Le jour est moins avancé que je ne croyois. L'heure à laquelle elle a coutume de se montrer derrière sa jalousie est encore éloignée. N'importe; il vaut mieux arriver trop-tôt que de manquer l'instant de la voir. Si quelque aimable de la Cour pouvoit me deviner à cent lieues de Madrid, arrêté tous les matins sous les fenêtres d'une femme à qui je n'ai jamais parlé, il me prendroit pour un Espagnol du tems d'Isabelle25. – Pourquoi non? Chacun court après le bonheur. Il est pour moi dans le cœur de Rosine. – Mais quoi! suivre une femme à Séville, quand Madrid et la Cour offrent de toutes parts des plaisirs si faciles? – Et c'est cela même que je fuis. Je suis las des conquêtes que l'intérêt, la convenance ou la vanité nous présentent sans cesse. Il est si doux d'être aimé pour soi-même; et si je pouvois m'assurer, sous ce déguisement… Au diable l'importun.
FIGARO, une guitare sur le dos attachée en bandoulière avec un large ruban; il chantonne gaiement26, un papier et un crayon à la main.
Bannissons le chagrin,
Il nous consume:
Sans le feu du bon vin,
Qui nous rallume,
Réduit à languir,
L'homme, sans plaisir,
Vivroit comme un sot,
Et mourroit bientôt.
Jusques-là27, ceci ne va pas mal, ein, ein.
Et mourroit bientôt.
Le vin et la paresse
Se disputent mon cœur…
Eh non! ils ne se le disputent pas, ils y regnent paisiblement ensemble…
Dit-on se partagent?.. Eh! mon Dieu! nos faiseurs d'Opéras Comiques n'y regardent pas de si près. Aujourd'hui, ce qui ne vaut pas la peine d'être dit, on le chante.
Le vin et la paresse
Se partagent mon cœur.
Je voudrois finir par quelque chose de beau, de brillant28, de scintillant, qui eût l'air d'une pensée.
(Il met un genou en terre, et écrit en chantant.)
Se partage mon cœur.
Si l'une a ma tendresse…
L'autre fait mon bonheur.
Fi donc! c'est plat. Ce n'est pas ça… Il me faut une opposition, une antithèse:
Si l'une … est ma maîtresse,
L'autre…
Eh, parbleu, j'y suis!..
Fort bien, Figaro!.. (Il écrit en chantant.)
Le vin et la paresse
Se partagent mon cœur;
Si l'une est ma maîtresse,
L'autre est mon serviteur.
L'autre est mon serviteur.
L'autre est mon serviteur.
Hen, hen, quand il y aura des accompagnemens29 là-dessous, nous verrons encore, Messieurs de la cabale, si je ne sais ce que je dis. (Il apperçoit le Comte.) J'ai vu cet Abbé-là quelque part. (Il se relève.)
Cet homme ne m'est pas inconnu.
Eh non, ce n'est pas un Abbé! Cet air altier et noble…
Cette tournure grotesque…
Je ne me trompe point, c'est le Comte Almaviva.
Je crois que c'est ce coquin de Figaro.
C'est lui-même, Monseigneur.
Maraud! si tu dis un mot…
Oui, je vous reconnois; voilà les bontés familieres dont vous m'avez toujours honoré.
Je ne te reconnoissois pas, moi. Te voilà si gros et si gras…
Que voulez-vous, Monseigneur! c'est la misère.
Pauvre petit! Mais que fais-tu à Séville? Je t'avois autrefois recommandé dans les Bureaux pour un emploi.
Je l'ai obtenu, Monseigneur, et ma reconnoissance…
Appelle-moi Lindor. Ne vois-tu pas30, à mon déguisement, que je veux être inconnu?
Je me retire.
Au contraire. J'attends ici quelque chose; et deux hommes qui jasent sont moins suspects qu'un seul qui se promene. Ayons l'air de jaser. Eh bien, cet emploi?
Le Ministre, ayant égard à la recommandation de votre Excellence, me fit nommer sur le champ Garçon Apothicaire.
Dans les hôpitaux de l'Armée?
Non; dans les haras d'Andalousie32.
Beau début!
Le poste n'étoit pas mauvais; parce qu'ayant le district des pansemens et des drogues, je vendois souvent aux hommes de bonnes médecines de cheval…
Qui tuoient les sujets du Roi!
