Kitabı oku: «Le barbier de Séville; ou, la précaution inutile», sayfa 3
ACTE PREMIER
Le Théâtre représente une rue de Séville, où toutes les croisées sont grillées
SCENE PREMIERE
LE COMTE, seul, en grand manteau brun et chapeau rabattu. Il tire sa montre en se promenant
Le jour est moins avancé que je ne croyois. L'heure à laquelle elle a coutume de se montrer derrière sa jalousie est encore éloignée. N'importe; il vaut mieux arriver trop-tôt que de manquer l'instant de la voir. Si quelque aimable de la Cour pouvoit me deviner à cent lieues de Madrid, arrêté tous les matins sous les fenêtres d'une femme à qui je n'ai jamais parlé, il me prendroit pour un Espagnol du tems d'Isabelle25. – Pourquoi non? Chacun court après le bonheur. Il est pour moi dans le cœur de Rosine. – Mais quoi! suivre une femme à Séville, quand Madrid et la Cour offrent de toutes parts des plaisirs si faciles? – Et c'est cela même que je fuis. Je suis las des conquêtes que l'intérêt, la convenance ou la vanité nous présentent sans cesse. Il est si doux d'être aimé pour soi-même; et si je pouvois m'assurer, sous ce déguisement… Au diable l'importun.
SCENE II
FIGARO, LE COMTE, caché
FIGARO, une guitare sur le dos attachée en bandoulière avec un large ruban; il chantonne gaiement26, un papier et un crayon à la main.
Bannissons le chagrin,
Il nous consume:
Sans le feu du bon vin,
Qui nous rallume,
Réduit à languir,
L'homme, sans plaisir,
Vivroit comme un sot,
Et mourroit bientôt.
Jusques-là27, ceci ne va pas mal, ein, ein.
Et mourroit bientôt.
Le vin et la paresse
Se disputent mon cœur…
Eh non! ils ne se le disputent pas, ils y regnent paisiblement ensemble…
Se partagent … mon cœur
Dit-on se partagent?.. Eh! mon Dieu! nos faiseurs d'Opéras Comiques n'y regardent pas de si près. Aujourd'hui, ce qui ne vaut pas la peine d'être dit, on le chante.
(Il chante.)
Le vin et la paresse
Se partagent mon cœur.
Je voudrois finir par quelque chose de beau, de brillant28, de scintillant, qui eût l'air d'une pensée.
(Il met un genou en terre, et écrit en chantant.)
Se partage mon cœur.
Si l'une a ma tendresse…
L'autre fait mon bonheur.
Fi donc! c'est plat. Ce n'est pas ça… Il me faut une opposition, une antithèse:
Si l'une … est ma maîtresse,
L'autre…
Eh, parbleu, j'y suis!..
L'autre est mon serviteur
Fort bien, Figaro!.. (Il écrit en chantant.)
Le vin et la paresse
Se partagent mon cœur;
Si l'une est ma maîtresse,
L'autre est mon serviteur.
L'autre est mon serviteur.
L'autre est mon serviteur.
Hen, hen, quand il y aura des accompagnemens29 là-dessous, nous verrons encore, Messieurs de la cabale, si je ne sais ce que je dis. (Il apperçoit le Comte.) J'ai vu cet Abbé-là quelque part. (Il se relève.)
LE COMTE, à part
Cet homme ne m'est pas inconnu.
FIGARO
Eh non, ce n'est pas un Abbé! Cet air altier et noble…
LE COMTE
Cette tournure grotesque…
FIGARO
Je ne me trompe point, c'est le Comte Almaviva.
LE COMTE
Je crois que c'est ce coquin de Figaro.
FIGARO
C'est lui-même, Monseigneur.
LE COMTE
Maraud! si tu dis un mot…
FIGARO
Oui, je vous reconnois; voilà les bontés familieres dont vous m'avez toujours honoré.
LE COMTE
Je ne te reconnoissois pas, moi. Te voilà si gros et si gras…
FIGARO
Que voulez-vous, Monseigneur! c'est la misère.
LE COMTE
Pauvre petit! Mais que fais-tu à Séville? Je t'avois autrefois recommandé dans les Bureaux pour un emploi.
FIGARO
Je l'ai obtenu, Monseigneur, et ma reconnoissance…
LE COMTE
Appelle-moi Lindor. Ne vois-tu pas30, à mon déguisement, que je veux être inconnu?
