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Kitabı oku: «Le rouge et le noir», sayfa 9

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Arrivés à l’appartement de l’évêque, de grands laquais bien chamarrés daignèrent à peine répondre au vieux curé que Monseigneur n’était pas visible. On se moqua de lui quand il voulut expliquer qu’en sa qualité de doyen du chapitre noble de Bray-le-Haut, il avait le privilège d’être admis en tout temps auprès de l’évoque officiant.

L’humeur hautaine de Julien fut choquée de l’insolence des laquais. Il se mit à parcourir Tes dortoirs de l’antique abbaye, secouant toutes les portes qu’il rencontrait. Une fort petite céda à ses efforts, et il se trouva dans une cellule au milieu des valets de chambre de Monseigneur, en habit noir et la chaîne au cou. A son air pressé, ces messieurs le crurent mandé par l’évêque et le laissèrent passer. Il fit quelques pas et se trouva dans une immense salle gothique extrêmement sombre, et toute lambrissée de chêne noir; à l’exception d’une seule, les fenêtres en ogive avaient été murées avec des briques. La grossièreté de cette maçonnerie n’était déguisée par rien, et faisait un triste contraste avec l’antique magnificence de la boiserie. Les deux grands côtés de cette salle célèbre parmi les antiquaires bourguignons et que le duc Charles le Téméraire avait fait bâtir vers 1470 en expiation de quelque péché, étaient garnis de stalles de bois richement sculptées. On y voyait, figurés en bois de différentes couleurs, tous les mystères de l’Apocalypse.

Cette magnificence mélancolique, dégradée par la vue des briques nues et du plâtre encore tout blanc, toucha Julien. Il s’arrêta en silence. A l’autre extrémité de la salle, près de l’unique fenêtre par laquelle le jour pénétrait, il vit un miroir mobile en acajou. Un jeune homme, en robe violette et en surplis de dentelle, mais la tête nue, était arrêté à trois pas de la glace. Ce meuble semblait étrange en un tel lieu, et, sans doute, y avait été apporté de la ville. Julien trouva que le jeune homme avait l’air irrité; de la main droite, il donnait gravement des bénédictions du côté du miroir.

Que peut signifier ceci, pensa-t-il? est-ce une cérémonie préparatoire qu’accomplit cc jeune prêtre? C’est peut-être le secrétaire de l’évêque… il sera insolent comme les laquais… ma foi, n’importe, essayons.

Il avança et parcourut assez lentement la longueur de la salle, toujours la vue fixée vers l’unique fenêtre, et regardant ce jeune homme qui continuait à donner des bénédictions exécutées lentement mais en nombre infini, et sans se reposer un instant.

A mesure qu’il approchait, il distinguait mieux son air fâché. La richesse du surplis garni de dentelles arrêta involontairement Julien à quelques pas du magnifique miroir.

Il est de mon devoir de parler, se dit-il enfin; mais la beauté de la salle l’avait ému, et il était froissé d’avance des mots durs qu’on allait lui adresser.

Le jeune homme le vit dans la psyché, se retourna, et quittant subitement l’air fâché, lu dit du ton le plus doux:

– Hé bien! Monsieur, est-elle enfin arrangée?

Julien resta stupéfait. Comme ce jeune homme se tournait vers lui,

Julien vit la croix pectorale sur sa poitrine: c’était l’évêque d’Agde.

Si jeune, pensa Julien; tout au plus six ou huit ans de plus que moi!..

Et il eut honte de ses éperons.

– Monseigneur, répondit-il timidement, je suis envoyé par le doyen du chapitre, M. Chélan.

– Ah! il m’est fort recommandé, dit l’évêque d’un ton poli qui redoubla l’enchantement de Julien. Mais je vous demande pardon, Monsieur, je vous prenais pour la personne qui doit me rapporter ma mitre. On l’a mal emballée à Paris; la toile d’argent est horriblement gâtée vers le haut. Cela fera le plus vilain effet, ajouta le jeune évêque d’un air triste, et encore on me fait attendre!

– Monseigneur, je vais chercher la mitre, si Votre Grandeur le permet.

Les beaux yeux de Julien firent leur effet.

