Kitabı oku: «Un Cadet de Famille, v. 3/3», sayfa 12
III
Calderon se leva, et le jeune cavalier prit congé de lui.
– Sur mon âme, se dit Calderon, je m'intéresse à ce brave officier. Quand j'étais abandonné de tous, que je n'avais plus ni famille ni patrie, je me souviens qu'il me vint en aide. Comment ai-je pu l'oublier si longtemps! Il n'est pas de cette race que j'abhorre; le sang maure ne coule pas dans ses veines. Il n'est pas non plus de ces grands qui rampent servilement et que je méprise; c'est un homme dont je puis servir les intérêts sans rougir.
Il continuait ce monologue, lorsqu'une main invisible souleva la tapisserie qui masquait une porte dérobée, et livra passage à un jeune homme qui entra brusquement et vint droit à Calderon.
– Rodrigues, dit-il, te voilà de retour à Madrid! Je veux t'entretenir seul un instant; assieds-toi et écoute.
Calderon s'inclina respectueusement, plaça un large fauteuil devant le nouveau venu et alla s'asseoir à quelque distance sur un tabouret.
Faisons maintenant connaître au lecteur celui que Calderon recevait avec tant de déférence. C'était un homme de taille moyenne: son air était sombre, son visage d'une pâleur livide; il avait le front haut, mais étroit, le regard profond, rusé, voluptueux et sinistre; sa lèvre inférieure, un peu forte et dédaigneuse, indiquait que le sang de la maison d'Autriche coulait dans ses veines. À l'ensemble des traits, on devinait un descendant de Charles-Quint. Son maintien assez noble et ses vêtements couverts d'or et de pierreries attestaient que c'était un personnage du plus haut rang.
En effet, c'était l'infant d'Espagne, qui venait causer avec Calderon, son ambitieux favori.
– Sais-tu bien, Rodrigues, dit le jeune homme, que cette porte secrète de ton appartement est fort commode? Elle me permet d'éviter les regards observateurs d'Uzeda, qui cherche toujours à faire sa cour au roi en espionnant l'héritier du trône. Il le payera tôt ou tard. Il te déteste, Calderon, et s'il n'affiche pas publiquement sa haine contre toi, c'est à cause de moi seulement.
– Que Votre Altesse soit bien persuadée que je n'en veux pas à cet homme. Il recherche votre faveur; quoi de plus naturel?
– Eh bien, son espérance sera trompée. Il me fatigue de ses plates et banales flatteries, et s'imagine que les princes doivent s'occuper des affaires de l'État. Il oublie que nous sommes mortels, et que la jeunesse est l'âge des plaisirs.
»Calderon, mon précieux favori, sans toi la vie me serait insupportable; aussi tu me vois ravi de ton retour, car tu n'as pas d'égal pour inventer des plaisirs dont on ne se lasse jamais. Eh bien! ne rougis pas, si l'on te méprise à cause de tes talents, moi, je leur rends hommage. Par la barbe de mon grand-père, quel joyeux temps que celui où je serai roi, avec Calderon pour premier ministre!
Calderon fixa sur le prince un regard inquiet, et ne parut pas tout à fait convaincu de la sincérité de Son Altesse. Dans ses plus grands accès de gaieté, le sourire de l'infant Philippe avait encore quelque chose de faux et de méchant; ses yeux, glauques et profonds, n'inspiraient aucune confiance. Calderon, dont le génie était infiniment supérieur à celui du prince, n'avait peut-être pas autant d'astuce et d'hypocrisie, de froid égoïsme et de corruption raffinée que ce jeune homme presque imberbe.
– Mais, ajouta le prince d'un ton affectueux, je viens te faire des compliments intéressés. Jamais je n'eus plus besoin qu'aujourd'hui de mettre à l'épreuve tout ce que tu as d'imagination, d'adresse et de courage; en un mot, Calderon, j'aime!
– Prince, reprit Calderon en souriant, ce n'est certainement pas votre premier amour. Combien de fois déjà Votre Altesse m'a tenu le même langage!
– Non, répliqua vivement l'infant, jusqu'à ce jour je n'ai pas connu le véritable amour, et je me suis contenté de plaisirs faciles; mais on ne peut aimer ce qu'on obtient trop aisément. La femme dont je vais te parler, Calderon, sera une conquête digne de moi, si je parviens à posséder son cœur.
