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Kitabı oku: «Les derniers jours de Pékin», sayfa 9

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IX

Il est presque nuit close, quand je rentre au logis. Les grands brasiers de chaque soir sont allumés déjà dans les fours souterrains, et une douce chaleur commence de monter du sol, à travers l’épaisseur des tapis jaune d’or. On a maintenant des impressions de chez soi, de bien-être et de confortable dans ce palais qui nous avait fait le premier jour un accueil mortel.

Je dîne comme d’habitude à la petite table d’ébène un peu perdue dans la longue galerie aux fonds obscurs, en compagnie de mon camarade le capitaine C…, qui a découvert dans la journée de nouveaux bibelots merveilleux et les a fait momentanément placer ici pour en jouir au moins un soir.

* * * * *

C’est d’abord un nouveau trône, d’un style que nous ne connaissions pas; des écrans de taille colossale, qui posent sur des socles d’ébène et représentent des oiseaux étincelants livrant bataille à des singes, parmi des fleurs de rêve; des girandoles qui dormaient depuis le XVIIIe siècle dans leurs caisses capitonnées de soie jaune, et qui maintenant descendent de nos arceaux ajourés, retombent en pluie de perles et d’émail au-dessus de nos têtes, – et tant d’autres indescriptibles choses, ajoutées depuis aujourd’hui à la profusion de nos richesses d’art lointain.

Mais c’est la dernière fois que nous jouissons de notre galerie dans son intégrité et sa profondeur; demain il va falloir d’abord renvoyer et étiqueter parmi les réserves la plupart de ces objets qui amusaient nos yeux, et puis tout en réservant un salon convenable pour le général, qui doit hiverner ici, faire couper, en plusieurs places, cette aile de palais par des cloisons légères, y préparer des logements et des bureaux pour l’état-major. – Et ce sera la besogne du capitaine C…, qui est ici improvisé architecte et intendant suprême, tandis que je reste, moi, l’hôte de passage, ayant voix consultative seulement.

* * * * *

Donc, ce soir, c’est le dernier tableau et l’apogée de notre petite fantasmagorie impériale, aussi allons-nous prolonger la veillée plus que de coutume. Et, ayant eu pour une fois l’enfantillage de revêtir les somptueuses robes asiatiques, nous nous étendons sur des coussins dorés, appelant à notre aide l’opium, très favorable aux imaginations un peu lasses et blasées, ainsi que les nôtres ont malheureusement commencé d’être… Hélas! combien notre solitude dans ce palais nous eût semblé magique, sans le secours d’aucun avatar, quelques années plus tôt!…

C’est un opium exquis, il va sans dire, dont la fumée, tournant en petites spirales rapides, a tout de suite fait d’alourdir l’air en l’embaumant. Par degrés, il nous apportera l’extase chinoise, l’oubli, l’allègement, l’impondérabilité, la jeunesse.

* * * * *

Absolu silence au dehors, car le poste des soldats – d’ailleurs endormis – est fort loin de nous; absolu silence, cours désertes où il gèle, et nuit noire. La galerie, dont les extrémités se perdent dans l’imprécision obscure, devient de plus en plus tiède; la chaleur des fours souterrains s’y appesantit, entre ces parois de vitres et de papier collé qui seraient si frêles pour nous garantir des surprises de l’extérieur, mais qui font les salles si hermétiquement closes et propices à l’intoxication par les parfums.

Étendus très mollement sur des épaisseurs soyeuses, nous regardons fuir le plafond, l’enfilade des arceaux de bois précieux sculptés en dentelles, d’où retombent les lanternes ruisselantes de perles. Des chimères d’or brillent discrètement çà et là sur des soies jaunes et vertes aux replis lourds. Les hauts paravents, les hauts écrans de cloisonné, de laque ou d’ébène, qui sont le grand luxe de la Chine, font partout des recoins, des cachettes de luxe et de mystère, peuplés de potiches, de bronzes, de monstres aux yeux de jade qui observent en louchant…

Absolu silence. Mais, dans le lointain, par intervalles, quelqu’un de ces coups de feu qui ne manquent jamais de ponctuer ici la torpeur nocturne, ou bien un cri d’alarme, un cri de détresse: escarmouches entre postes européens et rôdeurs chinois; sentinelles, effarées par les cadavres et par la nuit, qui tirent peut-être sur des ombres.