FIGARO
Je me retire.
LE COMTE
Au contraire. J'attends ici quelque chose; et deux hommes qui jasent sont moins suspects qu'un seul qui se promene. Ayons l'air de jaser. Eh bien, cet emploi?
FIGARO31
Le Ministre, ayant égard à la recommandation de votre Excellence, me fit nommer sur le champ Garçon Apothicaire.
LE COMTE
Dans les hôpitaux de l'Armée?
FIGARO
Non; dans les haras d'Andalousie32.
LE COMTE, riant
Beau début!
FIGARO
Le poste n'étoit pas mauvais; parce qu'ayant le district des pansemens et des drogues, je vendois souvent aux hommes de bonnes médecines de cheval…
LE COMTE
Qui tuoient les sujets du Roi!
FIGARO
Ah, ah, il n'y a point de remede universel: mais qui n'ont pas laissé de guérir quelquefois33 des Galiciens, des Catalans, des Auvergnats.
LE COMTE
Pourquoi donc l'as-tu quitté?
FIGARO
Quitté? C'est bien lui-même; on m'a desservi auprès des Puissances.
L'envie aux doigts crochus, au teint pâle et livide…
LE COMTE
Oh grace! grace, ami! Est-ce que tu fais aussi des vers? Je t'ai vu là griffonnant sur ton genou, et chantant dès le matin.
FIGARO
Voilà précisément la cause de mon malheur, Excellence. Quand on a rapporté au Ministre que je faisois, je puis dire assez joliment, des bouquets à Cloris, que j'envoyois des énigmes aux Journaux, qu'il couroit des Madrigaux de ma façon; en un mot, quand il a su que j'étois imprimé tout vif, il a pris la chose au tragique, et m'a fait ôter mon emploi, sous prétexte que l'amour des Lettres est incompatible avec l'esprit des affaires.
LE COMTE
Puissamment raisonné! et tu ne lui fis pas représenter…
FIGARO
Je me crus trop heureux d'en être oublié; persuadé qu'un Grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal.
LE COMTE
Tu ne dis pas tout. Je me souviens qu'à mon service tu étois un assez mauvais sujet.
FIGARO
Eh mon Dieu, Monseigneur, c'est qu'on veut que le pauvre soit sans défaut.
LE COMTE
Paresseux, dérangé…
FIGARO
Aux vertus qu'on exige dans un Domestique34, votre Excellence connoît-elle beaucoup de Maîtres qui fussent dignes d'être Valets?
LE COMTE, riant
Pas mal. Et tu t'es retiré en cette Ville?
FIGARO
Non pas tout de suite35.
LE COMTE, l'arrêtant
Un moment… J'ai cru que c'étoit elle… Dis toujours, je t'entends de reste.
FIGARO
De retour à Madrid, je voulus essayer de nouveau mes talens littéraires, et le théâtre me parut un champ d'honneur…
LE COMTE
Ah! miséricorde!
FIGARO36
(Pendant sa réplique, le Comte regarde avec attention du côté de la jalousie.)
En vérité, je ne sais comment je n'eus pas le plus grand succès, car j'avois rempli le parterre des plus excellens Travailleurs; des mains… comme des battoirs; j'avois interdit les gants, les cannes, tout ce qui ne produit que des applaudissemens sourds; et d'honneur, avant la Pièce, le Café m'avoit paru dans les meilleures dispositions pour moi. Mais les efforts de la cabale…
LE COMTE
Ah! la cabale! Monsieur l'Auteur tombé!
FIGARO
Tout comme un autre: pourquoi pas? Ils m'ont sifflé; mais si jamais je puis les rassembler…
LE COMTE
L'ennui te vengera bien d'eux?
FIGARO
Ah! comme je leur en garde, morbleu!
LE COMTE
Tu jures! Sais-tu qu'on n'a que vingt-quatre heures au Palais pour maudire ses Juges?
FIGARO
On a vingt-quatre ans au théâtre; la vie est trop courte pour user d'un pareil ressentiment.
LE COMTE37
Ta joyeuse colère me réjouit. Mais tu ne me dis pas ce qui t'a fait quitter Madrid.
