Читайте только на Литрес

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «Actes et Paroles, Volume 1», sayfa 26

Yazı tipi:

III
FUNERAILLES DE BALZAC

20 aout 1850.

Messieurs,

L'homme qui vient de descendre dans cette tombe etait de ceux auxquels la douleur publique fait cortege. Dans les temps ou nous sommes, toutes les fictions sont evanouies. Les regards se fixent desormais non sur les tetes qui regnent, mais sur les tetes qui pensent, et le pays tout entier tressaille lorsqu'une de ces tetes disparait. Aujourd'hui, le deuil populaire, c'est la mort de l'homme de talent; le deuil national, c'est la mort de l'homme de genie.

Messieurs, le nom de Balzac se melera a la trace lumineuse que notre epoque laissera dans l'avenir.

M. de Balzac faisait partie de cette puissante generation des ecrivains du dix-neuvieme siecle qui est venue apres Napoleon, de meme que l'illustre pleiade du dix-septieme est venue apres Richelieu, – comme si, dans le developpement de la civilisation, il y avait une loi qui fit succeder aux dominateurs par le glaive les dominateurs par l'esprit.

M. de Balzac etait un des premiers parmi les plus grands, un des plus hauts parmi les meilleurs. Ce n'est pas le lieu de dire ici tout ce qu'etait cette splendide et souveraine intelligence. Tous ses livres ne forment qu'un livre, livre vivant, lumineux, profond, ou l'on voit aller et venir et marcher et se mouvoir, avec je ne sais quoi d'effare et de terrible mele au reel, toute notre civilisation contemporaine; livre merveilleux que le poete a intitule comedie et qu'il aurait pu intituler histoire, qui prend toutes les formes et tous les styles, qui depasse Tacite et qui va jusqu'a Suetone, qui traverse Beaumarchais et qui va jusqu'a Rabelais; livre qui est l'observation et qui est l'imagination; qui prodigue le vrai, l'intime, le bourgeois, le trivial, le materiel, et qui par moments, a travers toutes les realites brusquement et largement dechirees, laisse tout a coup entrevoir le plus sombre et le plus tragique ideal.

A son insu, qu'il le veuille ou non, qu'il y consente ou non, l'auteur de cette oeuvre immense et etrange est de la forte race des ecrivains revolutionnaires. Balzac va droit au but. Il saisit corps a corps la societe moderne. Il arrache a tous quelque chose, aux uns l'illusion, aux autres l'esperance, a ceux-ci un cri, a ceux-la un masque. Il fouille le vice, il disseque la passion. Il creuse et sonde l'homme, l'ame, le coeur, les entrailles, le cerveau, l'abime que chacun a en soi. Et, par un don de sa libre et vigoureuse nature, par un privilege des intelligences de notre temps qui, ayant vu de pres les revolutions, apercoivent mieux la fin de l'humanite et comprennent mieux la providence, Balzac se degage souriant et serein de ces redoutables etudes qui produisaient la melancolie chez Moliere et la misanthropie chez Rousseau.

Voila ce qu'il a fait parmi nous. Voila l'oeuvre qu'il nous laisse, oeuvre haute et solide, robuste entassement d'assises de granit, monument! oeuvre du haut de laquelle resplendira desormais sa renommee. Les grands hommes font leur propre piedestal; l'avenir se charge de la statue.

Sa mort a frappe Paris de stupeur. Depuis quelques mois, il etait rentre en France. Se sentant mourir, il avait voulu revoir la patrie, comme la veille d'un grand voyage on vient embrasser sa mere.

Sa vie a ete courte, mais pleine; plus remplie d'oeuvres que de jours.

Helas! ce travailleur puissant et jamais fatigue, ce philosophe, ce penseur, ce poete, ce genie, a vecu parmi nous de cette vie d'orages, de luttes, de querelles, de combats, commune dans tous les temps a tous les grands hommes. Aujourd'hui, le voici en paix. Il sort des contestations et des haines. Il entre, le meme jour, dans la gloire et dans le tombeau. Il va briller desormais, au-dessus de toutes ces nuees qui sont sur nos tetes, parmi les etoiles de la patrie!

Vous tous qui etes ici, est-ce que vous n'etes pas tentes de l'envier?

