Kitabı oku: «Le barbier de Séville; ou, la précaution inutile», sayfa 4
ACTE II
Le Théâtre représente l'appartement de Rosine. La croisée dans le fond du Théâtre est fermée par une jalousie grillée
SCENE PREMIERE
ROSINE seule, un bougeoir à la main. Elle prend du papier sur la table et se met à écrire.
Marceline est malade, tous les gens sont occupés, et personne ne me voit écrire. Je ne sais si ces murs ont des yeux et des oreilles, ou si mon Argus a un génie malfaisant qui l'instruit à point nommé, mais je ne puis dire un mot ni faire un pas dont il ne devine sur-le-champ l'intention… Ah! Lindor!.. (Elle cachete la lettre.) Fermons toujours ma lettre, quoique j'ignore quand et comment je pourrai la lui faire tenir. Je l'ai vu, à travers ma jalousie, parler long-temps au Barbier Figaro. C'est un bon homme, qui m'a montré quelquefois de la pitié; si je pouvois l'entretenir un moment!
SCENE II
ROSINE, FIGARO
ROSINE, surprise
Ah! Monsieur Figaro, que je suis aise de vous voir!
FIGARO
Votre santé, Madame?
ROSINE
Pas trop bonne, Monsieur Figaro. L'ennui me tue.
FIGARO
Je le crois; il n'engraisse que les sots.
ROSINE
Avec qui parliez-vous donc là-bas si vivement? Je n'entendois pas, mais…
FIGARO
Avec un jeune Bâchelier de mes parents, de la plus grande espérance, plein d'esprit, de sentimens, de talens, et d'une figure fort revenante.
ROSINE
Oh! tout-à-fait bien, je vous assure! Il se nomme?..
FIGARO
Lindor. Il n'a rien. Mais, s'il n'eût pas quitté brusquement Madrid, il pouvoit y trouver quelque bonne place.
ROSINE
Il en trouvera, Monsieur Figaro, il en trouvera. Un jeune homme tel que vous le dépeignez n'est pas fait pour rester inconnu.
FIGARO, à part
Fort bien. (Haut.) Mais il a un grand défaut, qui nuira toujours à son avancement.
ROSINE
Un défaut, Monsieur Figaro! Un défaut! en êtes-vous bien sûr?
FIGARO
Il est amoureux.
ROSINE
Il est amoureux! et vous appellez cela un défaut?
FIGARO
A la vérité, ce n'en est un que relativement à sa mauvaise fortune.
ROSINE
Ah! que le sort est injuste67! Et nomme-t-il la personne qu'il aime? Je suis d'une curiosité…
FIGARO
Vous êtes la dernière, Madame, à qui je voudrois faire une confidence de cette nature.
ROSINE, vivement
Pourquoi, Monsieur Figaro? Je suis discrette; ce jeune homme vous appartient, il m'intéresse infiniment… dites donc68…
FIGARO, la regardant finement
Figurez-vous la plus jolie petite mignonne, douce, tendre, accorte et fraîche, agaçant l'appétit, pied furtif, taille adroite, élancée, bras dodus, bouche rozée, et des mains! des joues! des dents! des yeux!..
ROSINE
Qui reste en cette Ville?
FIGARO
En ce quartier.
ROSINE
Dans cette rue peut-être?
FIGARO
A deux pas de moi.
ROSINE
Ah, que c'est charmant!.. pour Monsieur votre parent. Et cette personne est?..
FIGARO
Je ne l'ai pas nommée?
ROSINE, vivement
C'est la seule chose que vous ayez oubliée, Monsieur Figaro. Dites donc, dites donc vîte; si l'on rentroit, je ne pourrois plus savoir…
FIGARO
Vous le voulez absolument, Madame? Eh bien! cette personne est… la Pupille de votre Tuteur.
ROSINE
La Pupille?..
FIGARO
Du Docteur Bartholo, oui, Madame.
ROSINE, avec émotion
Ah! Monsieur Figaro!.. je ne vous crois pas, je vous assure.
FIGARO69
Et c'est ce qu'il brûle de venir vous persuader lui-même.
ROSINE
Vous me faites trembler, Monsieur Figaro.
FIGARO
Fi donc, trembler? mauvais calcul, Madame; quand on cède à la peur du mal, on ressent déjà le mal de la peur. D'ailleurs, je viens de vous débarrasser de tous vos surveillans, jusqu'à demain.
ROSINE
S'il m'aime, il doit me le prouver en restant absolument tranquille.
FIGARO
Eh! Madame, amour et repos peuvent-ils habiter en même cœur? La pauvre jeunesse est si malheureuse aujourd'hui, qu'elle n'a que ce terrible choix: amour sans repos, ou repos sans amour.
