Kitabı oku: «Les bases de la morale évolutionniste», sayfa 8
La vérité est plutôt que la conscience générale est tellement obsédée de sentiments et d'idées en opposition avec les conclusions fondées sur les témoignages les plus familiers, que ces témoignages n'obtiennent aucune attention. Ces sentiments et ces idées contraires ont plusieurs sources.
Il y a la source théologique. Comme nous l'avons montré plus haut, le culte pour les ancêtres cannibales, qui trouvaient leurs délices dans le spectacle des tortures, a produit la première conception de divinités que l'on rendait propices en supportant la douleur, et, par suite, que l'on irritait en goûtant quelque plaisir. Conservée par les religions des peuples à demi civilisés, dans lesquelles elle s'est transmise, cette conception de la nature divine est parvenue en se modifiant peu à peu, jusqu'à notre époque, et elle inspire à la fois les croyances de ceux qui adhèrent à la religion communément admise et de ceux qui font profession de la rejeter.
Il y a une autre source dans l'état de guerre primitif qui subsiste encore aujourd'hui. Tant que les antagonismes sociaux continueront à produire la guerre, qui consiste en efforts pour infliger aux autres des souffrances ou la mort, en s'exposant soi-même au danger de subir les mêmes maux, et qui implique nécessairement de grandes privations, il faudra que la souffrance physique, considérée en elle-même ou dans les maux qu'elle entraîne, soit considérée comme peu de chose, et que parmi les plaisirs regardés comme les plus dignes de recherche on range ceux que la victoire apporte avec elle.
L'industrialisme, partiellement développé, fournit lui aussi l'une de ces sources. L'évolution sociale, qui implique le passage de la vie de chasseurs errants à celle de peuples sédentaires livrés au travail, donne par suite naissance à des activités singulièrement différentes de celles auxquelles est adaptée la constitution primitive: elle produit donc une inaction des facultés auxquelles l'état social nouveau n'offre pas d'emploi, et une surexcitation des facultés exigées par cet état social; il en résulte d'un côté la privation de certains plaisirs, de l'autre la soumission à certaines douleurs. Par suite, à mesure que se manifeste l'accroissement de population qui rend plus intense la lutte pour l'existence, il devient nécessaire de supporter tous les jours des souffrances, et de sacrifier des plaisirs.
Or, toujours et partout, il se forme parmi les hommes une théorie conforme à leur pratique. La nature sauvage, donnant naissance à la conception d'une divinité sauvage, développe la théorie d'un contrôle surnaturel assez rigoureux et assez cruel pour influer sur la conduite des hommes. Avec la soumission à un gouvernement despotique assez sévère dans la répression pour discipliner des natures barbares, se produit la théorie d'un gouvernement de droit divin et la croyance au devoir d'une soumission absolue. Là où l'existence de voisins belliqueux fait regarder la guerre comme la principale affaire de la vie, les vertus requises pour la guerre sont bientôt considérées comme les vertus suprêmes; au contraire, lorsque l'industrie est devenue dominante, la violence et les actes de pillage dont les gens de guerre se glorifient ne tardent pas à passer pour des crimes.
C'est ainsi que la théorie du devoir réellement acceptée (et non celle qui l'est nominalement) s'accommode au genre de vie que l'on mène chaque jour. Si cette vie rend nécessaires la privation habituelle de plaisirs et l'acceptation fréquente de souffrances, il se forme bientôt un système moral d'après lequel la recherche du plaisir est tacitement désapprouvée et la souffrance ouvertement approuvée. On insiste sur les mauvais effets des plaisirs excessifs, et l'on passe sous silence les avantages que procurent des plaisirs modérés; on fait valoir avec force les bons résultats obtenus en se soumettant à la douleur, et l'on néglige les maux qui la suivent.
