourd'hui, Mlle Norette.

Comme on parle de la mer, elle nous raconte l'impression que lui fit la Méditerranée la première fois qu'elle la vit.

Saladine ramenait Norette de nourrice.

– «Vous vous rappelez, Saladine?»

Mais Saladine ne répond pas. N'importe! Norette continue:

– «Alors, quand nous arrivâmes au mas de la Viste d'où tout l'horizon se découvre, je demandai, petite sauvagesse qui n'a jamais vu que des montagnes: «Qu'est-ce que c'est que ce grand pré bleu?» Saladine me dit: «C'est la mer.» – Et les moutons blancs qui sont dessus? – Ce sont des barques et leurs voiles.»

Un peu troublée d'avoir fait cet important discours, Mlle Norette, en manière de contenance, a pris le bouquet posé à côté de son verre, sur la nappe, et cette action si simple a si fort impressionné Ganteaume, qu'il en laisse tomber une pile d'assiettes, – du vieux Varages presque aussi finement décoré que le Moustiers, – au désespoir de Saladine, repentante de s'être adjoint un tel aide.

Le fait est que, depuis le commencement du repas, mon Ganteaume, page ahuri, n'a fait qu'entasser maladresses sur maladresses. Et je me demande pourquoi, Mlle Norette le sait peut-être? quelques fleurs offertes par moi ont l'étrange pouvoir de le préoccuper ainsi.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 haziran 2017
Hacim:
150 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain