Kitabı oku: «L'autre Tartuffe, ou La mère coupable», sayfa 4
LA COMTESSE
Non, Susanne a le cœur trop bon…
BÉGEARSS, d'un ton plus élevé, très-ferme
Ma respectable amie! vous avez payé votre dette à la tendresse, à la douleur, à vos devoirs de tous les genres; et si vous êtes satisfaire de la conduite d'un ami, j'en veux avoir la récompense. Il faut brûler tous ces papiers; éteindre tous ces souvenirs d'une faute autant expiée! mais, pour ne jamais revenir sur un sujet si douloureux, j'exige que le sacrifice en soit fait dans ce même instant.
LA COMTESSE, tremblante
Je crois entendre Dieu qui parle! il m'ordonne de l'oublier; de déchirer le crêpe obscur dont sa mort a couvert ma vie. Oui, mon Dieu! je vais obéir à cet ami que vous m'avez donné. (Elle sonne). Ce qu'il exige en votre nom, mon repentir le conseillait; mais ma faiblesse a combattu.
SCÈNE III
SUSANNE, LA COMTESSE, BÉGEARSS
LA COMTESSE
SUSANNE! apporte moi le coffret de mes diamans. – Non, je vais le prendre moi-même, il te faudrait chercher la clef…
SCÈNE IV
SUSANNE, BÉGEARSS
SUSANNE, un peu troublée
MONSIEUR Bégearss, de quoi s'agit-t-il donc? Toutes les têtes sont renversées! Cette maison ressemble à l'hôpital des fous! Madame pleure; Mademoiselle étouffe. Le Chevalier Léon parle de se noyer; Monsieur est enfermé et ne veut voir personne. Pourquoi ce coffre aux diamans inspire-t-il en ce moment tant d'intérêt à tout le monde?
BÉGEARSS, mettant son doigt sur sa bouche, en signe de mystère
Chut! Ne montre ici nulle curiosité! Tu le sçauras dans peu… Tout va bien; tout est bien… Cette journée vaut… Chut…
SCÈNE V
LA COMTESSE, BÉGEARSS, SUSANNE
LA COMTESSE, tenant le coffret aux diamans
SUSANNE! apporte nous du feu dans le brazéro du boudoir.
SUSANNE
Si c'est pour brûler des papiers, la lampe de nuit allumée, est encor là dans l'athénienne. (Elle l'avance).
LA COMTESSE
Veille à la porte, et que personne n'entre.
SUSANNE, en sortant, à part
Courons avant, avertir Figaro.
SCÈNE VI
LA COMTESSE, BÉGEARSS
BÉGEARSS
COMBIEN j'ai souhaité pour vous le moment auquel nous touchons!
LA COMTESSE, étouffée
O mon ami! quel jour nous choisissons pour consommer ce sacrifice! celui de la naissance de mon malheureux fils! A cette époque, tous les ans, leur consacrant cette journée, je demandais pardon au ciel, et je m'abreuvais de mes larmes en relisant ces tristes lettres. Je me rendais au moins le témoignage qu'il y eut entre nous plus d'erreur que de crime. Ah! faut-il donc brûler tout ce qui me reste de lui?
BÉGEARSS
Quoi, Madame? détruisez-vous ce fils qui vous le représente? ne lui devez-vous pas un sacrifice qui le préserve de mille affreux dangers? vous vous le devez à vous-même! et la sécurité de votre vie entière est attachée peut-être à cet acte imposant! (Il ouvre le secret de l'écrin et en tire les lettres).
LA COMTESSE, surprise
Monsieur Bégearss, vous l'ouvrez mieux que moi!.. que je les lise encore!
BÉGEARSS, sévèrement
Non, je ne le permettrai pas.
LA COMTESSE
Seulement la dernière où, traçant ses tristes adieux, du sang qu'il répandit pour moi, il m'a donné la leçon du courage dont j'ai tant besoin aujourd'hui.
BÉGEARSS, s'y opposant
Si vous lisez un mot, nous ne brûlerons rien. Offrez au ciel un sacrifice entier, courageux, volontaire, exempt des faiblesses humaines! ou si vous n'osez l'accomplir, c'est à moi d'être fort pour vous. Les voilà toutes dans le feu. (Il y jette le paquet).
LA COMTESSE, vivement
Monsieur Bégearss! Cruel ami! c'est ma vie que vous consumez! qu'il m'en reste au moins un lambeau. (Elle veut se précipiter sur les lettres enflammées.) (Bégearss la retient à bras le corps).
BÉGEARSS
J'en jetterai la cendre au vent.
SCÈNE VII
SUSANNE, LE COMTE, FIGARO, LA COMTESSE, BÉGEARSS
SUSANNE accourt
C'EST Monsieur, il me suit; mais amené par Figaro.
LE COMTE, les surprenant en cette posture
Qu'est-ce donc que je vois, Madame! d'où vient tout ce désordre? quel est ce feu, ce coffre, ces papiers? pourquoi ce débat et ces pleurs?
(Bégearss et la Comtesse restent confondus).
LE COMTE
Vous ne répondez point?
BÉGEARSS se remet, et dit d'un ton pénible
J'espère Monsieur, que vous n'exigez pas qu'on s'explique devant vos gens. J'ignore quel dessein vous fait surprendre ainsi Madame! quant à moi, je suis résolu de soutenir mon caractère en rendant un hommage pur à la vérité, quelle qu'elle soit.
LE COMTE, à Figaro et à Susanne
Sortez tous deux.
FIGARO
Mais, Monsieur, rendez-moi du moins la justice de déclarer que je vous ai remis le récépissé du notaire, sur le grand objet de tantôt!
LE COMTE
Je le fais volontiers, puisque c'est réparer un tort. (A Bégearss). Soyez certain Monsieur, que voilà le récépissé. (Il le remet dans sa poche.) (Figaro et Susanne sortent chacun de leur côté.)
FIGARO, bas à Susanne, en s'en allant
S'il échappe à l'explication!..
SUSANNE, bas
Il est bien subtil!
FIGARO, bas
Je l'ai tué!
SCÈNE VIII
LA COMTESSE, LE COMTE, BÉGEARSS
LE COMTE, d'un ton sérieux
MADAME, nous sommes seuls.
BÉGEARSS, encore ému
C'est moi qui parlerai. Je subirai cet interrogatoire. M'avez-vous vu, Monsieur, trahir la vérité dans quelque occasion que ce fût?
LE COMTE, sèchement
Monsieur… Je ne dis pas cela.
BÉGEARSS, tout-à-fait remis
Quoique je sois loin d'approuver cette inquisition peu décente; l'honneur m'oblige à répéter ce que je disais à Madame, en répondant à sa consultation:
«Tout dépositaire de secrets ne doit jamais conserver de papiers s'ils peuvent compromettre un ami qui n'est plus, et qui les mit sous notre garde. Quelque chagrin qu'on ait à s'en défaire, et quelque intérêt même qu'on eût à les garder; le saint respect des morts doit avoir le pas devant tout.» (Il montre le Comte.) Un accident inopiné, ne peut-il pas en rendre un adversaire possesseur?
(Le Comte le tire par la manche pour qu'il ne pousse pas l'explication plus loin.)
BÉGEARSS
Auriez-vous dit, Monsieur, autre chose en ma position? Qui cherche des conseils timides, ou le soutien d'une faiblesse honteuse, ne doit point s'adresser à moi! vous en avez des preuves l'un et l'autre, et vous sur-tout, Monsieur le Comte! (le Comte lui fait un signe.) Voilà sur la demande que m'a faite Madame, et sans chercher à pénétrer ce que contenaient ces papiers, ce qui m'a fait lui donner un conseil pour la sévère exécution duquel je l'ai vu manquer de courage; je n'ai pas hésité d'y substituer le mien, en combattant ses délais imprudens. Voilà quels étaient nos débats; mais, quelque chose qu'on en pense, je ne regretterai point ce que j'ai dit, ce que j'ai fait. (Il lève les bras.) Sainte amitié! tu n'es rien qu'un vain titre, si l'on ne remplit pas tes austères devoirs. – Permettez que je me retire.
LE COMTE exalté
O le meilleur des hommes! Non vous ne nous quitterez pas. – Madame, il va nous appartenir de plus près; je lui donne ma Florestine.
LA COMTESSE, avec vivacité
Monsieur, vous ne pouviez pas faire un plus digne emploi du pouvoir que la loi vous donne sur elle. Ce choix a mon assentiment si vous le jugez nécessaire, et le plutôt vaudra le mieux.
LE COMTE hésitant
Eh bien!.. ce soir… sans bruit… votre aumônier…
LA COMTESSE, avec ardeur
Eh bien! moi qui lui sers de mère, je vais la préparer à l'auguste cérémonie: mais laisserez-vous votre ami, seul généreux envers ce digne enfant? j'ai du plaisir à penser le contraire.
LE COMTE embarassé
Ah! Madame… croyez…
LA COMTESSE, avec joie
Oui, Monsieur je le crois. C'est aujourd'hui la fête de mon fils; ces deux évènemens réunis me rendent cette journée bien chère! (Elle sort.)
SCÈNE IX
LE COMTE, BÉGEARSS
LE COMTE, la regardant aller
JE ne reviens pas de mon étonnement. Je m'attendais à des débats, à des objections sans nombre; et je la trouve juste, bonne, généreuse envers mon enfant! moi qui lui sers de mère, dit-elle… Non, ce n'est point une méchante femme! elle a dans ses actions une dignité qui m'impose;… un ton qui brise les reproches, quand on voudrait l'en accabler. Mais, mon ami, je m'en dois à moi-même, pour la surprise que j'ai montrée en voyant brûler ces papiers.
BÉGEARSS
Quant à moi, je n'en ai point eu, voyant avec qui vous veniez. Ce reptile vous a sifflé que j'étais là pour trahir vos secrets? de si basses imputations n'atteignent point un homme de ma hauteur; je les vois ramper loin de moi. Mais, après tout Monsieur, que vous importaient ces papiers? n'aviez vous pas pris malgré moi tous ceux que vous vouliez garder? Ah! plût au ciel qu'elle m'eût consulté plutôt! vous n'auriez pas contre elle des preuves sans replique!
LE COMTE, avec douleur
Oui, sans replique! (avec ardeur.) ôtons-les de mon sein: elles me brûlent la poitrine. (Il tire la lettre de son sein, et la met dans sa poche.)
BÉGEARSS continue avec douceur
Je combattrais avec plus d'avantage en faveur du fils de la loi! car enfin il n'est pas comptable du triste sort qui l'a mis dans vos bras!
LE COMTE reprend sa fureur
Lui, dans mes bras? jamais.
BÉGEARSS
Il n'est point coupable non plus dans son amour pour Florestine; et cependant, tant qu'il reste près d'elle, puis-je m'unir à cette enfant qui, peut-être éprise elle-même ne cédera qu'à son respect pour vous? La délicatesse blessée…
LE COMTE
Mon ami, je t'entends! et ta réflexion me décide à le faire partir sur le champ. Oui, je serai moins malheureux, quand ce fatal objet ne blessera plus mes regards: mais comment entamer ce sujet avec-elle? voudra-t-elle s'en séparer? il faudra donc faire un éclat?
BÉGEARSS
Un éclat!.. non… mais le divorce accrédité chez cette nation hasardeuse, vous permettra d'user de ce moyen.
LE COMTE
Moi, publier ma honte! quelques lâches l'ont fait! c'est le dernier dégré de l'avilissement du siècle. Que l'opprobre soit le partage de qui donne un pareil scandale, et des fripons qui le provoquent.
BÉGEARSS
J'ai fait envers elle, envers vous, ce que l'honneur me prescrivait. Je ne suis point pour les moyens violens, sur-tout quand il s'agit d'un fils…
LE COMTE
Dites d'un étranger, dont je vais hâter le départ.
BÉGEARSS
N'oubliez pas cet insolent valet.