»Écoute. Hier, j'étais allé avec la reine entendre la messe à la chapelle de Sainte-Marie de l'Épée blanche; tu sais que l'abbesse de ce couvent est protégée par la reine, dont elle a été autrefois dame d'honneur. Pendant le service divin, nous entendîmes une voix dont les accents ont porté le trouble dans mon âme!
»Après la cérémonie, la reine voulut savoir quelle était cette nouvelle sainte Cécile, et l'abbesse nous apprit que c'était une célèbre cantatrice, la belle, l'incomparable Margarita. Eh bien, que t'en semble? lorsqu'une actrice se fait religieuse, pourquoi Philippe et Calderon ne se feraient-ils pas moines? Mais il faut te dire tout: c'est moi, moi indigne, qui suis cause de cette merveilleuse conversion.
»Voici comment: Il y a de par le monde un jeune cavalier nommé don Martin Fonseca, parent du duc de Lerme; tu le connais. Dernièrement le duc me dit que son jeune parent était amoureux fou d'une fille de basse extraction, et qu'il désirait même l'épouser.
»Ce récit piqua ma curiosité, et je voulus connaître l'objet de cette belle passion. C'était cette même actrice que j'avais déjà admirée au théâtre de Madrid. J'allai la voir, et je fus frappé de sa beauté, encore plus enivrante à la ville qu'au théâtre. Je voulus, mais en vain, obtenir ses faveurs. Comprends-tu cela, Calderon? Je pénétrai de nuit chez elle. Par saint Jacques! sa vertu triompha de mon audace et de mon amour. Le lendemain je tâchai de la revoir; mais elle avait quitté sa demeure, et toutes mes recherches pour découvrir sa retraite furent infructueuses jusqu'au jour où je retrouvai au couvent l'actrice que j'avais connue. Pour rester fidèle à Fonseca, elle s'était réfugiée dans un cloître; mais il faut qu'elle le quitte et qu'elle soit à l'infant d'Espagne. Voilà mon histoire, et maintenant je compte sur toi!
– Prince, dit gravement Calderon, vous connaissez les lois espagnoles et leur rigueur implacable en matière de religion… Je n'oserai…
– Fi donc! point de faux scrupules… ne crains rien. Je te couvre de ma personne sacrée et te mets à l'abri de toute atteinte. Prends donc un air moins sombre. N'as-tu pas aussi ton Armide? Quel est ce billet que tu tiens? N'est-il pas d'une femme? Ah! ciel et terre! s'écria le prince en s'emparant de la lettre: Margarita! Oserais-tu bien aimer celle que j'aime? Parle, traître! mais parle donc!..
– Votre Altesse, dit Calderon d'un ton digne et respectueux, Votre Altesse veut-elle m'entendre?.. Un jeune homme que j'ai élevé, qui fut mon premier bienfaiteur, et à qui je dois ce que je suis, brûle de l'amour le plus pur pour Margarita. Il se nomme don Martin Fonseca. Ce matin, il est venu me prier d'intercéder en sa faveur auprès de ceux qui s'opposent à cette union avec Margarita. Ah! prince, ne détournez pas vos regards. Vous ne connaissez pas le mérite de Fonseca: c'est un officier de la plus haute distinction. Vous ignorez la valeur de pareils sujets, de ces nobles descendants de la vieille Espagne. Prince, vous avez un noble cœur. Ne disputez pas cette jeune fille à un illustre soldat de votre armée, à celui dont l'épée défend votre couronne. Épargnez une pauvre orpheline; assurez son bonheur, et cet acte magnanime vous absoudra devant Dieu de bien des plaisirs coupables.
– C'est toi que j'entends, Rodrigues! répliqua le prince avec un sourire amer. Valet, tiens-toi à ta place. Lorsque je veux entendre une homélie, j'envoie chercher mon confesseur; quand je veux satisfaire mes vices, j'ai recours à toi… Trêve de morale!.. Fonseca se consolera; et quand il saura quel est son rival, il s'inclinera devant lui. Quant à toi, tu m'aideras dans ce projet.
– Non, monseigneur, et que Votre Altesse me le pardonne.
