Kitabı oku: «Actes et Paroles, Volume 2: Pendant l'exil 1852-1870», sayfa 5
Et maintenant, freres, au moment de nous separer, poussons le cri de triomphe, poussons le cri du reveil; comme je vous le disais il y a quelques mois a propos de la Pologne, c'est sur les tombes qu'il faut parler de resurrection. Certes, l'avenir, un avenir prochain, je le repete, nous promet en France la victoire de l'idee democratique, l'avenir nous promet la victoire de l'idee sociale; mais il nous promet plus encore, il nous promet sous tous les climats, sous tous les soleils, dans tous les continents, en Amerique aussi bien qu'en Europe, la fin de toutes les oppressions et de tous les esclavages. Apres les rudes epreuves que nous subissons, ce qu'il nous faut, ce n'est pas seulement l'emancipation de telle ou telle classe qui a souffert trop longtemps, l'abolition de tel ou tel privilege, la consecration de tel ou tel droit; cela, nous l'aurons; mais cela ne nous suffit pas; ce qu'il nous faut, ce que nous obtiendrons, n'en doutez pas, ce que pour ma part, du fond de cette nuit sombre de l'exil, je contemple d'avance avec l'eblouissement de la joie, citoyens, c'est la delivrance de tous les peuples, c'est l'affranchissement de tous les hommes! Amis, nos souffrances engagent Dieu. Il nous en doit le prix. Il est debiteur fidele, il s'acquittera. Ayons donc une foi virile, et faisons avec transport notre sacrifice. Opprimes de toutes les nations, offrez vos plaies; polonais, offrez vos miseres; hongrois, offrez votre gibet; italiens, offrez votre croix; heroiques deportes de Cayenne et d'Afrique, nos freres, offrez votre chaine; proscrits, offrez votre proscription; et toi, martyr, offre ta mort a la liberte du genre humain.
II
SUR LA TOMBE DE LOUISE JULIEN
CIMETIERE DE SAINT-JEAN
26 juillet 1853.
Citoyens,
Trois cercueils en quatre mois.
La mort se hate, et Dieu nous delivre un a un.
Nous ne t'accusons pas, nous te remercions, Dieu puissant qui nous rouvres, a nous exiles, les portes de la patrie eternelle!
Cette fois, l'etre inanime et cher que nous apportons a la tombe, c'est une femme.
Le 21 janvier dernier, une femme fut arretee chez elle par le sieur Boudrot, commissaire de police a Paris. Cette femme, jeune encore, elle avait trente-cinq ans; mais estropiee et infirme, fut envoyee a la prefecture et enfermee dans la cellule no. 1, dite cellule d'essai. Cette cellule, sorte de cage de sept a huit pieds carres a peu pres, sans air et sans jour, la malheureuse prisonniere l'a peinte d'un mot; elle l'appelle: cellule-tombeau; elle dit, je cite ses propres paroles: " C'est dans cette cellule-tombeau, qu'estropiee, malade, j'ai passe vingt et un jours, collant mes levres d'heure en heure contre le treillage pour aspirer un peu d'air vital et ne pas mourir." [Note: Voir les Bagnes d'Afrique et la Transportation de decembre, par Ch. Ribeyrolles, p. 199.] – Au bout de ces vingt et un jours, le 14 fevrier, le gouvernement de decembre mit cette femme dehors et l'expulsa. Il la jeta a la fois hors de la prison et hors de la patrie. La proscrite sortait du cachot d'essai avec les germes de la phthisie. Elle quitta la France et gagna la Belgique. Le denument la forca de voyager toussant, crachant le sang, les poumons malades, en plein hiver, dans le nord, sous la pluie et la neige, dans ces affreux wagons decouverts qui deshonorent les riches entreprises des chemins de fer. Elle arriva a Ostende; elle etait chassee de France, la Belgique la chassa. Elle passa en Angleterre. A peine debarquee a Londres, elle se mit au lit. La maladie contractee dans le cachot, aggravee par le voyage force de l'exil, etait devenue menacante. La proscrite, je devrais dire la condamnee a mort, resta gisante deux mois et demi. Puis, esperant un peu de printemps et de soleil, elle vint a Jersey. On se souvient encore de l'y avoir vue arriver par une froide matinee pluvieuse, a travers les brumes de la mer, ralant et grelottant sous sa pauvre robe de toile toute mouillee. Peu de jours apres son arrivee, elle se coucha; elle ne s'est plus relevee.
