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Kitabı oku: «Les derniers jours de Pékin», sayfa 7

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IV

Lundi 22 octobre.

Des équipes de Chinois – parmi lesquels on nous a prévenus qu’il y a des espions et des Boxers – entretenant dans notre palais le feu de deux fours souterrains, nous ont chauffés toute la nuit par en dessous, plutôt trop. A notre réveil d’ailleurs, c’est comme hier une illusion d’été, sous nos légères vérandas, aux colonnettes vertes peinturlurées de lotus roses. Et un soleil tout de suite brûlant monte et rayonne sur le pèlerinage presque macabre que je vais faire à cheval, vers l’Ouest, en dehors de la «Ville tartare», à travers le silence de faubourgs détruits, parmi des ruines et de la cendre.

De ce côté, dans la poussiéreuse campagne, étaient des cimetières chrétiens qui, même en 1860, n’avaient pas été violés par la populace jaune. Mais cette fois on s’est acharné contre ces morts, et c’est là partout le chaos et l’abomination; les plus vieux ossements, les restes des missionnaires qui dormaient depuis trois siècles, ont été déterrés, concassés, pilés avec rage, et puis jetés au feu afin d’anéantir, suivant la croyance chinoise, ce qui pouvait encore y rester d’âme. – Et il faut être un peu au courant des idées de ce pays pour comprendre l’énormité de cette suprême insulte, faite du même coup à toutes nos races occidentales.

Il était singulièrement somptueux, ce cimetière des Pères Jésuites, qui furent jadis si puissants auprès des empereurs Célestes, et qui empruntaient, pour leurs propres tombes les emblèmes funéraires des princes de la Chine. La terre est jonchée à présent de leurs grands dragons de marbre, de leurs grandes tortues de marbre, de leurs hautes stèles enroulées de chimères; on a renversé, brisé toutes ces sculptures, brisé aussi les lourdes pierres des caveaux, et profondément retourné le sol.

Un plus modeste enclos, près de celui-là, recevait depuis de longues années les morts des légations européennes. Il a subi la même injure que le beau cimetière des Jésuites: on a fouillé toutes les fosses, broyé tous les cadavres, violé même de petits cercueils d’enfant. Quelques débris humains, quelques morceaux de crâne ou de mâchoires traînent encore par terre, avec les croix renversées. Et c’est une des plus poignantes désolations qui se soient jamais étalées devant mes yeux au soleil d’un radieux matin.

Tout à côté demeuraient des bonnes Soeurs, qui tenaient une école de petites Chinoises: il ne reste plus de leurs modestes maisons qu’un amas de briques et de cendres; on a même arraché les arbres de leurs jardins pour les repiquer la tête en bas, par ironie.

Et voici à peu près leur histoire.

Elles étaient seules, la nuit où un millier de Boxers vinrent hurler à la mort sous leurs murs, en jouant du gong; alors elles se mirent en prières dans leur chapelle pour attendre le martyre. Cependant les clameurs s’apaisèrent, et quand le jour se leva, les alentours étaient vides; elles purent se sauver à Pékin et s’abriter dans l’enclos de l’évêché, emmenant le troupeau épouvanté de leurs petites élèves. Lorsqu’on demanda par la suite aux Boxers: «Comment n’êtes-vous pas entrés pour les tuer?» Ils répondirent: «C’est que nous avons vu tous les murs du couvent se garnir de têtes de soldats et de canons de fusil.» Elles ne durent la vie qu’à cette hallucination des tortionnaires.

Les puits de leurs jardins dévastés remplissent aujourd’hui le voisinage d’une odeur de mort. C’étaient trois grands puits ouverts, larges comme des citernes, fournissant une eau si pure qu’on l’envoyait de loin chercher pour le service des légations. Les Boxers les ont comblés jusqu’à la margelle avec les corps mutilés des petits garçons de l’école des Frères et des familles chrétiennes d’alentour. Les chiens tout de suite sont venus manger à même l’horrible tas, qui montait au niveau du sol; mais il y en avait trop; aussi beaucoup de cette chair est-elle restée, se conservant dans la sécheresse et dans le froid, – et montrant encore des stigmates de supplice. Telle pauvre cuisse a été zébrée de coupures, comme ces entailles faites sur les miches de pain par les boulangers. Telle pauvre main n’a plus d’ongles. Et voici une femme à qui l’on a tranché, avec quelque coutelas, une partie intime de son corps pour la lui mettre dans la bouche, où les chiens l’ont laissée entre les mâchoires béantes… On dirait du sel, sur ces cadavres, et c’est de la gelée blanche qui n’a pas fondu dans les affreux replis d’ombre. Le soleil cependant, l’implacable et clair soleil, détaille les maigreurs, les saillies d’os, exagère l’horreur des bouches ouvertes, la rigidité des poses d’angoisse et des contournements d’agonie.

