Kitabı oku: «Han d'Islande», sayfa 24
– Je vous répète que je ne puis vous le dire.
– N'était-ce pas, reprit le secrétaire, pour délivrer Schumacker?
Ordener garda le silence.
– Ne soyez pas muet, accusé Ordener, dit le président; il est prouvé que vous entreteniez des intelligences avec Schumacker, et l'aveu de votre culpabilité accuse, plus qu'il ne justifie, le prisonnier de Munckholm. Vous alliez souvent à Munckholm, et certes vous attachiez à ces visites plus qu'un intérêt de curiosité ordinaire. Témoin cette boucle de diamants.
Le président prit sur le bureau, et montra à Ordener une boucle de brillants qui y était déposée.
– La reconnaissez-vous pour vous avoir appartenu?
– Oui. Par quel hasard?....
– Eh bien! un des rebelles l'a remise, avant d'expirer, à notre secrétaire intime, en déclarant qu'il l'avait reçue de vous en paiement, pour vous avoir transporté du port de Drontheim à la forteresse de Munckholm. Or, je vous le demande, seigneurs juges, un pareil salaire donné à un simple matelot n'annoncet-il pas quelle importance l'accusé Ordener Guldenlew attachait à parvenir jusqu'à cette prison, qui est celle de Schumacker?
– Ah! s'écria l'accusé Kennybol, ce que dit sa courtoisie est vrai, je reconnais la boucle; c'est l'histoire de notre pauvre frère Guldon Stayper.
– Silence, dit le président, laissez répondre Ordener Guldenlew.
– Je ne cacherai pas, repartit Ordener, que je désirais voir Schumacker. Mais cette boucle ne signifie rien. On ne peut entrer avec des diamants dans le fort; le matelot qui m'avait amené s'était plaint, dans la traversée, de sa misère; je lui ai jeté cette boucle, que je ne pouvais garder sur moi.
– Pardon, votre courtoisie, interrompit le secrétaire intime, le règlement excepte de cette mesure le fils du vice-roi. Vous pouviez donc....
– Je ne voulais pas me nommer.
– Pourquoi? demanda le président.
– C'est ce que je ne puis dire.
– Vos intelligences avec Schumacker et sa fille prouvent que le but de votre complot était de les délivrer.
Schumacker, qui, jusqu'alors, n'avait donné d'autre signe d'attention que de dédaigneux mouvements d'épaules, se leva:
– Me délivrer! Le but de cette infernale trame était de me compromettre et de me perdre, comme il l'est encore. Croyez-vous qu'Ordener Guldenlew eût avoué sa participation au crime, s'il n'eût été pris parmi les révoltés? Oh! je vois qu'il a hérité de la haine de son père pour moi. Et quant aux intelligences qu'on lui suppose avec moi et ma fille, qu'il sache, cet exécré Guldenlew, que ma fille a hérité aussi de ma haine pour lui, pour la race des Guldenlew et des d'Ahlefeld!
Ordener soupira profondément, tandis qu'Éthel désavouait tout bas son père, et que celui-ci retombait sur son banc, palpitant encore de colère.
– Le tribunal jugera, dit le président.
Ordener, qui, aux paroles de Schumacker, avait baissé les yeux en silence, parut se réveiller:
– Oh! nobles juges, écoutez. Vous allez descendre dans vos consciences; n'oubliez pas qu'Ordener Guldenlew est coupable seul; Schumacker est innocent. Ces autres infortunés ont été trompés par Hacket, qui était mon agent. J'ai fait tout le reste.
Kennybol l'interrompit:
– Sa courtoisie dit vrai, seigneurs juges; car c'est elle qui s'est chargée de nous amener le fameux Han d'Islande, dont je souhaite que le nom ne me porte pas malheur. Je sais que c'est ce jeune seigneur qui a osé l'aller trouver dans la caverne de Walderhog, pour lui proposer d'être notre chef. Il m'a confié le secret de son entreprise au hameau de Surb, chez mon frère Braall. Et, pour le reste encore, le jeune seigneur dit vrai; nous avons été abusés par ce Hacket maudit; d'où il suit que nous ne méritons pas la mort.