– Allez, Monsieur, répondit l’évêque avec une politesse charmante; il me la faut sur-le-champ. Je suis désolé de faire attendre messieurs du chapitre.

Quand Julien fut arrivé au milieu de la salle il se retourna vers l’évêque et le vit qui s’était remis à donner des bénédictions. Qu’est-ce que cela peut être? se demanda Julien, sans doute c’est une préparation ecclésiastique nécessaire à la cérémonie qui va avoir lieu. Comme il arrivait dans la cellule où se tenaient les valets de chambre, il vit la mitre entre leurs mains. Ces messieurs, cédant malgré eux au regard impérieux de Julien, lui remirent la mitre de Monseigneur.

Il se sentit fier de la porter: en traversant la salle, il marchait lentement; il la tenait avec respect. Il trouva l’évêque assis devant la glace; mais, de temps à autre, sa main droite, quoique fatiguée, donnait encore la bénédiction. Julien l’aida à placer sa mitre. L’évoque secoua la tête.

– Ah! elle tiendra, dit-il à Julien d’un air content. Voulez-vous vous éloigner un peu?

Alors l’évêque alla fort vite au milieu de la pièce, puis se rapprochant du miroir à pas lents, il reprit l’air fâché, et donnait gravement des bénédictions.

Julien était immobile d’étonnement; il était tenté de comprendre, mais n’osait pas. L’évêque s’arrêta, et le regardant avec un air qui perdait rapidement de sa gravité:

– Que dites-vous de ma mitre, Monsieur, va-t-elle bien?

– Fort bien, Monseigneur.

– Elle n’est pas trop en arrière? cela aurait l’air un peu niais; mais il ne faut pas non plus la porter baissée sur les yeux comme un shako d’officier.

– Elle me semble aller fort bien.

– Le roi de *** est accoutumé à un clergé vénérable et sans doute fort grave. Je ne voudrais pas, à cause de mon âge surtout, avoir l’air trop léger.

Et l’évêque se mit de nouveau à marcher en donnant des bénédictions.

C’est clair, dit Julien, osant enfin comprendre, il s’exerce à donner la bénédiction.

Après quelques instants:

– Je suis prêt, dit l’évoque. Allez, monsieur, avertir M. le doyen et messieurs du chapitre.

Bientôt M. Chélan suivi des deux curés les plus âgés, entra par une fort grande porte magnifiquement sculptée, et que Julien n’avait pas aperçue. Mais cette fois, il resta à son rang le dernier de tous, et ne put voir l’évêque que par-dessus les épaules des ecclésiastiques qui se pressaient en foule à cette porte.

L’évêque traversait lentement la salle; lorsqu’il fut arrivé sur le seuil, les curés se formèrent en procession. Après un petit moment de désordre, la procession commença à marcher en entonnant un psaume. L’évêque s’avançait le dernier entre M. Chélan et un autre curé fort vieux. Julien se glissa tout à fait près de Monseigneur, comme attaché à l’abbé Chélan. On suivit les longs corridors de l’abbaye de Bray-le-Haut; malgré le soleil éclatant, ils étaient sombres et humides. On arriva enfin au portique du cloître. Julien était stupéfait d’admiration pour une si belle cérémonie. L’ambition réveillée par le jeune âge de l’évêque, la sensibilité et la politesse exquise de ce prélat se disputaient son coeur. Cette politesse était bien autre chose que celle de M. de Rênal, même dans ses bons jours. Plus on s’élève vers le premier rang de la société, se dit Julien, plus on trouve de ces manières charmantes.

On entrait dans l’église par une porte latérale; tout à coup un bruit épouvantable fit retentir ses voûtes antiques Julien crut qu’elles s’écroulaient. C’était encore la petite pièce de canon; traînée par huit chevaux au galop, elle venait d’arriver; et à peine arrivée, mise en batterie par les canonniers de Leipzig, elle tirait cinq coups par minute, comme si les Prussiens eussent été devant elle.

Mais ce bruit admirable ne fit plus d’effet sur Julien, il ne songeait plus à Napoléon et à la gloire militaire. Si jeune, pensait-il, être évêque d’Agde! mais où est Agde? et combien cela rapporte-t-il? deux ou trois cent mille francs peut-être.