Messieurs, quelle que soit notre douleur en presence d'une telle perte, resignons-nous a ces catastrophes. Acceptons-les dans ce qu'elles ont de poignant et de severe. Il est bon peut-etre, il est necessaire peut-etre, dans une epoque comme la notre, que de temps en temps une grande mort communique aux esprits devores de doute et de scepticisme un ebranlement religieux. La providence sait ce qu'elle fait lorsqu'elle met ainsi le peuple face a face avec le mystere supreme, et quand elle lui donne a mediter la mort, qui est la grande egalite et qui est aussi la grande liberte.

La providence sait ce qu'elle fait, car c'est la le plus haut de tous les enseignements. Il ne peut y avoir que d'austeres et serieuses pensees dans tous les coeurs quand un sublime esprit fait majestueusement son entree dans l'autre vie, quand un de ces etres qui ont plane longtemps au-dessus de la foule avec les ailes visibles du genie, deployant tout a coup ces autres ailes qu'on ne voit pas, s'enfonce brusquement dans l'inconnu.

Non, ce n'est pas l'inconnu! Non, je l'ai deja dit dans une autre occasion douloureuse, et je ne me lasserai pas de le repeter, non, ce n'est pas la nuit, c'est la lumiere! Ce n'est pas la fin, c'est le commencement! Ce n'est pas le neant, c'est l'eternite! N'est-il pas vrai, vous tous qui m'ecoutez? De pareils cercueils demontrent l'immortalite; en presence de certains morts illustres, on sent plus distinctement les destinees divines de cette intelligence qui traverse la terre pour souffrir et pour se purifier et qu'on appelle l'homme, et l'on se dit qu'il est impossible que ceux qui ont ete des genies pendant leur vie ne soient pas des ames apres leur mort!

LE 2 DECEMBRE 1851

Un vaillant proscrit de decembre, M. Hippolyte Magen, a publie, pendant son exil, a Londres, en 1852 (chez Jeffs, Burlington Arcade), un remarquable recit des faits dont il avait ete temoin. Nous extrayons de ce recit les pages qu'on va lire, en faisant seulement quelques suppressions dans les eloges adresses par M. H. Magen a M. Victor Hugo.

"Le 2 decembre, a dix heures du matin, des representants du peuple etaient reunis dans une maison de la rue Blanche.

"Deux opinions se combattaient. La premiere, emise et soutenue par Victor Hugo, voulait qu'on fit immediatement un appel aux armes; la population etait oscillante, il fallait, par une impulsion revolutionnaire, la jeter du cote de l'assemblee.

"Exciter lentement les coleres, entretenir longtemps l'agitation, tel etait le moyen que Michel (de Bourges) trouvait le meilleur; pour le soutenir il s'appuyait sur le passe. En 1830, on avait d'abord crie, puis lance des pierres aux gardes royaux, enfin on s'etait jete dans la bataille, avec des passions deja fermentees; en fevrier 1848, l'agitation de la rue avait aussi precede le combat.

"La situation actuelle n'offrait pas la moindre analogie avec ces deux epoques.

"Malheureusement le systeme de la temporisation l'emporta; il fut decide qu'on emploierait les vieux moyens, et qu'en attendant, il serait fait un appel aux legions de la garde nationale sur lesquelles on avait le droit de compter. Victor Hugo, Charamaule et Forestier accepterent la responsabilite de ces demarches, et rendez-vous fut pris a deux heures, sur le boulevard du Temple, chez Bonvalet, pour l'execution des mesures arretees.

"Tandis que Charamaule et Victor Hugo remplissaient le mandat qu'ils avaient recu, un incident prouva que, suivant l'opinion repoussee dans la rue Blanche, le peuple attendait une impulsion vigoureuse et revolutionnaire. A la hauteur de la rue Meslay, Charamaule s'apercut que la foule reconnaissait Hugo et s'epaississait autour d'eux: – "Vous etes reconnu, dit-il a son collegue." – Au meme instant, quelques jeunes gens crierent: Vive Victor Hugo!

"Un d'eux lui demanda: "Citoyen que faut-il faire?"

"Victor Hugo repondit: "Dechirez les affiches factieuses du coup d'etat et criez: Vive la constitution!

" – Et si l'on tire sur nous? lui dit un jeune ouvrier.

" – Vous courrez aux armes", repliqua Victor Hugo.

"Il ajouta: – Louis Bonaparte est un rebelle; il se couvre aujourd'hui de tous les crimes. Nous, representants du peuple, nous le mettons hors la loi; mais, sans meme qu'il soit besoin de notre declaration, il est hors la loi par le seul fait de sa trahison. Citoyens! vous avez deux mains, prenez dans l'une votre droit, dans l'autre votre fusil, et courez sur Bonaparte!"

