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La vita Italiana nel Risorgimento (1815-1831), parte II

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La vita Italiana nel Risorgimento (1815-1831), parte II
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LE “PENSIEROSO”

CONFERENZA
DEL
Marchese COSTA DI BEAUREGARD

Mesdames, Messieurs,

Ma première pensée, lorsque j'ai accepté la très gracieuse invitation qui m'amène ici, a été de vous parler du roi Charles-Albert, et naturellement, j'ai cherché quelqu'épisode de sa vie, qui pût avoir pour vous un intérêt particulier. Le séjour que le prince fit à Florence, de 1821 à 1823, sa correspondance pendant ces années de disgrâce, les négociations qui mirent un terme à son exil, me semblèrent tout d'abord se prêter à quelques récits curieux.

Peut-être même, aurais-je été assez heureux, grâce à la correspondance inédite du vicomte de Châteaubriand et du comte de La Ferronnays, pour vous donner quelques renseignements nouveaux sur ce qui se passa au congrès de Vérone en 1823. Mais je l'avoue, au moment de me mettre à écrire, le cœur m'a manqué de livrer à de nouvelles discussions la grande et chère mémoire du roi Charles-Albert. Qu'y pouvait-elle gagner?

Non pas que je conteste la valeur intrinsèque des documents que l'on a déjà apportés, que l'on apportera sans doute encore pour mettre dans sa vraie lumière l'énigmatique figure du dernier Carignan: c'est à leur valeur morale que je m'en prends. Celle-ci m'apparaît douteuse, tant les pièces produites sont et seront toujours contradictoires. Je me borne, pour l'instant, à constater cette contradiction; j'essaierai tout à l'heure d'en préciser la raison. Dussé-je, en attendant, passer pour paradoxal, j'ose dire que les historiens qui voient dans Charles-Albert un roseau agité par tous les souffles de Pathmos voient juste, juste aussi bien que les biographes qui trouvent en lui un reflet du prince de Machiavel.

La question est de savoir si, les uns comme les autres, ne prennent pas simplement dans leurs appréciations l'effet pour la cause.

De l'aveu de tous, Charles-Albert était un imaginatif, un impulsif, pour me servir d'un mot à la mode. Quoi qu'il dît, quoi qu'il écrivît, il était sincère, mais d'une sincérité momentanée, c'est-à-dire que sa pensée, comme sa volonté, ne reflétaient que des sensations présentes. Elles changeaient donc selon les circonstances.

La raison de cette mobilité est ce que je me permets d'appeler le secret du roi. Le cœur a des secrets profonds qu'on découvre seulement quand on le brise; mais pour qui est en possession de ce secret, tout s'explique. Les faits, fussent-ils contradictoires, s'enchaînent. Je vais plus loin, ils deviennent logiques dans leur apparente contradiction.

Je sais bien que l'on traite parfois de roman l'histoire ainsi regardée par son côté psychologique. Ce dédain deviendrait explicable si ceux qui le pratiquent arrivaient eux-mêmes, en ne s'appuyant que sur la matérialité des faits, à établir d'indiscutable façon la vérité historique. Mais en est-il ainsi?

Que de fois il suffit de la découverte d'un document, apocryphe peut-être – cela s'est vu et se verra encore – pour mettre toute critique en déroute. Il est plaisant alors, d'entendre ces docteurs déconcertés se dire l'un à l'autre:

 
Altro è da veder che tu non credi…
 

Mais, pour en revenir de ma théorie psychologique, que votre indulgence excusera, j'espère, au prince auquel je vais essayer de l'appliquer, je vous dirai, Messieurs, que je croyais et que je crois encore à un autre Charles-Albert qu'à celui qu'ont prétendu révéler de récentes publications. Celui-là était non moins héroïque, mais plus homme, peut-être, c'est-à-dire plus à notre portée. Mon enfance avait appris à l'aimer, ma jeunesse à l'admirer, et, lorsque pour moi, l'âge est venu de l'étudier, je me suis souvenu des confidences paternelles et du culte que tous les miens avaient voué à leur maître.

Ils avaient accepté, pour le servir, les rôles les plus divers. Tour à tour, Mentor auprès de Télémaque, Sancho auprès de don Quichotte, Crillon à la suite de Henri IV… Et, toujours, ils avaient été largement payés de leur dévouement par les expansions attendries ou ardentes de cette âme royale, ordinairement si repliée sur elle-même.