Pas un nuage aujourd’hui; un ciel profond et pâle, d’où tombe une étincelante lumière. – Et il en sera ainsi tout l’hiver, paraît-il, même pendant les plus grands froids, les temps sombres, – les pluies, les neiges étant à Pékin des exceptions très rares.

Après notre bref déjeuner de soldats, servi dans les précieuses porcelaines, au milieu de la longue galerie vitrée, je quitte notre «palais du Nord» pour m’installer au travail, sur l’autre rive, dans ce kiosque dont j’ai fait choix hier matin. Il est environ deux heures; un vrai soleil d’été, dirait-on, rayonne sur mon chemin solitaire, sur les blancheurs du Pont de Marbre, sur les vases du lac et sur les cadavres qui dorment parmi les feuilles gelées des lotus.

A l’entrée du palais de la Rotonde, les hommes de garde m’ouvrent et referment derrière moi, sans me suivre, les battants de laque rouge. Je gravis le plan incliné qui mène à l’esplanade, et me voici seul, largement seul, dans le silence de mon jardin suspendu et de mon palais étrange.

Pour se rendre à mon cabinet de travail, il faut passer par d’étroits couloirs aux fines boiseries, qui se contournent dans la pénombre, entre de vieux arbres et des rocailles très maniérées. Ensuite, c’est le kiosque inondé de lumière; le beau soleil tombe sur ma table, sur mes sièges noirs et mes coussins jaune d’or; le beau soleil mélancolique d’octobre illumine et chauffe ce réduit d’élection, où l’Impératrice, paraît-il, aimait venir s’asseoir et contempler de haut son lac tout rose de fleurs.

Contre les vitres, les derniers papillons, les dernières guêpes battent des ailes, prolongés par cette chaleur de serre. Devant moi, s’étend ce grand lac impérial, que le Pont de Marbre traverse; sur les deux rives, des arbres séculaires lui font comme une ceinture de forêt, d’où s’élèvent des toits compliqués de palais ou de pagodes, qui sont de merveilleux amas de faïences. Comme dans les paysages peints sur éventail chinois, il y a, aux tout premiers plans, la mignardise des rocailles, les petits monstres d’émail d’un kiosque voisin, et, tranchant sur les lointains clairs, des branches noueuses qui retombent de quelque vieux cèdre.

Je suis seul, largement et délicieusement seul, et très haut perché, parmi des splendeurs dévastées et muettes, dans un lieu inaccessible dont les abords sont gardés par des sentinelles. Parfois, un cri de corbeau. Ou bien, de loin en loin, le galop d’un cheval, en bas, au pied du rempart où pose mon habitation frêle: quelque estafette militaire qui passe. Autrement rien; pas un bruit proche pour troubler le calme ensoleillé de ma retraite, pas une surprise possible, pas une visite…

* * * * *

Je travaille depuis une heure, quand un très léger frôlement derrière moi, du côté des petits couloirs d’entrée, me donne le sentiment de quelque discrète et gentille présence, et je me retourne: un chat, qui s’arrête court, une patte en l’air, hésitant, et me regarde bien dans les yeux, avec un air de dire: «Qui es-tu toi? Et qu’est-ce que tu fais ici?…»

Je l’appelle tout bas; il répond par un miaulement plaintif, – et je me remets à écrire, toujours plein de tact avec les chats, sachant très bien que, pour une première entrevue, il n’y a pas à insister davantage.

Un très joli chat, blanc et jaune, qui a l’air distingué, élégant et même grand seigneur.

Un moment après, tout contre ma jambe, le frôlement est renouvelé; alors je fais descendre avec lenteur, en plusieurs temps, ma main jusqu’à la petite tête veloutée qui, après un soubresaut, se laisse caresser, s’abandonne. C’est fini, la connaissance est faite. – Un chat habitué aux caresses, c’est visible, un familier de l’Impératrice vraisemblablement. Demain et chaque jour, je prierai mon ordonnance de lui apporter une collation froide, prise sur mes vivres de campagne.