LE COMTE
J'en suis trop las pour le garder. Toi, cours Ami, chez mon notaire; retire, avec mon reçu que voilà, mes trois millions d'or déposés. Alors tu peux à juste titre être généreux au contrat qu'il nous faut brusquer aujourd'hui… car te voilà bien possesseur… (Il lui remet le reçu; le prend sous le bras, et ils sortent.) et ce soir, à minuit, sans bruit, dans la chapelle de Madame…
(On n'entend pas le reste.)
FIN DU TROISIÈME ACTE
ACTE IV
Le théâtre représente le même cabinet de la Comtesse
SCÈNE PREMIÈRE
FIGARO, seul, agité, regardant de côté et d'autre
ELLE me dit: «viens à six heures au cabinet; c'est le plus sûr pour nous parler…» Je brusque tout dehors, et je rentre en sueur! Où est-elle? (Il se promène en s'essuyant.) Ah! parbleu, je ne suis pas fou! je les ai vu sortir d'ici, Monsieur le tenant sous le bras!.. Eh bien! pour un échec, abandonnons-nous la partie?.. Un Orateur fuit-il lâchement la tribune, pour un argument tué sous lui? Mais, quel détestable endormeur! (Vivement.) Parvenir à brûler les lettres de Madame, pour qu'elle ne voye pas qu'il en manque; et se tirer d'un éclaircissement!.. C'est l'enfer concentré, tel que Milton nous l'a dépeint! (D'un ton badin.) J'avais raison tantôt, dans ma colère: Honoré Bégearss est le diable que les hébreux nommaient Légion; et, si l'on y regardait bien, on verrait le lutin avoir le pied fourchu, seule partie, disait ma mère, que les démons ne peuvent déguiser. (Il rit.) Ah! ah! ah! ma gaîté me revient; d'abord, parce que j'ai mis l'or du Mexique en sûreté chez Fal, ce qui nous donnera du temps; (Il frappe d'un billet sur sa main.) et puis… Docteur en toute hypocrisie! Vrai Major d'infernal Tartuffe! grâce au hasard qui régit tout, à ma tactique, à quelques louis semés; voici qui me promet une lettre de toi, où, dit-on, tu poses le masque, à ne rien laisser desirer! (Il ouvre le billet et dit:) Le coquin qui l'a lu en veut cinquante louis?.. eh bien! il les aura, si la lettre les vaut; une année de mes gages sera bien employée, si je parviens à détromper un maître à qui nous devons tant… Mais où es-tu, Susanne, pour en rire? O que piacere!… A demain donc! car je ne vois pas que rien périclite ce soir… Et pourquoi perdre un temps? Je m'en suis toujours repenti… (Très-vivement.) Point de délai; courons attacher le pétard; dormons dessus; la nuit porte conseil, et demain matin nous verrons qui des deux fera sauter l'autre.
SCÈNE II
BÉGEARSS, FIGARO
BÉGEARSS, raillant
EEEH! c'est mons Figaro! La place est agréable, puisqu'on y retrouve Monsieur.
FIGARO, du même ton
Ne fût-ce que pour avoir la joie de l'en chasser une autre fois.
BÉGEARSS
De la rancune pour si peu? vous êtes bien bon d'y songer! chacun n'a-t-il pas sa manie?
FIGARO
Et celle de Monsieur est de ne plaider qu'à huis-clos?
BÉGEARSS, lui frappant sur l'épaule
Il n'est pas essentiel qu'un sage entende tout, quand il sait si bien deviner.
FIGARO
Chacun se sert des petits talens que le ciel lui a départis.
BÉGEARSS
Et l'Intrigant compte-t-il gagner beaucoup avec ceux qu'il nous montre ici?
FIGARO
Ne mettant rien à la partie, j'ai tout gagné… si je fais perdre l'autre.
BÉGEARSS, piqué
On verra le jeu de Monsieur.
FIGARO
Ce n'est pas de ces coups brillans qui éblouissent la gallerie. (Il prend un air niais.) Mais chacun pour soi; Dieu pour tous, comme a dit le roi Salomon.
BÉGEARSS, souriant
Belle sentence! N'a-t-il pas dit aussi: Le soleil luit pour tout le monde?
FIGARO, fièrement
Oui, en dardant sur le serpent prêt à mordre la main de son imprudent bienfaiteur! (Il sort.)