"La foule poussa une acclamation.

"Un bourgeois qui fermait sa boutique dit a l'orateur: "Parlez moins haut, si l'on vous entendait parler comme cela, on vous fusillerait.

" – Eh bien! repondit Hugo, vous promeneriez mon cadavre, et ce serait une bonne chose que ma mort si la justice de Dieu en sortait!"

"Tous crierent: Vive Victor Hugo!– Criez: Vive la constitution! leur dit-il. Un cri formidable de Vive la constitution! Vive la republique! sortit de toutes les poitrines.

"L'enthousiasme, l'indignation, la colere melaient leurs eclairs dans tous les regards. C'etait la, peut-etre, une minute supreme. Victor Hugo fut tente d'enlever toute cette foule et de commencer le combat.

"Charamaule le retint et lui dit tout bas: – "Vous causerez une mitraillade inutile; tout ce monde est desarme. L'infanterie est a deux pas de nous, et voici l'artillerie qui arrive."

"En effet, plusieurs pieces de canon, attelees, debouchaient par la rue de Bondy, derriere le Chateau-d'Eau. Saisir un tel moment, ce pouvait etre la victoire, mais ce pouvait etre aussi un massacre. "Le conseil de s'abstenir, donne par un homme aussi intrepide que l'a ete Charamaule pendant ces tristes jours, ne pouvait etre suspect; en outre Victor Hugo, quel que fut son entrainement interieur, se sentait lie par la deliberation de la gauche. Il recula devant la responsabilite qu'il aurait encourue; depuis, nous l'avons entendu souvent repeter lui-meme: "Ai-je eu raison? Ai-je eu tort?"

"Un cabriolet passait; Victor Hugo et Charamaule s'y jeterent. La foule suivit quelque temps la voiture en criant: Vive la republique! Vive Victor Hugo!

"Les deux representants se dirigerent vers la rue Blanche, ou ils rendirent compte de la scene du Chateau d'Eau; ils essayerent encore de decider leurs collegues a une action revolutionnaire, mais la decision du matin fut maintenue.

"Alors Victor Hugo dicta au courageux Baudin la proclamation suivante:

"Louis-Napoleon est un traitre.

"Il a viole la constitution.

"Il s'est mis hors la loi.

Les representants republicains rappellent au peuple et a l'armee l'article 68 et l'article 110 ainsi concus: "L'assemblee constituante confie la defense de la presente constitution et des droits qu'elle consacre a la garde et au patriotisme de tous les francais."

"Le peuple est a jamais en possession du suffrage universel, n'a besoin d'aucun prince pour le lui rendre, et chatiera le rebelle.

"Que le peuple fasse son devoir.

"Les representants republicains marcheront a sa tete.

"Aux armes! Vive la republique!"

"Michel (de Bourges), Schoelcher, le general Leydet, Joigneaux, Jules Favre, Deflotte, Eugene Sue, Brives, Chauffour, Madier de Montjau, Cassal, Breymand, Lamarque, Baudin et quelques autres se haterent de mettre sur cette proclamation leurs noms a cote de celui de Victor Hugo.

"A six heures du soir, les membres du conciliabule de la rue Blanche, chasses de la rue de la Cerisaie par un avis que la police marchait sur eux, se retrouvaient au quai de Jemmapes, chez le representant Lafon; a eux s'etaient joints quelques journalistes et plusieurs citoyens devoues a la republique.

"Au milieu d'une vive animation, un comite de resistance fut nomme; il se composait des citoyens:

Victor Hugo,

Carnot,

Michel (de Bourges),

Madier de Montjau,

Jules Favre,

Deflotte,

Faure (du Rhone).

"On attendait impatiemment trois proclamations que Xavier Durrieu avait remises a des compositeurs de son journal. L'une d'elles sera recueillie par l'histoire; elle s'echappa de l'ame de Victor Hugo. La voici:

PROCLAMATION A L'ARMEE

Soldats!

Un homme vient de briser la constitution, il dechire le serment qu'il avait prete au peuple, supprime la loi, etouffe le droit, ensanglante Paris, garrotte la France, trahit la Republique.

Soldats, cet homme vous engage dans le crime.

Il y a deux choses saintes: le drapeau qui represente l'honneur militaire, et la loi qui represente le droit national. Soldats! le plus grand des attentats, c'est le drapeau leve contre la loi.

