Kitabı oku: «Abrégé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint (Tome 1)», sayfa 3
ÉTAT DE L'ITALIE ET DE L'ÉGLISE CHRÉTIENNE
Plus l'Empire de Mahomet fleurissait, plus Constantinople et Rome étaient avilies, Rome ne s'était jamais relevée du coup fatal que lui porta Constantin en transférant le Siège de l'Empire. La gloire, l'amour de la Patrie n'animèrent plus les Romains. Il n'y eut plus de fortune à espérer pour les habitants de l'ancienne Capitale; le courage s'énerva, les Arts tombèrent; on ne connut plus dans le séjour des Scipions et des Césars que des contestations entre les Juges Séculiers et l'Évêque. Prise et reprise, saccagée tant de fois par les Barbares, elle obéissait encore aux Empereurs. Depuis Justinien un Vice-Roi sous le nom d'Exarque, la gouvernait, mais ne daignait plus la regarder comme la Capitale de l'Italie. Il demeurait à Ravenne, et delà il envoyait ses ordres aux Romains. L'évêque dans ces temps de Barbarie augmentait de jour en jour son autorité par l'avilissement même de la Ville. Les richesses de son église se multipliaient. Le Préfet de Rome ne pouvait pas s'opposer sans-cesse aux prétentions de l'Évêque, toujours appuyées de la sainteté du Ministère. En vain l'Église de Ravenne contestait mille droits à celle de Rome. On reconnaissait l'Église de Rome dans tout l'Occident Chrétien comme la Mère commune. On la consultait, on lui demandait des Millionnaires, et dans la servitude de la Ville l'Évêque dominait au dehors.
Le reste de l'Italie citérieure obéissait aux Rois Lombards, qui régnaient dans Pavie, ils se frayaient toujours le chemin à la conquête de Rome, et le Peuple Romain aurait voulu n'être fourni ni aux Lombards, ni aux Empereurs Grecs. Les Papes conçurent dans ce VIIIe Siècle le dessein de se rendre eux-mêmes maîtres de Rome; ils virent avec prudence, que ce qui dans d'autres temps n'eût été qu'une révolte et une sédition impuissante, pouvait devenir une révolution excusable par la nécessité, et illustre par le succès.
ORIGINE DE LA PUISSANCE DES PAPES
Le Pape Grégoire III fut le premier qui imagina de se servir du bras des Français pour ôter l'Italie aux Empereurs et aux Lombards. Son Successeur Zacharie reconnut Pépin usurpateur du Royaume de France pour Roi légitime. On a prétendu que Pépin, qui n'était que premier Ministre, fit demander d'abord au Pape, quel était le vrai Roi, ou de celui qui n'en avait que le droit et le nom, ou de celui qui en avait l'autorité et le mérite? Et que le Pape décida que le Ministre devait être Roi. Il n'a jamais été prouvé qu'on ait joué cette Comédie; mais ce qui est vrai, c'est que le Pape Étienne III appela Pépin à son secours, qu'il feignit une Lettre de St. Pierre, adressée du Ciel à Pépin et à ses fils, qu'il vint en France, qu'il donna dans St. Denis l'Onction Royale à Pépin, premier Roi sacré en Europe. Non seulement ce premier usurpateur reçut l'Onction Sacrée du Pape, après l'avoir reçue de St. Boniface, qu'on appelait l'Apôtre d'Allemagne, mais Étienne III défendit sous peine d'excommunication aux Français de se donner jamais des Rois d'une autre race. Tandis que cet Évêque chassé de sa patrie et suppliant dans une terre étrangère, avait le courage de donner des Lois, sa politique prenait une autorité qui assurait celle de Pépin, et ce Prince pour mieux jouir de ce qui ne lui était pas dû, laissait au Pape des droits qui ne lui appartenaient pas.
Hugues Capet fit voir depuis ce que valait une telle défense et une telle excommunication. Les fruits de cette union avec Pépin furent l'anéantissement du pouvoir des Empereurs dans Rome, la révolution de l'Occident, et la puissance de l'Église Romaine.
Les Lombards venaient de s'emparer de l'Exarcat de Ravenne. Pépin après les avoir vaincus et leur avoir ôté le reste du domaine des Empereurs, fit présent au Pape d'une partie des biens qu'il avait conquis. Il donna Ravenne, Boulogne, Incola, Fuenza, Forli, Ferrare, Rimini, Pezaro, Ancone, Urbin; Rome n'y fut pas comprise, et l'Évêque n'osa pas s'emparer de la Capitale de son Souverain. Le peuple alors ne l'eût pas souffert, tant le nom de Rome et ses débris imprimaient encore de respect à ses citoyens.