ROSINE, baissant les yeux
Repos sans amour… paroît…
FIGARO
Ah! bien languissant. Il semble, en effet, qu'amour sans repos se présente de meilleure grace; et pour moi, si j'étois femme…
ROSINE, avec embarras
Il est certain qu'une jeune personne ne peut empêcher un honnête homme de l'estimer; mais s'il alloit faire quelque imprudence, Monsieur Figaro, il nous perdroit.
FIGARO, à part
Il nous perdroit. (Haut.) Si vous le lui défendiez expressément par une petite lettre… Une lettre a bien du pouvoir.
ROSINE, lui donne la lettre qu'elle vient d'écrire
Je n'ai pas le temps de recommencer celle-ci, mais en la lui donnant, dites-lui… dites-lui bien… (Elle écoute.)
FIGARO
Personne, Madame.
ROSINE
Que c'est par pure amitié tout ce que je fais.
FIGARO
Cela parle de soi. Tudieu! l'Amour a bien une autre allure!
ROSINE
Que par pure amitié, entendez-vous70? Je crains seulement que, rebuté par les difficultés…
FIGARO
Oui, quelque feu follet. Souvenez-vous, Madame, que le vent qui éteint une lumière allume un brasier, et que nous sommes ce brasier-là. D'en parler seulement, il exhale un tel feu qu'il m'a presque enfiévré71 de sa passion, moi qui n'y ai que voir.
ROSINE
Dieux! J'entends mon Tuteur. S'il vous trouvoit ici… passez par le cabinet du clavecin, et descendez le plus doucement que vous pourrez.
FIGARO
Soyez tranquille. (A part.) Voici qui vaut mieux que mes observations. (Il entre dans le cabinet.)
SCENE III
ROSINE, seule
Je meurs d'inquiétude jusqu'à ce qu'il soit dehors…72. Que je l'aime ce bon Figaro! C'est un bien honnête homme, un bon parent. Ah! voilà mon tyran; reprenons mon ouvrage. (Elle souffle la bougie, s'assied et prend une broderie au tambour.)
SCENE IV
BARTHOLO, ROSINE
BARTOLO, en colere
Ah! malédiction! l'enragé, le scélérat corsaire de Figaro! Là, peut-on sortir un moment de chez soi, sans être sûr en rentrant…
ROSINE
Qui vous met donc si fort en colere, Monsieur?
BARTOLO
Ce damné Barbier qui vient d'écloper toute ma maison, en un tour de main73. Il donne un narcotique à l'Éveillé, un sternutatoire à la Jeunesse; il saigne au pied Marceline; il n'y a pas jusqu'à ma mule… sur les yeux d'une pauvre bête aveugle, un cataplasme! Parce qu'il me doit cent écus, il se presse de faire des mémoires. Ah! qu'il les apporte! Et personne à l'antichambre, on arrive à cet appartement comme à la place d'armes.
ROSINE
Et qui peut y pénétrer que vous, Monsieur?
BARTOLO
J'aime mieux craindre sans sujet que de m'exposer sans précaution; tout est plein de gens entreprenans, d'audacieux… N'a-t-on pas ce matin encore ramassé lestement votre chanson, pendant que j'allois la chercher? Oh! je…
ROSINE
C'est bien mettre à plaisir de l'importance à tout! Le vent peut avoir éloigné ce papier, le premier venu, que sais-je?
BARTOLO
Le vent, le premier venu!.. Il n'y a point de vent, Madame, point de premier venu dans le monde; et c'est toujours quelqu'un posté là exprès qui ramasse les papiers qu'une femme a l'air de laisser tomber par mégarde.
ROSINE
A l'air, Monsieur?
BARTOLO
Oui, Madame, a l'air.
ROSINE, à part74
Oh! le méchant vieillard!
BARTOLO
Mais tout cela n'arrivera plus, car je vais faire sceller cette grille.
ROSINE
Faites mieux; murez les fenêtres tout d'un coup. D'une prison à un cachot, la différence est si peu de chose!
BARTOLO
Pour celles qui donnent sur la rue? Ce ne seroit peut-être pas si mal75… Ce Barbier n'est pas entré chez vous, au moins!
ROSINE76
Vous donne-t-il aussi de l'inquiétude?
BARTOLO
Tout comme un autre.
ROSINE
Que vos repliques sont honnêtes!
BARTOLO
Ah! fiez-vous à tout le monde, et vous aurez bientôt à la maison une bonne femme pour vous tromper, de bons amis pour vous la souffler et de bons valets pour les y aider.
ROSINE
Quoi, vous n'accordez pas même qu'on ait des principes contre la séduction de Monsieur Figaro?
BARTOLO
Qui diable entend quelque chose à la bizarrerie des femmes?
ROSINE, en colere
Mais, Monsieur, s'il suffit d'être homme pour nous plaire, pourquoi donc me déplaisez-vous si fort?