– Tu as dit non, je crois? N'es-tu pas mon favori, l'instrument de mes plaisirs? Tu me dois ton élévation; veux-tu me devoir ta chute? Ta fortune trop rapide t'a fait tourner la tête, Calderon, prends garde! Déjà le roi te soupçonne et n'a plus en toi la même confiance; Uzeda, ton ennemi, est écouté avec faveur; le peuple te déteste, et si je t'abandonne, c'en est fait de toi!
Calderon, debout, les bras croisés sur sa poitrine et les yeux pleins d'éclairs sinistres, restait muet devant le prince. Celui-ci, interrogeant la physionomie de son favori, parut vouloir sonder ses pensées.
Tout à coup il se rapprocha de lui, et dit d'une voix émue:
– Rodrigues, j'ai été trop vif: tu m'avais rendu fou; mais mon intention n'était pas de te blesser. Tu es un serviteur fidèle, et je crois à ton attachement. J'avoue même que, s'il s'agissait d'une affaire ordinaire, je trouverais ton raisonnement juste, tes scrupules louables, tes craintes fondées; mais je te répète que j'adore cette jeune fille, qu'elle est maintenant le rêve de toute ma vie, qu'à tout prix il faut qu'elle soit à moi! Veux-tu m'abandonner? veux-tu trahir ton prince pour un officier de fortune?
– Ah! s'écria Calderon avec une apparence d'émotion vraie, je donnerais ma vie pour vous, et je sens ce que me reproche ma conscience pour avoir voulu satisfaire vos moindres caprices. Mais en me prêtant cette fois à vos désirs, je commettrais une trop lâche perfidie! Don Martin a remis entre mes mains la vie de sa vie, l'âme de son âme… Prince, si vous me voyiez traître à l'honneur et à l'amitié, pourriez-vous désormais vous fier à moi?
– Traître, dis-tu? Mais n'est-ce pas moi que tu trahis? Ne me suis-je pas fié à toi? ne m'abandonnes-tu pas? ne me sacrifies-tu pas? Au surplus, comment pourras-tu servir ce Fonseca? comment prétends-tu délivrer la jeune novice?
– Avec un ordre de la cour. Votre royale mère…
– Il suffit! cria le prince en fureur. Va donc! tu ne tarderas pas à te repentir.
Cela dit, Philippe se précipita vers la porte.
Calderon effrayé voulut le retenir; mais le prince lui tourna dédaigneusement le dos et sortit de l'appartement.
IV
À peine le prince fut-il sorti, qu'un vieillard portant le costume ecclésiastique entra dans le cabinet de Calderon.
– Êtes-vous libre, mon fils? demanda le vieux prêtre.
– Oui, mon père, venez, car j'ai besoin de votre présence et de vos conseils. Il ne m'arrive pas souvent de flotter irrésolu entre deux sentiments opposés, celui de l'intérêt et celui de la conscience. Eh bien, je suis placé dans un de ces rares dilemmes.
Calderon raconta sa double entrevue avec Fonseca et avec le prince.
– Vous voyez, dit-il, l'étrange perplexité dans laquelle je me trouve: d'un côté, j'ai des devoirs à remplir envers Fonseca, j'ai engagé ma parole; il est mon bienfaiteur, mon ami; il a été mon pupille; et l'infant d'Espagne veut que je l'aide à séduire la fiancée de ce jeune homme! Ce n'est pas tout: le prince veut encore me faire participer à l'enlèvement d'une novice!.. Consommer un rapt, et dans quel lieu, juste ciel! dans un couvent! D'autre part, si je refuse, j'encours la vengeance du prince, et lorsque j'ai déjà presque perdu la faveur du roi pour avoir voulu conserver celle de l'héritier du trône. L'infant, irrité contre moi, encouragera les efforts de mes ennemis; en un mot, toute la cour se liguera pour précipiter ma ruine.
– Vous êtes, en effet, soumis à une terrible épreuve, dit gravement le moine, et je conçois vos craintes…
– Moi craindre! moi, Aliaga! répliqua Calderon avec un rire méprisant; l'ambition véritable a-t-elle jamais connu la crainte? mais ma conscience se révolte.