Tout en reconnaissant la valeur et même la nécessité de systèmes moraux adaptés, comme les systèmes religieux et politiques, aux temps et aux pays dans lesquels ils se développent, nous devons regarder les premiers, aussi bien que les seconds, comme transitoires. Nous devons admettre qu'un état social plus avancé comporte une morale plus vraie, comme un dogme plus pur et un meilleur gouvernement. Conduits, à priori, à prévoir l'existence de défauts, nous sommes en état de déclarer tels ceux que nous rencontrons en effet, et dont la nature justifie nos prévisions. Il faut donc proclamer comme vérité certaine, que la moralité scientifique commence seulement lorsque les conceptions imparfaites adaptées à des conditions transitoires se sont développées assez pour devenir parfaites. La science du bien vivre doit tenir compte de toutes les conséquences qui affectent le bonheur de l'individu ou de la société, directement ou indirectement, et autant elle néglige une classe quelconque de conséquences, autant elle est éloignée de l'état de science.
39. Ainsi le point de vue biologique, comme le point de vue physique, est d'accord avec les résultats que nous avons obtenus en prenant le principe de l'évolution pour point de départ de l'étude de la conduite en général.
Ce qui était défini en termes physiques comme un équilibre mobile, nous le définissons en termes biologiques comme une balance de fonctions. Ce que suppose une pareille balance, c'est que, par leur genre, leur énergie et leurs combinaisons, les diverses fonctions s'ajustent aux diverses activités qui constituent et conservent une vie complète: pour elles, être ainsi ajustées, c'est être arrivées au terme vers lequel tend continuellement l'évolution de la conduite.
Passant aux sentiments qui accompagnent l'accomplissement des fonctions, nous voyons que, de toute nécessité, les plaisirs pendant l'évolution de la vie organique, ont coïncidé avec l'état normal des fonctions, tandis que les souffrances positives ou négatives ont coïncidé avec l'excès ou l'insuffisance des fonctions. Bien que, dans chaque espèce, ces relations soient souvent troublées par des changements de conditions, elles se rétablissent toujours d'elles-mêmes, sous peine, pour l'espèce, de disparaître.
Le genre humain qui a reçu par héritage, des êtres inférieurs, cette adaptation des sentiments et des fonctions dans leurs rapports avec les besoins essentiels du corps, et qui est forcé chaque jour par des sensations impérieuses à faire les actes qui conservent la vie, et à éviter ceux qui entraîneraient une mort immédiate, le genre humain a subi un changement de conditions d'une grandeur et d'une complexité inusitées. Ce changement a beaucoup dérangé la direction de la conduite par les sensations, et dérangé plus encore celle que nous devrions recevoir des émotions. Il en résulte que, dans un grand nombre de cas, ni les plaisirs ne sont en connexion avec les actions qui doivent être faites, ni les peines avec celles qui doivent être évitées; c'est le contraire qui se produit.
Plusieurs influences ont contribué à dissimuler aux hommes les bons effets de cette relation entre les sentiments et les fonctions, pour leur faire remarquer plutôt tous les inconvénients que l'on peut y trouver. Aussi exagère-t-on les maux qui peuvent être causés par certains plaisirs, tandis qu'on oublie les avantages attachés d'ordinaire à la jouissance des plaisirs; en même temps, on exalte les avantages obtenus au prix de certaines souffrances, et on atténue les immenses dommages que les souffrances apportent avec elles.
Les théories morales caractérisées par ces erreurs de jugement sont produites par des formes de vie sociale correspondant à une constitution humaine imparfaitement adaptée, et sont appropriées à ces formes. Mais avec le progrès de l'adaptation, qui établit l'harmonie entre les facultés et les besoins, tous ces désordres, et les fautes de théorie qui en sont la conséquence, doivent diminuer, jusqu'à ce que, grâce à un complet ajustement de l'humanité à l'état social, on reconnaisse que les actions, pour être complètement bonnes, ne doivent pas seulement conduire à un bonheur futur, spécial et général, mais en outre être immédiatement agréables, et que la souffrance, non seulement éloignée mais prochaine, caractérise des actions mauvaises.
Ainsi, au point de vue biologique, la science morale devient une détermination de la conduite d'hommes associés constitués chacun en particulier de telle sorte que les diverses activités requises pour l'éducation des enfants et celles qu'exige le bien-être social s'exercent par la mise en jeu spontanée de facultés convenablement proportionnées et produisant chacune, en agissant, sa part de plaisir; par une conséquence naturelle, l'excès ou le défaut dans l'une quelconque de ces activités apporte sa part de souffrance immédiate.