– Seigneur secrétaire intime, dit le président, les débats sont clos. Quelles sont vos conclusions?
Le secrétaire se leva, salua plusieurs fois le tribunal, passa quelque temps la main entre les plis de son rabat de dentelle, sans quitter un moment des yeux les yeux du président. Enfin, il fit entendre ces paroles d'une voix sourde et lugubre:
– Seigneur président, respectables juges! l'accusation demeure victorieuse. Ordener Guldenlew, qui ternit à jamais la splendeur de son glorieux nom, n'a réussi qu'à prouver sa culpabilité sans démontrer l'innocence de l'ex-chancelier Schumacker, et de ses complices Han d'Islande, Wilfrid Kennybol, Jonas et Norbith.– Je demande à la justice du tribunal que les six accusés soient déclarés coupables du crime de haute-trahison et de lèse-majesté, au premier chef.
Un murmure vague s'éleva de la foule. Le président allait proclamer la formule de clôture, quand l'évêque réclama un moment d'attention.
– Doctes juges, il est convenable que la défense des accusés se fasse entendre la dernière. Je souhaiterais qu'elle eût un meilleur organe; car je suis vieux et faible, et je n'ai plus en moi d'autre force que celle qui me vient de Dieu.– Je m'étonne des sévères requêtes du secrétaire intime. Rien ici ne prouve le crime de mon client Schumacker. On ne peut établir contre lui aucune participation directe à l'insurrection des mineurs; et puisque mon autre client Ordener Guldenlew déclare avoir abusé du nom de Schumacker, et, de plus, être l'unique auteur de cette condamnable sédition, toutes les présomptions qui pesaient sur Schumacker s'évanouissent; vous devez donc l'absoudre. Je recommande à votre indulgence chrétienne les autres accusés, qui n'ont été qu'égarés, comme la brebis du bon pasteur; et même le jeune Ordener Guldenlew, qui a du moins le mérite, bien grand devant le Seigneur, de confesser son crime. Songez, seigneurs juges, qu'il est encore dans l'âge où l'homme peut faillir, et même tomber, sans que Dieu refuse de le soutenir ou de le relever. Ordener Guldenlew porte à peine le quart de ce fardeau de l'existence qui pèse déjà presque entier sur ma tête. Mettez dans la balance de vos jugements sa jeunesse et son inexpérience, et ne lui retirez pas si tôt cette vie que le Seigneur vient à peine de lui donner.
Le vieillard se tut et se plaça près d'Ordener, qui souriait; tandis qu'à l'invitation du président, les juges se levaient du tribunal, et passaient en silence le seuil de la formidable salle de leurs délibérations.
Pendant que quelques hommes décidaient de six destinées dans ce terrible sanctuaire, les accusés immobiles étaient restés assis sur leur banc entre deux rangs de hallebardiers. Schumacker, la tête sur sa poitrine, paraissait endormi dans une rêverie profonde; le géant promenait à droite et à gauche des regards où se peignait une assurance stupide; Jonas et Kennybol, les mains jointes, priaient à voix basse, tandis que leur camarade Norbith frappait par intervalles la terre du pied, ou secouait ses chaînes avec des tressaillements convulsifs. Entre lui et le vénérable évêque, qui lisait les psaumes de la pénitence, se tenait Ordener, les bras croisés et les yeux levés au ciel.
Derrière eux on entendait le bruit de la foule, qui avait impétueusement éclaté à la sortie des juges. C'était le fameux captif de Munckholm, c'était le redoutable démon d'Islande, c'était surtout le fils du vice-roi, qui occupaient toutes les pensées, toutes les paroles, tous les regards. La rumeur, mêlée de plaintes, de rires et de cris confus, qui s'échappait de l'auditoire, s'abaissait et s'élevait comme une flamme qui ondoie sous le vent.
Ainsi se passèrent plusieurs heures d'attente, si longues que chacun s'étonnait qu'elles fussent contenues dans la même nuit. De temps en temps on jetait un regard vers la porte de la chambre des délibérations; mais on n'y voyait rien, que les deux soldats qui se promenaient avec leurs pertuisanes étincelantes devant le seuil fatal, comme deux fantômes muets.