BARTOLO, stupéfait
Pourquoi?.. Pourquoi?.. Vous ne répondez pas à ma question sur ce Barbier?
ROSINE, outrée
Eh bien oui, cet homme est entré chez moi, je l'ai vu, je lui ai parlé. Je ne vous cache pas même que je l'ai trouvé fort aimable; et puissiez-vous en mourir de dépit77!
(Elle sort.)
SCENE V
BARTHOLO, seul
Oh! les juifs! les chiens de valets! La Jeunesse? L'Éveillé? l'Éveillé maudit!
SCENE VI
BARTHOLO, L'ÉVEILLÉ
L'ÉVEILLÉ arrive en bâillant, tout endormi
Aah, aah, ah, ah…
BARTOLO
Où étois-tu, peste d'étourdi, quand ce Barbier est entré ici?
L'ÉVEILLÉ
Monsieur, j'étois… ah, aah, ah…
BARTOLO
A machiner quelque espiéglerie sans doute? Et tu ne l'as pas vu?
L'ÉVEILLÉ
Sûrement je l'ai vu, puisqu'il m'a trouvé tout malade, à ce qu'il dit; et faut bien que ça soit vrai, car j'ai commencé à me douloir78 dans tous les membres, rien qu'en l'en entendant parl… Ah, ah, ah…
BARTOLO le contrefait
Rien qu'en l'en entendant!.. Où donc est ce vaurien de la Jeunesse79? Droguer ce petit garçon sans mon ordonnance! Il y a quelque friponnerie là-dessous.
SCENE VII
LES ACTEURS PRÉCÉDENS. (La Jeunesse arrive en vieillard, avec une canne en béquille; il éternue plusieurs fois.)
L'ÉVEILLÉ, toujours bâillant
La Jeunesse.
BARTOLO
Tu éternueras dimanche.
LA JEUNESSE
Voilà plus de cinquante… cinquante fois… dans un moment. (Il éternue.) Je suis brisé.
BARTOLO
Comment! Je vous demande à tous deux s'il est entré quelqu'un chez Rosine, et vous ne me dites pas que ce Barbier…
L'ÉVEILLÉ, continuant de bâiller
Est-ce que c'est quelqu'un donc Monsieur Figaro? Aah, ah…
BARTOLO80
Je parie que le rusé s'entend avec lui.
L'ÉVEILLÉ, pleurant comme un sot
Moi… Je m'entends!..
LA JEUNESSE, éternuant
Eh mais, Monsieur, y a-t-il… y a-t-il de la justice?
BARTOLO81
De la justice! C'est bon entre vous autres misérables, la justice! Je suis votre maître, moi, pour avoir toujours raison.
LA JEUNESSE, éternuant
Mais pardi, quand une chose est vraie…
BARTOLO
Quand une chose est vraie! Si je ne veux pas qu'elle soit vraie, je prétends bien qu'elle ne soit pas vraie. Il n'y auroit qu'à permettre à tous ces faquins-là d'avoir raison, vous verriez bientôt ce que deviendrait l'autorité.
LA JEUNESSE, éternuant
J'aime autant recevoir mon congé. Un service terrible, et toujours un train d'enfer.
L'ÉVEILLÉ, pleurant
Un pauvre homme de bien est traité comme un misérable.
BARTOLO
Sors donc, pauvre homme de bien. (Il les contrefait.) Et t'chi et t'cha; l'un m'éternue au nez, l'autre m'y bâille.
LA JEUNESSE
Ah! Monsieur, je vous jure que sans Mademoiselle, il n'y auroit… il n'y auroit pas moyen de rester dans la maison82.
(Il sort en éternuant.)
SCENE VIII
BARTHOLO, DON BAZILE, FIGARO, caché dans le cabinet, paroît de temps en temps, et les écoute.
BARTOLO
Ah! Don Bazile, vous veniez donner à Rosine sa leçon de musique?
BAZILE
C'est ce qui presse le moins.
BARTOLO
J'ai passé chez vous sans vous trouver.
BAZILE
J'étois sorti pour vos affaires. Apprenez une nouvelle assez fâcheuse.
BARTOLO
Pour vous?
BAZILE
Non, pour vous. Le Comte Almaviva est dans cette Ville.
BARTOLO
Parlez bas. Celui qui faisoit chercher Rosine dans tout Madrid?
BAZILE
Il loge à la grande place et sort tous les jours déguisé.
BARTOLO
Il n'en faut point douter, cela me regarde. Et que faire?
BAZILE
Si c'étoit un particulier, on viendroit à bout de l'écarter.
BARTOLO
Oui, en s'embusquant le soir, armé, cuirassé…
BAZILE
Bone Deus! Se compromettre! Susciter une méchante affaire, à la bonne heure, et, pendant la fermentation, calomnier à dire d'Experts; concedo.