– Mon fils, répondit Aliaga, quand, nous autres prêtres, nous nous sentons assez puissants pour dominer les rois et fouler leur couronne sous nos pieds, tous les grands de la terre ne sont dans nos mains que des instruments destinés à défendre les intérêts sacrés de la religion. C'est dans ce but que Dieu a voulu que je devinsse le confesseur du roi Philippe. Si alors je te prêtai mon appui, si j'attirai sur toi les faveurs du monarque, c'est que je reconnus que tu étais doué de l'intelligence et de la volonté que les chefs de notre ordre exigent des hommes qu'ils veulent attacher à leur cause. Je te savais brave, habile, ambitieux; je savais que ta volonté forte briserait tous les obstacles qui entravaient ta marche. Tu te souviens du jour de notre rencontre. Il y a quinze ans de cela; c'était dans la vallée du Xenil. Je te vis plonger tes mains dans le sang de ton ennemi; tes lèvres, crispées par la fureur, s'ouvrirent pour exhaler un cri de joie sauvage. Souillé d'un meurtre, tu allais fuir ta patrie, lorsque moi, seul possesseur de ton secret, je me présentai devant toi, je t'interrogeai. En te voyant calme, froid et maître de ta raison: «Voici, me suis-je dit, un homme qui serait pour notre ordre un précieux auxiliaire.»
Le moine s'arrêta. Calderon ne l'écoutait pas; son visage était livide; il tenait ses yeux fermés; sa poitrine, gonflée de soupirs, se soulevait violemment.
– Terrible souvenir! murmura-t-il, fatal amour! Ô Inez! Inez!
– Calme-toi, mon fils, je n'ai pas voulu retourner le poignard dans la plaie.
– Qui parle? s'écria Calderon en frissonnant. Ah! le moine! le moine! Je croyais entendre la voix de la mort. Continue, moine, continue; parle-moi des intrigues de ton ordre, de l'inquisition et des tortures qu'elle a inventées; dis-moi quelque chose qui puisse me faire oublier le passé.
– Non, écoute-moi, Calderon, je veux te révéler l'avenir qui t'attend. Je te disais qu'un soir je te rencontrai, couvert du sang de ton ennemi. Tu allais fuir lorsque je te saisis par le bras: «Ta vie est en mon pouvoir!» m'écriai-je. Ton mépris pour mes menaces, ton dégoût de la vie, me firent penser que le ciel t'avait fait naître pour servir les intérêts de notre ordre et de la religion. Je te mis en sûreté, et tu ne tardas pas à te vouer à notre cause. Plus tard, je te fis nommer précepteur du jeune Fonseca, alors héritier d'une grande fortune. Le second mariage de son oncle et l'enfant que lui donna sa nouvelle femme détruisirent les avantages que notre ordre devait attendre de ta position auprès de ton élève. Mais tout ne fut pas perdu: Fonseca te présenta au duc de Lerme, son parent; je venais d'être nommé confesseur du roi, et je jugeai qu'il était temps de faire arriver dans tes mains les rênes du gouvernement. L'âge avait mûri ton génie, et la haine implacable dont tu étais animé contre les Maures me fit voir en toi l'homme que Dieu suscitait pour chasser d'Espagne cette race maudite. Bref, je devins ton bienfaiteur, et tu ne fus pas ingrat. Tu as lavé ton sang dans le sang des hérétiques; tu n'as plus rien à craindre de la justice des hommes. Qui pourrait retrouver dans Rodrigues Calderon, marquis de Siete-Iglesias, l'étudiant de Salamanque, l'assassin de Rodrigues Nunez? Ne frémis donc plus au souvenir d'un passé qui n'est plus qu'un rêve dans ta vie… Songe à l'avenir: il s'ouvre radieux pour toi si nous marchons toujours ensemble! Osons tout pour arriver au but. Et d'abord il faut que le futur monarque d'Espagne devienne entre nos mains un instrument docile. Tu le tiendras captif dans les liens du plaisir, tandis que nous dominerons par le fanatisme son esprit superstitieux. Le jour où Philippe IV montera sur le trône sera un jour de triomphe pour l'inquisition et tous les fidèles de la chrétienté. L'inquisition doit être notre grande épée, et la postérité verra en nous les apôtres de la foi catholique. Dans une telle entreprise, doit-on se laisser arrêter par des scrupules vulgaires? Non! et, pour obéir à un mouvement généreux, ne t'expose pas à perdre ton empire sur les sens et l'esprit du voluptueux Philippe. Avant tout, sauve ton autorité, car c'est à elle que se rattachent les espérances de ceux qui ont fait de l'intelligence un sceptre.