Ah, ah, il n'y a point de remede universel: mais qui n'ont pas laissé de guérir quelquefois33 des Galiciens, des Catalans, des Auvergnats.
Pourquoi donc l'as-tu quitté?
Quitté? C'est bien lui-même; on m'a desservi auprès des Puissances.
Oh grace! grace, ami! Est-ce que tu fais aussi des vers? Je t'ai vu là griffonnant sur ton genou, et chantant dès le matin.
Voilà précisément la cause de mon malheur, Excellence. Quand on a rapporté au Ministre que je faisois, je puis dire assez joliment, des bouquets à Cloris, que j'envoyois des énigmes aux Journaux, qu'il couroit des Madrigaux de ma façon; en un mot, quand il a su que j'étois imprimé tout vif, il a pris la chose au tragique, et m'a fait ôter mon emploi, sous prétexte que l'amour des Lettres est incompatible avec l'esprit des affaires.
Puissamment raisonné! et tu ne lui fis pas représenter…
Je me crus trop heureux d'en être oublié; persuadé qu'un Grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal.
Tu ne dis pas tout. Je me souviens qu'à mon service tu étois un assez mauvais sujet.
Eh mon Dieu, Monseigneur, c'est qu'on veut que le pauvre soit sans défaut.
Paresseux, dérangé…
Aux vertus qu'on exige dans un Domestique34, votre Excellence connoît-elle beaucoup de Maîtres qui fussent dignes d'être Valets?
Pas mal. Et tu t'es retiré en cette Ville?
Non pas tout de suite35.
Un moment… J'ai cru que c'étoit elle… Dis toujours, je t'entends de reste.
De retour à Madrid, je voulus essayer de nouveau mes talens littéraires, et le théâtre me parut un champ d'honneur…
Ah! miséricorde!
(Pendant sa réplique, le Comte regarde avec attention du côté de la jalousie.)
En vérité, je ne sais comment je n'eus pas le plus grand succès, car j'avois rempli le parterre des plus excellens Travailleurs; des mains… comme des battoirs; j'avois interdit les gants, les cannes, tout ce qui ne produit que des applaudissemens sourds; et d'honneur, avant la Pièce, le Café m'avoit paru dans les meilleures dispositions pour moi. Mais les efforts de la cabale…
Ah! la cabale! Monsieur l'Auteur tombé!
Tout comme un autre: pourquoi pas? Ils m'ont sifflé; mais si jamais je puis les rassembler…
L'ennui te vengera bien d'eux?
Ah! comme je leur en garde, morbleu!
Tu jures! Sais-tu qu'on n'a que vingt-quatre heures au Palais pour maudire ses Juges?
On a vingt-quatre ans au théâtre; la vie est trop courte pour user d'un pareil ressentiment.
Ta joyeuse colère me réjouit. Mais tu ne me dis pas ce qui t'a fait quitter Madrid.
C'est mon bon ange, Excellence, puisque je suis assez heureux pour retrouver mon ancien Maître. Voyant à Madrid que la république des Lettres étoit celle des loups38, toujours armés les uns contre les autres, et que, livrés au mépris où ce risible acharnement les conduit, tous les Insectes, les Moustiques, les Cousins, les Critiques, les Maringouins39, les Envieux, les Feuillistes40, les Libraires, les Censeurs, et tout ce qui s'attache à la peau des malheureux Gens de Lettres, achevoit de déchiqueter et sucer le peu de substance qui leur restoit; fatigué d'écrire, ennuyé de moi, dégoûté des autres, abymé de dettes et léger d'argent; à la fin41, convaincu que l'utile revenu du rasoir est préférable aux vains honneurs de la plume, j'ai quitté Madrid, et, mon bagage en sautoir, parcourant philosophiquement les deux Castilles, la Manche, l'Estramadoure, la Siera-Morena, l'Andalousie; accueilli dans une Ville, emprisonné dans l'autre, et par-tout supérieur aux évènemens42, aidant au bon tems, supportant le mauvais; me moquant des forts, bravant les méchans; riant de ma misère et faisant la barbe à tout le monde; vous me voyez enfin établi dans Séville et prêt à servir de nouveau votre Excellence en tout ce qu'il lui plaira m'ordonner.
Qui t'a donné une philosophie aussi gaie?
L'habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer. Que regardez-vous donc toujours de ce côté?