Ce sont donc les échos de traditions, hélas! déjà lointaines que j'apporte. Chers souvenirs, d'autant plus précieux, qu'on ne trouve plus autour de soi, personne à qui consacrer son dévouement.

Pour qui souffre de ce mal, le passé a un charme infiniment reposant. Les figures s'y estompent doucement dans la brume qui voile ce qu'elles peuvent avoir de trop humain.

Qu'importe à la sublime harmonie du Pensieroso, la toile qu'une araignée a pu filer il y a cent ans dans le casque du héros? Tout à l'heure en pénétrant dans la chapelle des Médicis, je rapprochais de ce Pensieroso, que Michel-Ange a placé à la garde d'un tombeau, cet autre Pensieroso que Dieu a préposé à la résurrection de votre grand peuple.

Tous deux, le doigt appuyé sur la bouche, semblent y refouler leur secret, tandis que d'un même regard, ils sondent les mystérieuses profondeurs de l'avenir.

Dans le roi Charles-Albert, dont je vais avoir l'honneur de vous parler, comme dans le marbre de Michel-Ange, on devine sous une même rigide apparence, une âme atteinte de cette mélancolie que Leopardi a définie: «le plus sublime des sentiments humains… Sentir que notre âme et nos désirs sont encore plus grands que cet univers… Accuser toutes choses d'insuffisance et de nullité… souffrir de leur vanité et de leur vide, tel est, en effet, le plus beau signe de la noblesse et de la grandeur d'une âme.»

N'est-ce pas à ce signe qu'a été marquée l'âme du roi Charles-Albert?.. N'est-ce pas à ce signe qu'est marquée l'âme de l'Italie?

 
O anima lombarda,
Come ti stavi altera e disdegnosa.
 

L'âme d'un peuple n'a pas d'âge. Rien ne vieillit en elle. Si elle apparaît, à travers les siècles, avec les mêmes rayonnements, elle apparaît aussi avec les mêmes ombres. Et quand le génie ou la douleur la touchent, elle fait éternellement entendre le même cri sublime ou désolé.

L'église de Santa Croce qui s'élève là, près de nous, n'est-elle pas à la fois le Panthéon de votre génie et de vos douleurs?

Si Charles-Albert n'a pas eu la prodigieuse grandeur de ceux qui reposent à Santa Croce, comme eux il a connu les douleurs messianiques, si je puis ainsi dire.

À ce Messie de l'indépendance italienne, il fallait un Calvaire, et la croix lui est apparue l'instrument de sa mission. Charles-Albert souffrit des élancements du passé et des angoisses de l'avenir. Il n'ignora ni l'ingratitude, ni le doute, ni l'abandon. Il fut déchiré par tous les espoirs trompés, abreuvé de toutes les amertumes de la défaite, et torturé jusqu'à son heure dernière par ce mal royal que j'appellerai, oh! non pas, Messieurs, le mal du pays, mais le mal de la patrie.

La douleur, l'éternelle douleur, voilà le secret du roi. Terrible secret, qui est celui de toutes les vies inexpliquées.

Et, sur ce point, je ne redoute aucune contradiction. Leopardi a, dès longtemps, trouvé ce mot de toute énigme humaine:

 
Arcano è tutto fuor che il dolor nostro!
 

I

Sans prétendre attribuer à l'atavisme l'importance qu'on lui donne aujourd'hui, importance qui ne tend à rien moins qu'à supprimer la responsabilité de nos actes, il est impossible de n'en pas tenir compte. Et j'estime que l'atavisme a joué ici son grand rôle.

Comment ne pas reconnaître, dans le soldat qu'était Charles-Albert, le sang du Prince Eugène? Comment aussi ne pas reconnaître, dans sa mobilité, l'humeur inquiète du Prince Thomas? Comment enfin, en redescendant les sept générations qui relient ce premier des Carignan à celui qui fut le père du roi Charles-Albert, comment ne pas suivre l'évolution qui, lentement, préparait la transition du passé au présent?

Quand Dieu efface tout ce qu'il a effacé au siècle dernier, c'est pour écrire autre chose.

Pas plus que nos regrets, nos raisonnements ne changeront sa volonté. Le mieux est de la reconnaître et de s'y soumettre. Le passé est mort et ne ressuscitera pas. Il agonisait lorsque naquit Charles-Albert.

Son père était un de ces princes libéraux que 1793 n'avait pas désabusé de 1789, et qui continuaient, pendant qu'on les dépouillait, à répéter par habitude, les vieux refrains sur les droits de l'homme, et sur les douceurs de fraternité.