BARTOLO
Singulier moyen de se défaire d'un homme!
BAZILE83
La calomnie, Monsieur? Vous ne savez gueres ce que vous dédaignez; j'ai vu les plus honnêtes gens prêts d'en être accablés. Croyez qu'il n'y a pas de plate méchanceté, pas d'horreurs, pas de conte absurde, qu'on ne fasse adopter aux oisifs d'une grande Ville, en s'y prenant bien: et nous avons ici des gens d'une adresse!.. D'abord un bruit léger, rasant le sol comme hirondelle avant l'orage, pianissimo murmure et file, et seme en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille, et piano, piano vous le glisse en l'oreille adroitement. Le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando de bouche en bouche il va le diable; puis tout à coup, ne sais comment, vous voyez calomnie se dresser, sifler, s'enfler, grandir à vue d'œil; elle s'élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraîne, éclate et tonne, et devient, grace au Ciel, un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisteroit?
BARTOLO
Mais quel radotage me faites-vous donc-là, Bazile? Et quel rapport ce piano-crescendo peut-il avoir à ma situation?
BAZILE
Comment, quel rapport? Ce qu'on fait par-tout pour écarter son ennemi, il faut le faire ici pour empêcher le vôtre d'approcher.
BARTOLO
D'approcher? Je prétends bien épouser Rosine avant qu'elle apprenne seulement que ce Comte existe.
BAZILE
En ce cas, vous n'avez pas un instant à perdre.
BARTOLO
Et à qui tient-il, Bazile? Je vous ai chargé de tous les détails de cette affaire.
BAZILE
Oui. Mais vous avez lésiné sur les frais, et, dans l'harmonie du bon ordre, un mariage inégal, un jugement inique, un passe-droit évident, sont des dissonnances84 qu'on doit toujours préparer et sauver par l'accord parfait de l'or.
BARTOLO, lui donnant de l'argent
Il faut en passer par où vous voulez; mais finissons.
BAZILE
Cela s'appelle parler. Demain tout sera terminé; c'est à vous d'empêcher que personne, aujourd'hui, ne puisse instruire la Pupille.
BARTOLO
Fiez-vous-en à moi. Viendrez-vous ce soir, Bazile?
BAZILE
N'y comptez pas. Votre mariage seul m'occupera toute la journée; n'y comptez pas.
BARTOLO l'accompagne
Serviteur.
BAZILE
Restez, Docteur, restez donc.
BARTOLO
Non pas. Je veux fermer sur vous la porte de la rue.
SCENE IX
FIGARO, seul, sortant du cabinet
Oh! la bonne précaution! Fermes, fermes la porte de la rue, et moi je vais la r'ouvrir au Comte en sortant. C'est un grand maraud que ce Bazile! heureusement il est encore plus sot. Il faut un état, une famille, un nom, un rang, de la consistance enfin, pour faire sensation dans le monde en calomniant. Mais un Bazile! il médiroit qu'on ne le croiroit pas.
SCENE X
ROSINE, accourant; FIGARO
ROSINE
Quoi! vous êtes encore-là, Monsieur Figaro?
FIGARO
Très-heureusement pour vous, Mademoiselle. Votre Tuteur et votre Maître de Musique, se croyant seuls ici, viennent de parler à cœur ouvert…
ROSINE
Et vous les avez écoutés, Monsieur Figaro? Mais savez-vous que c'est fort mal?
FIGARO
D'écouter? C'est pourtant ce qu'il y a de mieux pour bien entendre. Apprenez que votre Tuteur se dispose à vous épouser demain.
ROSINE
Ah! grands Dieux!
FIGARO
Ne craignez rien, nous lui donnerons tant d'ouvrage, qu'il n'aura pas le tems de songer à celui-là.
ROSINE
Le voici qui revient, sortez donc par le petit escalier: vous me faites mourir de frayeur.
(Figaro s'enfuit.)
SCENE XI
BARTHOLO, ROSINE
ROSINE
Vous étiez ici avec quelqu'un, Monsieur?
BARTOLO
Don Bazile que j'ai reconduit, et pour cause. Vous eussiez mieux aimé que c'eût été Monsieur Figaro.
ROSINE
Cela m'est fort égal, je vous assure.
BARTOLO
Je voudrois bien savoir ce que ce Barbier avoit de si pressé à vous dire?
ROSINE
Faut-il parler sérieusement? Il m'a rendu compte de l'état de Marceline, qui même n'est pas trop bien, à ce qu'il dit.
BARTOLO
Vous rendre compte? Je vais parier qu'il étoit chargé de vous remettre quelque lettre.
ROSINE
Et de qui, s'il vous plaît?