* * * * *

Elle finit avec le jour, l’illusion d’été, en ces climats. Le soleil, à l’heure où il s’abaisse, énorme et rouge, derrière le Lac des Lotus, prend tout à coup son air triste de soleil d’hiver, en même temps qu’un frisson passe sur les choses et que, soudainement, tout devient funèbre dans le palais vide. Alors, pour la première fois de la journée, j’entends des pas qui s’approchent, résonnant au milieu du silence sur les dalles de l’esplanade: mes serviteurs, Osman et Renaud, qui viennent me chercher comme ils en ont la consigne; ce sont d’ailleurs les seuls êtres humains pour qui la porte du rempart, au-dessous de moi, ait reçu l’ordre de s’ouvrir.

Il fait un froid glacial et la buée de chaque soir commence de former nuage sur le Lac des Lotus quand nous retraversons le Pont de Marbre, au crépuscule, pour rentrer chez nous.

* * * * *

Après le souper, par nuit noire, chasse à l’homme, dans les salles et les cours de notre palais. Les précédentes nuits, à travers la transparence des vitrages, nous avions aperçu d’inquiétantes petites lumières – tout de suite éteintes si nous faisions du bruit – circulant dans les galeries inhabitées et un peu lointaines, comme des feux follets. Et la battue de ce soir amène la capture de trois inconnus, arrivée par-dessus les murs avec coutelas et fanal sourd, pour piller dans les réserves impériales: deux Chinois et un Européen, soldat d’une nation alliée. Afin de ne pas susciter d’histoires, on se contente de les mettre dehors, amplement giflés et bâtonnés.

V

Mardi 23 octobre.

Il a gelé plus fort cette nuit, et le sol des cours est couvert de petits cristaux blancs quand nous commençons, dans les galeries et les dépendances du palais, nos explorations de chaque matin.

Tout ce qui fut jadis logements de missionnaires lazaristes ou salles d’école est bondé de caisses; il y a là des réserves de soie et des réserves de thé; il y a aussi des amas de vieux bronzes, vases ou brûle-parfums, empilés jusqu’à hauteur d’homme.

Mais c’est encore l’église qui demeure la mine la plus extraordinaire, la caverne d’Ali-Baba, la plus remplie. Outre les objets anciens apportés de la «Ville violette», l’Impératrice y avait fait entasser tous les cadeaux reçus, il y a deux ans, pour son jubilé. (Et le défilé des mandarins qui, en cette occasion, apportèrent des présents à la souveraine avait, paraît-il, une lieue de longueur et dura toute une journée.)

* * * * *

Dans la nef, dans les bas-côtés, les monceaux de caisses et de boîtes s’élèvent jusqu’à mi-hauteur des colonnes. Malgré les bouleversements, malgré les pillages faits à la hâte par ceux qui nous ont précédés ici, Chinois, Japonais, soldats allemands ou russes, il reste encore des merveilles. Les plus énormes coffres, ceux d’en dessous, préservés par leur lourdeur même et par les amas de choses qui les recouvraient, n’ont même pas été ouverts. On s’est attaqué plutôt aux innombrables bibelots posés par-dessus, et enfermés pour la plupart dans des guérites de verre ou des écrins de soie jaune: bouquets artificiels en agate, en jade, en corail, en lapis; pagodes et paysages tout bleus, en plumes de martin-pêcheur prodigieusement travaillées; pagodes et paysages en ivoire, avec des milliers de petits bonshommes; oeuvres de patience chinoise, ayant coûté des années de travail, et aujourd’hui brisées, crevées à coups de baïonnette, les débris de leurs grandes boîtes de verre jonchant le sol et craquant sous les pas.

Les robes impériales, en lourde soie, brochées de dragons d’or, traînent par terre, parmi les cassons de toute espèce. On marche dessus; on marche sur des ivoires ajourés, sur des vitres, des broderies, des perles.

* * * * *

Il y a des bronzes millénaires, pour les collections d’antiquités de l’Impératrice; il y a des paravents que l’on dirait sculptés et brodés par les génies et les fées; il y a des potiches anciennes, des cloisonnés, des craquelés, des laques. Et certaines caisses en dessous, portant l’adresse d’empereurs défunts depuis un siècle, renferment encore des présents qui étaient venus pour eux des provinces éloignées et que personne n’avait jamais pris la peine de déballer. La sacristie enfin de l’étonnante cathédrale contient, dans des séries de cartons, tous les somptueux costumes pour les acteurs du théâtre de l’Impératrice, avec leurs coiffures à la mode des vieux temps chinois.

