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Kitabı oku: «L'eau profonde; Les pas dans les pas», sayfa 10

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X

ÉPILOGUE

Il était quatre heures de l'après-midi quand le fils des deux héros de ce douloureux et mystérieux drame d'amour avait commencé de lire ces pages, où les aveux de la morte se trouvaient rapportés avec une émotion que trahissaient l'écriture et la rédaction. La nuit était tout à fait tombée qu'il était encore là, tenant dans ses mains ces feuilles dont il ne pouvait pas se lasser de reprendre les phrases une par une. C'était comme si ces paroles prononcées dans les ténèbres de la chambre d'agonie lui arrivaient, en effet, de là-bas, du Père-Lachaise, et du tombeau, où il avait enseveli sa mère, bien peu de jours après qu'elle avait épanché les secrètes amertumes de sa vie dans cette confession suprême. Mme de Chaligny n'avait pas voulu qu'on la déposât dans la sépulture de famille. Elle s'était fait construire, de son vivant, dans la dernière année, un caveau particulier, en demandant que sur le fronton de la chapelle, son petit nom: Armande, fût seul gravé. Son fils s'était conformé à cette disposition du testament de sa mère, en y voyant un de ces caprices d'hypocondrie comme les maladies du foie, qui ébranlent si profondément le caractère, en produisent souvent. Il comprenait maintenant la raison cachée de ce désir. Il se rappelait que la tombe d'à côté était aussi toute neuve et sans aucun nom gravé encore sur le fronton d'une chapelle presque pareille à celle de sa mère. Il s'était étonné de cette similitude. On lui avait répondu que l'acquéreur de ce terrain avait fait copier le monument voisin, pour en avoir admiré la simplicité élégante. Cet acquéreur, il le devinait, avait été M. de Rayneville. L'ami et l'amie avaient rêvé de reposer du moins dans deux tombes jumelles, ne pouvant être réunis dans le même caveau. Qui reconnaîtrait l'ancien homme à la mode du Paris élégant d'après la guerre, le condamné pour faux, sous cette appellation anonyme, ce nom presque impersonnel de Dumont, qui lui avait servi à déguiser sa personnalité depuis sa sortie de prison, qui lui servirait à déguiser la fidélité posthume de son dernier asile? Quand le fils irait désormais porter des fleurs, comme il avait fait au commencement de ce mois de novembre, sur le tombeau de sa mère, le tombeau de son véritable père se dresserait là près de lui, qui implorerait un regard, une pensée, un pardon… Les refuserait-il, ce pardon et cette pensée?.. Non. Le changement que Valentine lui avait annoncé s'accomplissait en lui. Il lui devenait impossible de condamner ces deux êtres, dont il était sorti. Leur faute avait été si cruellement poursuivie par la justice vengeresse, attachée aux bonheurs défendus, que, même dans le cœur d'un étranger, la pitié eût noyé la sévérité. Comment un fils n'eût-il pas senti cette pitié surabonder en lui, ruisseler en larmes sur ce papier où se voyaient les taches faites par d'autres pleurs? Et ces traces rappelaient au mari de Valentine le tendre génie féminin qui avait achevé de purifier une aventure, coupable à ses débuts, quoique avec tant d'excuses, – criminelle ensuite par l'égarement d'un de ses acteurs, – ennoblie plus tard, même dans ce crime, par la fidélité et la douleur. Mais elle n'était devenue absolument délicate que par sa femme. C'était vers elle qu'allait en ce moment toute son âme malade. En elle seule il pouvait se réconcilier entièrement avec la morte et le mort, de l'adultère desquels sa naissance l'avait rendu complice, malgré lui, rien que par son nom. Ils avaient fait pire. Ils avaient transmis à son être le plus intime les violentes contradictions de leurs actes et de leurs sensibilités. Ce qu'il avait en lui d'élevé et de fier, cet instinctif appétit de noblesse qui l'avait toujours fait souffrir du mensonge, dans sa trahison envers Valentine, il le leur devait. Le romanesque étrange de leur liaison démontrait assez que ces amants avaient du moins respecté leurs cœurs. Ils avaient été dans la passion et non pas dans l'intrigue et la galanterie. Sa faiblesse lamentable de volonté devant certaines tentations, c'était eux encore. Le péché de leur amour avait passé dans son sang, et aussi les émotions du danger qu'ils avaient dû subir pour se donner l'un à l'autre. Ce qu'il avait de farouchement timide en dérivait, et cette ombrageuse, cette maladive susceptibilité, l'obstacle dressé depuis tant d'années entre sa femme et lui, après s'être dressé entre lui et sa mère. Pour que la mourante ne l'eût pas pris comme confident, à cette minute suprême, il fallait qu'il eût laissé grandir entre eux ces épaisseurs de silence que déchirent seules des catastrophes comme celle qu'il subissait… Voilà les idées qui se levaient de ces feuillets, déjà un peu jaunis, pour cet homme, soudain mis en face de la plus bouleversante des révélations, – idées encore mêlées et indéterminées, confuses et incertaines. Elles ne se dessinaient pas dans sa réflexion en si vives arêtes. Elles le possédaient déjà cependant, et elles se condensaient, elles se ramassaient dans une reconnaissance passionnée pour Valentine, dans un besoin de lui payer en tendresse, en culte, en révérence, tout ce quelle avait fait pour la mourante de la confession d'abord, pour le solitaire de la rue Lacépède ensuite, pour lui-même, Norbert, enfin! Le jeu naturel des événements allait trop vite lui fournir l'occasion de la prouver, cette gratitude, et, comme il arrive, quand on s'est placé dans certaines situations d'une ambiguïté insoluble, ce retour au respect de son foyer ne pouvait s'accomplir qu'aux dépens de celle qui le lui avait fait profaner.