Sa mère, elle aussi fort libérale, se mettait, après la mort prématurée de son mari, à courir le monde, l'étonnant fort, par la hardiesse de ses allures, par son second mariage, et même par ses excentricités.

Comment l'incohérence de ces temps étranges, où tout s'effondrait, et où tout renaissait dans une inexprimable confusion, n'aurait-elle pas, indépendamment de l'atavisme, influé sur l'âme de l'enfant qui naissait en 1798?

Je lisais l'autre jour que la mère d'un illustre écrivain français avait été frappée d'un coup de lance par un cosaque, lors de l'invasion de 1814, et que l'enfant, atteint du même coup, porta au flanc une blessure qui ne se cicatrisa jamais.

De même, la mère de Charles-Albert, rudement frappée – quoi qu'elle en eût – par la révolution, n'avait pu soustraire l'enfant qu'elle portait, à un terrible contre-coup.

Charles-Albert le reçut et la plaie ne se ferma jamais.

Meurtri, ballotté par tous les vents de la mauvaise fortune, ce fut «de frissons en frissons», comme dit le poète, qu'il fit la découverte de la vie.

Rien ne réchauffa son enfance délaissée. Philippe de France était né ennuyé, disait sa mère. La mère de Charles-Albert aurait pu dire avec plus de vérité encore de son fils, qu'il était né malheureux, sans que d'ailleurs, elle parut en prendre grand souci.

 

On ne se rend pas toujours compte du mal que font à l'enfant ses tendresses repoussées.

L'indécision, la timidité, sont les tristes suites des heurts qui l'ont tout d'abord froissé. Chez lui, les refoulements de ce besoin qu'a l'être humain d'aimer et d'être aimé, laisse d'ineffaçables traces. La timidité du premier âge devient peu à peu de la dissimulation. L'enfant, comme pour se protéger, se met alors sur le visage un masque qu'il ne quittera plus; n'osant se montrer ce qu'il est, il se grime, et se fait juger pour ce qu'il n'est pas.

Et, je vous le demande, comment ne se fût-il pas replié sur lui-même, le pauvre petit être maladif, pour qui sa mère insoucieuse ne montrait même pas la plus élémentaire pitié?

Au cœur de l'hiver, Madame de Carignan, devenue Madame de Montléart, faisait monter sur le siége de la voiture où elle courait le monde, votre futur Roi, Messieurs…

«Ce que j'ai souffert alors ne se peut exprimer, disait plus tard Charles-Albert.»

················

Etrange femme vraiment, qui écrivait:

«L'Ossian de l'abbé Cesarotti fait tout mon plaisir… Ses pensées si sont semblables aux miennes, que je ne puis me défendre des mêmes visions.»

Etrange mère qui réglait sur ces visions l'éducation de son fils. Cette éducation, commencée à Paris, se poursuivait à Genève et un peu partout, selon les hasards d'une fantaisie vagabonde et les alternances d'une situation financière des plus précaires.

D'ailleurs, il n'est pas excessif de le dire, la jeunesse de Charles-Albert souffrit même de la pauvreté, et cette souffrance influa, elle aussi peut-être, sur la formation de son âme.

Combien Joseph de Maistre avait raison quand il affirmait «que le superflu était chose nécessaire.»

Oui, la pauvreté est contraire au développement, à l'épanouissement de cette confiance en soi que l'on peut appeler l'orgueil de la vie, et qui est indispensable à qui doit gouverner les hommes.

Si le roi Charles-Albert n'en fut pas réduit, comme le Tasse enfant «à emprunter à une chatte amie, la lumière de ses yeux», ainsi que le raconte un sonnet célèbre, il en était réduit, pour se nourrir «au pain brun»… et il en était réduit, pour dormir, à partager le lit de son camarade d'école Duby, le petit lampiste Genevois.

Cette vie si frêle était donc en butte à toutes les privations, et l'enfant royal, rudoyé dans ses tendresses, froissé dans ses instincts, entravé dans ses désirs, avait si l'on peut ainsi dire, l'âme décolorée comme le visage.

À 12 ans, Charles-Albert, pâle, étiolé et trop grand pour son âge, n'aimait personne, personne ne l'aimait. La douloureuse enfance s'était passée dans la nuit! Sa jeunesse allait se passer dans le vague, vague étrange, causé par les vicissitudes qui mettaient en quelque sorte, au congrès de Vienne, tous les trônes de l'Europe à l'enchère.