Les laquais de Monseigneur parurent avec un dais magnifique; M. Chélan prit l’un des bâtons, mais dans le fait ce fut Julien qui le porta. L’évêque se plaça dessous. Réellement il était parvenu à se donner l’air vieux; l’admiration de notre héros n’eut plus de bornes. Que ne fait-on pas avec de l’adresse! pensa-t-il.

Le roi entra. Julien eut le bonheur de le voir de très près. L’évêque le harangua avec onction, et sans oublier une petite nuance de trouble fort poli pour Sa Majesté. Nous ne répéterons point la description des cérémonies de Bray-le-Haut; pendant quinze jours, elles ont rempli les colonnes de tous les journaux du département. Julien apprit par le discours de l’évêque, que le roi descendait de Charles le Téméraire.

Plus tard il entra dans les fonctions de Julien de vérifier les comptes de ce qu’avait coûté cette cérémonie. M. de La Mole, qui avait fait avoir un évêché à son neveu, avait voulu lui faire la galanterie de se charger de tous les frais. La seule cérémonie de Bray-le-Haut coûta trois mille huit cents francs.

Après le discours de l’évêque et la réponse du roi, Sa Majesté se plaça sous le dais, ensuite elle s’agenouilla fort dévotement sur un coussin près de l’autel. Le choeur était environné de stalles, et les stalles élevées de deux marches sur le pavé. C’était sur la dernière de ces marches que Julien était assis aux pieds de M. Chélan, à peu près comme un caudataire près de son cardinal, à la chapelle Sixtine, à Rome. Il y eut un Te Deum, des flots d’encens des décharges infinies de mousqueterie et d’artillerie; les paysans étaient ivres de bonheur et de piété. Une telle journée défait l’ouvrage de cent numéros des journaux jacobins.

Julien était à six pas du roi, qui réellement priait avec abandon. Il remarqua, pour la première fois, un petit homme au regard spirituel et qui portait un habit presque sans broderies. Mais il avait un cordon bleu de ciel par-dessus cet habit fort simple. Il était plus près du roi que beaucoup d’autres seigneurs, dont les habits étaient tellement brodés d’or, que, suivant l’expression de Julien, on ne voyait pas le drap. Il apprit quelques moments après, que c’était M. de La Mole. Il lui trouva l’air hautain et même insolent.

Cc marquis ne serait pas poli comme mon joli évêque, pensa-t-il. Ah! l’état ecclésiastique rend doux et sage. Mais le roi est venu pour vénérer la relique, et je ne vois point de relique. Où sera saint Clément?

Un petit clerc, son voisin, lui apprit que la vénérable relique était dans le haut de l’édifice, dans une chapelle ardente.

Qu’est-ce qu’une chapelle ardente? se dit Julien.

Mais il ne voulut pas demander l’explication de ce mot. Son attention redoubla.

En cas de visite d’un prince souverain l’étiquette veut que les chanoines n’accompagnent pas l’évêque. Mais en se mettant en marche pour la chapelle ardente, monseigneur d’Agde appela l’abbé Chélan; Julien osa le suivre.

Après avoir monté un long escalier, on parvint à une porte extrêmement petite, mais dont le chambranle gothique était doré avec magnificence. Cet ouvrage avait l’air fait de la veille.

Devant la porte, étaient réunies à genoux vingt-quatre jeunes filles, appartenant aux familles les plus distinguées de Verrières. Avant d’ouvrir la porte, l’évêque se mit à genoux au milieu de ces jeunes filles toutes jolies. Pendant qu’il priait à haute voix, elles semblaient ne pouvoir assez admirer ses belles dentelles, sa bonne grâce, sa figure si jeune et si douce. Ce spectacle fit perdre à notre héros ce qui lui restait de raison. En cet instant, il se fût battu pour l’Inquisition, et de bonne foi. La porte s’ouvrit tout à coup. La petite chapelle parut comme embrasée de lumière. On apercevait sur l’autel plus de mille cierges divisés en huit rangs, séparés entre eux par des bouquets de fleurs. L’odeur suave de l’encens le plus pur sortait en tourbillon de la porte du sanctuaire. La chapelle dorée à neuf était fort petite, mais très élevée. Julien remarqua qu’il y avait sur l’autel des cierges qui avaient plus de quinze pieds de haut. Les jeunes filles ne purent retenir un cri d’admiration. On n’avait admis dans le petit vestibule de la chapelle que les vingt-quatre jeunes filles, les deux curés et Julien.