A travers le va-et-vient de ces idées, et absorbé comme il était par l'évocation de sa mère, rendue vivante à nouveau dans ces paroles de son agonie, il avait oublié où il était, et qu'avant le dîner sa femme recevait d'habitude dans ce petit salon. Les domestiques étaient entrés pour vaquer à leur service ordinaire, allumer les lampes, fermer les volets et les rideaux, préparer la table à thé. Norbert n'y avait pas pris garde. Il eût dû prévoir que Mme de La Node, après la manière dont il l'avait quittée ce matin, accourrait certainement aux nouvelles par cette fin d'après-midi. Le «petit six heures» de Valentine était un prétexte trop commode. Mais Norbert avait complètement désappris l'existence de sa maîtresse. Certains accidents de la destinée ressemblent vraiment à ces cataclysmes, au sortir desquels, – un incendie comme celui du bazar de la Charité, un tremblement de terre comme celui de la Martinique, – l'homme qui en réchappe devient, en quelques heures, un individu nouveau. La secousse, nerveuse et sentimentale à la fois, a été trop forte. Ce témoin d'un désastre presque déconcertant pour la raison ne pourra plus retrouver ni ses joies ni ses douleurs d'avant, ni jamais oublier la commotion subie. Il avait vingt-cinq ans ce matin, à présent il en a soixante, il en a cent. Il se jouait de lui-même et de la vie. Elle l'a ébranlée jusque dans son arrière-fond. Son insouciance est aussi finie que sa jeunesse. Un autre ne se connaissait pas, ni son propre cœur. Il allait se cherchant des émotions compliquées à travers des expériences où il n'arrivait pas à se plaire vraiment. Ces facticités s'effacent d'un coup. Elles s'anéantissent, par la seule entrée en lui d'une impression si forte, si mordante, que rien n'a plus de saveur à côté. Ce dernier cas était celui de Norbert de Chaligny. Son intrigue avec Jeanne, où les sens avaient eu la plus grande part, ne pouvait plus l'intéresser, sinon comme un remords, après les heures brûlantes qu'il venait de vivre. Il ne se l'était plus même rappelée, cette intrigue, durant cette après-midi, que pour se reprocher amèrement d'avoir tant méconnu Valentine. Aussi lui fut-ce une surprise, toute mêlée de gêne et d'irritation, que de voir sa maîtresse entrer dans le petit salon de sa femme, comme elle y entra, sans se faire annoncer, et quand il avait encore dans les mains les feuilles dépositaires du terrible secret. Mme de La Node avait dépensé, elle, son après-midi en courses et en visites, avec cette idée fixe: «Chaligny est à la maison de la rue Lacépède… Que s'y passe-t-il?..» Toutes sortes d'hypothèses avaient tour à tour surgi devant sa pensée, depuis celle du meurtre, qu'elle avait de nouveau reprise et de nouveau chassée comme intolérable, pour descendre jusqu'à celle, beaucoup plus vraisemblable, et en partie conforme aux faits, d'une enquête auprès des boutiquiers voisins. Elle connaissait trop bien Norbert pour n'être pas sûre que, lui ayant promis le silence auprès de Valentine, il tiendrait sa parole. Que risquait-elle à passer à l'hôtel Chaligny? Et elle y avait passé. On lui avait dit en bas que Mme la marquise n'était pas rentrée, mais que M. le marquis était là. Jeanne était donc montée, comme tant d'autres fois, soi-disant pour attendre sa cousine, en réalité pour avoir avec Norbert quelques instants de tête-à-tête, où elle le confesserait. Elle vit, dès le premier coup d'œil, qu'il continuait d'être bien troublé. Ce secrétaire d'autre part, avec son tiroir à demi-ouvert; ce coffret de cuir qu'elle savait appartenir à sa cousine, ouvert lui aussi; cette lettre dont elle ne reconnut pas l'écriture, car Norbert étendit aussitôt sa main sur la page; ce geste même, et le sursaut de surprise qu'il ne dissimula point, – ces divers signes s'accordaient trop bien à l'état de violence et de soupçon où elle avait laissé le mari jaloux. Elle crut qu'ayant échoué rue Lacépède dans son enquête autour de la maison suspecte, il avait pris le parti de forcer la cachette où Valentine enfermait sa correspondance. Il était en train d'y surprendre la preuve après laquelle le doute ne serait plus possible. Son passionné désir que sa rivale heureuse de tant d'années fût enfin perdue et à jamais éclata dans ce cri par lequel l'envieuse, à peine entrée dans la pièce, interrogea son amant:

– «Tu n'as rien pu savoir là-bas?.. De qui est cette lettre?.. Valentine…»

– «Arrêtez-vous, Jeanne,» interrompit Chaligny en se levant, et sa main continuait de poser sur la lettre, pour la défendre, «Je ne peux pas vous permettre de me parler de Valentine… Vous vous êtes trompée…» continua-t-il avec une fermeté impérative et qui ne supportait pas la réplique. «Oui,» insista-t-il, «vous vous êtes trompée, dans ce que vous m'avez écrit et dit sur elle… Vous étiez de bonne foi. Je ne vous adresse aucun reproche. Mais je vous demande que jamais aucune allusion ne soit plus faite entre nous à des choses dont je dois ne plus même me souvenir pour continuer à m'estimer…»

Mme de La Node avait écouté cette protestation, pour elle si complètement inattendue, avec une stupeur qui, pendant une minute, la paralysa. Elle lisait, sur la physionomie de cet homme, qu'elle avait toujours trouvé hésitant et complexe, une résolution si nette, si vive! Par quels procédés la visiteuse du pavillon de la rue Lacépède avait-elle retourné cette volonté, si vacillante d'habitude, en ce moment si fixe? Jeanne n'avait aucune donnée qui lui permît de répondre à cette question. Absolument persuadée que sa cousine était coupable, comment lui eût-elle accordé, une seconde, le crédit de supposer ces procédés loyaux et sincères? A une amie qui serait venue lui demander conseil en pareille circonstance, elle aurait, sans aucun doute, indiqué, comme la seule voie à suivre, une apparente condescendance à l'illusion d'un mari, complaisamment abusé malgré l'évidence. La haine contre l'épouse triomphante fut en cet instant plus forte chez la maîtresse que le génie de la ruse, et, avec un accent de mauvaise ironie, elle repartit:

– «C'est heureux que vous ne doutiez pas de ma bonne foi. Je vous en remercie… Ce que je vous ai écrit et dit, pour parler comme vous, je vous l'ai écrit et je vous l'ai dit, pour qui? Pour vous… Il vous plaît de ne plus en tenir aucun compte, après vous être mis, à ce sujet, dans un tel état que vous m'avez fait peur. Je ne suis venue ici, ce soir, qu'à cause de cela, et parce que j'étais inquiète de votre violence. Valentine a été assez adroite pour réussir où j'ai échoué. Elle a calmé votre fureur. Tant mieux pour elle!.. Mais vous, de votre côté, souvenez-vous bien que le jour où vous voudrez me reparler d'elle et des prétendues révélations qu'une parente ou des amis lui auraient faites, je ne vous laisserai pas aller plus loin. J'en ai assez d'être toujours sacrifiée…»