BARTOLO
Oh, de qui! De quelqu'un que les femmes ne nomment jamais. Que sais-je, moi? Peut-être la réponse au papier de la fenêtre.
ROSINE, à part
Il n'en a pas manqué une seule. (Haut.) Vous mériteriez bien que cela fût.
BARTOLO regarde les mains de Rosine
Cela est. Vous avez écrit.
ROSINE, avec embarras
Il seroit assez plaisant que vous eussiez le projet de m'en faire convenir.
BARTOLO, lui prenant la main droite85
Moi, point du tout; mais votre doigt encore taché d'encre! hein? rusée Signora!
ROSINE, à part
Maudit homme!
BARTOLO, lui tenant toujours la main
Une femme se croit bien en sûreté parce qu'elle est seule.
ROSINE
Ah! sans doute… La belle preuve!.. Finissez donc, Monsieur, vous me tordez le bras. Je me suis brûlée en chiffonnant autour de cette bougie, et l'on m'a toujours dit qu'il falloit aussi-tôt tremper dans l'encre; c'est ce que j'ai fait.
BARTOLO
C'est ce que vous avez fait? Voyons donc si un second témoin confirmera la déposition du premier. C'est ce cahier de papier où je suis certain qu'il y avoit six feuilles; car je les compte tous les matins, aujourd'hui encore.
ROSINE, à part
Oh! imbécille! (haut) la sixième…
BARTOLO, comptant
Trois, quatre, cinq; je vois bien qu'elle n'y est pas, la sixième.
ROSINE, baissant les yeux
La sixiéme, je l'ai employée à faire un cornet pour des bonbons que j'ai envoyés à la petite Figaro.
BARTOLO
A la petite Figaro? Et la plume qui étoit toute neuve, comment est-elle devenue noire? est-ce en écrivant l'adresse de la petite Figaro?
ROSINE86, à part
Cet homme a un instinct de jalousie!.. (Haut.) Elle m'a servi à retracer une fleur effacée sur la veste que je vous brode au tambour.
BARTOLO
Que cela est édifiant! Pour qu'on vous crût, mon enfant, il faudroit ne pas rougir en déguisant coup sur coup la vérité; mais c'est ce que vous ne savez pas encore.
ROSINE
Et qui ne rougiroit pas, Monsieur, de voir tirer des conséquences aussi malignes des choses le plus innocemment faites?
BARTOLO
Certes, j'ai tort; se brûler le doigt, le tremper dans l'encre, faire des cornets aux bonbons de la petite Figaro, et dessiner ma veste au tambour! quoi de plus innocent! Mais que de mensonges entassés pour cacher un seul fait!.. Je suis seule, on ne me voit point; je pourrai mentir à mon aise; mais le bout du doigt reste noir! la plume est tachée, le papier manque; on ne sauroit penser à tout. Bien certainement, Signora, quand j'irai par la Ville, un bon double tour me répondra de vous.
SCENE XII
LE COMTE, BARTHOLO, ROSINE
LE COMTE, en uniforme de cavalerie, ayant l'air d'être entre deux vins et chantant: Réveillons-la, etc
BARTOLO
Mais que nous veut cet homme? Un Soldat! Rentrez chez vous, Signora.
LE COMTE chante: Réveillons-la, et s'avance vers Rosine
Qui de vous deux, Mesdames, se nomme le Docteur Balordo? (A Rosine, bas.) Je suis Lindor.
BARTOLO
Bartholo!
ROSINE, à part
Il parle de Lindor.
LE COMTE
Balordo, Barque à l'eau, je m'en moque comme de ça. Il s'agit seulement de savoir laquelle des deux… (A Rosine, lui montrant un papier.)87 Prenez cette lettre.
BARTOLO
Laquelle! vous voyez bien que c'est moi. Laquelle! Rentrez donc, Rosine, cet homme paroît avoir du vin.
ROSINE
C'est pour cela, Monsieur; vous êtes seul. Une femme en impose quelquefois.
BARTOLO
Rentrez, rentrez; je ne suis pas timide.
SCENE XIII
LE COMTE, BARTHOLO
LE COMTE
Oh! je vous ai reconnu d'abord à votre signalement.
BARTOLO, au Comte, qui serre la lettre
Qu'est-ce que c'est donc que vous cachez-là dans votre poche?
LE COMTE
Je le cache dans ma poche pour que vous ne sachiez pas ce que c'est.
BARTOLO
Mon signalement? Ces gens-là croient toujours parler à des Soldats!
LE COMTE
Pensez-vous que ce soit une chose si difficile à faire que votre signalement?
BARTOLO
Qu'est-ce que cela veut dire! Êtes-vous ici pour m'insulter? Délogez à l'instant.
LE COMTE
Déloger! Ah, fi! que c'est mal parler! Savez-vous lire, Docteur… Barbe à l'eau?
BARTOLO
Autre question saugrenue.