Bientôt le roi arriva, suivi du seul M. de La Mole et de son grand chambellan. Les gardes eux-mêmes restèrent en dehors, à genoux, et présentant les armes.

Sa Majesté se précipita plutôt qu’elle ne se jeta sur le prie-Dieu. Ce fut alors seulement que Julien, collé contre la porte dorée, aperçut, par-dessous le bras nu d’une jeune fille, la charmante statue de saint Clément. Il était caché sous l’autel, en costume de jeune soldat romain. Il avait au cou une large blessure d’où le sang semblait couler. L’artiste s’était surpassé ses yeux mourants, mais pleins de grâce, étaient à demi fermés. Une moustache naissante ornait cette bouche charmante, qui à demi fermée avait encore l’air de prier. A cette vue, la jeune fille voisine de Julien pleura à chaudes larmes; une de ses larmes tomba sur la main de Julien.

Après un instant de prières dans le plus profond silence, troublé seulement par le son lointain des cloches de tous les villages à dix lieues à la ronde, l’évêque d’Agde demanda au roi la permission de parler. Il finit un petit discours fort touchant par des paroles simples, mais dont l’effet n’en était que mieux assuré.

– N’oubliez jamais, jeunes chrétiennes, que vous avez vu l’un des plus grands rois de la terre à genoux devant les serviteurs de ce Dieu tout-puissant et terrible. Ces serviteurs faibles, persécutés assassinés sur la terre comme vous le voyez par la blessure encore sanglante de saint Clément, ils triomphent au ciel. N’est-ce pas, jeunes chrétiennes, vous vous souviendrez à jamais de ce jour? vous détesterez l’impie. A jamais vous serez fidèles à ce Dieu si grand, si terrible, mais si bon.

A ces mots l’évêque se leva avec autorité.

– Vous me le promettez, dit-il, en avançant le bras, d’un air inspiré.

– Nous le promettons, dirent les jeunes filles, en fondant en larmes.

– Je reçois votre promesse, au nom du Dieu terrible ajouta l’évoque, d’une voix tonnante.

Et la cérémonie fut terminée.

Le roi lui-même pleurait. Ce ne fut que longtemps après que Julien eut assez de sang-froid pour demander où étaient les os du saint envoyés de Rome à Philippe le Bon, duc de Bourgogne. On lui apprit qu’ils étaient cachés dans la charmante figure de cire.

Sa Majesté daigna permettre aux demoiselles qui l’avaient accompagnée dans la chapelle de porter un ruban rouge sur lequel étaient brodés ces mots: HAINE A L’IMPIE, ADORATION PERPETUELLE.

M. de La Mole fit distribuer aux paysans dix mille bouteilles de vin. Le soir, à Verrières, les libéraux trouvèrent une raison pour illuminer cent fois mieux que les royalistes. Avant de partir, le roi fit une visite à M. de Moirod.

CHAPITRE XIX. PENSER FAIT SOUFFRIR

Le grotesque des événements de tous les jours vous cache le vrai malheur des passions.

BARNAVE

En replaçant les meubles ordinaires dans la chambre qu’avait occupée M. de La Mole, Julien trouva une feuille de papier très fort, pliée en quatre. Il lut au bas de la première page:

A.S.E.M. le marquis de La Mole, pair de France, chevalier des ordres du roi, etc., etc.

C’était une pétition en grosse écriture de cuisinière.