Note au n° 33. – Dans sa Morale physique, M. Alfred Barratt a exprimé une opinion que nous devons signaler ici. Supposant l'évolution et ses lois générales, il cite quelques passages des Principes de psychologie (1re édit., IIIe part., ch. VIII, pp. 395, sqq.; Cf. IVe part., ch. IV), dans lesquels j'ai traité de la relation entre l'irritation et la contraction qui «marque le commencement de la vie sensitive». J'ai dit que «le tissu primordial doit être différemment affecté par un contact avec des matières nutritives ou avec des matières non nutritives,» ces deux genres de matières étant représentés pour les êtres aquatiques par les substances solubles et les substances insolubles, et j'ai soutenu que la contraction par laquelle la partie touchée d'un rhizopode absorbe un fragment de matière assimilable «est causée par un commencement d'absorption de cette matière assimilable». M. Barratt, affirmant que la conscience «doit être considérée comme une propriété invariable de la vie animale, et en définitive, dans ses éléments, de l'univers matériel» (p. 43), regarde ces réactions du tissu animal sous l'influence des stimulants comme impliquant une certaine sensation. L'action de certaines forces, dit-il, est suivie de mouvements de retraite, ou encore de mouvements propres à assurer la continuation de l'impression. Ces deux genres de contraction sont respectivement les phénomènes et les marques extérieures de la peine et du plaisir. Le tissu agit donc de manière à assurer le plaisir et à éviter la peine par une loi aussi véritablement physique et naturelle que celle par laquelle une aiguille aimantée se dirige vers le pôle, un arbre vers la lumière (p. 52). Eh bien, sans mettre en doute que l'élément primitif de la conscience ne soit présent même dans le protoplasma indifférencié, et n'existe partout en puissance dans ce pouvoir inconnaissable qui, sous d'autres conditions, se manifeste dans l'action physique (Principes de psychologie, § 272-3), j'hésite à conclure qu'il existe d'abord sous la forme de plaisir et de peine. Ceux-ci naissent, je crois, comme le font les sentiments plus spéciaux, par suite d'une combinaison des éléments ultimes de la conscience (Princ. de psy., §§ 60, 61); car ils sont, en réalité, des aspects généraux de ces sentiments plus spéciaux élevés à un certain degré d'intensité. Considérant que, dans les créatures mêmes qui ont des systèmes nerveux développés, une grande partie des processus vitaux résultent d'actions réflexes inconscientes, je ne trouve pas convenable de supposer l'existence de ce que nous appelons conscience chez des créatures dépourvues non seulement de systèmes nerveux, mais même de toute structure.
Note au n° 36. – Plusieurs fois, dans Les émotions et la volonté, M. Alex. Bain insiste sur la connexion entre le plaisir et l'exaltation de la vitalité, entre la peine et la dépression de la vitalité. Comme on l'a vu plus haut, je m'accorde avec lui sur ce point; il est en effet au-dessus de toute discussion, grâce à l'expérience générale de tout le monde et à l'expérience plus spéciale des médecins.
Toutefois lorsque, des effets respectivement fortifiants ou débilitants du plaisir et de la peine, M. A. Bain fait dériver les tendances originales à persister dans les actes qui donnent du plaisir et à cesser ceux qui procurent de la peine, je ne puis le suivre. Il dit: «Nous supposons des mouvements commencés spontanément et qui causent accidentellement du plaisir; nous admettons alors qu'il se produira avec le plaisir un accroissement de l'énergie vitale; les mouvements agréables prendront leur part de cet accroissement, et le plaisir sera augmenté par là. Ou bien, d'un autre côté, nous supposons que la peine résulte de mouvements spontanés; il faut alors qu'il y ait avec la peine une diminution d'énergie, qui s'étend aux mouvements d'où vient le mal, et qui apporte par cela même un remède.» (3e édit., p. 315.) Cette interprétation, d'après laquelle les «mouvements agréables» participent seulement de l'augmentation de l'énergie vitale causée par le plaisir, ne me semble pas s'accorder avec l'observation. La vérité paraît plutôt ceci: bien qu'il se produise en même temps un accroissement général de la vigueur musculaire, les muscles spécialement excités sont ceux qui, par l'accroissement de leur contraction, conduisent à un accroissement de plaisir. Réciproquement, admettre que la cessation des mouvements spontanés causant la douleur est due à un relâchement musculaire général, auquel participent les muscles qui produisent ces mouvements particuliers, c'est, il me semble, oublier que la rétraction prend communément la forme non d'une chute passive, mais d'un retrait actif. On peut remarquer aussi que, la peine déprimant, comme elle finit par le faire, le système en général, nous ne pouvons pas dire qu'elle déprime en même temps les énergies musculaires.