LE COMTE
Oh! que cela ne vous fasse point de peine, car, moi qui suis pour le moins aussi Docteur que vous…
BARTOLO
Comment cela?
LE COMTE
Est-ce que je ne suis pas le Médecin des chevaux du Régiment? Voilà pourquoi l'on m'a exprès logé chez un confrère.
BARTOLO89
Oser comparer un Maréchal!..
LE COMTE
AIR: Vive le vin
Sans chanter. { Non, Docteur, je ne prétends pas
{ Que notre art obtienne le pas
{ Sur Hypocrate et sa brigade.
En chantant. { Votre savoir, mon camarade,
{ Est d'un succès plus général;
{ Car, s'il n'emporte point le mal,
{ Il emporte au moins le malade.
C'est-il poli, ce que je vous dis-là?
BARTOLO
Il vous sied bien, manipuleur ignorant, de ravaler ainsi le premier, le plus grand et le plus utile des arts!
LE COMTE
Utile tout-à-fait pour ceux qui l'exercent.
BARTOLO
Un art dont le soleil s'honore d'éclairer les succès.
LE COMTE
Et dont la terre s'empresse de couvrir les bévues90.
BARTOLO
On voit bien, mal-appris, que vous n'êtes habitué de parler qu'à des chevaux.
LE COMTE
Parler à des chevaux! Ah! Docteur91, pour un Docteur d'esprit… N'est-il pas de notoriété que le Maréchal guérit toujours ses malades sans leur parler; au lieu que le Médecin parle beaucoup aux siens…
BARTOLO
Sans les guérir, n'est-ce pas?
LE COMTE
C'est vous qui l'avez dit92.
BARTOLO
Qui diable envoie ici ce maudit ivrogne?
LE COMTE
Je crois que vous me lâchez des épigrammes d'amour!
BARTOLO
Enfin, que voulez-vous? que demandez-vous?
LE COMTE, feignant une grande colère
Eh bien donc, il s'enflamme! Ce que je veux? Est-ce que vous ne le voyez pas?
SCENE XIV
ROSINE, LE COMTE, BARTHOLO
ROSINE, accourant
Monsieur le Soldat, ne vous emportez point, de grace. (A Bartholo.) Parlez-lui doucement, Monsieur; un homme qui déraisonne.
LE COMTE
Vous avez raison; il déraisonne, lui, mais nous sommes raisonnables, nous! Moi poli, et vous jolie93… enfin suffit. La vérité, c'est que je ne veux avoir affaire qu'à vous dans la maison.
ROSINE
Que puis-je pour votre service, Monsieur le Soldat?
LE COMTE
Une petite bagatelle, mon enfant94. Mais s'il y a de l'obscurité dans mes phrases…
ROSINE
J'en saisirai l'esprit.
LE COMTE, lui montrant la lettre
Non, attachez-vous à la lettre, à la lettre. Il s'agit seulement… mais je dis en tout bien, tout honneur, que vous me donniez à coucher ce soir.
BARTOLO
Rien que cela?
LE COMTE
Pas davantage. Lisez le billet doux que notre Maréchal des Logis vous écrit.
BARTOLO
Voyons. (Le Comte cache la lettre et lui donne un autre papier. Bartholo lit.) «Le docteur Bartholo recevra, nourrira, hébergera, couchera…
LE COMTE, appuyant
Couchera.
BARTOLO
«Pour une nuit seulement, le nommé Lindor, dit l'Écolier, Cavalier au Régiment…»
ROSINE
C'est lui, c'est lui-même.
BARTOLO, vivement à Rosine
Qu'est-ce qu'il y a?
LE COMTE
Eh bien! ai-je tort à présent, Docteur Barbaro?
BARTOLO
On dirait que cet homme se fait un malin plaisir de m'estropier de toutes les manières possibles. Allez au diable! Barbaro! Barbe à l'eau! et dites à votre impertinent Maréchal des Logis que95, depuis mon voyage à Madrid, je suis exempt de loger des gens de guerre.
LE COMTE, à part
O Ciel! fâcheux contre temps96!
BARTOLO
Ah! ah! notre ami, cela vous contrarie et vous dégrise un peu? Mais n'en décampez pas moins à l'instant.
LE COMTE, à part
J'ai pensé me trahir! (Haut.) Décamper97! Si vous êtes exempt des gens de guerre, vous n'êtes pas exempt de politesse, peut-être? Décamper! Montrez-moi votre brevet d'exemption, quoique je ne sache pas lire, je verrai bientôt…
BARTOLO
Qu'à cela ne tienne. Il est dans ce bureau.
LE COMTE, pendant qu'il y va, dit, sans quitter sa place
Ah! ma belle Rosine!
ROSINE
Quoi, Lindor, c'est-vous?