Enfin, les torches et les lampes commençaient à pâlir, et quelques rayons blancs de l'aube traversaient les vitraux étroits de la salle, quand la porte redoutable s'ouvrit. Un silence profond remplaça sur-le-champ, comme par magie, tout le tumulte du peuple, et l'on n'entendit plus que le bruit des respirations pressées et le mouvement vague et sourd de la foule en suspens.
Les juges, sortant à pas lents de la chambre des délibérations, reprirent place au tribunal, le président à leur tête.
Le secrétaire intime, qui avait paru absorbé dans ses réflexions pendant leur absence, s'inclina:
– Seigneur président, quel est l'arrêt que le tribunal, jugeant sans appel, a rendu au nom du roi? Nous sommes prêts à l'entendre avec un respect religieux. Le juge placé à droite du président se leva, tenant un parchemin dans ses mains:
– Sa grâce, notre glorieux président, fatigué par la longueur de cette audience, daigne nous charger, nous, haut-syndic du Drontheimhus, président naturel de ce tribunal respectable, de lire à sa place la sentence rendue au nom du roi. Nous allons remplir ce devoir honorable et pénible, rappelant à l'auditoire de se taire devant l'infaillible justice du roi.
Alors la voix du haut-syndic prit une inflexion solennelle et grave, et tous les coeurs palpitèrent.
– Au nom de notre vénéré maître et légitime seigneur Christiern, roi!– voici l'arrêt que nous, juges du haut tribunal du Drontheimhus, nous rendons dans nos consciences, touchant Jean Schumacker, prisonnier d'État; Wilfrid Kennybol, habitant des montagnes de Kole; Jonas, mineur royal; Norbith, mineur royal; Han, de Klipstadur, en Islande; et Ordener Guldenlew, baron de Thorvick, chevalier de Dannebrog; tous accusés des crimes de haute trahison et de lèse-majesté au premier chef; Han d'Islande étant de plus prévenu des crimes d'assassinat, d'incendie et de brigandage.
1° Jean Schumacker n'est point coupable;
2° Wilfrid Kennybol, Jonas et Norbith sont coupables; mais le tribunal les excuse, parce qu'ils ont été égarés;
3° Han d'Islande est coupable de tous les crimes qu'on lui impute;
4° Ordener Guldenlew est coupable de haute trahison et de lèse-majesté au premier chef.» Le juge s'arrêta un moment comme pour prendre haleine. Ordener attachait sur lui un regard plein d'une joie céleste.
– Jean Schumacker, continua le juge, le tribunal vous absout et vous renvoie dans votre prison.
Kennybol, Jonas et Norbith, le tribunal réduit la peine que vous avez encourue à une détention perpétuelle et à l'amende de mille écus royaux chacun.
Han, de Klipstadur, assassin et incendiaire, vous serez ce soir conduit sur la place d'armes de Munckholm, et pendu par le cou jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Ordener Guldenlew, traître, après avoir été dégradé de vos titres devant ce tribunal, vous serez conduit ce soir au même lieu, avec un flambeau à la main, pour y avoir la tête tranchée, le corps brûlé, et pour que vos cendres soient jetées au vent et votre tête exposée sur la claie.
Retirez-vous tous. Tel est l'arrêt rendu par la justice du roi.—
À peine le haut-syndic avait-il achevé cette funèbre lecture, qu'on entendit dans la salle un cri. Ce cri glaça les assistants plus même que l'effrayant appareil de la sentence de mort; ce cri fit pâlir un moment le front serein et radieux d'Ordener condamné.
XLIV
C'était le malheur qui les rendait égaux.
CHARLES NODIER.
C'en est donc fait; tout va s'accomplir, ou plutôt tout est déjà accompli. Il a sauvé le père de celle qu'il aimait, il l'a sauvée elle-même, en lui conservant l'appui paternel. La noble conspiration du jeune homme pour la vie de Schumacker a réussi; maintenant le reste n'est rien; il n'a plus qu'à mourir.
Que ceux qui l'ont cru coupable ou insensé le jugent maintenant, ce généreux Ordener, comme il se juge lui-même dans son âme avec un saint ravissement. Car ce fut toujours sa pensée, en entrant dans les rangs des rebelles, que, s'il ne pouvait empêcher l'exécution du crime de Schumacker, il pourrait du moins en empêcher le châtiment, en l'appelant sur sa propre tête.