Aux premiers plans qu’éclaire notre lampe, les seules choses très lumineuses, dont le dessin et les couleurs se gravent, comme par obsession, dans nos yeux maintenant immobilisés, sont quatre brûle-parfums géants, de forme hiératique, en cloisonné adorablement bleu, qui posent sur des éléphants d’or. Ils se détachent, précis, en avant de panneaux en laque noire, semés d’une envolée de longues ailes blanches, traversés d’une fuite éperdue de grands oiseaux dont chaque plume est faite d’une nacre différente. Sans doute notre lampe faiblit, car, en dehors de ces choses proches, la magnificence du lieu ne se voit presque plus, s’indique plutôt à notre souvenir – par la silhouette rare de quelque vase de cinq cents ans, par le reflet de quelque inimitable soierie, ou l’éclat d’un émail…

* * * * *

Très tard la fumée de l’opium nous tient en éveil, dans un état lucide et confus à la fois. Et nous n’avions jamais à ce point compris l’art chinois; c’est vraiment ce soir, dirait-on, qu’il nous est révélé. D’abord, nous en ignorions, comme tout le monde, la grandeur presque terrible, avant d’avoir connu cette «Ville impériale», avant d’avoir aperçu le palais muré des Fils du Ciel; et, à cette heure nocturne, dans la galerie surchauffée, au milieu de la fumée odorante épandue en nuage, l’impression qui nous reste des grands temples sombres, des grandes toitures d’émail jaune couronnant l’énormité titanesque des terrasses de marbre, s’exalte jusqu’à de l’admiration subjuguée, jusqu’à du respect et de l’effroi…

Et puis, même dans les mille détails des broderies, des ciselures, dont la profusion ici nous entoure, combien cet art est habile et juste, qui, pour rendre la grâce des fleurs, en exagère ainsi les poses languissantes ou superbes, le coloris violent ou délicieusement pâle, et qui, pour attester la férocité des êtres quels qu’ils soient, voire des moindres papillons ou libellules, leur fait à tous des griffes, des cornes, des rictus affreux et de gros yeux louches!… Elles ont raison, les broderies de nos coussins: c’est cela, les roses, les lotus, les chrysanthèmes! Et, quant aux insectes, scarabées, mouches ou phalènes, ils sont bien tels que ces horribles petites bêtes peintes en reliefs d’or sur nos éventails de cour…

* * * * *

Dans un anéantissement physique très particulier, qui laisse se libérer l’esprit (à Bénarès, peut-être dirait-on: se dégager le corps astral), tout nous paraît facile, amusant, dans ce palais, et ailleurs dans le monde entier. Nous nous félicitons d’être venus habiter la «Ville jaune» à un instant unique de l’histoire de la Chine, à un instant où tout est ouvert et où nous sommes encore presque seuls, libres dans nos fantaisies et nos curiosités. La vie nous semble avoir des lendemains remplis de circonstances intéressantes, et même nouvelles. En causant, nous trouvons des suites de mots, des formules, des images rendant enfin l’inexprimable, l’en-dessous des choses, ce qui n’avait jamais pu être dit. Les désespérances, les grandes angoisses que l’on traînait partout comme le boulet des bagnes, sont incontestablement atténuées.

Quant aux petits ennuis de la minute présente, aux petits agacements, ils n’existent plus… Par exemple, à travers les glaces de la galerie, quand nous apercevons, dans le lointain du palais de verre, un pâle fanal de mauvais aloi qui se promène, nous disons, sans que cela nous agite aucunement:

– Tiens! encore les voleurs! Ils doivent pourtant nous voir. Demain il faudra songer à refaire une battue!

Et nous jugeons indifférent, confortable même, que des vitres seules séparent nos coussins, nos soies impériales, du froid, de l’horreur, – des entours où les cadavres, à cette heure tardive, se recouvrent de gelée blanche, dans les ruines.

X

Jeudi 25 octobre.

En compagnie du chat, j’ai travaillé tout le jour dans la solitude de mon palais de la Rotonde que j’avais déserté hier.

A l’heure où le soleil rouge du soir s’enfonce derrière le Lac des Lotus, mes deux serviteurs, comme d’habitude, viennent me chercher. Mais, le Pont de Marbre franchi, nous passons cette fois sans nous arrêter devant la brèche qui mène à mon fragile palais du Nord. Nous avons à sortir de nos quartiers, à travers la poussière et les ruines, car je dois faire visite à monseigneur Favier, évêque de Pékin, – qui habite dans notre voisinage, en dehors, mais tout près de la «Ville impériale».