Ce n'est pas seulement, comme l'admet M. A. Bain, une vive douleur qui produit des mouvements spasmodiques; les peines de tout genre, qu'elles soient sensationnelles ou émotionnelles, stimulent aussi les muscles (Essais, 1re série, p. 360, I, ou 2e édit., vol. I, p. 211, 12). Cependant la douleur (et aussi le plaisir lorsqu'il est très intense) a pour effet d'arrêter toutes les actions réflexes; et comme les fonctions vitales en général s'exercent par des actions réflexes, cette suspension, croissant avec l'intensité de la douleur, déprime en proportion les fonctions vitales. L'arrêt de l'action du coeur et l'évanouissement sont un résultat extrême de cet empêchement, et les viscères, dans leur ensemble, sentent son effet à des degrés proportionnés aux degrés de la douleur.
Ainsi la douleur, tout en causant directement, comme le fait le plaisir une décharge de l'énergie musculaire, finit par diminuer le pouvoir musculaire en affaiblissant les processus vitaux d'où dépend la production de l'énergie. Par suite, nous ne pouvons pas, je crois, attribuer la prompte cessation des mouvements musculaires causant de la douleur au décroissement du flot de l'énergie, car ce décroissement ne se fait sentir qu'après un intervalle. Réciproquement, nous ne pouvons pas attribuer la persistance dans l'action musculaire qui donne du plaisir à l'exaltation d'énergie qui en résulte; mais nous devons, comme je l'ai indiqué au n° 33, l'attribuer à l'établissement de lignes de décharge, entre le point où se fait sentir l'excitation agréable et ces structures contractiles qui conservent et accroissent l'acte causant l'excitation, connexions voisines de l'action réflexe, en laquelle elles se transforment par d'insensibles gradations.
CHAPITRE VII
LE POINT DE VUE PSYCHOLOGIQUE
40. Dans le chapitre précédent, nous avons déjà traité des sentiments dans leurs rapports avec la conduite, mais en ne considérant que leur aspect physiologique. Dans ce chapitre, au contraire, nous n'avons pas à nous occuper des connexions constitutionnelles entre les sentiments, – considérés comme nous portant à agir ou comme nous en détournant, – et les avantages physiques à atteindre ou les dommages à éviter; nous ne parlerons pas non plus de la réaction des sentiments sur l'organisme, comme nous mettant, ou non, en état d'agir à l'avenir. Nous avons à étudier les plaisirs et les peines, sensationnels ou émotionnels, considérés comme motifs réfléchis, comme engendrant une adaptation consciente de certains actes à certaines fins.
41. L'acte psychique rudimentaire, non encore distinct de l'acte physique, implique une excitation et un mouvement. Dans un être d'un type inférieur, le contact de la nourriture excite la préhension. Chez un être d'un ordre un peu plus élevé, l'odeur d'une substance nutritive détermine un mouvement du corps vers cette substance. Là où existe une vision rudimentaire, une diminution soudaine de lumière, impliquant le passage d'un grand objet, cause des mouvements musculaires convulsifs qui éloignent ordinairement le corps de la source du danger. Dans chacun de ces cas, nous pouvons distinguer quatre facteurs. Il y a (a) la propriété de l'objet extérieur qui affecte primitivement l'organisme, la saveur, l'odeur ou l'opacité. Lié avec cette propriété, il y a dans l'objet extérieur le caractère (b) qui rend avantageuse ou la prise de cet objet ou la fuite pour s'en éloigner. Dans l'organisme, il y a (c) l'impression ou la sensation que la propriété (a) produit, en agissant comme stimulus. Enfin, il y a, lié avec ce stimulus, le changement moteur (d) par lequel est effectuée ou la prise ou la fuite.