– Hélas! s'était-il dit, sans doute Schumacker est coupable; mais, aigri par sa captivité et son malheur, son crime est pardonnable. Il ne veut que sa délivrance; il la tente, même par la rébellion.– D'ailleurs, que deviendra mon Éthel si on lui enlève son père; si elle le perd par l'échafaud, si un nouvel opprobre vient flétrir sa vie, que deviendra-t-elle, sans soutien, sans secours, seule dans son cachot, ou errante dans un monde d'ennemis? Cette pensée l'avait déterminé à son sacrifice, et il s'y était préparé avec joie; car le plus grand bonheur d'un être qui aime est d'immoler son existence, je ne dis pas à l'existence, mais à un sourire, à une larme de l'être aimé.
Il a donc été pris parmi les rebelles, il a été traîné devant les juges qui devaient condamner Schumacker, il a commis son généreux mensonge, il a été condamné, il va mourir d'une mort cruelle, d'un supplice ignominieux, il va laisser une mémoire souillée; mais que lui importe au noble jeune homme? il a sauvé le père de son Éthel.
Il est maintenant assis sur ses chaînes dans un cachot humide, où la lumière et l'air ne pénètrent qu'à peine par de sombres soupiraux; près de lui est la nourriture du reste de son existence, un pain noir, une cruche pleine d'eau. Un collier de fer pèse sur son cou, des bracelets, des carcans de fer pressent ses mains et ses pieds. Chaque heure qui s'écoule lui emporte plus de vie qu'une année n'en enlève aux autres mortels.– Il rêve délicieusement.
– Peut-être mon souvenir ne périra-t-il pas avec moi, du moins dans un des coeurs qui battent parmi les hommes! peut-être daignera-t-elle me donner une larme pour mon sang! peut-être consacrera-t-elle quelquefois un regret à celui qui lui a dévoué sa vie! peut-être, dans ses rêveries virginales, aura-t-elle parfois présente la confuse image de son ami! Qui sait d'ailleurs ce qui est derrière la mort? Qui sait si les âmes délivrées de leur prison matérielle ne peuvent pas quelquefois revenir veiller sur les âmes qu'elles aiment, commercer mystérieusement avec ces douces compagnes encore captives, et leur apporter en secret quelque vertu des anges et quelque joie du ciel?
Toutefois des idées amères se mêlaient à ces consolantes méditations. La haine que Schumacker lui avait témoignée au moment même de son sacrifice oppressait son coeur. Le cri déchirant qu'il avait entendu en même temps que son arrêt de mort l'avait ébranlé profondément; car, seul dans l'auditoire, il avait reconnu cette voix et compris cette douleur. Et puis, ne la reverra-t-il donc plus, son Éthel? ses derniers moments se passeront-ils dans la prison même qui la renferme, sans qu'il puisse encore une fois toucher la douce main, entendre la douce voix de celle pour qui il va mourir?
Il abandonnait ainsi son âme à cette vague et triste rêverie, qui est à la pensée ce que le sommeil est à la vie, quand le cri rauque des vieux verrous rouillés heurta rudement son oreille, déjà en quelque sorte attentive aux concerts de l'autre sphère où il allait s'envoler.– C'était la lourde porte de fer de son cachot, qui s'ouvrait en grondant sur ses gonds. Le jeune condamné se leva tranquille et presque joyeux, car il pensa que c'était le bourreau qui venait le chercher, et il avait déjà dépouillé l'existence comme le manteau qu'il foulait à ses pieds.
Il fut trompé dans son attente; une figure blanche et svelte venait d'apparaître au seuil de son cachot, pareille à une vision lumineuse. Ordener douta de ses yeux, et se demanda s'il n'était pas déjà dans le ciel. C'était elle, c'était son Éthel.
La jeune fille était tombée dans ses bras enchaînés; elle couvrait les mains d'Ordener de larmes, qu'essuyaient les longues tresses noires de ses cheveux épars; baisant les fers du condamné, elle meurtrissait ses lèvres pures sur les infâmes carcans; elle ne parlait pas, mais tout son coeur semblait prêt à s'échapper dans la première parole qui passerait à travers ses sanglots.