C’est déjà le crépuscule quand nous entrons dans la «Concession catholique», où les missionnaires et leur pauvre troupeau jaune viennent de subir les détresses d’un long siège. Et la cathédrale, criblée de mitraille, nous apparaît vague, dans un ciel éteint, si poussiéreux qu’on le croirait voilé de brume, – la cathédrale nouvellement bâtie, celle dont l’Impératrice accorda la construction, en remplacement de l’ancienne dont elle fit son garde-meuble.

Monseigneur Favier, chef des missions françaises, habitant Pékin depuis quarante années, ayant longtemps joui de la faveur des souverains, avait été le premier à prévoir et à dénoncer le péril boxer. Malgré l’effondrement momentané de son oeuvre, il est encore une puissance en Chine, où un décret impérial lui a jadis conféré le rang de vice-roi.

La salle où il me reçoit, aux murs blancs, avec un trou d’obus récemment bouché, contient de précieux bibelots chinois, dont la présence dans ce presbytère étonne tout d’abord. Il les collectionnait autrefois, et il les revend aujourd’hui pour pouvoir secourir les quelques milliers d’affamés que la guerre vient de laisser dans son église.

* * * * *

L’évêque est un homme de haute taille, de beau visage régulier, avec des yeux de finesse et d’énergie. Ils devaient lui ressembler, par l’allure aussi bien que par l’opiniâtre volonté, ces évêques du moyen âge qui suivaient les croisades en Terre sainte. C’est seulement depuis le début des hostilités contre les chrétiens qu’il a repris la soutane des prêtres français et coupé sa longue tresse à la chinoise. (On sait que le port de la queue et du costume mandarin était une des plus énormes et subversives faveurs accordées aux Lazaristes par les empereurs Célestes.)

Il veut bien me retenir une heure auprès de lui et, tandis qu’un Chinois soyeux nous sert le thé, il me redit la grande tragédie qui vient de finir ici même; cette défense de quatorze cents mètres de murs, organisée avec rien par un jeune enseigne et trente matelots; cette résistance de plus de deux mois contre des milliers de tortionnaires qui déliraient de fureur, au milieu de l’énorme ville en feu. Bien qu’il conte tout cela à voix très basse, dans la salle blanche un peu religieuse, sa parole devient de plus en plus chaude, vibrante en sourdine, avec une certaine rudesse de soldat, et, de temps à autre, une émotion qui lui étrangle la gorge, – surtout lorsqu’il est question de l’enseigne Henry.

L’enseigne Henry, qui mourut traversé de deux balles, sur la fin du dernier grand combat! Ses trente matelots, qui eurent tant de tués et qui furent blessés presque tous!… Il faudrait graver quelque part en lettres d’or leur histoire d’un été, de peur qu’on ne l’oublie trop vite, et la faire certifier telle, parce que bientôt on n’y croirait plus.

Et ces matelots-là, commandés par leur officier tout jeune, on ne les avait pas choisis; ils étaient les premiers venus, pris en hâte et au hasard à bord de nos navires. Quelques prêtres admirables partageaient leurs veilles, quelques braves séminaristes faisaient le coup de feu sous leurs ordres, et aussi une horde de Chinois armés de vieux fusils pitoyables. Mais c’était eux l’âme de la défense obstinée, et, devant la mort, qui était tout le temps présente dans la diversité de ses formes les plus atroces, pas un n’a faibli ni murmuré.

Un officier et dix matelots italiens, que le sort avait jetés là, s’étaient jusqu’à la fin battus héroïquement aussi, laissant six des leurs parmi les morts.

* * * * *

Oh! l’héroïsme enfin, le plus humble héroïsme de ces pauvres chrétiens chinois, catholiques ou protestants, réfugiés pêle-mêle à l’évêché, qui savaient qu’un seul mot d’abjuration, qu’une seule révérence à une image bouddhique leur garantirait la vie, mais qui restaient là tout de même, fidèles, malgré la faim torturante aux entrailles et le martyre presque certain! En même temps, du reste, en dehors de ces murs qui les protégeaient un peu, quinze mille environ de leurs frères étaient brûlés, dépecés vifs, jetés en morceaux dans le fleuve, pour la nouvelle foi qu’ils ne voulaient point renier.

Il se passait des choses inouïes, pendant ce siège: un évêque2, la tête éraflée par les balles, allait, suivi d’un enseigne de vaisseau et de quatre marins, arracher un canon à l’ennemi; des séminaristes fabriquaient de la poudre, avec les branches carbonisées des arbres de leur préau et avec du salpêtre qu’ils dérobaient la nuit, en escaladant les murs, dans un arsenal chinois.