FIGARO
C'est mon bon ange, Excellence, puisque je suis assez heureux pour retrouver mon ancien Maître. Voyant à Madrid que la république des Lettres étoit celle des loups38, toujours armés les uns contre les autres, et que, livrés au mépris où ce risible acharnement les conduit, tous les Insectes, les Moustiques, les Cousins, les Critiques, les Maringouins39, les Envieux, les Feuillistes40, les Libraires, les Censeurs, et tout ce qui s'attache à la peau des malheureux Gens de Lettres, achevoit de déchiqueter et sucer le peu de substance qui leur restoit; fatigué d'écrire, ennuyé de moi, dégoûté des autres, abymé de dettes et léger d'argent; à la fin41, convaincu que l'utile revenu du rasoir est préférable aux vains honneurs de la plume, j'ai quitté Madrid, et, mon bagage en sautoir, parcourant philosophiquement les deux Castilles, la Manche, l'Estramadoure, la Siera-Morena, l'Andalousie; accueilli dans une Ville, emprisonné dans l'autre, et par-tout supérieur aux évènemens42, aidant au bon tems, supportant le mauvais; me moquant des forts, bravant les méchans; riant de ma misère et faisant la barbe à tout le monde; vous me voyez enfin établi dans Séville et prêt à servir de nouveau votre Excellence en tout ce qu'il lui plaira m'ordonner.
LE COMTE43
Qui t'a donné une philosophie aussi gaie?
FIGARO
L'habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer. Que regardez-vous donc toujours de ce côté?
LE COMTE
Sauvons-nous.
FIGARO
Pourquoi?
LE COMTE
Viens donc, malheureux! tu me perds.
(Ils se cachent.)
SCENE III
BARTHOLO, ROSINE
(La jalousie du premier étage s'ouvre, et Bartholo et Rosine se mettent à la fenêtre.)
ROSINE
Comme le grand air fait plaisir à respirer! Cette jalousie s'ouvre si rarement…
BARTOLO
Quel papier tenez-vous là?
ROSINE
Ce sont des couplets de la Précaution inutile que mon Maître à chanter m'a donnés hier.
BARTOLO
Qu'est-ce que la Précaution inutile?
ROSINE
C'est une Comédie nouvelle.
BARTOLO
Quelque Drame encore! Quelque sottise d'un nouveau genre44!
ROSINE
Je n'en sais rien.
BARTOLO
Euh, euh! les Journaux et l'autorité nous en feront raison. Siècle barbare!..
ROSINE
Vous injuriez toujours notre pauvre siècle.
BARTOLO
Pardon de la liberté: qu'a-t-il produit pour qu'on le loue? Sottises de toute espèce: la liberté de penser, l'attraction, l'électricité, le tolérantisme, l'inoculation, le quinquina, l'Encyclopédie et les drames45.
ROSINE (le papier lui échappe et tombe dans la rue)
Ah! ma chanson! ma chanson est tombée en vous écoutant; courez, courez donc, Monsieur; ma chanson! elle sera perdue.
BARTOLO
Que diable aussi, l'on tient ce qu'on tient.
(Il quitte le balcon.)
ROSINE regarde en dedans et fait signe dans la rue
S't, s't (le Comte paroît), ramassez vîte et sauvez-vous.
(Le Comte ne fait qu'un saut, ramasse le papier et rentre.)
BARTOLO sort de la maison et cherche
Où donc est-il? Je ne vois rien.
ROSINE
Sous le balcon, au pied du mur.
BARTOLO46
Vous me donnez-là une jolie commission! Il est donc passé quelqu'un?
ROSINE
Je n'ai vu personne.
BARTOLO, à lui-même
Et moi qui ai la bonté de chercher… Bartholo, vous n'êtes qu'un sot, mon ami: ceci doit vous apprendre à ne jamais ouvrir des jalousies sur la rue. (Il rentre.)
ROSINE, toujours au balcon
Mon excuse est dans mon malheur: seule, enfermée, en butte à la persécution d'un homme odieux, est-ce un crime de tenter à sortir d'esclavage?
BARTOLO, paroissant au balcon
Rentrez, Signora; c'est ma faute si vous avez perdu votre chanson, mais ce malheur ne vous arrivera plus, je vous jure. (Il ferme la jalousie à la clé.)
SCENE IV
LE COMTE, FIGARO
(Ils entrent avec précaution.)
LE COMTE
A présent qu'ils sont retirés, examinons cette chanson, dans laquelle un mistere est sûrement renfermé47. C'est un billet!
FIGARO
Il demandoit ce que c'est que la Précaution inutile!