«Monsieur le marquis,

J’ai eu toute ma vie des principes religieux. J’étais dans Lyon, exposé aux bombes, lors du siège, en 93, d’exécrable mémoire. Je communie, je vais tous les dimanches à la messe en l’église paroissiale. Je n’ai jamais manqué au devoir pascal, même en 93, d’exécrable mémoire. Ma cuisinière, avant la Révolution j’avais des gens, ma cuisinière fait maigre le vendredi. Je jouis dans Verrières d’une considération générale, et j’ose dire méritée. Je marche sous le dais dans les processions à côté de M. le curé et de M. le maire. Je porte, dans les grandes occasions, un gros cierge acheté à mes frais. De tout quoi les certificats sont à Paris au ministère des Finances. Je demande à Monsieur le marquis le bureau de loterie de Verrières, qui ne peut manquer d’être bientôt vacant d’une manière ou d’une autre, le titulaire étant fort malade, et d’ailleurs votant mal aux élections; etc.

DE CHOLIN.»

En marge de cette pétition était une apostille signée De Moirod, et qui commençait par cette ligne:

«J’ai eu l’honneur de parler yert du bon sujet qui fait cette demande», etc.

Ainsi, même cet imbécile de Cholin me montre le chemin qu’il faut suivre, se dit Julien.

Huit jours après le passage du roi de *** à Verrières ce qui surnageait des innombrables mensonges, sottes interprétations, discussions ridicules, etc., etc., dont avaient été l’objet, successivement, le roi, l’évêque d’Agde, le marquis de La Mole, les dix mille bouteilles de vin, le pauvre tombé de Moirod, qui dans l’espoir d’une croix, ne sortit de chez lui qu’un mois après sa chute, ce fut l’indécence extrême d’avoir bombardé dans la garde d’honneur Julien Sorel, fils d’un charpentier. Il Fallait entendre, à ce sujet, les riches fabricants de toiles peintes, qui, soir et matin, s’enrouaient au café, à prêcher l’égalité. Cette femme hautaine, Mme de Rênal, était l’auteur de cette abomination. La raison? les beaux yeux et les joues si fraîches du petit abbé Sorel la disaient de reste.

Peu après le retour à Vergy, Stanislas-Xavier, le plus jeune des enfants, prit la fièvre; tout à coup Mme de Rênal tomba dans des remords affreux. Pour la première fois, elle se reprocha son amour d’une façon suivie, elle sembla comprendre, comme par miracle, dans quelle faute énorme elle s’était laissé entraîner. Quoique d’un caractère profondément religieux, jusqu’à ce moment elle n’avait pas songé à la grandeur de son crime aux yeux de Dieu.

Jadis, au couvent du Sacré-Coeur elle avait aimé Dieu avec passion; elle le craignit de même en cette circonstance. Les combats qui déchiraient son âme étaient d’autant plus affreux qu’il n’y avait rien de raisonnable dans sa peur. Julien éprouva que le moindre raisonnement l’irritait, loin de la calmer, elle y voyait le langage de l’enfer. Cependant, comme Julien aimait beaucoup lui-même le petit Stanislas, il était mieux venu à lui parler de sa maladie: elle prit bientôt un caractère grave. Alors le remords continu ôta à Mme de Rênal jusqu’à la faculté de dormir; elle ne sortait point d’un silence farouche: si elle eût ouvert la bouche, c’eût été pour avouer son crime à Dieu et aux hommes.

– Je vous en conjure, lui disait Julien dès qu’ils se trouvaient seuls, ne parlez à personne que je sois le seul confident de vos peines. Si vous m’aimez encore, ne parlez pas: vos paroles ne peuvent ôter la fièvre à notre Stanislas.

Mais ses consolations ne produisaient aucun effet; il ne savait pas que Mme de Rênal s’était mis dans la tête que pour apaiser la colère du Dieu jaloux, il fallait haïr Julien ou voir mourir son fils. C’était Farce qu’elle sentait qu’elle ne pouvait haïr son amant qu’elle était si malheureuse.

– Fuyez-moi dit-elle un jour à Julien au nom de Dieu, quittez cette maison: c’est votre présence ici qui tue mon fils.

Dieu me punit, ajouta-t-elle à voix basse, il est juste j’adore son équité, mon crime est affreux et je vivais sans remords! C’était le premier signe de l’abandon de Dieu: je dois être punie doublement.

