Kitabı oku: «Un Cadet de Famille, v. 1/3», sayfa 18
XLVI
– Il y a dix mois, en touchant à l'île Rodrigues pour y prendre du bois et de l'eau, il me prit fantaisie d'aller chasser dans les jungles; je découvris dans une crevasse de rocher un homme nu, sauvage et affamé. Ce malheureux était Torra.
– Comment! s'écria Louis, qui ne se leva pas de son siége, mais qui avança son énorme tête en dehors de la porte de l'office; comment! répéta-t-il, affamé! S'il a encore faim, je lui donnerai de cette tortue, je ne puis pas tout manger, et il y en a en abondance sur le vaisseau; j'aime Torra, moi, parce que c'est un honnête homme.
La sueur qui coulait du front de Louis, la graisse de tortue qui suintait de sa bouche, ses yeux brillants de satisfaction sensuelle, nous firent éclater de rire. Il retira sa tête en grommelant un interrogatif croyez-vous?
– Mon arme ne permettait pas à l'esclave de fuir, reprit de Ruyter, je lui fis signe d'approcher de moi, et je l'interrogeai.
Avec une peine et une attention inouïes, je parvins à comprendre qu'il avait fui les tortures que lui faisait subir un inspecteur hollandais, son maître; il me dit encore qu'il avait été employé avec d'autres esclaves, dans le nord de l'île Rodrigues, à saler du poisson et à attraper des tortues pour les expédier à l'île de France.
Torra s'était évadé au moment où ses compagnons et lui allaient partir pour Macao, avant que le sud-ouest mousson fût passé, et depuis cette époque, qui datait de plusieurs semaines, il avait vécu dans les bois, se nourrissant d'œufs, de poissons et de fruits. Bien que ce lamentable récit me parût une vieille histoire, l'histoire de tous les nègres marrons, je pris ce pauvre diable en pitié et je l'emmenai sur le grab. Depuis cette époque, il s'est parfaitement comporté.
Lorsque Louis fut rassasié, il vint nous engager à prendre un verre de skedam.
– Il est très-urgent de m'obéir, ajouta Louis; l'absorption de cette liqueur apaisera la tortue que vous avez mangée, car, quoique vous l'ayez dans l'estomac, elle ne mourra pas avant le coucher du soleil, n'ayant été tuée qu'au matin. Une tortue devrait toujours avoir la gorge coupée le soir, alors elle mourrait tout de suite. Torra sait cela, mais les autres hommes du bord sont des imbéciles qui ne savent absolument rien; savent-ils quelque chose? Allons, buvez cette petite goutte, elle tournera la tortue, qui restera tranquille jusqu'au soir, et passé le soir, vous n'entendrez plus parler d'elle. Le vin français n'est bon que pour faire digérer la soupe de tortue, et encore est-il bien inférieur au madère.
Comme Louis ne pouvait arriver à nous persuader que le gin était meilleur que le vin de Bordeaux, il essaya de se consoler de cet échec en remplissant de la liqueur dédaignée une tasse de coco qu'il nommait un dé de voilier, et, ouvrant sa large bouche, il vida la tasse d'un trait.
De Ruyter reprit le récit de l'histoire de Torra.
– Hier au soir, après votre départ, je questionnai le nègre, et il me raconta sa vie; je vais, autant que ma mémoire pourra me le permettre, vous traduire ses propres paroles.
– Soyez consciencieux, mon cher de Ruyter, dis-je en riant, et ne faites pas le récit que nous attendons avec votre brièveté habituelle. Vous êtes un impitoyable rogneur des histoires des autres, et je désire connaître toutes les particularités de l'existence de Torra; car, pour me servir de l'expression de Louis, je dirai simplement je l'aime, et je serais très-fâché de m'apercevoir qu'en le jugeant bon et brave, j'ai commis une grande erreur.
– Je serai plus honnête, mon cher Trelawnay, que ne le sont la plupart des narrateurs; car, si je ne raconte pas l'histoire littérairement, vous aurez du moins la matière pure, sans aucune digression morale, soit comme épisode, préface, notes, choses qu'un sot se permet d'ajouter au récit de l'auteur en croyant que plusieurs sots les liront.
«Je suis né, m'a dit Torra, dans un village habité par des pêcheurs; ce village est situé au nord-est de Madagascar, dans la baie d'Antongil. Mon père était pauvre; il prit une femme, et eut d'elle un garçon chétif et qui ne valait pas grand'chose.» Sa mère ne voulait pas le laisser travailler, et désirait avoir un autre enfant; mais c'était chose impossible, car elle vieillissait, et sa vieillesse la rendait méchante, ou, pour mieux dire, d'une détestable maussaderie.
Ainsi vous voyez que les mêmes femmes florissent en Europe et à Madagascar. Quand nous leur faisons la cour, elles nous donnent leur main couverte de faveurs, et, la trouvant douce comme le velours, nous les épousons. Le nœud conjugal formé, les mains deviennent griffes, la douce voix se change en sifflement furieux.
Aston et moi nous nous mîmes à rire. De Ruyter oubliait vite l'engagement qu'il avait pris de faire d'une manière concise et dépourvue de toute réflexion le récit de l'histoire de Torra.
De Ruyter comprit la cause de notre gaieté, car il reprit vivement:
– Par le ciel, mes amis, ceci est une traduction littérale ou pour mieux dire l'imitation d'une comparaison faite par Torra. Écoutez donc ses propres paroles: «Dans sa jeunesse, une femme ressemble à une tortue verte; sa coquille est douce et souple; mais, dans sa vieillesse, elle est plus dure que du bois de fer. Mon père voulut calmer l'irritation de sa femme, sa peine fut perdue; alors, en homme prudent, il acheta une autre femme et eut d'elle trois beaux enfants.