Sauvons-nous.
Pourquoi?
Viens donc, malheureux! tu me perds.
(Ils se cachent.)
Comme le grand air fait plaisir à respirer! Cette jalousie s'ouvre si rarement…
Quel papier tenez-vous là?
Ce sont des couplets de la Précaution inutile que mon Maître à chanter m'a donnés hier.
Qu'est-ce que la Précaution inutile?
C'est une Comédie nouvelle.
Quelque Drame encore! Quelque sottise d'un nouveau genre44!
Je n'en sais rien.
Euh, euh! les Journaux et l'autorité nous en feront raison. Siècle barbare!..
Vous injuriez toujours notre pauvre siècle.
Pardon de la liberté: qu'a-t-il produit pour qu'on le loue? Sottises de toute espèce: la liberté de penser, l'attraction, l'électricité, le tolérantisme, l'inoculation, le quinquina, l'Encyclopédie et les drames45.
Ah! ma chanson! ma chanson est tombée en vous écoutant; courez, courez donc, Monsieur; ma chanson! elle sera perdue.
Que diable aussi, l'on tient ce qu'on tient.
S't, s't (le Comte paroît), ramassez vîte et sauvez-vous.
(Le Comte ne fait qu'un saut, ramasse le papier et rentre.)
Où donc est-il? Je ne vois rien.
Sous le balcon, au pied du mur.
Vous me donnez-là une jolie commission! Il est donc passé quelqu'un?
Je n'ai vu personne.
Et moi qui ai la bonté de chercher… Bartholo, vous n'êtes qu'un sot, mon ami: ceci doit vous apprendre à ne jamais ouvrir des jalousies sur la rue. (Il rentre.)
Mon excuse est dans mon malheur: seule, enfermée, en butte à la persécution d'un homme odieux, est-ce un crime de tenter à sortir d'esclavage?
Rentrez, Signora; c'est ma faute si vous avez perdu votre chanson, mais ce malheur ne vous arrivera plus, je vous jure. (Il ferme la jalousie à la clé.)
A présent qu'ils sont retirés, examinons cette chanson, dans laquelle un mistere est sûrement renfermé47. C'est un billet!
Il demandoit ce que c'est que la Précaution inutile!
«Votre empressement excite ma curiosité; sitôt que mon Tuteur sera sorti, chantez indifféremment sur l'air connu de ces couplets quelque chose qui m'apprenne enfin le nom, l'état et les intentions de celui qui paroît s'attacher si obstinément à l'infortunée Rosine.»
Ma chanson! ma chanson est tombée; courez, courez donc (Il rit), ah! ah! ah! O ces femmes! voulez-vous donner de l'adresse à la plus ingénue? enfermez-la.
Ma chère Rosine49!
Monseigneur, je ne suis plus en peine des motifs de votre mascarade; vous faites ici l'amour en perspective.
Te voilà instruit, mais si tu jases…
Moi jaser! Je n'emploierai point pour vous rassurer les grandes phrases d'honneur et de dévoûment dont on abuse à la journée, je n'ai qu'un mot: mon intérêt vous répond de moi; pesez tout à cette balance, etc…50.
Fort bien. Apprends donc que le hasard m'a fait rencontrer au Prado, il y a six mois, une jeune personne d'une beauté… Tu viens de la voir! je l'ai fait chercher en vain par tout Madrid. Ce n'est que depuis peu de jours que j'ai découvert qu'elle s'appelle Rosine, est d'un sang noble, orpheline et mariée à un vieux Médecin de cette Ville nommé Bartholo.
Joli oiseau, ma foi! difficile à dénicher! Mais qui vous a dit qu'elle était la femme du Docteur?
Tout le monde.
C'est une histoire qu'il a forgée en arrivant de Madrid, pour donner le change aux galans et les écarter; elle n'est encore que sa pupille, mais bientôt…
Jamais. Ah, quelle nouvelle! j'étois résolu de tout oser pour lui présenter mes regrets, et je la trouve libre! Il n'y a pas un moment à perdre, il faut m'en faire aimer et l'arracher à l'indigne engagement qu'on lui destine. Tu connois donc ce Tuteur?
Comme ma mère.
Quel homme est-ce?
C'est un beau gros, court, jeune vieillard, gris pommelé, rusé, rasé, blasé, qui guette et furete et gronde et geint tout à la fois.