On vivait dans un continuel fracas, dans un continuel éclaboussement de pierres ou de mitraille; tous les clochetons en marbre de la cathédrale, criblés d’obus, chancelaient, tombaient par morceaux sur les têtes. A toute heure sans trêve, les boulets pleuvaient dans les cours, enfonçaient les toits, crevaient les murs. Mais c’était la nuit surtout que les balles s’abattaient comme grêle, et qu’on entendait sonner les trompes des Boxers ou battre les affreux gongs. Et leurs cris de mort, tout le temps, à plein gosier: Cha! cha! (Tuons! tuons!), ou: Chao! chao! (Brûlons! brûlons!), emplissaient la ville comme la clameur d’ensemble d’une immense meute en chasse.

* * * * *

On était en juillet, en août, sous un ciel étouffant, – et on vivait dans le feu: des incendiaires arrosaient de pétrole les portes ou les toits avec des jets de pompe, et lançaient dessus des étoupes allumées; il fallait, d’un côté ou d’un autre, courir, apporter des échelles, grimper avec des couvertures mouillées pour étouffer ces flammes. Courir, il fallait tout le temps courir, quand on était si épuisé, avec la tête si lourde, les jambes si faibles, de n’avoir pas mangé à sa faim.

Courir!… Il y avait une sorte de course lamentable, que les bonnes Soeurs avaient charge d’organiser, celle des femmes et des petits enfants, hébétés par la souffrance et la peur. C’étaient elles, les sublimes filles, qui décidaient quand il y avait lieu de changer de place suivant la direction des obus, et qui choisissaient la minute la moins dangereuse pour prendre son élan, traverser une cour tête baissée, aller s’abriter autre part. Un millier de femmes, maintenant sans volonté et sans idées, ayant au cou de pauvres bébés mourants, les suivaient alors comme un remous humain, avançaient ou reculaient, se poussant pour ne pas perdre de vue les blanches cornettes protectrices…

Courir, quand on ne tenait plus debout faute de vivres, et qu’une lassitude suprême vous poussait à vous coucher par terre pour attendre de mourir! Les détonations qui ne cessaient pas, le perpétuel bruit, la mitraille, la dégringolade des pierres, on s’habituait encore à cela, et à voir à chaque instant quelqu’un s’affaisser dans son sang. Mais la faim était un mal plus intolérable que tout. On faisait des bouillies avec les feuilles et les jeunes pousses des arbres, avec les racines des dahlias du jardin et les oignons des lis. De pauvres Chinois venaient humblement dire:

– Il faut garder le peu qui reste de millet pour les matelots qui nous défendent et qui ont plus besoin de force que nous.

L’évêque voyait se traîner à ses pieds une femme accouchée de la veille, qui suppliait:

– Évêque! évêque! fais-moi donner seulement une poignée de grain, pour qu’il me vienne du lait et que mon petit ne meure pas!

* * * * *

On entendait toute la nuit dans l’église les petites voix de deux ou trois cents enfants qui gémissaient pour avoir à manger. Suivant l’expression de monseigneur Favier, c’étaient comme les bêlements d’une troupe d’agnelets destinés au sacrifice. Leurs cris d’ailleurs allaient en diminuant, car on en enterrait une quinzaine par jour.

On savait que non loin de là, aux légations européennes, un drame pareil devait se jouer, mais, il va sans dire, toute communication était coupée, et quand quelque jeune chrétien chinois se dévouait pour essayer d’aller y porter un mot de l’évêque, demandant des secours ou au moins des nouvelles, on voyait bientôt sa tête, avec le billet épinglé à la joue, reparaître au-dessus du mur, au bout d’une perche enguirlandée de ses entrailles.

Tout était plein de sang, de cervelle jaillie des crânes brisés. Non seulement des boulets tombaient par centaines chaque jour, mais les Boxers dans leurs canons mettaient aussi des cailloux, des briques, des morceaux de fer, des cassons de marmite, ce qui tombait sous leurs mains forcenées. On n’avait pas de médecins, on pansait comme on pouvait, et sans espoir, les grandes blessures horribles, les grands trous dans les poitrines. Les bras des fossoyeurs volontaires s’épuisaient à creuser le sol pour enfouir des morts ou des débris de morts. Et toujours les cris de la meute enragée: Cha! cha! (Tuons! tuons!), et toujours les gongs avec leur bruit de sinistre ferraille, et toujours le beuglement des trompes…