La psychologie doit surtout s'occuper de la connexion qui s'établit entre le rapport ab et le rapport cd, sous toutes les formes que prennent ces rapports dans le cours de l'évolution. Chacun des facteurs, et chacun des rapports, se développe davantage à mesure que l'organisation fait des progrès. Au lieu d'être simple, ce qui représente l'attribut a devient souvent, dans le milieu d'un animal supérieur, un groupe d'attributs, tels que la grandeur, la forme, les couleurs, les mouvements d'un être éloigné qui est dangereux. Le facteur b, avec lequel est associée cette combinaison d'attributs, devient l'ensemble de caractères, de pouvoirs, d'habitudes, qui en font un ennemi. Le facteur c devient une collection de sensations visuelles coordonnées les unes avec les autres et avec les idées et les sentiments qu'a fait naître l'expérience d'ennemis de ce genre, et constituant un motif de fuite; tandis que d devient la série compliquée, et souvent prolongée, de courses, de sauts, de détours, de plongeons, etc., nécessaires pour échapper à un ennemi.
Dans la vie humaine, nous trouvons les mêmes quatre facteurs extérieurs et intérieurs, plus multiformes encore et complexes dans leur composition et leurs connexions. L'assemblage entier des attributs physiques a, présentés par un domaine mis en vente, défie toute énumération, et l'assemblage des avantages divers b, qui résultent de ces attributs, ne peut pas non plus être brièvement spécifié. Les perceptions et les idées, suivant que cette propriété plaît ou ne plaît pas, c, qui sont causées par son aspect, et qui, en se combinant et se recombinant, finissent par former une raison pour l'acheter, font un tout trop considérable et trop complexe pour qu'on puisse le décrire; enfin les formalités légales, pécuniaires ou autres qu'il faut remplir pour acquérir ce domaine et en prendre possession, sont à peine moins nombreuses et moins compliquées.
Nous ne devons pas non plus oublier que non seulement les facteurs, mais encore les rapports entre ces facteurs, deviennent plus complexes en proportion des progrès de l'évolution. Primitivement, a est directement et simplement en rapport avec b, tandis que c est directement et simplement en rapport avec a. Mais à la fin, les connexions entre a et b, et entre c et d, deviennent très indirectes et très compliquées. D'un côté, – notre premier exemple le prouve, – la saveur et la propriété nutritive sont étroitement liées ensemble, comme le sont aussi la stimulation causée par l'une et la contraction qui utilise l'autre. Mais, on peut s'en rendre compte dans le dernier exemple, la connexion entre les traits visibles d'une propriété et les caractères qui en constituent la valeur est à la fois éloignée et compliquée, tandis que le passage du motif très complexe de l'acquéreur aux nombreuses actions des organes sensitifs et moteurs, actions complexes elles-mêmes, par lesquelles s'effectue l'acquisition, se fait au moyen d'un plexus compliqué de pensées et de sentiments qui constitue sa décision.
Cette explication permettra de saisir une vérité présentée autrement dans les Principes de psychologie. L'esprit se compose de sentiments et de relations entre les sentiments. Par une combinaison des relations, et des idées de relations, naît l'intelligence. Par une combinaison des sentiments, et des idées de sentiments, naît l'émotion. Toutes choses égales d'ailleurs, la grandeur de l'évolution de l'intelligence ou de l'émotion est proportionnelle à la grandeur de la combinaison. Une des propositions nécessaires qui en résultent, c'est que la connaissance est d'autant plus élevée qu'elle est plus éloignée de l'action réflexe, et l'émotion d'autant plus élevée qu'elle est plus éloignée de la sensation.
Maintenant, parmi les divers corollaires de cette large vue de l'évolution psychologique, cherchons ceux qui concernent les motifs et les actes classés comme moraux ou immoraux.