Julien fut profondément touché. Il ne pouvait voir là ni hypocrisie ni exagération. Elle croit tuer son fils en m’aimant, et cependant la malheureuse m’aime plus que son fils. Voilà, je n’en puis douter, le remords qui la tue; voilà de la grandeur dans les sentiments. Mais comment ai-je pu inspirer un tel amour, moi, si pauvre, si mal élevé, si ignorant, quelquefois si grossier dans mes façons?

Une nuit, l’enfant fut au plus mal. Vers les deux heures du matin, M. de Rênal vint le voir. L’enfant, dévoré par la fièvre, était fort rouge et ne put reconnaître son père. Tout à coup Mme de Rênal se jeta aux pieds de son mari: Julien vit qu’elle allait tout dire et se perdre à jamais.

Par bonheur, ce mouvement singulier importuna M. de Rênal.

– Adieu! adieu! dit-il en s’en allant.

– Non, écoute-moi, s’écria sa femme à genoux devant lui, et cherchant à le retenir. Apprends toute la vérité. C’est moi qui tue mon fils. Je lui ai donné la vie, et je la lui reprends. Le ciel me punit; aux yeux de Dieu, je suis coupable de meurtre. Il faut que je me perde et m’humilie moi-même: peut-être ce sacrifice apaisera le Seigneur.

Si M. de Rênal eût été un homme d’imagination, il savait tout.

– Idées romanesques, s’écria-t-il en éloignant sa femme qui cherchait à embrasser ses genoux. Idées romanesques que tout cela! Julien, faites appeler le médecin à la pointe du jour.

Et il retourna se coucher. Mme de Rênal tomba à genoux, à demi évanouie, en repoussant avec un mouvement convulsif Julien qui voulait la secourir.

Julien resta étonné.

Voilà donc l’adultère! se dit-il. Serait-il possible que ces prêtres si fourbes… eussent raison? Eux qui commettent tant de péchés, auraient le privilège de connaître la vraie théorie du péché? Quelle bizarrerie!…

Depuis vingt minutes que M. de Rênal s’était retiré Julien voyait la femme qu’il aimait, la tête appuyée sur le petit lit de l’enfant, immobile et presque sans connaissance. Voilà une femme d’un génie supérieur, réduite au comble du malheur parce qu’elle m’a connu, se dit-il.

Les heures avancent rapidement. Que puis-je pour elle? Il faut se décider. Il ne s’agit plus de moi ici. Que m’importent les hommes et leurs plates simagrées? Que puis-je pour elle?… la quitter? Mais je la laisse seule en proie à la plus affreuse douleur. Cet automate de mari lui nuit plus qu’il ne lui sert. Il lui dira quelque mot dur, à force d’être grossier; elle peut devenir folle, se jeter par la fenêtre.

Si je la laisse, si je cesse de veiller sur elle, elle lui avouera tout. Et que sait-on, peut-être, malgré l’héritage qu’elle doit lui apporter, il fera un esclandre. Elle peut tout dire, grand dieu! à ce c…’ d’abbé Maslon, qui prend prétexte de la maladie d’un enfant de six ans, pour ne plus bouger de cette maison et non sans dessein. Dans sa douleur et sa crainte de Dieu, elle oublie tout ce qu’elle sait de l’homme; elle ne voit que le prêtre.

– Va-t’en, lui dit tout à coup Mme de Rênal, en ouvrant les yeux.

– Je donnerais mille fois ma vie, pour savoir ce qui peut t’être le plus utile, répondit Julien: jamais je ne t’ai tant aimée, mon cher ange, ou plutôt, de cet instant seulement, je commence à t’adorer comme tu mérites de l’être. Que deviendrai-je loin de toi, et avec la conscience que tu es malheureuse par moi! Mais qu’il ne soit pas question de mes souffrances. Je partirai oui, mon amour. Mais, si je te quitte, si je cesse de veiller sur toi, de me trouver sans cesse entre toi et ton mari, tu lui dis tout, tu te perds. Songe que c’est avec ignominie qu’il te chassera de sa maison; tout Verrières, tout Besançon parleront de ce scandale. On te donnera tous les torts; jamais tu ne te relèveras de cette honte…

– C’est ce que je demande, s’écria-t-elle, en se levant debout. Je souffrirai, tant mieux.