Que valaient, que pesaient, dans ces enchères, les droits de l'enfant vagabond de qui j'esquisse l'histoire?

Déchu de son rang, devenu le comte de Carignan par la volonté de Napoléon, sous-lieutenant dans un régiment de dragons français, renié à Turin, haï à Vienne, seul, désarmé contre la plus formidable coalition de rancunes et d'intérêts qui se puisse imaginer, que fût-il advenu de Charles-Albert, si le Prince de Talleyrand, parlant au nom du roi de France, ne se fût fait le champion du déshérité?

Jamais, je crois, les destinées de l'Italie ne furent plus aventurées. La branche aînée de Savoie s'éteignait. Il était question d'abroger la loi salique au profit du duc de Modène, le gendre de Victor-Emmanuel Ier.

Que serait aujourd'hui ce noble pays, Messieurs, si l'Autriche avait alors poussé ses garnisons jusqu'au pied du Mont-Cenis, et installé un de ses archiducs dans le palais royal de Turin?

Faut-il s'étonner si la clairvoyance de la jeune Italie saluait dès 1815, dans le Prince de Carignan, le représentant de ses droits et de son indépendance?

Quoi de surprenant à ce que le prince entendît ces soupirs d'espérance qui montaient vers lui, comme ces chants que chantent dans la nuit les oiseaux que leur instinct avertit de l'aube prochaine?

Mais n'était-il pas tout naturel aussi, qu'autour de lui, les vieilles rancunes s'avivassent, et que les ambitions déçues s'en prissent à lui de leur insuccès?

L'inexpérience du prince de Carignan, saisie par tant de courants contraires, était fatalement condamnée à d'étranges fluctuations. Charles-Albert traversait, en effet, depuis son retour à Turin, cette période d'indécision où se prépare secrètement l'avenir, où les yeux s'ouvrent à toutes les lumières, et les oreilles à tous les bruits, où la main hésitante se tend vers toutes les tâches, où l'esprit enfin, cherche sa définitive inspiration.

J'ajoute que si, parfois, le Prince parvenait à se départir de ses instinctives défiances, c'était – la chose est bien naturelle – au profit de ceux qu'il pouvait regarder comme des amis.

Ceux-là, d'ailleurs, pour pénétrer jusqu'à son cœur, trouvaient un chemin qu'avaient aplani bien des déboires et bien des humiliations!

Tout était pour blesser l'âme généreuse de Charles-Albert dans cette vieille cour de Sardaigne, qui ne semblait marcher qu'à reculons, les yeux sans cesse fixés sur le passé. Vous souvenez-vous, par exemple, de cet étonnant décret par lequel, à peine revenu de Cagliari, le bon roi Victor-Emmanuel ordonnait… «que, sans avoir égard à aucune autre loi, on eût à observer, à partir du 21 mai 1814, les royales constitutions de 1770.»

Pouvait-il rien être pour faire un plus étrange contraste avec ce qui se passait partout ailleurs, en Italie? À Milan, le comte Porro fondait le Conciliatore, et voyait accourir autour de lui, comme accourent vers le phare, les barques en détresse, Romagnosi le jurisconsulte, Gioja l'économiste, Monti le poète, Silvio Pellico, Manzoni, Confalonieri. Partout, aussitôt, sous leur patronage, et sous le patronage de Byron, de Schlegel, de Lord Brougham, se fondaient des groupes d'enseignement, tandis qu'à l'étranger, Ugo Foscolo, Gino Capponi, Berchet se faisaient les enthousiastes apôtres de l'avenir italien.

Vagues encore, il est vrai, les aspirations de l'Italie ne tendaient qu'à l'expulsion de l'Autrichien. Mais c'était précisément la simplicité du programme qui en faisait le danger. Ce programme ralliait toutes les nuances de l'opposition et ne pouvait, en ce qui concernait Charles-Albert, que faire vibrer les nobles instincts de sa race.

À vingt ans, on ne marche à la conquête du vrai que par bonds aventureux!