– Ton enthousiasme et ton fanatisme t'aveuglent, Aliaga, répondit froidement Calderon. Je te l'ai déjà dit, tes grands desseins ne peuvent réussir. Laisse le monde se sauver lui-même. Cependant ne crains rien de moi; mes idées s'identifient avec celles de ton ordre; ma vie même vous appartient, et je ne trahirai pas votre cause. Quant à vos prudents avis, je les mériterai. Mais voici l'heure du conseil, permettez-moi de vous quitter.
Et Calderon rentra dans les appartements intérieurs.
V
Devant une table couverte de papiers étaient assis le roi d'Espagne et Calderon.
Philippe III était sombre, grave et taciturne. Rien dans son extérieur ni dans ses relations avec son ministre n'eût pu indiquer, même au plus fin observateur, si Calderon était en disgrâce ou en faveur auprès du monarque.
Philippe avait reçu une éducation monacale; l'astuce et l'hypocrisie, nécessités d'une politique despotique, s'alliaient en lui au fanatisme religieux.
Le plus profond silence régnait dans l'appartement; il n'était interrompu que par les brèves remarques du roi et les explications du ministre. Quand ce dernier eut terminé son travail, le roi dit en lançant à Calderon un regard furtif:
– L'infant me quittait quand vous êtes entré; l'avez-vous vu depuis votre retour?
– Oui, sire, il m'a honoré d'une visite ce matin.
– Et de quoi vous êtes-vous entretenus?.. d'affaires d'État?
– Votre Majesté sait que son humble secrétaire ne parle qu'avec elle d'affaires politiques.
– Le prince a été votre protecteur, Rodrigues!
– N'est-ce pas Sa Majesté elle-même qui m'a ordonné de rechercher sa protection?
– Oui, c'est moi. Heureux le monarque dont le serviteur fidèle est le confident de l'héritier du trône!
– Sans doute, et si le prince pouvait avoir une pensée contraire aux intérêts de Votre Majesté, j'essayerais de la faire disparaître de son esprit, sinon je vous la révélerais; mais Dieu a béni Votre Majesté en lui donnant un fils soumis et reconnaissant.
– Je le crois; l'amour des plaisirs éteint en lui l'ambition. Je ne suis pas, d'ailleurs, un père trop sévère; conservez sa faveur, Rodrigues; mais n'avez-vous rien fait qui puisse l'offenser?
– Non, sire, je ne pense pas avoir encouru une telle disgrâce.
– Cependant il ne fait plus de toi le même éloge. Je te le dis dans ton intérêt: tu ne peux me servir qu'à la condition d'être l'ami de ceux dont l'affection est douteuse pour moi.
– Sire, les courtisans qui approchent votre fils cherchent à me déconsidérer dans son esprit, afin de gagner sa confiance, et leurs calomnies finissent par m'atteindre.
– Qu'importe ce qu'ils disent de toi! Le peuple et les courtisans font rarement l'éloge des ministres fidèles. Mais, je te le répète, ne perds pas la faveur du prince.
Calderon s'inclina profondément et sortit.
En traversant les appartements du palais, il aperçut dans l'embrasure d'une fenêtre son ennemi juré, le duc d'Uzeda, causant familièrement avec le jeune prince.
Au même instant le duc de Lerme entra par la porte opposée.
Ce dernier fut désagréablement surpris de voir régner entre son fils et le prince une intimité que tous ses efforts n'avaient pu empêcher.
Il fit rapidement à Calderon un signe d'intelligence, et, sans être aperçu de son fils, il sortit par la porte même qui lui avait donné entrée.
Calderon suivit le duc, et ils pénétrèrent dans une chambre dont ce dernier ferma soigneusement la porte.
– Rodrigues, dit-il, que signifie cela? d'où vient cette liaison de mauvais augure?
– Votre Éminence sait que j'arrive de Lisbonne; cette liaison est encore une énigme pour moi.
– Il faut en pénétrer la cause, mon bon Rodrigues. Le prince détestait Uzeda; il faut réveiller en lui les mêmes sentiments, sans cela nous sommes perdus.
– Non pas, s'écria fièrement Calderon; je suis secrétaire du roi, et j'ai des droits à la reconnaissance et à la protection de Sa Majesté.