»La première épouse fut froissée, et elle ne permit pas à son mari d'introduire cette seconde femme dans la maison. Mon père ne discuta pas, il traversa la rivière et se bâtit une autre hutte. Là, il eut du bonheur; il fit de bonnes pêches et en vendit le produit aux blancs. Séparé de sa vieille femme, dont le fils était assez grand pour travailler, mon père leur donna un canot, un filet de pêche et une lance. Mais, aussi paresseux l'un que l'autre, la mère et le fils devinrent très-pauvres.
»Je grandis et je fus un bon pêcheur, mon père m'aimait. Quelquefois je partageais avec mon père le poisson que j'avais pris, et lorsque ma journée avait été mauvaise, ne voulant pas qu'il en souffrît, je lui donnais des courses (petite coquille, argent des Indiens sauvages). Ayant appris que la place occupée par mon père était bonne, les blancs de l'île de France vinrent s'y établir. D'abord ils parlèrent doucement à mon père, qui ne voulut pas les écouter. Quand ils virent cela, ils se fâchèrent et bâtirent une place forte dans le champ où mon père cultivait son pain. Mon père n'était pas content; voyant son irritation, les blancs le tuèrent et prirent ma mère et mes sœurs pour en faire des esclaves.
»Je me sauvai dans les montagnes et je me rendis à Nassi-Ibrahim. Là existe un très-brave peuple; il vole sur l'eau, c'est vrai, mais il ne fait point d'esclaves. Quand je leur dis que les blancs étaient venus tuer mon vieux père, ils dirent qu'ils étaient contents, parce que le vieillard avait eu tort d'établir un commerce avec les blancs; mais quand je terminai mon récit en ajoutant que ma mère et mes sœurs étaient devenues les esclaves des blancs, ils s'écrièrent:
» – Ceci est mal, et nous allons tenir conseil.
»Ils me dirent:
» – Nous voudrions parler aux hommes blancs.
»Un vieillard, qui était un ami de mon père, dit:
» – Non, il ne faut pas parler aux blancs: leurs paroles sont blanches comme le matin, mais leurs actions sont noires comme la nuit; il est inutile de les entendre: il faut les tuer, voilà tout.
»Après un long entretien, l'assemblée se rendit aux conseils du sage vieillard. On arma de grands canots de guerre, et pendant la nuit cette petite armée traversa l'eau pour aller surprendre et attaquer les blancs. Il n'y avait pas de lune, pas d'étoiles, et la nuit était sombre.
» – J'aime la nuit sombre, dit le sage vieillard, parce que les blancs ont peur de l'obscurité, parce qu'ils n'aiment à se battre que sous les rayons du soleil. L'homme noir est un hibou qui voit pendant la nuit; mais eux, ils sont semblables aux coqs d'Inde sauvages, qui ne voient rien; leurs tonnerres ne frappent pas.
»Les hommes blancs étaient en réjouissance; car c'était le grand jour de leur bon esprit, et ils étaient tous ivres dans la maison des pauvres noirs. Quand nous ne les entendîmes plus chanter, nous descendîmes la montagne. Ils dormaient autour des débris d'un festin; nous les tuâmes tous.
»Mes amis prirent ce qu'ils trouvèrent, et ils me dirent adieu.
»Je souffrais de rester dans les lieux où était mort mon père. Je pris ma mère et mes sœurs avec moi, et nous allâmes de l'autre côté de l'eau, dans la première maison de mon père.
»Mon frère aîné parut très-chagrin de la mort de mon père, et nous fûmes bientôt de très-bons amis. Je travaillais pour tous, mais je travaillais seul; car mon frère s'absentait souvent, et il ne disait pas où il allait.
»Quatre lunes après la destruction des blancs qui avaient tué mon père, je me rendis à Nassi-Ibrahim pour voir le vieillard, car il était bon, et son âge commandait le respect. Quand je rentrai à la maison, je n'y trouvai personne, et cependant l'heure du repos était venue. Enfin, après de grandes recherches, je découvris mon frère couché dans le champ et presque mort de douleur. – Les Marratti, me dit-il d'une voix frémissante, sont venus; ils ont pris ta mère et mes sœurs, et comme la vieille mère les suppliait d'avoir pitié, et comme elle ne valait pas grand'chose, ils l'ont tuée. Maintenant, continua mon frère avec une poignante expression de souffrance répandue sur tous ses traits, faisons du feu pour brûler le corps de cette pauvre femme.
»Nous le fîmes en pleurant.
» – Les larmes ne sont pas utiles, me dit mon frère, elles ne feront point revenir les femmes.
» – Pourquoi les Marratti ne t'ont-ils pas pris? demandai-je à mon frère.
» – Ah! me dit-il, je courais sur la montagne et ils ne m'ont pas vu.
» – Je vais aller demander conseil au sage vieillard de Nassi-Ibrahim, dis-je.
» – Non, Torra; le peuple est pauvre et il ne vend ni n'achète d'esclaves. Mais les Marratti de Saint-Sébastien sont un très-grand peuple, et il a beaucoup d'esclaves. Parmi les Marratti il y a des hommes qui sont bons, allons les trouver; un d'eux est frère de ma mère: il nous fera rendre ce que nous avons perdu, car il m'aime. Allons-y.
»Je partis avec mon frère.»