Lorsque jadis Savonarola gémissait dans ses merveilleux canzoni, sur les maux de son siècle, il croyait entendre une voix lui dire:

 
«Pleure et tais-toi…»
 

Comment cette voix, même s'il l'avait entendue, eût-elle arrêté un Prince jeune, patriote et malheureux? Malheureux est un mot excessif, peut-être, mieux vaut dire meurtri. Meurtri dans son amour-propre, meurtri dans ses affections intimes! Charles-Albert a épousé une archiduchesse Autrichienne. On donne à sa femme le pas sur lui, dans toutes les cérémonies. Encore, s'il l'aimait? mais non, il ne l'aime pas, il ne peut l'aimer. Le Prince souffre de la médiocrité de sa femme, comme il souffre de la médiocrité du roi, comme il souffre de celle du gouvernement, comme il souffre de tout ce qui l'entoure et l'étouffe.

Quand on n'est pas heureux, on accueille la plainte d'autrui avec une sorte de volupté. Il semble que ce soit un soulagement d'entendre gémir. Charles-Albert en est là. Il voit triste, si je puis ainsi dire, et ne s'attache qu'aux gens qui voient comme lui. Hélas! il ne laisse que trop deviner ses intimes sentiments à ceux qui, autour de lui, ont intérêt à le desservir ou à le compromettre.

Aussi, quand éclate la révolution, le Prince de Carignan en devient, aux yeux du plus grand nombre, l'éditeur responsable.

Je n'ai pas à vous rappeler l'échauffourée de 1821. Le trône, un instant ébranlé, se raffermit bien vite. Charles-Félix succède au débonnaire Victor-Emmanuel. Il continue les errements de son frère avec plus de fermeté, et le Prince de Carignan, après avoir été l'éditeur responsable de la Révolution, en devient, pardonnez-moi le mot, le bouc émissaire.

Il n'est pas, en histoire, d'épopée sans quelqu'épisode de deuil!

Le 2 avril de cette année 1821, le Prince, banni de son pays, arrivait à Florence, et pouvait répéter cette plainte du Dante:

«Je m'en vais dans le pays de notre langue, étranger et presque mendiant… et j'ai paru misérable à bien des gens qui m'avaient imaginé sous une autre forme…»

Oui, on l'avait imaginé sous une autre forme, celui qu'on appelait à Turin, le Prince de la jeunesse. On l'avait acclamé comme une espérance. On ne voyait plus en lui qu'un vaincu, quelques-uns même ne voyaient en lui qu'un coupable; et cet enfant de 25 ans tombait écrasé sous la plus cruelle douleur qui existe ici-bas, la douleur d'être méconnu.

Cette douleur frappait le Prince de Carignan en plein cœur, en pleine vie, en pleine illusion.

Si l'étude que je poursuis devant vous était une étude purement historique, j'aurais à vous raconter ce qui s'était passé à Turin, ce qui se passa à Florence, ce qui allait se passer à Vérone.

Mais je n'ai ici, qu'un médiocre souci des faits. C'est l'âme de mon malheureux prince, comme disait le vieux Costa qui avait eu l'honneur de l'accompagner à Florence, c'est cette âme mystérieuse que je veux continuer à interroger.

«Le désespoir de mon prince, écrivait le fidèle écuyer, frise la folie.»

Quelques-uns pourtant n'ont voulu voir dans ce désespoir qu'une ambition déçue. Mais pour être ambitieux, il faut croire à la vie. Charles-Albert ne semblait plus croire à grand chose de ce qu'elle promettait.

Sans crainte d'exagérer, je puis dire que la vie lui était à charge, et qu'une étrange rupture s'était faite entre les ambitions humaines, et son âme endolorie.

Le mysticisme qui n'avait fait jusque-là qu'effleurer le Prince, était en quelque sorte devenu le seul flambeau qui guidât ses pas, «dans la forêt sombre où il entrait au milieu de sa vie.»

Ce fut à la lueur de ce flambeau que Charles-Albert poursuivit dès lors sa marche, interprétant à son gré l'éternelle vérité et adaptant le dogme, quelques fois la morale, aux passions de son cœur et aux rêves de son patriotisme.

Le mysticisme est l'exagération du sentiment religieux.

Comme toute exagération, il défigure ce qu'il prétend grandir, et compromet ce qu'il croit épurer. Vivant dans un surnaturel de convention, l'âme estime tout permis, croyant purifier jusqu'à ses fautes.

«La guenille,» comme disait Henri IV, «ne perd jamais ses droits, et il arrive parfois à l'ange de faire la bête.»

Peut-être la chose arriva-t-elle à Florence, quand le Prince associait le scapulaire à l'échelle de soie, le balcon de Juliette à la cellule de Savonarole, et envoyait dans un missel ses messages d'amour.