Eh! je l'ai vu. Son caractère?
Brutal, avare, amoureux et jaloux à l'excès de sa pupille, qui le hait à la mort.
Ainsi ses moyens de plaire sont…
Nuls.
Tant mieux. Sa probité?
Tout juste autant qu'il en faut pour n'être point pendu.
Tant mieux. Punir un fripon en se rendant heureux…
C'est faire à la fois le bien public et particulier: chef-d'œuvre de morale, en vérité, Monseigneur!
Tu dis que la crainte des galans lui fait fermer sa porte?
A tout le monde: s'il pouvoit la calfeutrer.
Ah! diable! tant pis. Aurois-tu de l'accès chez lui?
Si j'en ai. Primo, la maison que j'occupe appartient au Docteur, qui m'y loge gratis.
Ah! ah!
Oui. Et moi, en reconnoissance, je lui promets dix pistoles d'or par an, gratis aussi.
Tu es son locataire?
De plus son Barbier, son Chirurgien, son Apothicaire; il ne se donne pas dans sa maison un coup de rasoir, de lancette ou de piston, qui ne soit de la main de votre serviteur.
Ah! Figaro, mon ami, tu seras mon ange, mon libérateur, mon Dieu tutélaire.
Peste! comme l'utilité vous a bientôt rapproché les distances! parlez-moi des gens passionnés.
Heureux Figaro! tu vas voir ma Rosine! tu vas la voir! Conçois-tu ton bonheur?
C'est bien-là un propos d'Amant! Est-ce que je l'adore, moi55? Pussiez-vous prendre ma place!
Ah! si l'on pouvoit écarter tous les surveillans!..
C'est à quoi je rêvois.
Pour douze heures seulement!
En occupant les gens de leur propre intérêt, on les empêche de nuire à l'intérêt d'autrui.
Sans doute. Eh bien!
Je cherche dans ma tête si la Pharmacie ne fourniroit pas quelques petits moyens innocens…
Scélérat!
Est-ce que je veux leur nuire? Ils ont tous besoin de mon ministère. Il ne s'agit que de les traiter ensemble.
Mais ce Médecin peut prendre un soupçon.
Il faut marcher si vîte, que le soupçon n'ait pas le tems de naître. Il me vient une idée. Le Régiment de Royal-Infant arrive en cette Ville!
Le Colonel est de mes amis.
Bon. Présentez-vous chez le Docteur en habit de Cavalier, avec un billet de logement; il faudra bien qu'il vous héberge, et moi, je me charge du reste.
Excellent!
Il ne seroit même pas mal que vous eussiez l'air entre deux vins…
A quoi bon?
Et le mener un peu lestement sous cette apparence déraisonnable.
A quoi bon?
Pour qu'il ne prenne aucun ombrage, et vous croie plus pressé de dormir que d'intriguer chez lui.
Supérieurement vu! Mais que n'y vas-tu, toi?
Ah! oui, moi! Nous serons bienheureux s'il ne vous reconnoît pas, vous, qu'il n'a jamais vu. Et comment vous introduire après?
Tu as raison.
C'est que vous ne pourrez peut-être pas soutenir ce personnage difficile. Cavalier… pris de vin…
Tu te mocques de moi57! (Prenant un ton ivre.) N'est-ce point ici la maison du Docteur Bartholo, mon ami?
Pas mal, en vérité; vos jambes seulement un peu plus avinées. (D'un ton plus ivre.) N'est-ce pas ici la maison…
Fi donc! tu as l'ivresse du peuple.
C'est la bonne; c'est celle du plaisir.
La porte s'ouvre58.
C'est notre homme. Éloignons-nous jusqu'à ce qu'il soit parti.
Je reviens à l'instant; qu'on ne laisse entrer personne. Quelle sottise à moi d'être descendu! Dès qu'elle m'en prioit, je devois bien me douter… Et Bazile qui ne vient pas! Il devoit tout arranger pour que mon mariage se fit secrettement demain; et point de nouvelles! Allons voir ce qui peut l'arrêter.
Qu'ai-je entendu? Demain il épouse Rosine59 en secret!
Monseigneur, la difficulté de réussir ne fait qu'ajouter à la nécessité d'entreprendre.
Quel est donc ce Bazile qui se mêle de son mariage?