Lui, il éprouvait la joie la plus céleste qu'il eût éprouvée depuis sa naissance. Il serrait doucement son Éthel sur sa poitrine, et les forces réunies de la terre et de l'enfer n'eussent pu en ce moment dénouer les deux bras dont il l'environnait. Le sentiment de sa mort prochaine mêlait quelque chose de solennel à son ravissement, et il s'emparait de son Éthel comme s'il en eût déjà pris possession pour l'éternité.
Il ne demanda pas à cet ange comment elle avait pu pénétrer jusqu'à lui. Elle était là, pouvait-il penser à autre chose? D'ailleurs il ne s'en étonnait pas. Il ne se demandait pas comment cette jeune fille proscrite, faible, isolée, avait pu, malgré les triples portes de fer, et les triples rangs de soldats, ouvrir sa propre prison et celle de son amant; cela lui semblait simple; il portait en lui la conscience intime de ce que peut l'amour.
À quoi bon se parler avec la voix quand on se peut parler avec l'âme? Pourquoi ne pas laisser les corps écouter en silence le langage mystérieux des intelligences?– Tous deux se taisaient, parce qu'il y a des émotions qu'on ne saurait exprimer qu'en se taisant.
Cependant la jeune fille souleva enfin sa tête appuyée sur le coeur tumultueux du jeune homme.
– Ordener, dit-elle, je viens te sauver; et elle prononça cette parole d'espérance avec une angoisse douloureuse.
Ordener secoua la tête en souriant.
– Me sauver, Éthel! tu t'abuses; la fuite est impossible.
– Hélas! je le sais trop. Ce château est peuplé de soldats, et toutes les portes qu'il faut traverser pour arriver ici sont gardées par des archers et des geôliers qui ne dorment pas.– Elle ajouta avec effort: Mais je t'apporte un autre moyen de salut.
– Va, ton espérance est vaine. Ne te berce pas de chimères, Éthel; dans quelques heures un coup de hache les dissiperait trop cruellement.
– Oh! n'achève pas! Ordener! tu ne mourras pas. Oh! dérobe-moi cette affreuse pensée, ou plutôt, oui, présente-la-moi dans toute son horreur, pour me donner la force d'accomplir ton salut et mon sacrifice.
Il y avait dans l'accent de la jeune fille une expression indéfinissable, Ordener la regarda doucement:
– Ton sacrifice! que veux-tu dire?
Elle cacha son visage dans ses mains, et sanglota en disant d'une voix inarticulée:– O Dieu!
Cet abattement fut de courte durée; elle se releva; ses yeux brillaient, sa bouche souriait. Elle était belle comme un ange qui remonte de l'enfer au ciel.
– Écoutez, mon Ordener, votre échafaud ne s'élèvera pas. Pour que vous viviez, il suffit que vous promettiez d'épouser Ulrique d'Ahlefeld.
– Ulrique d'Ahlefeld! ce nom dans ta bouche, mon Éthel!
– Ne m'interrompez pas, poursuivit-elle avec le calme d'une martyre qui subit sa dernière torture; je viens ici envoyée par la comtesse d'Ahlefeld. On vous promet d'obtenir votre grâce du roi, si l'on obtient en échange votre main pour la fille du grand-chancelier. Je viens ici vous demander le serment d'épouser Ulrique et de vivre pour elle. On m'a choisie pour messagère, parce qu'on a pensé que ma voix aurait quelque puissance sur vous.
– Éthel, dit le condamné d'une voix glacée, adieu; en sortant de ce cachot, dites qu'on fasse venir le bourreau.
Elle se leva, resta un moment devant lui debout, pâle et tremblante; puis ses genoux fléchirent, elle tomba à genoux sur la pierre en joignant les mains.
– Que lui ai-je fait? murmura-t-elle d'une voix éteinte.
Ordener, muet, fixait son regard sur la pierre.
– Seigneur, dit-elle, se traînant à genoux jusqu'à lui, vous ne me répondez pas? Vous ne voulez donc plus me parler?– Il ne me reste plus qu'à mourir.