Cette église, emplie de richesses païennes, a gardé là-haut ses orgues, muettes depuis quelque trente ans. Et nous montons, mon camarade et moi, dans la tribune, pour faire à nouveau résonner sous la voûte des chants de Bach ou d’Hændel, tandis qu’en bas nos chasseurs d’Afrique, enfoncés jusqu’aux genoux dans les ivoires, dans les soies, dans les costumes de cour, continuent de travailler au déblayement.

* * * * *

Vers dix heures ce matin, par les sentiers du grand bois impérial, qu’habitent en ces jours d’abomination les chiens, les pies et les corbeaux, je m’en vais, de l’autre côté de la «Ville violette», visiter le «Palais des ancêtres», gardé aujourd’hui par notre infanterie de marine, et qui était le saint des saints, le panthéon des empereurs morts, le temple dont on n’approchait même pas.

C’est dans une région particulièrement ombreuse; en avant de la porte d’entrée, les arcs de triomphe laqués de vert, de rouge et d’or, tourmentés et légers sur des pieds frêles, s’emmêlent aux ramures sombres: les énormes cèdres, les énormes cyprès tordus de vieillesse abritent et font verdir les monstres de marbre accroupis devant le seuil.

* * * * *

Une fois franchie la première enceinte, on en trouve naturellement une seconde. Toujours à l’ombre froide des vieux arbres, les cours se succèdent, magnifiquement funèbres, pavées de larges dalles entre lesquelles pousse une herbe de cimetière; chacun des cèdres, chacun des cyprès qui jette là son obscurité est entouré à la base d’une ceinture de marbre et semble sortir d’une corbeille sculptée. Tout est saupoudré de milliers de petites aiguilles résineuses qui éternellement tombent des branches. Des brûle-parfums géants, en bronze terni par les siècles, posent sur des socles, avec des emblèmes de mort.

Les choses, ici, portent un sceau jamais vu de vétusté et de mystère.

Et c’est bien un lieu unique, hanté par des mânes d’empereurs chinois.

Sur les côtés, des temples secondaires, dont les murailles de laque et d’or ont pris avec le temps des nuances de vieux cuir de Cordoue, renferment les pièces démontées des énormes catafalques, et les emblèmes, les objets sacrés pour l’accomplissement des rites funéraires. Là, tout est incompréhensible et d’aspect effroyable; on se sent profondément étranger à l’énigme des formes et des symboles.

Enfin, dans la dernière cour, sur une terrasse de marbre blanc, où sont postées en faction des biches de bronze, le palais des Ancêtres dresse sa façade aux ors ternis et sa haute toiture de faïence jaune.

* * * * *

C’est une salle unique, immense, grandiose et sombre, tout en or fané, mourant, passé au rougeâtre de cuivre. Au fond, s’alignent neuf portes mystérieuses, dont les doubles battants somptueux ont été scellés de cachets à la cire. Au milieu, sont restées les tables sur lesquelles on posait pieusement les repas pour les Mânes des ancêtres – et où, le jour de la prise de la «Ville jaune», nos soldats qui avaient faim furent heureux de trouver toute servie une collation imprévue. Et à chaque extrémité de la salle sonore, des carillons et des instruments à cordes attendent l’heure, qui ne reviendra peut-être jamais plus, de faire de la musique aux Ombres; longues cithares horizontales, rendant des sons graves et que supportent des monstres d’or aux yeux fermés; carillons gigantesques, l’un de cloches, l’autre de plaques de marbre et de jade suspendues par des chaînes d’or, et tous deux surmontés de grandes bêtes fantastiques, qui déploient leurs ailes d’or, dans la pénombre éternelle, vers les plafonds d’or.

Il y a aussi des armoires de laque, grandes comme des maisons, contenant des collections de peintures anciennes roulées sur des bâtons d’ébène ou d’ivoire et enveloppées dans des soies impériales.