SCÈNE III
BÉGEARSS, seul, le regardant aller
IL ne farde plus ses desseins! Notre homme est fier? bon signe, il ne sait rien des miens; il aurait la mine bien longue s'il était instruit qu'à minuit… (Il cherche dans ses poches vivement.) Eh bien! qu'ai-je fait du papier? Le voici. (Il lit.) Reçu de M. Fal, notaire, les trois millions d'or spécifiés dans le bordereau, ci-dessus. A Paris, le… ALMAVIVA.– C'est bon; je tiens la pupille et l'argent! Mais ce n'est point assez; cet homme est faible, il ne finira rien pour le reste de sa fortune. La Comtesse lui en impose; il la craint, l'aime encore… Elle n'ira point au couvent, si je ne les mets aux prises, et ne le force à s'expliquer..... brutalement. (Il se promène.) – Diable! ne risquons pas ce soir un dénouement aussi scabreux! En précipitant trop les choses, on se précipite avec elles! Il sera temps demain, quand j'aurai bien serré le doux lien sacramentel qui va les enchaîner à moi? (Il appuie ses deux mains sur sa poitrine.) Eh bien! maudite joie, qui me gonfles le cœur! ne peux-tu donc te contenir?.. Elle m'étouffera, la fougueuse, ou me livrera comme un sot, si je ne la laisse un peu s'évaporer, pendant que je suis seul ici. Sainte et douce crédulité! l'époux te doit la magnifique dot! Pâle déesse de la nuit, il te devra bientôt sa froide épouse. (Il frotte ses mains de joie.) Bégearss! heureux Bégearss!.. Pourquoi l'appelez-vous Bégearss? n'est-il donc pas plus d'à moitié le Seigneur Comte Almaviva? (D'un ton terrible.) Encore un pas, Bégearss! et tu l'es tout-à-fait. – Mais il te faut auparavant… Ce Figaro pèse sur ma poitrine! car c'est lui qui l'a fait venir!.. Le moindre trouble me perdait… Ce valet là me portera malheur… c'est le plus clairvoyant coquin!.. Allons, allons, qu'il parte avec son chevalier errant!
SCÈNE IV
BÉGEARSS, SUSANNE
SUSANNE, accourant, fait un cri d'étonnement, de voir un autre que Figaro
AH! (A part.) Ce n'est pas lui!
BÉGEARSS
Quelle surprise! Et qu'attendais-tu donc?
SUSANNE, se remettant
Personne. On se croit seule ici…
BÉGEARSS
Puisque je t'y rencontre; un mot avant le comité.
SUSANNE
Que parlez-vous de comité? réellement depuis deux ans on n'entend plus du tout la langue de ce pays!
BÉGEARSS, riant sardoniquement
Hé! hé!.. (Il pétrit dans sa boîte une prise de tabac, d'un air content de lui.) Ce comité, ma chère, est une conférence entre la Comtesse, son fils, notre jeune pupille et moi, sur le grand objet que tu sais.
SUSANNE
Après la scène que j'ai vue, osez-vous encor l'espérer?
BÉGEARSS, bien fat
Oser l'espérer!.. Non. Mais seulement… Je l'épouse ce soir.
SUSANNE, vivement
Malgré son amour pour Léon?
BÉGEARSS
Bonne femme! qui me disais: Si vous faites cela, Monsieur…
SUSANNE
Eh! qui eût pu l'imaginer?
BÉGEARSS, prenant son tabac en plusieurs fois
Enfin, que dit-on? parle-t-on? Toi qui vis dans l'intérieur, qui a l'honneur des confidences; y pense-t-on du bien de moi? car c'est-là le point important.
SUSANNE
L'important serait de savoir quel talisman vous employez pour dominer tous les esprits? Monsieur ne parle de vous qu'avec enthousiasme! ma maîtresse vous porte aux nues! son fils n'a d'espoir qu'en vous seul! notre pupille vous révère!..
BÉGEARSS, d'un ton bien fat, secouant le tabac de son jabot
Et toi, Susanne, qu'en dis-tu?