Une larme roula dans les yeux du jeune homme.
– Éthel, vous ne m'aimez plus.
– O Dieu! s'écria la pauvre jeune fille, serrant dans ses bras les genoux du prisonnier, je ne l'aime plus! Tu dis que je ne t'aime plus, mon Ordener. Est-il bien vrai que tu as pu dire cela?
– Vous ne m'aimez plus, puisque vous me méprisez.
Il se repentit à l'instant même d'avoir prononcé cette parole cruelle; car l'accent d'Éthel fut déchirant, quand elle jeta ses bras adorés autour de son cou, en criant d'une voix étouffée par les larmes:
– Pardonne-moi, mon bien-aimé Ordener, pardonne-moi comme je te pardonne. Moi! te mépriser, grand Dieu! n'es-tu pas mon bien, mon orgueil, mon idolâtrie?– Dis-moi, est-ce qu'il y avait dans mes paroles autre chose qu'un profond amour, qu'une brûlante admiration pour toi? Hélas! ton langage sévère m'a fait bien du mal, quand je venais pour te sauver, mon Ordener adoré, en immolant tout mon être au tien.
– Eh bien, répondit le jeune homme radouci en essuyant les pleurs d'Éthel avec des baisers, n'était-ce pas me montrer peu d'estime que de me proposer de racheter ma vie par l'abandon de mon Éthel, par un lâche oubli de mes serments, par le sacrifice de mon amour?– Il ajouta, l'oeil fixé sur Éthel:– De mon amour, pour lequel je verse aujourd'hui tout mon sang. Un long gémissement précéda la réponse d'Éthel.
– Écoute-moi encore, mon Ordener, ne m'accuse pas si vite. J'ai peut-être plus de force qu'il n'appartient d'ordinaire à une pauvre femme.– Du haut de notre donjon on voit construire, dans la place d'Armes l'échafaud qui t'est destiné. Ordener! tu ne connais pas cette affreuse douleur de voir lentement se préparer la mort de celui qui porte avec lui notre vie! La comtesse d'Ahlefeld, près de laquelle j'étais quand j'ai entendu prononcer ton arrêt funèbre, est venue me trouver au donjon, où j'étais rentrée avec mon père. Elle m'a demandé si je voulais te sauver, elle m'a offert cet odieux moyen; mon Ordener, il fallait détruire ma pauvre destinée, renoncer à toi, te perdre pour jamais, donner à une autre cet Ordener, toute la félicité de la délaissée Éthel, ou te livrer au supplice; on me laissait le choix entre mon malheur et ta mort; je n'ai pas balancé.
Il baisa avec respect la main de cet ange.
– Je ne balance pas non plus, Éthel. Tu ne serais pas venue m'offrir la vie avec la main d'Ulrique d'Ahlefeld si tu avais su comment il se fait que je meurs.
– Quoi? Quel mystère?....
– Permets-moi d'avoir un secret pour toi, mon Éthel bien-aimée. Je veux mourir sans que tu saches si tu me dois de la reconnaissance ou de la haine pour ma mort.
– Tu veux mourir! Tu veux donc mourir! O Dieu! et cela est vrai, et l'échafaud se dresse en ce moment, et aucune puissance humaine ne peut délivrer mon Ordener qu'on va tuer! Dis-moi, jette un regard sur ton esclave, sur ta compagne, et promets-moi, bien-aimé Ordener, de m'entendre sans colère. Es-tu bien sûr, réponds à ton Éthel comme à Dieu, que tu ne pourrais mener une vie heureuse auprès de cette femme, de cette Ulrique d'Ahlefeld? en es-tu bien sûr, Ordener? Elle est peut-être, sans doute même, belle, douce, vertueuse; elle vaut mieux que celle pour qui tu péris.– Ne détourne pas la tête, cher ami, mon Ordener. Tu es si noble et si jeune pour monter sur un échafaud! Eh bien! tu irais vivre avec elle dans quelque brillante ville où tu ne penserais plus à ce funeste donjon; tu laisserais couler paisiblement tes jours sans t'informer de moi; j'y consens, tu me chasserais de ton coeur, même de ton souvenir, Ordener. Mais vis, laisse-moi ici seule, c'est à moi de mourir. Et, crois-moi, quand je te saurai dans les bras d'une autre, tu n'auras pas besoin de t'inquiéter de moi; je ne souffrirai pas longtemps.