Il y a trois jours elle est morte.
Vous me demanderez ce qu'etait cette femme et ce qu'elle avait fait pour etre traitee ainsi; je vais vous le dire.
Cette femme, par des chansons patriotiques, par de sympathiques et cordiales paroles, par de bonnes et civiques actions, avait rendu celebre, dans les faubourgs de Paris, le nom de Louise Julien sous lequel le peuple la connaissait et la saluait. Ouvriere, elle avait nourri sa mere malade; elle l'a soignee et soutenue dix ans. Dans les jours de lutte civile, elle faisait de la charpie; et, boiteuse et se trainant, elle allait dans les ambulances, et secourait les blesses de tous les partis. Cette femme du peuple etait un poete, cette femme du peuple etait un esprit; elle chantait la republique, elle aimait la liberte, elle appelait ardemment l'avenir fraternel de toutes les nations et de tous les hommes; elle croyait a Dieu, au peuple, au progres, a la France; elle versait autour d'elle, comme un vase, dans les esprits des proletaires, son grand coeur plein d'amour et de foi. Voila ce que faisait cette femme. M. Bonaparte l'a tuee.
Ah! une telle tombe n'est pas muette; elle est pleine de sanglots, de gemissements et de clameurs.
Citoyens, les peuples, dans le legitime orgueil de leur toute-puissance et de leur droit, construisent avec le granit et le marbre des edifices sonores, des enceintes majestueuses, des estrades sublimes, du haut desquelles parle leur genie, du haut desquelles se repandent a flots dans les ames les eloquences saintes du patriotisme, du progres et de la liberte; les peuples, s'imaginant qu'il suffit d'etre souverains pour etre invincibles, croient inaccessibles et imprenables ces citadelles de la parole, ces forteresses sacrees de l'intelligence humaine et de la civilisation, et ils disent: la tribune est indestructible. Ils se trompent; ces tribunes-la peuvent etre renversees. Un traitre vient, des soldats arrivent, une bande de brigands se concerte, se demasque, fait feu, et le sanctuaire est envahi, et la pierre et le marbre sont disperses, et le palais, et le temple, ou la grande nation parlait au monde, s'ecroule, et l'immonde tyran vainqueur s'applaudit, bat des mains, et dit: C'est fini. Personne ne parlera plus. Pas une voix ne s'elevera desormais. Le silence est fait. – Citoyens! a son tour le tyran se trompe. Dieu ne veut pas que le silence se fasse; Dieu ne veut pas que la liberte, qui est son verbe, se taise. Citoyens! au moment ou les despotes triomphants croient la leur avoir otee a jamais, Dieu redonne la parole aux idees. Cette tribune detruite, il la reconstruit. Non au milieu de la place publique, non avec le granit et le marbre, il n'en a pas besoin. Il la reconstruit dans la solitude; il la reconstruit avec l'herbe du cimetiere, avec l'ombre des cypres, avec le monticule sinistre que font les cercueils caches sous terre; et de cette solitude, de cette herbe, de ces cypres, de ces cercueils disparus, savez-vous ce qui sort, citoyens? Il en sort le cri dechirant de l'humanite, il en sort la denonciation et le temoignage, il en sort l'accusation inexorable qui fait palir l'accuse couronne, il en sort la formidable protestation des morts! Il en sort la voix vengeresse, la voix inextinguible, la voix qu'on n'etouffe pas, la voix qu'on ne baillonne pas! – Ah! M. Bonaparte a fait taire la tribune; c'est bien; maintenant qu'il fasse donc taire le tombeau!
Lui et ses pareils n'auront rien fait tant qu'on entendra sortir un soupir d'une tombe, et tant qu'on verra rouler une larme dans les yeux augustes de la pitie.