Il en est de merveilleuses, – révélation d’un art chinois que l’on ne soupçonne guère en Occident, d’un art au moins égal au nôtre, bien que profondément dissemblable. Portraits d’empereurs en chasse ou en rêverie solitaire dans des forêts, dans des sites sauvages qui donnent l’effroi et le nostalgique désir de la nature d’autrefois, du monde inviolé des rochers, et des arbres. Portraits d’impératrices mortes, peints à l’aquarelle sur des soies bises, et rappelant un peu la grâce candide des Primitifs italiens; portraits pâles, pâles, presque incolores, comme si c’étaient plutôt des reflets de personnes, vaguement fixés et prêts à fuir; la perfection du modelé, obtenue avec rien, mais toute l’intensité concentrée dans les yeux que l’on sent ressemblants et qui vous font vivre, pour une étrange minute, face à face avec des princesses passées, endormies depuis des siècles sous les mausolées prodigieux… Et toutes ces peintures étaient des choses sacro-saintes, que jamais les Européens n’avaient vues, dont ils ne se doutaient même pas.

* * * * *

D’autres rouleaux, tout en longueur, qui, déployés sur les dalles, ont bien six ou huit mètres, représentent des cortèges, des réceptions à la Cour, des défilés d’ambassades, de cavaliers, d’armées, d’étendards: milliers de petits bonshommes dont les vêtements, les broderies, les armes supporteraient qu’on les regardât à la loupe. L’histoire du costume et du cérémonial chinois à travers les âges tient tout entière dans ces précieuses miniatures. – Nous y trouvons même la réception, par je ne sais quel empereur, d’une ambassade de Louis XIV: petits personnages aux figures très françaises, habillés comme pour se pavaner à Versailles, avec la perruque à l’instar du Roi-Soleil.

* * * * *

Dans le fond du temple, les neuf portes magnifiques, aux battants scellés, ferment les autels mortuaires de neuf empereurs. On veut bien briser pour moi les cachets de cire rouge et déchirer les bandelettes de toile à l’une de ces entrées si défendues, et je pénètre dans un des sanctuaires très sacrés, – celui du grand empereur Kouang-Su, dont la gloire resplendissait au commencement du XVIIIe siècle. Un sergent m’accompagne par ordre dans cette profanation, tenant à la main une bougie allumée qui semble brûler ici à regret, dans l’air plus rare et le froid du sépulcre.

Le temple était déjà bien sombre; mais à présent c’est la nuit noire, et on dirait qu’on a jeté de la terre et de la cendre sur les choses: toujours cette poussière, qui s’accumule sans trêve sur Pékin, comme un indice de vétusté et de mort. Passant de la lumière du jour, si amortie qu’elle soit, à la lueur d’une petite bougie effarée dans des ténèbres, on y voit d’abord confusément, et il y a une hésitation de la première minute, surtout si le lieu est saisissant par lui-même. J’ai devant moi un escalier de quelques marches, montant à une sorte de tabernacle qui me paraît chargé d’objets d’un art presque inconnu.

Et, à droite et à gauche, fermés par des serrures compliquées, sont des bahuts austères, en laque noir, dont il m’est permis de visiter l’intérieur: dans leurs compartiments, dans leurs doubles fonds à secret, ont été ensevelis par centaines les cachets impériaux de ce souverain, lourds cachets frappés pour toutes les circonstances de sa vie et tous les actes de son règne, en blocs d’onyx, de jade ou d’or; reliques sans prix auxquelles on ne devait plus toucher après les funérailles et qui dormaient là depuis deux fois cent ans.

Je monte ensuite au tabernacle, et le sergent promène sa petite bougie devant les merveilles qui sont là, sceptres de jade, vases aux formes d’une simplicité étrange et exquise, ou d’une complication déroutante, en jade sombre, en jade blême, en cloisonné sur or, ou en or massif… Et derrière cet autel, dans un recul d’obscurité, une grande figure, que je n’avais pas aperçue encore, me suit d’un regard oblique entre deux rideaux de soie jaune impérial, dont tous les plis sont devenus presque noirs de poussière: un pâle portrait de l’empereur défunt, un portrait en pied de grandeur naturelle, si effacé à la lueur de notre misérable bougie barbare, que l’on dirait l’image d’un fantôme reflétée dans une glace ternie… Or, quel sacrilège sans nom, aux yeux de ce mort, l’ouverture par nous des bahuts où reposent ses cachets, et rien que notre seule présence, dans ce lieu impénétrable entre tous, au milieu d’une impénétrable ville!…

Quand tout est soigneusement refermé, quand on a remis en place les scellés de cire rouge et rendu le pâle reflet du vieil empereur à son silence, à ses ténèbres habituelles, j’ai hâte de sortir du froid tombal qu’il fait ici, de respirer plus d’air, de retrouver sur la terrasse, à côté des bêtes de bronze, un peu du soleil d’automne filtré entre les branches des cèdres.