LE COMTE lit vivement
«Votre empressement excite ma curiosité; sitôt que mon Tuteur sera sorti, chantez indifféremment sur l'air connu de ces couplets quelque chose qui m'apprenne enfin le nom, l'état et les intentions de celui qui paroît s'attacher si obstinément à l'infortunée Rosine.»
FIGARO48, contrefaisant la voix de Rosine
Ma chanson! ma chanson est tombée; courez, courez donc (Il rit), ah! ah! ah! O ces femmes! voulez-vous donner de l'adresse à la plus ingénue? enfermez-la.
LE COMTE
Ma chère Rosine49!
FIGARO
Monseigneur, je ne suis plus en peine des motifs de votre mascarade; vous faites ici l'amour en perspective.
LE COMTE
Te voilà instruit, mais si tu jases…
FIGARO
Moi jaser! Je n'emploierai point pour vous rassurer les grandes phrases d'honneur et de dévoûment dont on abuse à la journée, je n'ai qu'un mot: mon intérêt vous répond de moi; pesez tout à cette balance, etc…50.
LE COMTE
Fort bien. Apprends donc que le hasard m'a fait rencontrer au Prado, il y a six mois, une jeune personne d'une beauté… Tu viens de la voir! je l'ai fait chercher en vain par tout Madrid. Ce n'est que depuis peu de jours que j'ai découvert qu'elle s'appelle Rosine, est d'un sang noble, orpheline et mariée à un vieux Médecin de cette Ville nommé Bartholo.
FIGARO51
Joli oiseau, ma foi! difficile à dénicher! Mais qui vous a dit qu'elle était la femme du Docteur?
LE COMTE
Tout le monde.
FIGARO
C'est une histoire qu'il a forgée en arrivant de Madrid, pour donner le change aux galans et les écarter; elle n'est encore que sa pupille, mais bientôt…
LE COMTE, vivement
Jamais. Ah, quelle nouvelle! j'étois résolu de tout oser pour lui présenter mes regrets, et je la trouve libre! Il n'y a pas un moment à perdre, il faut m'en faire aimer et l'arracher à l'indigne engagement qu'on lui destine. Tu connois donc ce Tuteur?
FIGARO
Comme ma mère.
LE COMTE52
Quel homme est-ce?
FIGARO, vivement
C'est un beau gros, court, jeune vieillard, gris pommelé, rusé, rasé, blasé, qui guette et furete et gronde et geint tout à la fois.
LE COMTE, impatienté
Eh! je l'ai vu. Son caractère?
FIGARO
Brutal, avare, amoureux et jaloux à l'excès de sa pupille, qui le hait à la mort.
LE COMTE
Ainsi ses moyens de plaire sont…
FIGARO
Nuls.
LE COMTE
Tant mieux. Sa probité?
FIGARO
Tout juste autant qu'il en faut pour n'être point pendu.
LE COMTE
Tant mieux. Punir un fripon en se rendant heureux…
FIGARO
C'est faire à la fois le bien public et particulier: chef-d'œuvre de morale, en vérité, Monseigneur!
LE COMTE53
Tu dis que la crainte des galans lui fait fermer sa porte?
FIGARO
A tout le monde: s'il pouvoit la calfeutrer.
LE COMTE54
Ah! diable! tant pis. Aurois-tu de l'accès chez lui?
FIGARO
Si j'en ai. Primo, la maison que j'occupe appartient au Docteur, qui m'y loge gratis.
LE COMTE
Ah! ah!
FIGARO
Oui. Et moi, en reconnoissance, je lui promets dix pistoles d'or par an, gratis aussi.
LE COMTE, impatienté
Tu es son locataire?
FIGARO
De plus son Barbier, son Chirurgien, son Apothicaire; il ne se donne pas dans sa maison un coup de rasoir, de lancette ou de piston, qui ne soit de la main de votre serviteur.
LE COMTE l'embrasse
Ah! Figaro, mon ami, tu seras mon ange, mon libérateur, mon Dieu tutélaire.
FIGARO
Peste! comme l'utilité vous a bientôt rapproché les distances! parlez-moi des gens passionnés.
LE COMTE
Heureux Figaro! tu vas voir ma Rosine! tu vas la voir! Conçois-tu ton bonheur?
FIGARO
C'est bien-là un propos d'Amant! Est-ce que je l'adore, moi55? Pussiez-vous prendre ma place!