Pitie! ce mot que je viens de prononcer, il a jailli du plus profond de mes entrailles devant ce cercueil, cercueil d'une femme, cercueil d'une soeur, cercueil d'une martyre! Pauline Roland en Afrique, Louise Julien a Jersey, Francesca Maderspach a Temeswar, Blanca Teleki a Pesth, tant d'autres, Rosalie Gobert, Eugenie Guillemot, Augustine Pean, Blanche Clouart, Josephine Prabeil, Elisabeth Parles, Marie Reviel, Claudine Hibruit, Anne Sangla, veuve Combescure, Armantine Huet, et tant d'autres encore, soeurs, meres, filles, epouses, proscrites, exilees, transportees, torturees, suppliciees, crucifiees, o pauvres femmes! Oh! quel sujet de larmes profondes et d'inexprimables attendrissements! Faibles, souffrantes, malades, arrachees a leurs familles, a leurs maris, a leurs parents, a leurs soutiens, vieilles quelquefois et brisees par l'age, toutes ont ete des heroines, plusieurs ont ete des heros! Oh! ma pensee en ce moment se precipite dans ce sepulcre et baise les pieds froids de cette morte dans son cercueil! Ce n'est pas une femme que je venere dans Louise Julien, c'est la femme; la femme de nos jours, la femme digne de devenir citoyenne; la femme telle que nous la voyons autour de nous, dans tout son devouement, dans toute sa douceur, dans tout son sacrifice, dans toute sa majeste! Amis, dans les temps futurs, dans cette belle, et paisible, et tendre, et fraternelle republique sociale de l'avenir, le role de la femme sera grand; mais quel magnifique prelude a ce role que de tels martyres si vaillamment endures! Hommes et citoyens, nous avons dit plus d'une fois dans notre orgueil: – Le dix-huitieme siecle a proclame le droit de l'homme; le dix-neuvieme proclamera le droit de la femme; – mais, il faut l'avouer, citoyens, nous ne nous sommes point hates; beaucoup, de considerations, qui etaient graves, j'en conviens, et qui voulaient etre murement examinees, nous ont arretes; et a l'instant ou je parle, au point meme ou le progres est parvenu, parmi les meilleurs republicains, parmi les democrates les plus vrais et les plus purs, bien des esprits excellents hesitent encore a admettre dans l'homme et dans la femme l'egalite de l'ame humaine, et, par consequent, l'assimilation, sinon l'identite complete, des droits civiques. Disons-le bien haut, citoyens, tant que la prosperite a dure, tant que la republique a ete debout, les femmes, oubliees par nous, se sont oubliees elles-memes; elles se sont bornees a rayonner comme la lumiere; a echauffer les esprits, a attendrir les coeurs, a eveiller les enthousiasmes, a montrer du doigt a tous le bon, le juste, le grand et le vrai. Elles n'ont rien ambitionne au dela. Elles qui, par moment, sont, l'image, de la patrie vivante, elles qui pouvaient etre l'ame de la cite, elles ont ete simplement l'ame de la famille. A l'heure de l'adversite, leur attitude a change, elles ont cesse d'etre modestes; a l'heure de l'adversite, elles nous ont dit: – Nous ne savons pas si nous, avons droit a votre puissance, a votre liberte, a votre grandeur; mais ce que nous savons, c'est que nous avons droit a votre misere. Partager vos souffrances, vos accablements, vos denuments, vos detresses, vos renoncements, vos exils, votre abandon si vous etes sans asile, votre faim si vous etes sans pain, c'est la le droit de la femme, et nous le reclamons. – O mes freres! et les voila qui nous suivent dans le combat, qui nous accompagnent dans la proscription, et qui nous devancent dans le tombeau!
Citoyens, puisque cette fois encore vous avez voulu que je parlasse en votre nom, puisque votre mandat donne a ma voix l'autorite qui manquerait a une parole isolee; sur la tombe de Louise Julien, comme il y a trois mois, sur la tombe de Jean Bousquet, le dernier cri que je veux jeter, c'est le cri de courage, d'insurrection et d'esperance!