Norbert la regarda sans lui répondre. Il venait de communier avec une âme magnifique dans une de ces crises où l'extrême douleur exalte en nous comme un nouveau sens, auquel toute sincérité est perceptible et tout mensonge. Il apercevait à cette minute, avec une évidence affreuse, le fond même du cœur de Jeanne: – la passion de cette femme pour lui n'avait jamais été faite que de sa haine pour Valentine! – Sa longue faiblesse lui interdisait des reproches qui, émanant de lui, eussent été aussi ridicules qu'odieux. Sachant, d'autre part, ce qu'il savait maintenant, rien que d'entendre sa maîtresse prononcer le nom de cette femme admirable lui semblait une profanation, contre laquelle son honneur protestait. Il se résigna donc à se taire, pour marquer mieux sa volonté de couper court à une explication insoutenable, et il commença de mettre de l'ordre dans le secrétaire, replaçant les feuilles du «Témoignage» dans leur enveloppe, cette enveloppe dans le coffret, et comme il refermait le coffret lui-même avec la petite clef d'or, Jeanne, qui avait vu depuis des années cette petite breloque au bracelet de Valentine, éclata soudain de ce rire insolent qu'elle avait eu ces derniers jours, à deux reprises, on l'a vu. A ces deux reprises, Norbert avait sursauté sous l'outrage. Cette fois encore, il frémit et ses mains tremblèrent. Mais pas une question n'échappa de ses lèvres, à laquelle l'autre pût rattacher une nouvelle insinuation. Aurait-elle eu, si ce tête-à-tête s'était prolongé, l'audace de braver la colère contenue dont elle voyait son amant dévoré? Que cette clef fût entre les mains du mari qu'elle avait laissé follement soupçonneux, qu'elle retrouvait si étrangement rassuré, après des indices si accusateurs, c'était la preuve, pour elle, qu'une scène avait eu lieu entre les époux. Pressée par Norbert, Valentine avait employé cette ruse dernière des femmes traquées: exiger une inquisition, réclamer que leurs papiers intimes soient fouillés pendant leur absence. Elles ont tout préparé, pour que cette recherche aboutisse à un aveuglement définitif de leur dupe. Jugeant sa cousine à sa propre mesure, Jeanne de La Node interprétait de la sorte un revirement, si extraordinaire qu'elle n'y avait pas cru d'abord, qu'elle y croyait à peine. Allait-elle articuler cette nouvelle accusation et provoquer, de la part de cet homme qui, résolu à rompre avec elle, se contraignait pour ne pas la brutaliser, une explosion de révolte et de mépris? L'arrivée inopinée de Valentine elle-même vint épargner à l'envieuse cette mauvaise action. Inquiète de son mari, qu'elle savait en train de lire cette confession de la morte, et tout épuisée d'avoir accompli, rue Lacépède, un funèbre devoir, la noble femme avait tressailli d'une suprême douleur quand elle avait su que Jeanne l'attendait. – On se souvient qu'elle s'était débattue pendant des heures, depuis que sa tante Nerestaing lui avait parlé, contre des preuves indiscutables. (La Node avait communiqué à la douairière, entre autre pièces, un rapport d'une agence, précisant le nom d'un hôtel de province où les deux amants avaient passé deux jours, et la date. Cette date était exactement celle d'un voyage simultané qu'avaient fait Norbert et Jeanne.) Puis le bruit de voix échappé du petit salon et la volte-face de son mari averti avaient eu raison des derniers doutes de la confiante Valentine. – On se souvient encore que dans cette âme tout dévouement, toute générosité, la vision de la souffrance du fils si terriblement éclairé sur sa mère avait été toute puissante. La pitié l'avait emporté. La morsure de la jalousie l'avait reprise à son seuil, si aiguë qu'elle hésita pour entrer dans la pièce où causaient les deux coupables. Son émotion avait été telle qu'une minute elle s'était appuyée contre le mur, dans le corridor qui précédait le petit salon. C'est alors que, se rappelant l'étreinte dont la main de son mari avait serré sa main, d'abord à la descente du fiacre, quand la nouvelle de la mort de M. de Rayneville leur avait été annoncée brusquement, puis auprès du fauteuil où l'ancien ami de Mme de Chaligny était étendu, immobile à jamais, elle sentit de nouveau combien cet homme, faible et passionné, avait besoin d'elle. En même temps, – car elle était femme, – le désir la prit de lui prouver la noblesse d'un cœur qu'il avait méconnu, en présence même de celle pour laquelle il l'avait méconnu. Elle se dit: – «Je ne dois pas savoir ces vilenies. C'est ma seule vengeance…» Et elle trouva l'énergie de pousser la porte du salon et de saluer Mme de La Node des mêmes mots qu'elle eût employés, huit jours auparavant, lorsqu'elle ne soupçonnait réellement rien:

– «Je suis en retard, c'est impardonnable pour une femme qui n'a pas de jour… Tu m'excuseras, Jeanne… Mais tu aurais dû préparer le thé. Veux-tu le faire pendant que je vais ôter mon chapeau?»