Un pauvre hère qui montre la musique à sa pupille, infatué de son art, friponneau besoineux61, à genoux devant un écu, et dont il sera facile de venir à bout, Monseigneur… (Regardant à la jalousie.) La v'là! la v'là!
Qui donc?
Derrière sa jalousie. La voilà! la voilà! Ne regardez pas, ne regardez donc pas!
Pourquoi?
Ne vous écrit-elle pas: Chantez indifféremment? c'est-à-dire chantez, comme si vous chantiez… seulement pour chanter. Oh! la v'là! la v'là!
Puisque j'ai commencé à l'intéresser sans être connu d'elle, ne quittons point le nom de Lindor que j'ai pris, mon triomphe en aura plus de charmes. (Il déploie le papier que Rosine a jetté.) Mais comment chanter sur cette musique? Je ne sais pas faire des vers, moi!
Tout ce qui vous viendra, Monseigneur, est excellent; en amour, le cœur n'est pas difficile sur les productions de l'esprit… et prenez ma guittare.
Que veux-tu que j'en fasse? j'en joue si mal!
Est-ce qu'un homme comme vous ignore quelque chose! Avec le dos de la main: from, from, from… Chanter sans guittare à Séville! vous seriez bientôt reconnu, ma foi, bientôt dépisté!
(Figaro se colle au mur sous le balcon.)
Vous l'ordonnez, je me ferai connoître.
Plus inconnu, j'osois vous adorer:
En me nommant, que pourrois-je espérer?
N'importe, il faut obéir à son Maître.
Fort bien, parbleu! Courage, Monseigneur.
Je suis Lindor, ma naissance est commune,
Mes vœux sont ceux d'un simple Bâchelier;
Que n'ai-je, hélas! d'un brillant Chevalier,
A vous offrir le rang et la fortune!
Eh comment diable! Je ne ferois pas mieux, moi qui m'en pique.
Tous les matins, ici, d'une voix tendre,
Je chanterai mon amour, sans espoir;
Je bornerai mes plaisirs à vous voir;
Et puissiez-vous en trouver à m'entendre!
Oh! ma foi, pour celui-ci!.. (Il s'approche, et baise le bas de l'habit de son Maître.)
Figaro?
Excellence?
Crois-tu que l'on m'ait entendu?
AIR du Maître en droit.
Croyez-vous qu'on vous ait entendu cette fois?
Elle a fermé sa fenêtre; quelqu'un apparemment est entré chez elle65.
Ah! la pauvre petite, comme elle tremble en chantant! Elle est prise, Monseigneur.
Elle se sert du moyen qu'elle-même a indiqué: Tout me dit que Lindor est charmant. Que de graces! que d'esprit!
Que de ruse! que d'amour!
Crois-tu qu'elle se donne à moi, Figaro?
Elle passera plutôt à travers cette jalousie que d'y manquer.
C'en est fait, je suis à ma Rosine… pour la vie.
Vous oubliez, Monseigneur, qu'elle ne vous entend plus.
Monsieur Figaro, je n'ai qu'un mot à vous dire: elle sera ma femme; et si vous servez bien mon projet en lui cachant mon nom… tu m'entends, tu me connois…
Je me rends. Allons, Figaro, voles à la fortune, mon fils.
Retirons-nous, crainte de nous rendre suspects.
Moi, j'entre ici66, où, par la force de mon Art, je vais d'un seul coup de baguette endormir la vigilance, éveiller l'amour, égarer la jalousie, fourvoyer l'intrigue et renverser tous les obstacles. Vous, Monseigneur, chez moi, l'habit de Soldat, le billet de logement et de l'or dans vos poches.
Pour qui de l'or?
De l'or, mon Dieu! de l'or, c'est le nerf de l'intrigue.
Ne te fâche pas, Figaro, j'en prendrai beaucoup.
Je vous rejoins dans peu.
Figaro?
Qu'est-ce que c'est?
Et ta guittare?
J'oublie ma guittare, moi! je suis donc fou! (Il s'en va.)
Et ta demeure, étourdi?
Ah! réellement je suis frappé! Ma Boutique, à quatre pas d'ici, peinte en bleu, vitrage en plomb, trois palettes en l'air, l'œil dans la main: Consilio Manuque, FIGARO.
(Il s'enfuit.)
FIN DU PREMIER ACTE.