– Mais, par ce scandale abominable, tu feras aussi son malheur à lui!

– Mais je m’humilie moi-même, je me jette dans la fange; et, par là peut-être, je sauve mon fils. Cette humiliation, aux yeux de tous, c’est peut-être une pénitence publique? Autant que ma faiblesse peut en juger, n’est-ce pas le plus grand sacrifice que je puisse faire à Dieu?… Peut-être daignera-t-il prendre mon humiliation et me laisser mon fils. Indique-moi un autre sacrifice plus pénible, et j’y cours.

– Laisse-moi me punir. Moi aussi, je suis coupable. Veux-tu que je me retire à la Trappe? L’austérité de cette vie peut apaiser ton Dieu… Ah! ciel! que ne puis-je prendre pour moi la maladie de Stanislas…

– Ah! tu l’aimes, toi, dit Mme de Rênal, en se relevant et se jetant dans ses bras.

Au même instant, elle le repoussa avec horreur.

– Je te crois! je te crois! continua-t-elle, après s’être remise à genoux; ô mon unique ami! ô pourquoi n’es-tu pas le père de Stanislas? Alors ce ne serait pas un horrible péché de t’aimer mieux que ton fils.

– Veux-tu me permettre de rester, et que désormais je ne t’aime que comme un frère? C’est la seule expiation raisonnable elle peut apaiser la colère du Très-Haut.

– Et moi, s’écria-t-elle, en se levant et prenant la tête de Julien entre ses deux mains, et la tenant devant ses yeux à distance, et moi, t’aimerai-je comme un frère? Est-il en mon pouvoir de t’aimer comme un frère?

Julien fondait en larmes.

– Je t’obéirai, dit-il, en tombant à ses pieds, je t’obéirai quoi que tu m’ordonnes c’est tout ce qui me reste à faire. Mon esprit est frappé d’aveuglement; je ne vois aucun parti à prendre. Si je te quitte, tu dis tout à ton mari, tu te perds et lui avec. Jamais, après ce ridicule, il ne sera nommé député. Si je reste, tu me crois la cause de la mort de ton fils, et tu meurs de douleur. Veux-tu essayer de l’effet de mon départ? Si tu veux, je vais me punir de notre faute, en te quittant pour huit jours. J’irai les passer dans la retraite où tu voudras. A l’abbaye de Bray-le-Haut, par exemple: mais jure-moi pendant mon absence de ne rien avouer à ton mari. Songe que je ne pourrai plus revenir si tu parles.

Elle promit, il partit, mais fut rappelé au bout de deux jours.

– Il m’est impossible sans toi de tenir mon serment. Je parlerai à mon mari, si tu n’es pas là constamment pour m’ordonner par tes regards de me taire. Chaque heure de cette vie abominable me semble durer une journée.

Enfin le ciel eut pitié de cette mère malheureuse. Peu à peu Stanislas ne fut plus en danger. Mais la glace était brisée, sa raison avait connu l’étendue de son péché: elle ne put plus reprendre l’équilibre. Les remords restèrent et ils furent ce qu’ils devaient être dans un coeur si sincère. Sa vie fut le ciel et l’enfer: l’enfer quand elle ne voyait pas Julien, le ciel quand elle était à ses pieds.

– Je ne me fais plus aucune illusion, lui disait-elle, même dans les moments où elle osait se livrer à tout son amour: je suis damnée, irrésistiblement damnée. Tu es jeune, tu as cédé à mes séductions, le ciel peut te pardonner mais moi je suis damnée. Je le connais à un signe certain. J’ai peur: qui n’aurait pas peur devant la vue de l’enfer? Mais au fond, je ne me repens point. Je commettrais de nouveau ma faute si elle était à commettre. Que le ciel seulement ne me punisse pas dès ce monde, et dans mes enfants, et j’aurai plus que je ne mérite. Mais toi, du moins, mon Julien, s’écriait-elle dans d’autres moments, es-tu heureux? Trouves-tu que je t’aime assez?