Que voulez-vous?

 
Trovai l'amor nel mezzo della via
Con abito leggier di peregrino.
 

Les défauts chez l'homme sont la fumée sans laquelle il n'est pas de flamme.

Et ne retrouvez-vous pas cette flamme qui, douloureusement, consumait l'existence du Prince de Carignan, dans ce qui aurait dû l'embellir et la charmer?.. Ne la retrouvez-vous pas dans ce mot si désolé: «Je ne suis sûr de moi, ni en politique, ni en amour»?

Mais si le temps peu à peu embaumait ses souffrances d'amour, les souffrances politiques, patriotiques (devrais-je dire) du prince, demeuraient sans remède.

Il voyait, malgré les efforts d'une impitoyable réaction, le vieux monde s'abîmer, et il sentait sous ses pieds les frémissements du monde nouveau.

«Eppur si muove,» disait Galilée.

Eppur si muove, répétait celui dont une aveugle politique menaçait de paralyser à jamais l'élan et la clairvoyance.

Tout cela date d'hier, et cependant, ne dirait-on pas Charles-Albert le héros de quelqu'une de ces chroniques qui se perdent dans les brumes du moyen-âge? Et ce roi Charles-Félix ne vous apparaît-il pas comme un type de souverain emprunté à quelque légende? et ce petit royaume qu'il gouvernait si sagement, ne vous rappelle-t-il pas quelqu'une de ces chapelles où les moines, jadis, chantaient éternellement l'office des morts?

Que reste-t-il des répressions à outrance de 1821, des mœurs patriarcales du Piémont, du gouvernement paternel du bon Charles-Félix?

On ne tue pas son successeur.

 

Le successeur, c'est la réaction fatale. C'est l'explosion de la force comprimée. C'est la découverte qui bouleverse la routine. C'est l'idée nouvelle qui rompt avec la tradition.

Et c'est toujours à la théorie par laquelle j'ai commencé cette étude qu'il faut revenir. C'est la souffrance qu'il faut donner pour point d'appui, ou plutôt pour compagne à tout grand effort «sur ce chemin de halage où,» comme dit Châteaubriand, «les hommes sacrifiés traînent le vieux monde vers un monde inconnu.»

La souffrance devait frapper dans le prince de Carignan, le vieil or de Savoie à une effigie nouvelle, ne lui laissant de l'ancienne effigie que ses lauriers.

Vous vous souvenez de cette fière devise du héros de Saint-Quentin: «Spoliatis arma supersunt

Rien n'est désespéré pour un prince de Savoie quand on lui laisse son épée.

C'est l'épée à la main qu'Emmanuel-Philibert a retrouvé la route de ses Etats.

C'est au Trocadéro que Charles-Albert a reconquis son trône.

Au premier coup de canon, l'âme héroïque de Savoie rentra dans ce corps alangui, mourant, et le fit revivre.

«Mon prince est fou à lier,» écrivait le fidèle Costa. «Mais cette fois, il est fou de joie. Il nous faut des princes de cœur et de main, comme disait Henri IV; le mien est de ceux là.»

Le descendant du Prince Eugène se battit à côté du petit fils de Louis XIV; on vit Charles-Albert montant à l'assaut, s'envelopper dans les plis du drapeau blanc avec le même amour que s'il eût été le sien, et l'on entendit l'armée française acclamer le prince italien. L'écho de ces acclamations se prolonge, Messieurs, et de l'autre côté des Alpes, les épaulettes rouges du Trocadéro se confondent encore dans un même souvenir avec les galons de laine de Palestro.

Les chevaliers au moyen-âge avaient cette héroïque coutume de donner un nom à l'épée qui personnifiait leur bravoure.

 
Il y avait, dit le poète, deux grandes épées,
Dont les lames d'un flot divin furent trempées.
L'une a pour nom Joyeuse, et l'autre Durandal.
Sœurs jumelles de gloire, héroïnes d'acier,
En qui du fer vivait l'âme mystérieuse,
Que pour son œuvre, Dieu voulut s'associer…
 

Messieurs, vous savez quelles sont ces épées, laissons donc l'allégorie aux poètes.

L'épée d'Italie et l'épée de France ont trop souvent besogné les mêmes besognes, ainsi qu'on le disait jadis, pour qu'elles ne se souviennent pas toujours qu'elles ont été trempées du même flot divin, et qu'elles sont sœurs comme Joyeuse et Durandal.