Ne suivez pas plus longtemps le malheureux qui vous egare. Pour un tel crime, les soldats francais sont des vengeurs, non des complices.

Livrez a la loi ce criminel. Soldats! c'est un faux Napoleon. Un vrai Napoleon vous ferait recommencer Marengo; lui, il vous fait recommencer Transnonain.

Tournez vos yeux sur la vraie fonction de l'armee francaise. Proteger la patrie, propager la revolution, delivrer les peuples, soutenir les nationalites, affranchir le continent, briser les chaines partout, defendre partout le droit, voila votre role parmi les armees d'Europe; vous etes dignes des grands champs de bataille.

Soldats! l'armee francaise est l'avant-garde de l'humanite. Rentrez en vous-memes, reflechissez, reconnaissez-vous, relevez-vous. Songez a vos generaux arretes, pris au collet par des argousins et jetes, menottes aux mains, dans la cellule des voleurs. Le scelerat qui est a l'Elysee croit que l'armee de la France est une bande du bas-empire, qu'on la paie et qu'on l'enivre, et qu'elle obeit. Il vous fait faire une besogne infame; il vous fait egorger, en plein dix-neuvieme siecle et dans Paris meme, la liberte, le progres, la civilisation; il vous fait detruire, a vous enfants de la France, ce que la France a si glorieusement et si peniblement construit en trois siecles de lumiere et en soixante ans de revolution! Soldats, si vous etes la grande armee, respectez la grande nation!

Nous, citoyens, nous representants du peuple et vos representants, – nous, vos amis, vos freres, nous qui sommes la loi et le droit, nous qui nous dressons devant vous en vous tendant les bras et que vous frappez aveuglement de vos epees, savez-vous ce qui nous desespere? ce n'est pas de voir notre sang qui coule, c'est de voir votre honneur qui s'en va.

Soldats! un pas de plus dans l'attentat, un jour de plus avec Louis Bonaparte, et vous etes perdus devant la conscience universelle. Les hommes qui vous commandent sont hors la loi; ce ne sont pas des generaux, ce sont des malfaiteurs; la casaque des bagnes les attend. Vous soldats, il en est temps encore, revenez a la patrie, revenez a la republique. Si vous persistiez, savez-vous ce que l'histoire dirait de vous? Elle dirait: "Ils ont foule aux pieds de leurs chevaux et ecrase sous les roues de leurs canons toutes les lois de leur pays; eux, des soldats francais, ils ont deshonore l'anniversaire d'Austerlitz; et, par leur faute, par leur crime, il degoutte aujourd'hui du nom de Napoleon sur la France autant de honte qu'il en a autrefois decoule de gloire."

Soldats francais, cessez de preter main-forte au crime!

Pour les representants du peuple restes libres, le representant membre du comite de resistance,

VICTOR HUGO.

Paris, 3 decembre.

"Cette proclamation … ou brillent toutes les qualites du genie et du patriotisme, fut, a l'aide d'un papier bleu qui multipliait les copies, reproduite cinquante fois; le lendemain elle etait affichee dans les rues Charlot, de l'Homme-Arme, Rambuteau, et sur le boulevard du Temple.

"Cependant on est encore averti que la police a pris l'eveil; a travers une nuit obscure, on se dirige vers la rue Popincourt, ou les ateliers de Frederic Cournet ouvriront un asile sur.

" … Nos amis remplissent une salle vaste et nue; il y a deux tabourets seulement; Victor Hugo, qui va presider la reunion, en prend un, – l'autre est donne a Baudin, qui servira de secretaire. Dans cette assemblee, on remarquait Guiter, Gindriez, Lamarque, Charamaule, Sartin, Arnaud de l'Ariege, Schoelcher, Xavier Durrieu et Kesler son collaborateur, etc., etc.

"Apres un instant de confusion, qu'en pareille circonstance il est aise de concevoir, plusieurs resolutions furent prises. On avait vu successivement arriver Michel (de Bourges), Esquiros, Aubry (du Nord), Bancel, Duputz, Madier de Montjau et Mathieu (de la Drome); ce dernier ne fit qu'une courte apparition.

"Victor Hugo avait pris la parole et resumait les perils de la situation, les moyens de resistance et de combat.

"Tout a coup, un homme en blouse se presente, effare.

" – Nous sommes perdus, s'ecria-t-il; du point d'observation ou l'on m'a place, j'ai vu se diriger vers nous une troupe nombreuse de soldats.