Je vais aujourd’hui déjeuner à l’extrême nord du bois impérial, invité par des officiers français qui sont logés là, au «Temple des vers à soie». Et chez eux, c’est encore un admirable vieux sanctuaire, précédé de cours pompeuses, où des vases de bronze décorent des terrasses de marbre. – Un monde de temples et de palais dans la verdure, cette «Ville jaune». Jusqu’au mois dernier, les voyageurs qui croyaient visiter la Chine et pour qui tout cela restait muré, interdit, vraiment ne pouvaient rien imaginer du Pékin merveilleux que la guerre vient de nous ouvrir.

* * * * *

Quand, vers deux heures, je reprends le chemin de mon palais de la Rotonde, un brûlant soleil rayonne sur les cèdres noirs, sur les saules qui s’effeuillent; comme en été, on recherche l’ombre. Et, près de ma porte, à l’entrée du Pont de Marbre, mes mornes voisins, les deux cadavres en robe bleue qui gisent parmi les lotus, baignent dans une ironique splendeur de lumière.

Après que les soldats de garde ont refermé derrière moi l’espèce de poterne basse par où l’on accède à mes jardins suspendus, me voici de nouveau seul dans le silence, – jusqu’à l’heure où les rayons de ce soleil, tombant plus obliques et plus rougis sur ma table à écrire, m’annonceront le triste soir.

* * * * *

A peine suis-je installé au travail qu’un petit coup de tête amical, discrètement frappé contre ma jambe pour appeler mon attention, m’annonce la visite du chat. – Je l’avais d’ailleurs prévue, cette visite, et je dois m’attendre à la recevoir à présent chaque jour.

Une heure passe, dans un calme idéal, traversé tout au plus de deux ou trois cris de corbeau. Et puis j’entends, au pied de mon rempart, un galop de cavalerie, très bruyant sur les dalles de pierre de la route: c’est le feld-maréchal de Waldersee, suivi d’une escorte de soldats portant des fanions au bout de leurs lances. Il rentre chez lui, dans le palais qu’il habite non loin d’ici, et qui est la plus somptueuse de toutes les résidences de l’Impératrice. Je suis des yeux sur le Pont de Marbre la chevauchée qui s’éloigne, tourne à gauche, se perd derrière les arbres. Et le silence aussitôt revient, absolu comme devant.

De temps à autre, je vais me promener sur mes hautes terrasses dallées, y découvrant chaque fois des choses nouvelles. Au pied de mes cèdres, il y a d’énormes tam-tams pour appeler les Esprits; il y a des plates-bandes de chrysanthèmes jaunes et d’oeillets d’Inde jaunes, auxquels la gelée a laissé quelques fleurs; il y a une sorte de dais, en faïence et en marbre, abritant un objet d’aspect au premier abord indéfinissable: l’un des plus gros blocs de jade qui soient au monde, taillé à l’imitation d’un flot de la mer, avec des monstres luttant au milieu de l’écume.

Je vais aussi visiter les kiosques déserts, qui sont encore meublés de trônes d’ébène, de divans et de coussins de soie jaune, et qui ressemblent à des nids d’amour clandestin. – Sans doute, en effet, la belle souveraine, vieillie et encore galante, y venait-elle s’isoler avec ses favoris, dans les soies impériales et la pénombre complice.

* * * * *

Aujourd’hui, en ce palais de rêve, ma seule compagne est la grande déesse d’albâtre en robe d’or, qui sourit toujours à ses vases brisés et à ses fleurs fanées; mais son temple, où n’entre pas le soleil, est éternellement glacial et devient obscur avant l’heure.

Maintenant, du reste, c’est décidément le soir: le froid commence de me prendre, même dans mon kiosque vitré. Le soleil, qui sur notre France est à son apogée méridienne, ici tombe, tombe, triste boule rouge qui n’a plus ni chaleur ni rayons, et qui va s’abîmer derrière le Lac des Lotus, dans une buée d’hiver.

En quelques minutes, arrive le froid des nuits; j’ai la sensation comme d’une descente brusque dans un caveau plein de glace, – en même temps que je retrouve la petite furtive angoisse d’être exilé très loin, au milieu d’étrangetés qui s’assombrissent.

Et j’accueille en amis mes deux serviteurs qui viennent me chercher pour rentrer au palais du Nord, m’apportant un manteau.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
260 s. 1 illüstrasyon
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