SUSANNE
Ma foi, monsieur, je vous admire! Au milieu du désordre affreux que vous entretenez ici, vous seul êtes calme et tranquille; il me semble entendre un génie qui fait tout mouvoir à son gré.
BÉGEARSS, bien fat
Mon enfant, rien n'est plus aisé. D'abord il n'est que deux pivots sur qui roule tout dans le monde, la morale et la politique. La morale, tant soit peu mesquine, consiste à être juste et vrai; elle est, dit-on, la clef de quelques vertus routinières.
SUSANNE
Quant à la politique?..
BÉGEARSS, avec chaleur
Ah! c'est l'art de créer des faits, de dominer, en se jouant, les évènemens et les hommes; l'intérêt est son but; l'intrigue son moyen: toujours sobre de vérités, ses vastes et riches conceptions sont un prisme qui éblouit. Aussi profonde que l'Etna, elle brûle et gronde long-temps avant d'éclater au dehors; mais alors rien ne lui résiste: elle exige de hauts talens: le scrupule seul peut lui nuire; (En riant.) c'est le secret des négociateurs.
SUSANNE
Si la morale ne vous échauffe pas, l'autre, en revanche, excite en vous un assez vif enthousiasme!
BÉGEARSS, averti, revient à lui
Eh!.. ce n'est pas elle; c'est toi! – Ta comparaison d'un génie… – Le chevalier vient; laisse-nous.
SCÈNE V
LÉON, BÉGEARSS
LÉON
MONSIEUR Bégearss, je suis au désespoir!
BÉGEARSS, d'un ton protecteur
Qu'est-il arrivé, jeune ami?
LÉON
Mon père vient de me signifier, avec une dureté!.. que j'eûsse à faire, sous deux jours, tous les apprêts de mon départ pour Malte: point d'autre train, dit-il, que Figaro, qui m'accompagne, et un valet qui courra devant nous.
BÉGEARSS
Cette conduite est en effet bisarre, pour qui ne sait pas son secret; mais nous qui l'avons pénétré, notre devoir est de le plaindre. Ce voyage est le fruit d'une frayeur bien excusable! Malte et vos vœux ne sont que le prétexte; un amour qu'il redoute, est son véritable motif.
LÉON, avec douleur
Mais, mon ami, puisque vous l'épousez?
BÉGEARSS, confidentiellement
Si son frère le croit utile à suspendre un fâcheux départ!.. Je ne verrais qu'un seul moyen…
LÉON
O mon ami! dites-le moi?
BÉGEARSS
Ce serait que madame votre mère vainquît cette timidité qui l'empêche, avec lui, d'avoir une opinion à elle; car sa douceur vous nuit bien plus que ne ferait un caractère trop ferme. – Supposons, qu'on lui ait donné quelque prévention injuste; qui a le droit, comme une mère, de rappeler un père à la raison? Engagez la à le tenter… non pas aujourd'hui, mais… demain, et sans y mettre de faiblesse.
LÉON
Mon ami vous avez raison: cette crainte est son vrai motif. Sans doute il n'y a que ma mère qui puisse le faire changer. La voici qui vient avec celle… que je n'ose plus adorer. (Avec douleur.) O mon ami! rendez la bien heureuse.
BÉGEARSS, caressant
En lui parlant tous les jours de son frère.
SCÈNE VI
LA COMTESSE, FLORESTINE, BÉGEARSS, SUSANNE, LÉON
LA COMTESSE coëffée, parée, portant une robe rouge et noire, et son bouquet de même couleur
SUSANNE, donne mes diamans?
(Susanne va les chercher.)
BÉGEARSS, affectant de la dignité
Madame, et vous Mademoiselle, je vous laisse avec cet ami; je confirme d'avance tout ce qu'il va vous dire. Hélas! ne pensez point au bonheur que j'aurais de vous appartenir à tous; votre repos doit seul vous occuper. Je n'y veux concourir que sous la forme que vous adopterez: mais, soit que Mademoiselle accepte ou non mes offres, recevez ma déclaration, que toute la fortune dont je viens d'hériter lui est destinée de ma part, dans un contrat, ou par un testament; je vais en faire dresser les actes: Mademoiselle choisira. Après ce que je viens de dire, il ne conviendrait pas que ma présence ici gênât un parti qu'elle doit prendre en toute liberté: mais, quel qu'il soit, ô mes amis, sachez qu'il est sacré pour moi: je l'adopte sans restriction. (Il salue profondément et sort.)