Oui, des cercueils comme celui de cette noble femme qui est la signifient et predisent la chute prochaine des bourreaux, l'inevitable ecroulement des despotismes et des despotes. Les proscrits meurent l'un apres l'autre; le tyran creuse leur fosse; mais a un jour venu, citoyens, la fosse tout a coup attire et engloutit le fossoyeur!
O morts qui m'entourez et qui m'ecoutez, malediction a Louis Bonaparte! O morts, execration a cet homme! Pas d'echafauds quand viendra la victoire, mais une longue et infamante expiation a ce miserable! Malediction sous tous les cieux, sous tous les climats, en France, en Autriche, en Lombardie, en Sicile, a Rome, en Pologne, en Hongrie, malediction aux violateurs du droit humain et de la loi divine! Malediction aux pourvoyeurs des pontons, aux dresseurs des gibets, aux destructeurs des familles, aux tourmenteurs des peuples! Malediction aux proscripteurs des peres, des meres et des enfants! Malediction aux fouetteurs de femmes! Proscrits! soyons implacables dans ces solennelles et religieuses revendications du droit et de l'humanite. Le genre humain a besoin de ces cris terribles; la conscience universelle a besoin de ces saintes indignations de la pitie. Execrer les bourreaux, c'est consoler les victimes. Maudire les tyrans, c'est benir les nations.
III
VINGT-TROISIEME ANNIVERSAIRE DE LA REVOLUTION POLONAISE
29 novembre 1853, a Jersey.
Proscrits, mes freres!
Tout marche, tout avance, tout approche, et, je vous le dis avec une joie profonde, deja se font jour et deviennent visibles les symptomes precurseurs du grand avenement. Oui, rejouissez-vous, proscrits de toutes les nations, ou, pour mieux dire, proscrits de la grande nation unique, de cette nation qui sera le genre humain et qui s'appellera Republique universelle. – Rejouissez-vous! l'an dernier, nous ne pouvions qu'invoquer l'esperance; cette annee, nous pouvons presque attester la realite. L'an dernier, a pareille epoque, a pareil jour, nous nous bornions a dire: l'Idee ressuscitera. Cette annee, nous pouvons dire: l'Idee ressuscite!
Et comment ressuscite-t-elle? de quelle facon? par qui? c'est la ce qu'il faut admirer.
Citoyens, il y a en Europe un homme qui pese sur l'Europe; qui est tout ensemble prince spirituel, seigneur temporel, despote, autocrate, obei dans la caserne, adore dans le monastere, chef de la consigne et du dogme, et qui met en mouvement, pour l'ecrasement des libertes du continent, un empire de la force de soixante millions d'hommes. Ces soixante millions d'hommes, il les tient dans sa main, non comme des hommes, mais comme des brutes, non comme des esprits, mais comme des outils. En sa double qualite ecclesiastique et militaire, il met un uniforme a leurs ames comme a leurs corps; il dit: marchez! et il faut marcher; il dit: croyez! et il faut croire. Cet homme s'appelle en politique l'Absolu, et en religion l'Orthodoxe; il est l'expression supreme de la toute-puissance humaine; il torture, comme bon lui semble, des peuples entiers; il n'a qu'a faire un signe, et il le fait, pour vider la Pologne dans la Siberie; il croise, mele et noue tous les fils de la grande conspiration des princes contre les hommes; il a ete a Rome, et lui, pape grec, il a donne le baiser d'alliance au pape latin; il regne a Berlin, a Munich, a Dresde, a Stuttgart, a Vienne, comme a Saint-Petersbourg; il est l'ame de l'empereur d'Autriche et la volonte du roi de Prusse; la vieille Allemagne n'est plus que sa remorque. Cet homme est quelque chose qui ressemble a l'ancien roi des rois; c'est l'Agamemnon de cette guerre de Troie que les hommes du passe font aux hommes de l'avenir; c'est la menace sauvage de l'ombre a la lumiere, du nord au midi. Je viens de vous le dire, et je resume d'un mot ce monstre de l'omnipotence: empereur comme Charles-Quint, pape comme Gregoire VII, il tient dans ses mains une croix qui se termine en glaive et un sceptre qui se termine en knout.