LE COMTE
Ah! si l'on pouvoit écarter tous les surveillans!..
FIGARO
C'est à quoi je rêvois.
LE COMTE
Pour douze heures seulement!
FIGARO
En occupant les gens de leur propre intérêt, on les empêche de nuire à l'intérêt d'autrui.
LE COMTE
Sans doute. Eh bien!
FIGARO, rêvant
Je cherche dans ma tête si la Pharmacie ne fourniroit pas quelques petits moyens innocens…
LE COMTE
Scélérat!
FIGARO
Est-ce que je veux leur nuire? Ils ont tous besoin de mon ministère. Il ne s'agit que de les traiter ensemble.
LE COMTE
Mais ce Médecin peut prendre un soupçon.
FIGARO
Il faut marcher si vîte, que le soupçon n'ait pas le tems de naître. Il me vient une idée. Le Régiment de Royal-Infant arrive en cette Ville!
LE COMTE
Le Colonel est de mes amis.
FIGARO
Bon. Présentez-vous chez le Docteur en habit de Cavalier, avec un billet de logement; il faudra bien qu'il vous héberge, et moi, je me charge du reste.
LE COMTE56
Excellent!
FIGARO
Il ne seroit même pas mal que vous eussiez l'air entre deux vins…
LE COMTE
A quoi bon?
FIGARO
Et le mener un peu lestement sous cette apparence déraisonnable.
LE COMTE
A quoi bon?
FIGARO
Pour qu'il ne prenne aucun ombrage, et vous croie plus pressé de dormir que d'intriguer chez lui.
LE COMTE
Supérieurement vu! Mais que n'y vas-tu, toi?
FIGARO
Ah! oui, moi! Nous serons bienheureux s'il ne vous reconnoît pas, vous, qu'il n'a jamais vu. Et comment vous introduire après?
LE COMTE
Tu as raison.
FIGARO
C'est que vous ne pourrez peut-être pas soutenir ce personnage difficile. Cavalier… pris de vin…
LE COMTE
Tu te mocques de moi57! (Prenant un ton ivre.) N'est-ce point ici la maison du Docteur Bartholo, mon ami?
FIGARO
Pas mal, en vérité; vos jambes seulement un peu plus avinées. (D'un ton plus ivre.) N'est-ce pas ici la maison…
LE COMTE
Fi donc! tu as l'ivresse du peuple.
FIGARO
C'est la bonne; c'est celle du plaisir.
LE COMTE
La porte s'ouvre58.
FIGARO
C'est notre homme. Éloignons-nous jusqu'à ce qu'il soit parti.
SCENE V
LE COMTE ET FIGARO cachés, BARTHOLO
BARTOLO sort en parlant à la maison
Je reviens à l'instant; qu'on ne laisse entrer personne. Quelle sottise à moi d'être descendu! Dès qu'elle m'en prioit, je devois bien me douter… Et Bazile qui ne vient pas! Il devoit tout arranger pour que mon mariage se fit secrettement demain; et point de nouvelles! Allons voir ce qui peut l'arrêter.
SCENE VI
LE COMTE, FIGARO
LE COMTE
Qu'ai-je entendu? Demain il épouse Rosine59 en secret!
FIGARO
Monseigneur, la difficulté de réussir ne fait qu'ajouter à la nécessité d'entreprendre.
LE COMTE60
Quel est donc ce Bazile qui se mêle de son mariage?
FIGARO
Un pauvre hère qui montre la musique à sa pupille, infatué de son art, friponneau besoineux61, à genoux devant un écu, et dont il sera facile de venir à bout, Monseigneur… (Regardant à la jalousie.) La v'là! la v'là!
LE COMTE
Qui donc?
FIGARO
Derrière sa jalousie. La voilà! la voilà! Ne regardez pas, ne regardez donc pas!
LE COMTE
Pourquoi?
FIGARO
Ne vous écrit-elle pas: Chantez indifféremment? c'est-à-dire chantez, comme si vous chantiez… seulement pour chanter. Oh! la v'là! la v'là!
LE COMTE
Puisque j'ai commencé à l'intéresser sans être connu d'elle, ne quittons point le nom de Lindor que j'ai pris, mon triomphe en aura plus de charmes. (Il déploie le papier que Rosine a jetté.) Mais comment chanter sur cette musique? Je ne sais pas faire des vers, moi!