SCÈNE VII
LA COMTESSE, LÉON, FLORESTINE
LA COMTESSE le regarde aller
C'EST un ange envoyé du ciel pour réparer tous nos malheurs.
LÉON, avec une douleur ardente
O Florestine! il faut céder: ne pouvant être l'un à l'autre, nos premiers élans de douleur nous avaient fait jurer de n'être jamais à personne; j'accomplirai ce serment pour nous deux. Ce n'est pas tout-à-fait vous perdre, puisque je retrouve une sœur où j'espérais posséder une épouse. Nous pourrons encore nous aimer.
SCÈNE VIII
LA COMTESSE, LÉON, FLORESTINE, SUSANNE
SUSANNE apporte l'écrin
LA COMTESSE, en parlant, met ses boucles d'oreilles, ses bagues, son bracelet, sans rien regarder
FLORESTINE! épouse Bégearss; ses procédés l'en rendent digne; et puisque cet hymen fait le bonheur de ton parain, il faut l'achever aujourd'hui.
(Susanne sort et emporte l'écrin.)
SCÈNE IX
LA COMTESSE, LÉON, FLORESTINE
LA COMTESSE à Léon
NOUS, mon fils, ne sachons jamais ce que nous devons ignorer. Tu pleures, Florestine!
FLORESTINE, pleurant
Ayez pitié de moi, Madame! Eh! comment soutenir autant d'assauts dans un seul jour? A peine j'apprends qui je suis, qu'il faut renoncer à moi-même, et me livrer… Je meurs de douleur et d'effroi. Dénuée d'objections contre M. Bégearss, je sens mon cœur à l'agonie, en pensant qu'il peut devenir… Cependant il le faut; il faut me sacrifier au bien de ce frère chéri; à son bonheur, que je ne puis plus faire. Vous dites que je pleure! Ah! je fais plus pour lui que si je lui donnais ma vie! Maman, ayez pitié de nous! bénissez vos enfans! ils sont bien malheureux! (Elle se jette à genoux; Léon en fait autant.)
LA COMTESSE leur imposant les mains
Je vous bénis, mes chers enfans. Ma Florestine je t'adopte. Si tu savais à quel point tu m'es chère! Tu seras heureuse, ma fille, et du bonheur de la vertu; celui-là peut dédommager des autres. (Ils se relèvent.)
FLORESTINE
Mais croyez-vous, Madame, que mon dévouement le ramène à Léon, à son fils? car il ne faut pas se flatter: son injuste prévention va quelquefois jusqu'à la haine.
LA COMTESSE
Chère fille, j'en ai l'espoir.
LÉON
C'est l'avis de M. Bégearss: il me l'a dit; mais il m'a dit aussi qu'il n'y a que maman qui puisse opérer ce miracle; Aurez-vous donc la force de lui parler en ma faveur?
LA COMTESSE
Je l'ai tenté souvent, mon fils, mais sans aucun fruit apparent.
LÉON
O ma digne mère! c'est votre douceur qui m'a nui. La crainte de le contrarier vous a trop empêché d'user de la juste influence que vous donnent votre vertu et le respect profond dont vous êtes entourée. Si vous lui parliez avec force, il ne vous résisterait pas.
LA COMTESSE
Vous le croyez, mon fils? je vais l'essayer devant vous. Vos reproches m'affligent presqu'autant que son injustice. Mais, pour que vous ne gêniez pas le bien que je dirai de vous, mettez-vous dans mon cabinet; vous m'entendrez, de-là, plaider une cause si juste: vous n'accuserez plus une mère de manquer d'énergie, quand il faut défendre son fils! (Elle sonne.) Florestine, la décence ne te permet pas de rester: vas t'enfermer; demande au ciel qu'il m'accorde quelque succès, et rende enfin la paix à ma famille désolée.