Ce prince, ce souverain, puisque les peuples permettent a des hommes de prendre ce nom, ce Nicolas de Russie est a cette heure l'homme veritable du despotisme. Il en est la tete; Louis Bonaparte n'en est que le masque.
Dans ce dilemme qui a toute la rigueur d'un decret du destin, Europe republicaine ou Europe cosaque, c'est Nicolas de Russie qui incarne l'Europe cosaque. Nicolas de Russie est le vis-a-vis de la Revolution.
Citoyens, c'est ici qu'il faut se recueillir. Les choses necessaires arrivent toujours; mais par quelle voie? c'est la ce qui est admirable, et j'appelle sur ceci votre attention.
Nicolas de Russie semblait avoir triomphe; le despotisme, vieil edifice restaure, dominait de nouveau l'Europe, plus solide en apparence que jamais, avec le meurtre de dix nations pour base et le crime de Bonaparte pour couronnement. La France, que le grand poete anglais, que Shakespeare appelle le "soldat de Dieu ", la France etait a terre, desarmee, garrottee, vaincue. Il paraissait qu'il n'y avait plus qu'a jouir de la victoire. Mais, depuis Pierre, les czars ont deux pensees, l'absolutisme et la conquete. La premiere satisfaite, Nicolas a songe a la seconde. Il avait a cote de lui, a son ombre, j'ai presque dit a ses pieds, un prince amoindri, un empire vieillissant, un peuple affaibli par son peu d'adherence a la civilisation europeenne. Il s'est dit: c'est le moment; et il a etendu son bras vers Constantinople, et il a allonge sa serre vers cette proie. Oubliant toute dignite, toute pudeur, tout respect de lui-meme et d'autrui, il a montre brusquement a l'Europe les plus cyniques nudites de l'ambition. Lui, colosse, il s'est acharne sur une ruine; il s'est rue sur ce qui tombait, et il s'est dit avec joie: Prenons Constantinople; c'est facile, injuste et utile.
Citoyens, qu'est-il arrive?
Le sultan s'est dresse.
Nicolas, par sa ruse et sa violence, s'est donne pour adversaire le desespoir, cette grande force. La revolution, foudre endormie, etait la. Or, – ecoutez ceci, car c'est grand: – il s'est trouve que, froisse, humilie, navre, pousse a bout, ce turc, ce prince chetif, ce prince debile, ce moribond, ce fantome sur lequel le czar n'avait qu'a souffler, ce petit sultan, soufflete par Mentschikoff et cravache par Gortschakoff, s'est jete sur la foudre et l'a saisie.
Et maintenant il la tient, il la secoue au-dessus de sa tete, et les roles sont changes, et voici Nicolas qui tremble! – et voici les trones qui s'emeuvent, et voici les ambassadeurs d'Autriche et de Prusse qui s'en vont de Constantinople, et voici les legions polonaise, hongroise et italienne qui se forment, et voici la Roumanie, la Transylvanie, la Hongrie qui fremissent, voici la Circassie qui se leve, voici la Pologne qui frissonne; car tous, peuples et rois, ont reconnu cette chose eclatante qui flamboie et qui rayonne a l'orient, et ils savent bien que ce qui brille en ce moment dans la main desesperee de la Turquie, ce n'est pas le vieux sabre ebreche d'Othman, c'est l'eclair splendide des revolutions!
Oui, citoyens, c'est la revolution qui vient de passer le Danube!
Le Rhin, le Tibre, la Vistule et la Seine en ont tressailli.
Proscrits, combattants de toutes les dates, martyrs de toutes les luttes, battez des mains a cet ebranlement immense qui commence a peine, et que rien maintenant n'arretera. Toutes les nations qu'on croyait mortes dressent la tete en ce moment. Reveil des peuples, reveil de lions.
Cette guerre a eclate au sujet d'un sepulcre dont tout le monde voulait les clefs. Quel sepulcre et quelles clefs? C'est la ce que les rois ignorent. Citoyens, ce sepulcre, c'est la grande tombe ou est enfermee la Republique, deja debout dans les tenebres et toute prete a sortir. Et ces clefs qui ouvriront ce sepulcre, dans quelles mains tomberont-elles? Amis, ce sont les rois qui se les disputent, mais c'est le peuple qui les aura.