FIGARO
Tout ce qui vous viendra, Monseigneur, est excellent; en amour, le cœur n'est pas difficile sur les productions de l'esprit… et prenez ma guittare.
LE COMTE
Que veux-tu que j'en fasse? j'en joue si mal!
FIGARO
Est-ce qu'un homme comme vous ignore quelque chose! Avec le dos de la main: from, from, from… Chanter sans guittare à Séville! vous seriez bientôt reconnu, ma foi, bientôt dépisté!
(Figaro se colle au mur sous le balcon.)
LE COMTE chante en se promenant et s'accompagnant sur sa guittare
PREMIER COUPLET62
Vous l'ordonnez, je me ferai connoître.
Plus inconnu, j'osois vous adorer:
En me nommant, que pourrois-je espérer?
N'importe, il faut obéir à son Maître.
FIGARO, bas
Fort bien, parbleu! Courage, Monseigneur.
LE COMTE
DEUXIÈME COUPLET63
Je suis Lindor, ma naissance est commune,
Mes vœux sont ceux d'un simple Bâchelier;
Que n'ai-je, hélas! d'un brillant Chevalier,
A vous offrir le rang et la fortune!
FIGARO
Eh comment diable! Je ne ferois pas mieux, moi qui m'en pique.
LE COMTE
TROISIÈME COUPLET
Tous les matins, ici, d'une voix tendre,
Je chanterai mon amour, sans espoir;
Je bornerai mes plaisirs à vous voir;
Et puissiez-vous en trouver à m'entendre!
FIGARO
Oh! ma foi, pour celui-ci!.. (Il s'approche, et baise le bas de l'habit de son Maître.)
LE COMTE
Figaro?
FIGARO
Excellence?
LE COMTE64
Crois-tu que l'on m'ait entendu?
ROSINE, en-dedans, chante
AIR du Maître en droit.
Tout me dit que Lindor est charmant,
Que je dois l'aimer constamment…
(On entend une croisée qui se ferme avec bruit.)
FIGARO
Croyez-vous qu'on vous ait entendu cette fois?
LE COMTE
Elle a fermé sa fenêtre; quelqu'un apparemment est entré chez elle65.
FIGARO
Ah! la pauvre petite, comme elle tremble en chantant! Elle est prise, Monseigneur.
LE COMTE
Elle se sert du moyen qu'elle-même a indiqué: Tout me dit que Lindor est charmant. Que de graces! que d'esprit!
FIGARO
Que de ruse! que d'amour!
LE COMTE
Crois-tu qu'elle se donne à moi, Figaro?
FIGARO
Elle passera plutôt à travers cette jalousie que d'y manquer.
LE COMTE
C'en est fait, je suis à ma Rosine… pour la vie.
FIGARO
Vous oubliez, Monseigneur, qu'elle ne vous entend plus.
LE COMTE
Monsieur Figaro, je n'ai qu'un mot à vous dire: elle sera ma femme; et si vous servez bien mon projet en lui cachant mon nom… tu m'entends, tu me connois…
FIGARO
Je me rends. Allons, Figaro, voles à la fortune, mon fils.
LE COMTE
Retirons-nous, crainte de nous rendre suspects.
FIGARO, vivement
Moi, j'entre ici66, où, par la force de mon Art, je vais d'un seul coup de baguette endormir la vigilance, éveiller l'amour, égarer la jalousie, fourvoyer l'intrigue et renverser tous les obstacles. Vous, Monseigneur, chez moi, l'habit de Soldat, le billet de logement et de l'or dans vos poches.
LE COMTE
Pour qui de l'or?
FIGARO, vivement
De l'or, mon Dieu! de l'or, c'est le nerf de l'intrigue.
LE COMTE
Ne te fâche pas, Figaro, j'en prendrai beaucoup.
FIGARO, s'en allant
Je vous rejoins dans peu.
LE COMTE
Figaro?
FIGARO
Qu'est-ce que c'est?
LE COMTE
Et ta guittare?
FIGARO revient
J'oublie ma guittare, moi! je suis donc fou! (Il s'en va.)
LE COMTE
Et ta demeure, étourdi?
FIGARO revient
Ah! réellement je suis frappé! Ma Boutique, à quatre pas d'ici, peinte en bleu, vitrage en plomb, trois palettes en l'air, l'œil dans la main: Consilio Manuque, FIGARO.
(Il s'enfuit.)
FIN DU PREMIER ACTE.