LE COMTE98
Recevez au moins cette lettre.
ROSINE
Prenez garde, il a les yeux sur nous.
LE COMTE
Tirez votre mouchoir, je la laisserai tomber.
(Il s'approche.)
BARTOLO
Doucement, doucement, Seigneur Soldat, je n'aime point qu'on regarde ma femme de si près.
LE COMTE
Elle est votre femme?
BARTOLO
Eh! quoi donc?
LE COMTE
Je vous ai pris pour son bisaïeul paternel, maternel, sempiternel; il y a au moins trois générations entr'elle et vous99.
BARTOLO lit un parchemin
«Sur les bons et fidèles témoignages qui nous ont été rendus…»
LE COMTE donne un coup de main sous les parchemins, qui les envoie au plancher
Est-ce que j'ai besoin de tout ce verbiage?
BARTOLO100
Savez-vous bien, Soldat, que si j'appelle mes gens, je vous fais traiter sur le champ comme vous le méritez?
LE COMTE
Bataille? Ah! volontiers, Bataille! c'est mon métier à moi. (Montrant son pistolet de ceinture.) Et voici de quoi leur jetter de la poudre aux yeux. Vous n'avez peut-être jamais vu de Bataille, Madame?
ROSINE
Ni ne veux en voir.
LE COMTE
Rien n'est pourtant aussi gai que Bataille. Figurez-vous (Poussant le Docteur) d'abord que l'ennemi est d'un côté du ravin, et les amis de l'autre. (A Rosine, en lui montrant la lettre.) Sortez le mouchoir. (Il crache à terre.) Voilà le ravin, cela s'entend101.
ROSINE tire son mouchoir, le Comte laisse tomber sa lettre entre elle et lui
BARTOLO, se baissant
Ah! ah!..
LE COMTE la reprend et dit
Tenez… moi qui allois vous apprendre ici les secrets de mon métier… Une femme bien discrette en vérité! Ne voilà-t-il pas un billet doux qu'elle laisse tomber de sa poche102?
BARTOLO
Donnez, donnez.
LE COMTE
Dulciter, Papa! chacun son affaire. Si une ordonnance de rhubarbe étoit tombée de la vôtre?..
ROSINE avance la main
Ah! je sais ce que c'est, Monsieur le Soldat.
(Elle prend la lettre, qu'elle cache dans la petite poche de son tablier103.)
BARTOLO
Sortez-vous enfin?
LE COMTE
Eh bien, je sors; adieu, Docteur; sans rancune. Un petit compliment, mon cœur: priez la mort de m'oublier encore quelques campagnes; la vie ne m'a jamais été si chère.
BARTOLO
Allez toujours, si j'avois ce crédit-là sur la mort…
LE COMTE
Sur la mort? Ah! Docteur! vous faites tant de choses pour elle, qu'elle n'a rien à vous refuser.
(Il sort.)
SCENE XV
BARTHOLO, ROSINE
BARTOLO le regarde aller
Il est enfin parti. (A part.) Dissimulons.
ROSINE
Convenez pourtant, Monsieur, qu'il est bien gai ce jeune Soldat! A travers son ivresse, on voit qu'il ne manque ni d'esprit ni d'une certaine éducation.
BARTOLO
Heureux, m'amour, d'avoir pu nous en délivrer! mais n'es-tu pas un peu curieuse de lire avec moi le papier qu'il t'a remis?
ROSINE
Quel papier?
BARTOLO
Celui qu'il a feint de ramasser pour te le faire accepter.
ROSINE
Bon! c'est la lettre de mon cousin l'Officier, qui étoit tombée de ma poche.
BARTOLO
J'ai idée, moi, qu'il l'a tirée de la sienne.
ROSINE
Je l'ai très-bien reconnue.
BARTOLO
Qu'est-ce qu'il coûte d'y regarder?
ROSINE
Je ne sais pas seulement ce que j'en ai fait.
BARTOLO, montrant la pochette
Tu l'as mise là.
ROSINE
Ah! ah! par distraction.
BARTOLO
Ah! sûrement. Tu vas voir que ce sera quelque folie.
ROSINE, à part
Si je ne le mets pas en colere, il n'y aura pas moyen de refuser.
BARTOLO
Donnes donc, mon cœur.
ROSINE
Mais quelle idée avez-vous en insistant, Monsieur? Est-ce encore quelque méfiance?
BARTOLO
Mais, vous! Quelle raison avez-vous de ne pas le montrer?
ROSINE
Je vous répète, Monsieur, que ce papier n'est autre que la lettre de mon cousin, que vous m'avez rendue hier toute décachetée; et puisqu'il en est question, je vous dirai tout net que cette liberté me déplaît excessivement.
BARTOLO
Je ne vous entends pas!