Elle s'arrêta; sa voix se perdait dans les larmes. Cependant on lisait dans son regard désolé le désir douloureux de remporter la victoire fatale dont elle devait mourir.
Ordener lui dit:
– Éthel, ne me parle plus de cela. Qu'il ne sorte en ce moment de nos bouches d'autres noms que le tien et le mien.
– Ainsi, reprit-elle, hélas! hélas! tu veux donc mourir?
– Il le faut. J'irai avec joie à l'échafaud pour toi; j'irais avec horreur à l'autel pour toute autre femme. Ne m'en parle plus; tu m'affliges et tu m'offenses.
Elle pleurait en murmurant toujours:– Il va mourir, ô Dieu! et d'une mort infâme!
Le condamné répondit avec un sourire:
– Crois-moi, Éthel, il y a moins de déshonneur dans ma mort que dans la vie telle que tu me la proposes.
En ce moment, son regard, se détachant de son Éthel éplorée, aperçut un vieillard vêtu d'habits ecclésiastiques, qui se tenait debout dans l'ombre, sous la voûte basse de la porte:
– Que voulez-vous? dit-il brusquement.
– Seigneur, je suis venu avec l'envoyée de la comtesse d'Ahlefeld. Vous ne m'avez point aperçu, et j'attendais en silence que vos yeux tombassent sur moi.
En effet, Ordener n'avait vu que son Éthel, et celle-ci, voyant Ordener, avait oublié son compagnon.
– Je suis, continua le vieillard, le ministre chargé....
– J'entends, dit le jeune homme. Je suis prêt.
Le ministre s'avança vers lui.
– Dieu est prêt aussi à vous recevoir, mon fils.
– Seigneur ministre, reprit Ordener, votre visage ne m'est pas inconnu. Je vous ai vu quelque part. Le ministre s'inclina.
– Je vous reconnais aussi, mon fils. C'était dans la tour de Vygla. Nous avons tous deux montré ce jour-là combien les paroles humaines ont peu de certitude. Vous m'avez promis la grâce de douze malheureux condamnés, et moi je n'ai point cru en votre promesse, ne pouvant deviner que vous fussiez ce que vous êtes, le fils du vice-roi; et vous, seigneur, qui comptiez sur votre puissance et sur votre rang, en me donnant cette assurance....
Ordener acheva la pensée qu'Athanase Munder n'osait compléter.
– Je ne puis aujourd'hui obtenir aucune grâce, pas même la mienne; vous avez raison, seigneur ministre. Je respectais trop peu l'avenir; il m'en a puni, en me montrant sa puissance supérieure à la mienne.
Le ministre baissa la tête.
– Dieu est fort, dit-il.
Puis il releva ses yeux bienveillants sur Ordener en ajoutant:
– Dieu est bon.
Ordener, qui paraissait préoccupé, s'écria, après un court silence:
– Écoutez, seigneur ministre, je veux tenir la promesse que je vous ai faite dans la tour de Vygla. Quand je serai mort, allez trouver à Berghen mon père, le vice-roi de Norvège, et dites-lui que la dernière grâce que lui demande son fils, c'est celle de vos douze protégés. Il vous l'accordera, j'en suis sûr.
Une larme d'attendrissement mouilla le visage vénérable d'Athanase.
– Mon fils, il faut que de nobles pensées remplissent votre âme, pour savoir, dans la même heure, rejeter avec courage votre propre grâce et solliciter avec bonté celle des autres. Car j'ai entendu vos refus; et, tout en blâmant le dangereux excès d'une passion humaine, j'en ai été profondément touché. Maintenant je me dis: Unde scelus? Comment se fait-il qu'un homme qui approche tant du vrai juste se soit souillé du crime pour lequel il est condamné?
– Mon père, je ne l'ai point dit à cet ange, je ne puis vous le dire. Croyez seulement que la cause de ma condamnation n'est point un crime.