" – Qu'importe! a repondu Cournet, en montrant des armes, la porte de ma maison est etroite; dans le corridor deux hommes ne marcheraient pas de front; nous sommes ici soixante resolus a mourir; deliberez en paix."

"A ce terrible episode Victor Hugo emprunte un mouvement sublime. Les paroles de Victor Hugo ont ete stenographiees, sur place, par un des assistants, et je puis les donner telles qu'il les prononca. Il s'ecrie: / "Ecoutez, rendez-vous bien compte de ce que vous faites.

"D'un, cote, cent mille hommes, dix-sept batteries attelees, six mille bouches a feu dans les forts, des magasins, des arsenaux, des munitions de quoi faire la campagne de Russie; – de l'autre, cent vingt representants, mille ou douze cents patriotes, six cents fusils, deux cartouches par homme, pas un tambour pour battre le rappel, pas une cloche pour sonner le tocsin, pas une imprimerie pour imprimer une proclamation; a peine, ca et la, une presse lithographique, une cave ou l'on imprimera, en hate et furtivement, un placard a la brosse; peine de mort contre qui remuera un pave, peine de mort contre qui s'attroupera, peine de mort contre qui sera trouve en conciliabule, peine de mort contre qui placardera un appel aux armes; si vous etes pris pendant le combat, la mort; si vous etes pris apres le combat, la deportation et l'exil. – D'un cote, une armee et le crime; – de l'autre, une poignee d'hommes et le droit. Voila cette lutte, l'acceptez-vous?"

"Ce fut un moment admirable; cette parole energique et puissante avait remue toutes les fibres du patriotisme; un cri subit, unanime, repondit: "Oui, oui, nous l'acceptons!"

"Et la deliberation recommenca grave et silencieuse."

NOTES

CHAMBRE DES PAIRS 1846

NOTE 1
LA PROPRIETE DES OEUVRES D'ART

Un projet de loi sur les dessins et modeles de fabrique etait propose par le gouvernement; une longue discussion s'engagea, au sein de la chambre des pairs, sur la question de savoir quelle serait la duree de la propriete de ces dessins et de ces modeles. Le projet du gouvernement decretait une duree de quinze annees. La commission qui avait fait rapport sur le projet de loi proposait d'etendre le droit exclusif d'exploitation d'un modele a trente ans. Quelques membres de la chambre voulaient le maintien pur et simple de la legislation de 1793 qui attribue a l'auteur d'un dessin ou d'un modele artistique destine a l'industrie les memes droits qu'a l'auteur d'une statue ou d'un tableau. Victor Hugo demanda la parole.

Messieurs,

Je n'aurai qu'une simple observation a faire sur la question la plus importante, a mes yeux du moins, la question de duree; et j'appuierai la proposition de la commission, en regrettant, je l'avoue meme, l'ancienne legislation. Je n'ai que tres peu de mots a dire, et je n'abuserai jamais de l'attention de la chambre.

Messieurs, il ne faut pas se dissimuler que c'est un art veritable qui est en question ici. Je ne pretends pas mettre cet art, dans lequel l'industrie entre pour une certaine portion, sur le rang des creations poetiques ou litteraires, creations purement spontanees, qui ne relevent que de l'artiste, de l'ecrivain, du penseur. Cependant, il est incontestable qu'il y a ici dans la question un art tout entier.

Et si la Chambre me permettait de citer quelques-uns des grands noms qui se rattachent a cet art, elle reconnaitrait elle-meme qu'il y a la des genies createurs, des hommes d'imagination, des hommes dont la propriete doit etre protegee par la loi. Bernard de Palissy etait un potier; Benvenuto Cellini etait un orfevre. Un pape a desire un modele de chandeliers d'eglise; Michel-Ange et Raphael ont concouru pour ce modele, et les deux flambeaux ont ete executes. Oserait-on dire que ce ne sont pas la des objets d'art?

Il y a donc ici, permettez-moi d'insister, un art veritable dans la question, et c'est ce qui me fait prendre la parole.

Jusqu'a present cette matiere a ete regie en France par une legislation vague, obscure, incomplete, plutot formee de jurisprudence et d'extensions que composee de textes directs emanes du legislateur. Cette legislation a beaucoup de defauts, mais elle a une qualite qui, a mes yeux, compense tous les defauts, elle est genereuse.