42. Le processus mental par lequel, dans un cas quelconque, l'adaptation des actes aux fins s'effectue, et qui, sous ses formes les plus élevées, devient le sujet des jugements moraux, ce processus peut se diviser en deux: d'abord l'apparition du sentiment ou des sentiments qui constituent le motif, ensuite celle de la pensée ou des pensées par lesquelles le motif prend un corps et aboutit à l'action. Le premier de ces éléments, une excitation à l'origine, devient une sensation simple; ensuite une sensation composée; ensuite un groupe de sensations partiellement présentatives et partiellement représentatives, formant une émotion naissante; ensuite un groupe de sensations exclusivement idéales ou représentatives, formant une émotion proprement dite; ensuite un groupe de groupes pareils, formant une émotion composée; puis il devient enfin une émotion encore plus développée, composée des formes idéales de ces émotions composées. L'autre élément, commençant au passage immédiat d'un simple stimulus à un simple mouvement appelé action réflexe, arrive bientôt à comprendre un ensemble de décharges associées de stimulations produisant des mouvements associés, constituant un instinct. Par degrés naissent des combinaisons plus complexes de stimulus, variables dans une certaine mesure en leurs modes d'union, conduisant à des mouvements complexes pareillement variables dans leurs adaptations; de là de temps en temps, des hésitations dans les processus sensori-moteurs. Bientôt vient une phase dans laquelle les groupes combinés d'impressions, non présents tous ensemble, aboutissent à des actions qui ne sont pas toutes simultanées; elles impliquent une représentation des résultats, ou la pensée. Ensuite arrivent d'autres phases où des pensées diverses ont le temps de passer avant que les motifs composites produisent les actions appropriées. A la fin apparaissent ces longues délibérations pendant lesquelles on pèse les probabilités de diverses conséquences, et l'on balance les incitations des sentiments corrélatifs; ces opérations constituent un jugement calme. Il sera facile de voir que, sous l'un ou l'autre de leurs aspects, les dernières formes du processus mental sont les plus hautes, au point de vue moral et à tous les points de vue.
Depuis le début en effet, une complication de la sensibilité a accompagné de meilleurs et de plus nombreux ajustements d'actes à leurs fins, comme l'a fait aussi une complication du mouvement, et une complication du processus coordinateur ou intellectuel qui unit les deux. D'où il suit que les actes caractérisés par les motifs les plus complexes et les pensées les plus développées, sont ceux qui ont toujours eu le plus d'autorité pour la direction de la conduite. Quelques exemples éclairciront cela.
Voici un animal aquatique guidé par l'odeur d'une matière organique vers des choses qui servent à sa nourriture; mais le même animal, dépourvu de tout autre guide, est à la merci d'animaux plus gros qui rôdent aux environs. En voici un autre, guidé aussi par l'odeur vers sa nourriture, mais qui possède une vision rudimentaire et qui est ainsi rendu capable de s'éloigner vivement d'un corps mobile répandant cette odeur, dans les cas où ce corps est assez gros pour produire un obscurcissement soudain de la lumière: car c'est ordinairement alors un ennemi. Evidemment il sauvera souvent sa vie en obéissant au dernier stimulus, qui est aussi le plus élevé, au lieu de suivre le premier et le moins élevé.
Observons à un étage plus élevé un conflit parallèle. Voici un animal qui en poursuit d'autres pour en faire sa proie, et qui, faute d'expérience, ou parce qu'il est poussé par l'excès de la faim, s'attaque à un ennemi plus fort que lui et se fait tuer. En voici un autre, au contraire, qui est poussé par une faim aussi violente, mais, soit par son expérience individuelle, soit par les effets d'une expérience héréditaire, ayant conscience du danger à la vue d'un animal plus fort que lui, il est détourné par là de l'attaquer et sauve sa vie en subordonnant le premier motif, consistant en sensations nées du besoin, au second motif, consistant en sentiments idéaux, distincts ou vagues.
En nous élevant immédiatement de ces exemples de conduite chez les animaux à des exemples de conduite humaine, nous verrons que les contrastes entre l'inférieur et le supérieur ont habituellement les mêmes traits. Le sauvage du type le plus bas dévore toute la nourriture que lui procure la chasse de chaque jour: affamé le lendemain, il devra peut-être supporter pendant plusieurs jours les tortures de la faim. Le sauvage supérieur, concevant avec plus de vivacité les souffrances qui l'attendent s'il ne trouve pas de gibier, est détourné par ce sentiment complexe de donner une entière satisfaction à son sentiment simple. L'inertie résultant du défaut de prévoyance et l'activité produite par une légitime prévoyance s'opposent de la même manière. L'homme primitif, mal équilibré et gouverné par les sensations du moment, ne fera rien tant qu'il ne lui faudra pas échapper à des souffrances actuelles; mais l'homme un peu avancé, capable d'imaginer plus distinctement les plaisirs et les souffrances à venir, est poussé par la pensée de ces biens et de ces maux à surmonter son amour du bien-être; la décroissance de la misère et de la mortalité résulte de cette prédominance des sentiments représentatifs sur les sentiments présentatifs.