– Comment? expliquez-vous, mon fils.
– Ne me pressez pas, répondit le jeune homme avec fermeté. Laissez-moi emporter dans le tombeau le secret de ma mort.
– Ce jeune homme ne peut être coupable, murmura le ministre.
Alors il tira de son sein un crucifix noir, qu'il plaça sur une sorte d'autel grossièrement formé d'une dalle de granit adossée au mur humide de la prison. Près du crucifix il posa une petite lampe de fer allumée, qu'il avait apportée avec lui, et une bible ouverte.
– Mon fils, priez et méditez. Je reviendrai dans quelques heures.– Allons, ajouta-t-il, se tournant vers Éthel, qui, pendant tout l'entretien d'Ordener et d'Athanase, avait gardé le silence du recueillement, il faut quitter le prisonnier. Le temps s'écoule.
Elle se leva radieuse et tranquille; quelque chose de divin enflammait son regard:
– Seigneur ministre, je ne puis vous suivre encore. Il faut auparavant que vous ayez uni Éthel Schumacker à son époux Ordener Guldenlew.
Elle regarda Ordener:
– Si tu étais encore puissant, libre et glorieux, mon Ordener, je pleurerais et j'éloignerais ma fatale destinée de la tienne.– Mais maintenant que tu ne crains plus la contagion de mon malheur, que tu es ainsi que moi captif, flétri, opprimé, maintenant que tu vas mourir, je viens à toi, espérant que tu daigneras du moins, Ordener, mon seigneur, permettre à celle qui n'aurait pu être la compagne de ta vie, d'être la compagne de ta mort; car tu m'aimes assez, n'est-il pas vrai, pour n'avoir pas douté un instant que je n'expire en même temps que toi?
Le condamné tomba à ses pieds et baisa le bas de sa robe.
– Vous, vieillard, continua-t-elle, vous allez nous tenir lieu de familles et de pères; ce cachot sera le temple; cette pierre, l'autel. Voici mon anneau, nous sommes à genoux devant Dieu et devant vous. Bénissez-nous et lisez les paroles saintes qui vont unir Éthel Schumacker à Ordener Guldenlew, son seigneur.
Et ils s'étaient agenouillés ensemble devant le prêtre, qui les contemplait avec un étonnement mêlé de pitié.
– Comment, mes enfants! que faites-vous?
– Mon père, dit la jeune fille, le temps presse. Dieu et la mort nous attendent.
On rencontre quelquefois dans la vie des puissances irrésistibles, des volontés auxquelles on cède soudain comme si elles avaient quelque chose de plus que les volontés humaines. Le prêtre leva les yeux en soupirant.
– Que le Seigneur me pardonne si ma condescendance est coupable! Vous vous aimez, vous n'avez plus que bien peu de temps à vous aimer sur la terre; je ne crois pas manquer à nos saints devoirs en légitimant votre amour.
La douce et redoutable cérémonie s'accomplit. Ils se levèrent tous deux sous la dernière bénédiction du prêtre; ils étaient époux.
Le visage du condamné brillait d'une douloureuse joie; on eût dit qu'il commençait à sentir l'amertume de la mort, à présent qu'il essayait la félicité de la vie. Les traits de sa compagne étaient sublimes de grandeur et de simplicité; elle était encore modeste comme une jeune vierge, et déjà presque fière comme une jeune épouse.
– Écoute-moi, mon Ordener, dit-elle; n'est-il pas vrai que nous sommes maintenant heureux de mourir, puisque la vie ne pouvait nous réunir? Tu ne sais pas, ami, ce que je ferai,– je me placerai aux fenêtres du donjon de manière à te voir monter sur l'échafaud, afin que nos âmes s'envolent ensemble dans le ciel. Si j'expire avant que la hache ne tombe, je t'attendrai; car nous sommes époux, mon Ordener adoré, et ce soir le cercueil sera notre lit nuptial.
Il la pressa sur son coeur gonflé et ne put prononcer que ces mots, qui étaient l'idée de toute son existence:
– Éthel, tu es donc à moi!
– Mes enfants, dit la voix attendrie de l'aumônier, dites-vous adieu. Il est temps.