Cette legislation, que donnait-elle a l'art qui est ici en question? Elle lui donnait la duree; et n'oubliez pas ceci: toutes les fois que vous voulez que de grands artistes fassent de grandes oeuvres, donnez-leur le temps, donnez-leur la duree, assurez-leur le respect de leur pensee et de leur propriete. Si vous voulez que la France reste a ce point ou elle est placee, d'imposer a toutes les nations la loi de sa mode, de son gout, de son imagination; si vous voulez que la France reste la maitresse de ce que le monde appelle l'ornement, le luxe, la fantaisie, ce qui sera toujours et ce qui est une richesse publique et nationale; si vous voulez donner a cet art tous les moyens de prosperer, ne touchez pas legerement a la legislation sous laquelle il s'est developpe avec tant d'eclat.

Notez que depuis que cette legislation, incomplete, je le repete, mais genereuse, existe, l'ascendant de la France, dans toutes les matieres d'art et d'industrie melee a l'art, n'a cesse de s'accroitre.

Que demandez-vous donc a une legislation? qu'elle produise de bons effets, qu'elle donne de bons resultats? Que reprochez-vous a celle-ci? Sous son empire, l'art francais est devenu le maitre et le modele de l'art chez tous les peuples qui composent le monde civilise. Pourquoi donc toucher legerement a un etat de choses dont vous avez a vous applaudir?

J'ajouterai en terminant que j'ai lu avec une grande attention l'expose des motifs; j'y ai cherche la raison pour laquelle il etait innove a un etat aussi excellent, je n'en ai trouve qu'une qui ne me parait pas suffisante, c'est un desir de mettre la legislation qui regit cette matiere en harmonie avec la legislation qui regit d'autres matieres qu'on suppose a tort analogues. C'est la, messieurs, une pure question de symetrie. Cela ne me parait pas suffisant pour innover, j'ose dire, aussi temerairement.

J'ai pour M. le ministre du commerce, en particulier, la plus profonde et la plus sincere estime; c'est un homme des plus distingues, et je reconnais avec empressement sa haute competence sur toutes les matieres qui sont soumises a son administration. Cependant je ne me suis pas explique comment il se faisait qu'en presence d'un beau, noble et magnifique resultat, on venait innover dans la loi qui a, en partie du moins, produit cet effet.

Je le repete, je demande de la duree. Je suis convaincu qu'un pas sera fait en arriere le jour ou vous diminuerez la duree de cette propriete. Je ne l'assimile pas d'ailleurs, je l'ai deja dit en commencant, a la propriete litteraire proprement dite. Elle est au-dessous de la propriete litteraire; mais elle n'en est pas moins respectable, nationale et utile. Le jour, dis-je, ou vous aurez diminue la duree de cette propriete, vous aurez diminue l'interet des fabricants a produire des ouvrages d'industrie de plus en plus voisins de l'art; vous aurez diminue l'interet des grands artistes a penetrer de plus en plus dans cette region ou l'industrie se releve par son contact avec l'art.

Aujourd'hui, a l'heure ou nous parlons, des sculpteurs du premier ordre, j'en citerai un, homme d'un merveilleux talent, M. Pradier, n'hesitent pas a accorder leur concours a ces productions qui ne sont pour l'industrie que des consoles, des pendules, des flambeaux, et qui sont, pour les connaisseurs, des chefs-d'oeuvre.

Un jour viendra, n'en doutez pas, ou beaucoup de ces oeuvres que vous traitez aujourd'hui de simples produits de l'industrie, et que vous reglementez comme de simples produits de l'industrie, un jour viendra ou beaucoup de ces oeuvres prendront place dans les musees. N'oubliez pas que vous avez ici, en France, a Paris, un musee compose precisement des debris de cet art mixte qui est en ce moment en question. La collection des vases etrusques, qu'est-ce autre chose?

Si vous voulez maintenir cet art au niveau deja eleve ou il est parvenu en France, si vous voulez augmenter encore ce bel essor qu'il a pris et qu'il prend tous les jours, donnez-lui du temps.

Voila tout ce que je voulais dire.

Je voterai pour tout ce qui tendra a augmenter la duree accordee aux proprietaires de cette sorte d'oeuvres, et je declare, en finissant, que je ne puis m'empecher de regretter l'ancienne legislation. (Tres bien! tres bien!)

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
560 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Ses
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 4,7, 3 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin PDF
Ortalama puan 4,8, 33 oylamaya göre
Metin PDF
Ortalama puan 3,7, 3 oylamaya göre
Metin PDF
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin PDF
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 4,5, 10 oylamaya göre