Sans insister sur le fait que, parmi les hommes civilisés, le même contraste existe entre ceux qui mènent la vie des sens et ceux dont la vie est largement remplie de plaisirs qui ne sont pas du genre sensuel, je veux marquer seulement qu'il y a des contrastes analogues entre la direction donnée par les sentiments représentatifs les moins complexes ou les émotions de l'ordre le plus bas, et la direction donnée par les sentiments représentatifs les plus complexes ou les émotions de l'ordre le plus élevé. Lorsque, sous l'influence de l'amour de la propriété, – sentiment représentatif qui, agissant dans de justes bornes, conduit au bien-être, – le voleur prend le bien d'un autre homme, son action est déterminée par l'imagination de certains plaisirs immédiats de genres relativement simples, plutôt que par l'imagination moins nette de peines possibles qui sont plus éloignées et de genres relativement complexes. Mais, chez l'homme consciencieux, il y a un motif adéquat de retenue, encore plus représentatif dans sa nature, renfermant non seulement les idées de châtiment, de déshonneur et de ruine, mais aussi l'idée des droits de la personne qui a la propriété, et des souffrances que lui causerait la perte de son bien: le tout est joint à une aversion générale pour les actes nuisibles aux autres, aversion qui naît des effets héréditaires de l'expérience. Nous voyons ici à la fin, comme nous l'avons vu en commençant, que, tout compte fait, la direction donnée par le sentiment le plus complexe conduit mieux au bien-être que la direction donnée par le sentiment le plus simple.
Il en est de même des coordinations intellectuelles par lesquelles les stimulus aboutissent aux mouvements. Les actes du genre le plus bas, appelés réflexes, – dans lesquels une impression faite sur un nerf afférent produit à travers un nerf efférent une décharge qui engendre la contraction, – révèlent un ajustement très limité d'actes à leurs fins: l'impression étant simple, et simple aussi le mouvement qui en résulte, la coordination interne est simple elle-même.
Il est évident que si plusieurs sens peuvent être affectés en même temps par un objet extérieur, et si les mouvements provoqués par lui sont combinés d'une manière différente selon que cet objet appartient à un genre ou à un autre, les coordinations intermédiaires deviennent nécessairement plus compliquées. Il est évident aussi que tout progrès dans l'évolution de l'intelligence, servant toujours à mieux assurer la conservation de l'être, présente le même trait général. Les adaptations par lesquelles les actions plus compliquées s'approprient à des circonstances plus compliquées impliquent des coordinations plus complexes, par suite plus délibérées et plus conscientes. Lorsque nous arrivons aux hommes civilisés, qui, dans leurs affaires journalières, pèsent un grand nombre de données ou de conditions, et adaptent leurs procédés à des conséquences variées, nous voyons que les actions intellectuelles, devenues ce que nous appelons des jugements, sont à la fois très élaborées et très délibérées.
Voyons maintenant ce qui touche à l'autorité relative des motifs. En montant des créatures les plus basses jusqu'à l'homme, et des types les plus grossiers de l'humanité jusqu'aux plus élevés, la force de conservation s'est accrue par la subordination d'excitations simples à des excitations composées, par la subordination de sensations actuelles à des idées de sensations à venir, par le fait de soumettre les sentiments présentatifs aux sentiments représentatifs, et les sentiments représentatifs aux sentiments re-représentatifs. A mesure que la vie s'est développée, la sensibilité concomitante est devenue de plus en plus idéale; parmi les sentiments produits par la combinaison des idées, les plus élevés, ceux qui se sont développés les derniers, sont les sentiments recomposés ou doublement idéaux. Considérés comme guides, les sentiments ont donc une autorité d'autant plus grande que, par leur complexité et leur idéalité, ils s'éloignent davantage de simples sensations et de simples appétits.