ROSINE
Vais-je examiner les papiers qui vous arrivent? Pourquoi vous donnez-vous les airs de toucher à ceux qui me sont adressés? Si c'est jalousie, elle m'insulte; s'il s'agit de l'abus d'une autorité usurpée, j'en suis plus révoltée encore.
BARTOLO
Comment révoltée! Vous ne m'avez jamais parlé ainsi.
ROSINE
Si je me suis modérée jusqu'à ce jour, ce n'étoit pas pour vous donner le droit de m'offenser impunément.
BARTOLO
De quelle offense parlez-vous?
ROSINE
C'est qu'il est inoui qu'on se permette d'ouvrir les lettres de quelqu'un.
BARTOLO
De sa femme?
ROSINE
Je ne la suis pas encore. Mais pourquoi lui donneroit-on la préférence d'une indignité qu'on ne fait à personne?
BARTOLO
Vous voulez me faire prendre le change et détourner mon attention du billet, qui, sans doute, est une missive de quelqu'amant! mais je le verrai, je vous assure.
ROSINE
Vous ne le verrez pas. Si vous m'approchez, je m'enfuis de cette maison, et je demande retraite au premier venu.
BARTOLO
Qui ne vous recevra point.
ROSINE
C'est ce qu'il faudra voir.
BARTOLO
Nous ne sommes pas ici en France, où l'on donne toujours raison aux femmes; mais pour vous en ôter la fantaisie, je vais fermer la porte.
ROSINE, pendant qu'il y va
Ah Ciel! que faire?.. Mettons vîte à la place la lettre de mon cousin, et donnons-lui beau jeu à la prendre. (Elle fait l'échange, et met la lettre du cousin dans la pochette, de façon qu'elle sort un peu.)
BARTOLO, revenant
Ah! j'espère maintenant la voir.
ROSINE
De quel droit, s'il vous plaît?
BARTOLO
Du droit le plus universellement reconnu, celui du plus fort104.
ROSINE
On me tuera plutôt que de l'obtenir de moi.
BARTOLO, frappant du pied
Madame! Madame!..
ROSINE tombe sur un fauteuil et feint de se trouver mal
Ah! quelle indignité!..
BARTOLO
Donnez cette lettre, ou craignez ma colere.
ROSINE, renversée
Malheureuse Rosine!
BARTOLO
Qu'avez-vous donc?
ROSINE
Quel avenir affreux!
BARTOLO
Rosine!
ROSINE
J'étouffe de fureur!
BARTOLO
Elle se trouve mal.
ROSINE105
Je m'affaiblis, je meurs.
BARTOLO, à part
Dieux! la lettre! Lisons-la sans qu'elle en soit instruite. (Il lui tâte le poulx et prend la lettre, qu'il tâche de lire en se tournant un peu.)
ROSINE, toujours renversée
Infortunée! ah!..
BARTOLO lui quitte le bras, et dit à part
Quelle rage a-t-on d'apprendre ce qu'on craint toujours de savoir!
ROSINE
Ah! pauvre Rosine!
BARTOLO106
L'usage des odeurs… produit ces affections spasmodiques. (Il lit par derriere le fauteuil, en lui tâtant le poulx. Rosine se relève un peu, le regarde finement, fait un geste de tête, et se remet sans parler.)
BARTOLO, à part
O Ciel! c'est la lettre de son cousin. Maudite inquiétude! Comment l'appaiser maintenant? Qu'elle ignore au moins que je l'ai lue! (Il fait semblant de la soutenir et remet la lettre dans la pochette.)
ROSINE soupire
Ah!..
BARTOLO
Eh bien! ce n'est rien, mon enfant; un petit mouvement de vapeurs, voilà tout; car ton poulx n'a seulement pas varié. (Il va prendre un flacon sur la console.)
ROSINE, à part
Il a remis la lettre: fort bien107!
BARTOLO
Ma chere Rosine, un peu de cette eau spiritueuse.
ROSINE
Je ne veux rien de vous; laissez-moi.
BARTOLO108
Je conviens que j'ai montré trop de vivacité sur ce billet.
ROSINE
Il s'agit bien du billet. C'est votre façon de demander les choses qui est révoltante.
BARTOLO, à genoux
Pardon; j'ai bientôt senti tous mes torts, et tu me vois à tes pieds, prêt à les réparer.
ROSINE
Oui, pardon! Lorsque vous croyez que cette lettre ne vient pas de mon cousin.
BARTOLO
Qu'elle soit d'un autre ou de lui, je ne veux aucun éclaircissement.
ROSINE, lui présentant la lettre
Vous voyez qu'avec de bonnes façons, on obtient tout de moi. Lisez-la.
BARTOLO
Cet honnête procédé dissiperoit mes soupçons si j'étois assez malheureux pour en conserver.
ROSINE
Lisez-la donc, Monsieur.