La méfiance et l’orgueil souffrant de Julien qui avait surtout besoin d’un amour à sacrifices, ne tinrent pas devant la vue d’un sacrifice si grand, si indubitable et fait à chaque instant. Il adorait Mme de Rênal. Elle a beau être noble, et moi le fils d’un ouvrier, elle m’aime… Je ne suis pas auprès d’elle un valet de chambre chargé des fonctions d’amant. Cette crainte éloignée, Julien tomba dans toutes les folies de l’amour, dans ses incertitudes mortelles.

– Au moins, s’écriait-elle en voyant ses doutes sur son amour, que je te rende bien heureux pendant le peu de jours que nous avons à passer ensemble! Hâtons-nous; demain peut-être, je ne serai plus à toi. Si le ciel me frappe dans mes enfants, c’est en vain que je chercherai à ne vivre que pour t’aimer, à ne pas voir que c’est mon crime qui les tue. Je ne pourrai survivre à ce coup. Quand je le voudrais, je ne pourrais; je deviendrais folle.

– Ah! si je pouvais prendre sur moi ton péché, comme tu m’offrais si généreusement de prendre la fièvre ardente de Stanislas!

Cette grande crise morale changea la nature du sentiment qui unissait Julien à sa maîtresse. Son amour ne fut plus seulement de l’admiration pour la beauté, l’orgueil de la posséder.

Leur bonheur était désormais d’une nature bien supérieure, la flamme qui les dévorait fut plus intense. Ils avaient des transports pleins de folie. Leur bonheur eût paru plus grand aux yeux du monde. Mais ils ne retrouvèrent plus la sérénité délicieuse, la félicité sans nuages le bonheur facile des premières époques de leurs amours, quand la seule crainte de Mme de Rênal était de n’être pas assez aimée de Julien. Leur bonheur avait quelquefois la physionomie du crime.

Dans les moments les plus heureux et en apparence les plus tranquilles:

– Ah! grand Dieu! je vois l’enfer, s’écriait tout à coup Mme de Rênal, en serrant la main de Julien d’un mouvement convulsif. Quels supplices horribles! je les ai bien mérités.

Elle le serrait, s’attachant à lui comme le lierre à la muraille.

Julien essayait en vain de calmer cette âme agitée. Elle lui prenait la main, qu’elle couvrait de baisers. Puis, retombée dans une rêverie sombre:

– L’enfer, disait-elle, l’enfer serait une grâce pour moi; j’aurais encore sur la terre quelques jours à passer avec lui, mais l’enfer dès ce monde, la mort de mes enfants… Cependant à ce prix, peut-être mon crime me serait pardonné… Ah! grand Dieu! ne m’accordez point ma grâce à ce prix. Ces pauvres enfants ne vous ont point offensé; moi, moi. Je suis la seule coupable! J’aime un homme qui n’est point mon mari.

Julien voyait ensuite Mme de Rênal arriver à des moments tranquilles en apparence. Elle cherchait à prendre sur elle, elle voulait ne pas empoisonner la vie de ce qu’elle aimait.

Au milieu de ces alternatives d’amour, de remords et de plaisir les journées passaient pour eux avec la rapidité de l’éclair. Julien perdit l’habitude de réfléchir.

Mlle Élisa alla suivre un petit procès qu’elle avait à Verrières. Elle trouva M. Valenod fort piqué contre Julien. Elle haïssait le précepteur, et lui en parlait souvent.

– Vous me perdriez, monsieur, si je disais la vérité!… disait-elle un jour à M. Valenod. Les maîtres sont tous d’accord entre eux pour les choses importantes… On ne pardonne jamais certains aveux aux pauvres domestiques…

Après ces phrases d’usage, que l’impatiente curiosité de M. Valenod trouva l’art d’abréger, il apprit les choses les plus mortifiantes pour son amour-propre.

Cette femme la plus distinguée du pays, que pendant six ans il avait environnée de tant de soins, et malheureusement au vu et au su de tout le monde; cette femme si fière, dont les dédains l’avaient tant de fois fait rougir, elle venait de prendre pour amant un petit ouvrier déguisé en précepteur. Et afin que rien ne manquât au dépit de M. le directeur du dépôt, Mme de Rênal adorait cet amant.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
630 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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