– Ne t'abuse pas, dit le duc en souriant. Le roi n'a pas longtemps à vivre… je le tiens de son médecin. Sache donc qu'un complot formidable a été formé contre toi. Sans son confesseur et moi, Philippe t'eût déjà sacrifié à la colère du peuple et des courtisans. C'est ton influence sur l'infant qui te sert d'égide. Fais donc en sorte que le duc d'Uzeda n'obtienne jamais l'amitié du prince.
Calderon fit un geste d'assentiment, et le duc entra dans le cabinet du roi.
– Insensé que j'étais, se dit Calderon, moi qui croyais avoir encore une conscience!.. Quoi! je serais supplanté par un Uzeda? Non, il n'en sera pas ainsi!
Le lendemain, le marquis de Siete-Iglesias se présenta au lever du prince. L'infant jeta sur Rodrigues un regard sévère, lui tourna brusquement le dos… et il affecta de causer amicalement avec Gonzalez de Léon, un des ennemis de Rodrigues. On vit alors les courtisans, naguère si humbles et si rampants devant Calderon, s'en éloigner prudemment. Mais ce n'était que le commencement de sa disgrâce. Uzeda parut bientôt: l'infant courut à lui, et un instant après on les vit entrer ensemble dans le cabinet particulier du prince.
– L'étoile de Calderon pâlit, – se dirent les courtisans.
Mais l'orgueilleux ministre ne fut pas de cet avis; un sourire de triomphe ne quitta pas ses lèvres, et ses joues pâles se colorèrent d'une vive rougeur quand il fendit la foule pour monter dans sa voiture et retourner à son palais.
À peine Calderon s'était-il retiré dans son cabinet, que Fonseca, fidèle au rendez-vous, se faisait annoncer.
– Eh bien, Rodrigues, avons-nous de bonnes nouvelles?
Calderon hocha tristement la tête.
– Mon cher pupille, dit-il d'un ton plein de cordialité, nul espoir ne vous reste; oubliez un vain rêve; retournez à l'armée. Je puis vous assurer de l'avancement, un grade magnifique, mais il n'est pas en mon pouvoir de vous faire obtenir la main de Margarita.
– Et pourquoi? s'écria Fonseca pâle d'émotion; d'où vient un changement si soudain? Est-ce que la reine?..
– Je ne l'ai pas vue; mais le roi s'est formellement prononcé à l'égard de la jeune novice. L'inquisition est du même avis; l'Église crie au scandale: elle se plaint de la perte de son autorité; personne n'ose intercéder en faveur de Margarita.
– Ainsi, Rodrigues, il n'y a plus d'espoir?
– Non; ne songez plus maintenant qu'à la glorieuse vie des camps. Tâchez d'oublier Margarita.
– Jamais! s'écria le jeune homme. Quoi! j'aurais mainte fois versé mon sang pour le service du prince, et je ne pourrais pas obtenir une faveur qu'il lui était si facile de m'accorder? Puisqu'il en est ainsi, je brise mon épée! Mais, crois-le bien, Calderon, je ne renonce pas à mon projet. Margarita ne restera pas enterrée dans son tombeau vivante; je saurai braver les espions du saint-office et pénétrer dans le cloître; j'enlèverai la femme que j'aime, et j'irai avec elle dans un pays étranger chercher le bonheur qu'on me refuse en Espagne. Je ne crains ni l'exil ni la pauvreté, et je ne demande au ciel que ma maîtresse: j'obtiendrai le reste avec mon épée.
– Ainsi, vous persistez à vouloir enlever Margarita? dit Calderon d'un ton distrait: après tout, c'est peut-être le plus sage si vous vous y prenez adroitement et avec les précautions nécessaires. Mais avez-vous le moyen de voir Margarita?
– Oui, hier je suis allé au couvent, et, comme la chapelle est une des curiosités de Madrid, j'ai pu y pénétrer sans exciter le moindre soupçon. Le hasard m'a servi, et j'ai reconnu dans le portier un ancien serviteur de mon père. C'est un vieux soldat dégoûté de sa nouvelle profession, et qui consent à me suivre. Il doit remettre une lettre à Margarita, et j'aurai la réponse aujourd'hui même.
– Don Martin, que le ciel vous protége! je vous aiderai de tout mon pouvoir, répliqua Calderon en faisant un signe d'adieu au jeune homme, qui s'éloignait sans remarquer le trouble et la pâleur de Rodrigues.