– «Je suis un peu pressée,» répondit l'autre. «J'étais seulement venue demander de tes nouvelles. Je m'en vais. Je suis moi-même attendue rue Barbet et en retard.» Et, regardant Norbert avec des yeux d'une impudeur et d'une dureté singulières: «Ton mari était si impatient de te voir rentrer que je suis évidemment de trop…» Elle fixa sa cousine d'un regard où brûlait son ancienne haine, exaspérée par l'échec, inattendu et pour elle inexplicable, d'une attaque où elle avait tant cru triompher. Il y avait aussi dans ce regard une pire ironie et plus insultante, celle d'une femme qui, mentalement, dit à une autre: «Tu peux mettre dedans cet imbécile, mais moi, non, ma petite…» Et tout haut: «Je suppose que vous avez beaucoup de choses à vous raconter. Je vous laisse aux joies du ménage…»

Elle sortit sur cette parole qui, dans sa bouche, avait une si insolente signification. Norbert et Valentine avaient également senti la cruauté voulue de ce persiflage. Ils restèrent quelques instants sans se parler; puis, s'agenouillant devant sa femme, et lui prenant les mains dans ses mains jointes, le mari infidèle dit presque tout bas:

– «Sera-ce assez de toute ma vie pour tout te payer?..»

– «Me payer, et de quoi?» répondit-elle. «De ce que je t'ai aimé sans savoir te le montrer? Tu le vois maintenant. Je ne suis pas à plaindre.» Et elle ajouta, forçant Norbert à se relever et appuyant sa tête lassée sur l'épaule de cet homme qu'elle sentait enfin à elle: «Ceux qu'il faut plaindre, ce sont ceux qui se sont aimés sincèrement et qui n'en avaient pas le droit; ceux qui n'ont pu être vrais avec eux-mêmes sans mentir aux autres… Les plains-tu?» implora-t-elle.

– «Je les plains,» répondit-il, et dans l'émotion inexprimable de tant de tristesses et de tant de remords, de tant de magnanimité et de tant d'erreurs, ces deux êtres échangèrent le premier baiser d'amour qu'il eussent l'un et l'autre donné et reçu.

Cette histoire d'un romanesque épisode, déroulé dans le monde le moins romanesque qui soit, la haute société parisienne, ne serait pas complète si le chroniqueur ne transcrivait pas – sans commentaires, comme on dit en style de gazette – ce bout de dialogue surpris un soir du printemps dernier, au théâtre dans l'arrière-fond d'une baignoire où il figurait, à son habitude, moins pour la pièce jouée sur les planches (c'était d'ailleurs une apologie en règle de l'union libre), que pour celle ou celles qu'il pouvait deviner dans la salle. L'une des interlocutrices était Mme de Bonnivet, déjà nommée, et Saveuse, déjà nommé aussi. Ignorant l'un et l'autre qu'ils parlaient devant un témoin autrement renseigné qu'eux-mêmes, ils potinaient:

– «Vous savez la nouvelle?», disait-il, «Mme de La Node épouse un Américain extrêmement riche, un M. Harris, de New-York, le cousin du premier mari de la princesse d'Ardea.»

– «Ça, c'est d'une amie,» répondait-elle. «Si elle vit aux États-Unis, nous n'aurons pas une femme divorcée de plus à recevoir ou à ne pas recevoir, suivant les jours. Est-il bien au moins, cet Harris?»

– «Un charmant homme, joli garçon et très amoureux d'elle,» dit Saveuse.

– «Allons! Tant mieux!» reprit Mme de Bonnivet. «Vrai. Elle avait bien droit à un peu de bonheur après que Chaligny l'a lâchée si indignement. Nous allons le revoir, ce triste personnage. Maintenant que Jeanne quitte Paris, Valentine lui permettra peut-être d'y revenir. Douze mois de campagne depuis l'an dernier et un enfant, je trouve ça dégoûtant d'indiscrétion. Peut-elle mieux apprendre au monde qu'elle était trompée et qu'elle a pardonné?»

– «Vous ne savez donc pas,» insista Saveuse, «qu'ils ne s'appellent plus ou ne vont plus s'appeler Chaligny. Ils sont en instance pour relever le nom de Nerestaing…»

– «A cause du château. Ça, c'est trop snob,» répliqua-t-elle en ricanant.

Il y a quelque chose d'aussi profond que les eaux tranquilles et que les belles âmes silencieuses. C'est l'ignorance ou la méchanceté des amis du monde et surtout des amies.

Décembre 1902.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
25 haziran 2017
Hacim:
310 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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