C'est fini, j'y insiste, desormais les negociations, les notes, les protocoles, les ultimatum, les armistices, les platrages de paix eux-memes n'y peuvent rien. Ce qui est fait est fait. Ce qui est entame s'achevera. Le sultan, dans son desespoir, a saisi la revolution, et la revolution le tient. Il ne depend plus de lui-meme a present de se delivrer de l'aide redoutable qu'il s'est donnee. Il le voudrait qu'il ne le pourrait. Quand un homme prend un archange pour auxiliaire, l'archange l'emporte sur ses ailes.
Chose frappante! il est peut-etre dans la destinee du sultan de faire crouler tous les trones. (Une voix: Y compris le sien.)
Et cette oeuvre a laquelle on contraint le sultan, ce sera le czar qui l'aura provoquee! Cet ecroulement des trones, d'ou sortira la confederation des Peuples-Unis, ce sera le czar, je ne dirai pas qui l'aura voulu, mais qui l'aura cause. L'Europe cosaque aura fait surgir l'Europe republicaine. A l'heure qu'il est, citoyens, le grand revolutionnaire de l'Europe, – c'est Nicolas de Russie.
N'avais-je pas raison de vous dire: admirez de quelle facon la providence s'y prend!
Oui, la providence nous emporte vers l'avenir a travers l'ombre. Regardez, ecoutez, est-ce que vraiment vous ne voyez pas que le mouvement de tout commence a devenir formidable? Le sinistre sabbat de l'absolutisme passe comme une vision de nuit. Les rangees de gibets chancellent a l'horizon, les cimetieres entrevus paraissent et disparaissent, les fosses ou sont les martyrs se soulevent, tout se hate dans ce tourbillon de tenebres. Il semble qu'on entend ce cri mysterieux: "Hourrah! hourrah! les rois vont vite!"
Proscrits, attendons l'heure. Elle va bientot sonner, preparons-nous. Elle va sonner pour les nations, elle va sonner pour nous-memes. Alors, pas un coeur ne faiblira. Alors nous sortirons, nous aussi, de cette tombe qu'on appelle l'exil; nous agiterons tous les sanglants et sacres souvenirs, et, dans les dernieres profondeurs, les masses se leveront contre les despotes, et le droit et la justice et le progres vaincront; car le plus auguste et le plus terrible des drapeaux, c'est le suaire dans lequel les rois ont essaye d'ensevelir la liberte!
Citoyens, du fond de cette adversite ou nous sommes encore, envoyons une acclamation a l'avenir. Saluons, au dela de toutes ces convulsions et de toutes ces guerres, saluons l'aube benie des Etats-Unis d'Europe! Oh! ce sera la une realisation splendide! Plus de frontieres, plus de douanes, plus de guerres, plus d'armees, plus de proletariat, plus d'ignorance, plus de misere; toutes les exploitations coupables supprimees, toutes les usurpations abolies; la richesse decuplee, le probleme du bien-etre resolu par la science; le travail, droit et devoir; la concorde entre les peuples, l'amour entre les hommes; la penalite resorbee par l'education; le glaive brise comme le sabre; tous les droits proclames et mis hors d'atteinte, le droit de l'homme a la souverainete, le droit de la femme a l'egalite, le droit de l'enfant a la lumiere; la pensee, moteur unique, la matiere, esclave unique; le gouvernement resultant de la superposition des lois de la societe aux lois de la nature, c'est-a-dire pas d'autre gouvernement que le droit de l'Homme; – voila ce que sera l'Europe demain peut-etre, citoyens, et ce tableau qui vous fait tressaillir de joie n'est qu'une ebauche tronquee et rapide. O proscrits, benissons nos peres dans leurs tombes, benissons ces dates glorieuses qui rayonnent sur ces murailles, benissons la sainte marche des idees. Le passe appartient aux princes; il s'appelle Barbarie; l'avenir appartient aux peuples; il s'appelle Humanite!