Des mines sautaient de différents côtés, engloutissant du monde et des pans de mur. Dans le gouffre que fit l’une d’elles, disparurent les cinquante petits bébés de la crèche, dont les souffrances au moins furent finies. Et, chaque fois, c’était une nouvelle grande brèche ouverte pour les Boxers qui se précipitaient, c’était une entrée béante pour la torture et la mort…

Mais l’enseigne Henry accourait là toujours; avec ce qui lui restait de matelots, on le voyait surgir à la place qu’il fallait, au point précis d’où l’on pouvait tirer le mieux, sur un toit, sur une crête de muraille, – et ils tuaient, ils tuaient, sans perdre une balle de leurs fusils rapides, chaque coup donnant la mort. Par terre, ils en couchaient cinquante, cent, en monceaux, et fiévreusement les prêtres, les Chinois, les Chinoises apportaient des pierres, des briques, des marbres de la cathédrale, n’importe quoi, avec du mortier tout prêt, et on refermait la brèche, et on était sauvés encore jusqu’à la mine prochaine!

Mais on n’en pouvait plus; la maigre ration de bouillie diminuait trop, on n’avait plus de force…

Ces cadavres de Boxers, qui s’entassaient tout le long du vaste pourtour désespérément défendu, emplissaient l’air d’une odeur de peste; ils attiraient les chiens qui, dans les moments d’accalmie, s’assemblaient pour leur manger le ventre; alors, les derniers temps, on tuait ces chiens du haut du mur, on les pêchait avec un croc au bout d’une corde, – et c’était une viande réservée aux malades et aux mères qui allaitaient.

Le jour enfin où nos soldats entrèrent dans la place, guidés par l’évêque à cheveux blancs qui, debout sur le mur, agitait le drapeau français, le jour où l’on se jeta dans les bras les uns des autres avec des larmes de joie, – il restait tout juste de quoi faire, en y mettant beaucoup de feuilles d’arbres, un seul et dernier repas.

– Il semblait, dit monseigneur Favier, que la Providence eût compté nos grains de riz!

Et puis il me reparle encore de l’enseigne Henry:

– La seule fois, dit-il, pendant tout le siège, la seule fois que nous ayons pleuré, c’est à l’instant de sa mort. Il était resté debout longtemps, avec ses deux blessures mortelles, commandant toujours, rectifiant le tir de ses hommes. A la fin du combat, il est descendu lentement de la brèche, et il est venu s’affaisser entre les bras de deux de nos prêtres; alors nous pleurions tous et, avec nous, tous ses matelots qui s’étaient approchés et qui l’entouraient. – C’est qu’aussi il était charmant, simple, bon, doux avec les plus petits… Être un soldat pareil, et se faire aimer comme un enfant, n’est-ce pas, il n’y a rien de plus beau?

Et il ajoute, après un silence:

– Il avait la foi, celui-là! Chaque matin, il venait prier ou communier au milieu de nous, disant avec un sourire:

«Il faut se tenir prêt.»

Il est nuit noire quand je sors de chez l’évêque, auquel je ne pensais faire qu’une courte visite. Autour de chez lui, bien entendu, tout est désolation, éboulements, décombres; rien n’a plus forme de maisons, et on ne retrouve plus trace de rues. Je m’en vais, avec mes deux serviteurs, nos revolvers et notre petit fanal; je m’en vais songeant à l’enseigne Henry, à sa gloire, à sa délivrance, à tout autre chose qu’à l’insignifiant détail du chemin à suivre dans ces ruines… D’ailleurs, c’est si près: un kilomètre à peine…

Une bourrasque de vent de Mongolie, qui éteint notre chandelle dans sa gaine de papier, nous enveloppe de tant de poussière qu’on ne voit plus à deux pas devant soi, comme en pleine brume. Et, n’étant jamais venus dans ce quartier, nous voilà égarés, au milieu des obstacles et des trous, trébuchant sur des pierres, sur des débris, des cassons de poterie ou des cassons de crâne.

A peine les étoiles pour nous guider, tant cette poussière fait nuage, et vraiment nous ne savons plus…

Une odeur de cadavre tout à coup… Ah! c’est notre découverte d’hier matin, la tranchée des scalpés! Nous la reconnaissons à certaines pierres du bord, juste avant de tomber dedans. Alors tout est bien, la direction était bonne; encore deux cents mètres et nous trouverons notre palais de verre, nous serons chez nous…

2.Monseigneur Jarlin, coadjuteur de monseigneur Favier.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
260 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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