Cet Évêque fut le premier Prêtre Chrétien qui devint Seigneur temporel, et qu'on pût mettre au rang des Princes; aucun ne le fut jamais en Orient. Sous les yeux du Maître les sujets restent sujets; mais loin du Souverain et dans le temps de trouble, il fallait bien que de nouvelles Puissances s'établissent dans un Pays abandonné; mais il ne faut pas croire que les Papes jouirent paisiblement de cette donation; non seulement les Terres furent bientôt reprises par les Lombards, mais lorsqu'ensuite Charlemagne eut confirmé cette Donation, et ajouté encore tant de nouveaux domaines au Patrimoine de St. Pierre, les Seigneurs de ces Patrimoines, ou ceux qui les envahirent, ne regardèrent pas la Donation de Charlemagne comme un droit incontestable. L'autorité spirituelle des Papes, déjà grande dans l'Occident qui tenait d'eux la Religion Chrétienne, ne dominait point ainsi en Orient. Les Papes ne convoquèrent point les six premiers Conciles Œcuméniques, et dès le VIe Siècle on voit que Jean le Jeûneur, Patriarche de Constantinople, reconnu pour Saint chez les Grecs, prenait le titre d'Évêque universel; titre qui semblait permis au Pasteur de la Ville Impériale. On voit au VIIIe Siècle ce Patriarche se nommer Pape dans un Acte public. Au IIe Concile de Nicée on appelait ce Patriarche Très-Saint Père. Le Pape était toujours nommé le premier, excepté dans quelques Actes passés entre lui et le Patriarche à Constantinople; mais cette primauté purement spirituelle n'avait rien de la Souveraineté; le Pape était le premier des Évêques, et n'était le maître d'aucun Évêque.
ÉTAT DE L'ÉGLISE EN ORIENT AVANT CHARLEMAGNE
En Orient les Chefs de la Religion ne pouvant se faire une domination temporelle, y excitèrent d'autres troubles par ces querelles interminables, fruit de l'esprit sophistique des Grecs et de leurs Disciples.
Depuis que Constantin eut donné une liberté entière aux Chrétiens auxquels on ne pouvait plus l'ôter, et dont le parti l'avait mis sur le Trône, cette liberté était devenue une source intarissable de querelles; car le Fondateur de la Religion n'ayant rien écrit, et les hommes voulant tout savoir, chaque mystère fit naître des opinions, et chaque opinion coûta du sang.
Fallut-il décider si le Fils était consubstantiel au Père? le Monde Chrétien fut partagé, et la moitié persécuta l'autre. Voulut-on savoir si la Mère de Jésus-Christ était la Mère de Dieu, ou de Jésus? si le Christ avait deux natures et deux volontés dans une même personne, ou deux personnes et une volonté, ou une volonté et une personne? Toutes ces disputes nées dans Constantinople, dans Antioche, dans Alexandrie, excitèrent des séditions. Un parti anathématisait l'autre, la faction dominante condamnait à l'exil, à la prison, à la mort, et aux peines éternelles après la mort l'autre faction qui se vengeait à son tour par les mêmes armes.
De pareils troubles n'avaient point été connus dans le Paganisme, la raison en est que les Païens dans leurs erreurs grossières, n'avaient point de dogmes, et que les Prêtres des Idoles, encore moins les Séculiers, ne s'assemblèrent jamais juridiquement pour disputer.
Dans le VIIIe Siècle on agita dans les Églises d'Orient s'il fallait rendre un culte aux Images. La Loi de Moïse les avait expressément défendues, cette Loi n'avait jamais été révoquée, et les premiers Chrétiens pendant plus de 200 ans n'en avaient jamais souffert dans leurs assemblées.
Peu à peu la coutume s'introduisit partout d'avoir chez soi des Crucifix. Ensuite on eut les portraits vrais ou faux des Martyrs ou des Confesseurs. Il n'y avait point encore d'Autels érigés pour les Saints, point de Messes célébrées en leur nom seulement à la vue d'un Crucifix et de l'image d'un homme de bien. Le cœur qui surtout dans ces climats a besoin d'objets sensibles, s'excitait à la vertu.
Cet usage s'introduisit dans les Églises. Quelques Évêques ne l'adoptèrent pas. On voit qu'en 393 St. Épiphane arracha d'une Église de Syrie une Image devant laquelle on priait. Il déclara que la Religion Chrétienne ne permettait pas ce culte, et la sévérité ne causa point de Schisme.
Enfin cette pratique pieuse dégénéra en abus, comme toutes les choses humaines. Le Peuple toujours grossier ne distingua point Dieu et les Images. Bientôt on en vint jusqu'à leur attribuer des vertus et des miracles. Chaque Image guérissait une maladie. On les mêla même aux Sortilèges, qui ont presque toujours séduit la crédulité du Vulgaire. Je dis non seulement le vulgaire du Peuple, mais celui des Princes et des Savants.
En 727 l'Empereur Léon l'Isaurien voulut, à la persuasion de quelques Évêques, déraciner l'abus; mais par un abus encore plus grand, il fit effacer toutes les peintures. Il abattit les statues et les représentations de JÉSUS-CHRIST et des Saints, en ôtant ainsi tout d'un coup aux Peuples les objets de leur culte; il les révolta, on désobéit, il persécuta, il devint Tyran, parce qu'il avait été imprudent.
Son Fils Constantin Copronime fit passer en Loi Civile et Ecclésiastique l'abolition des Images. Il tint à Constantinople un Concile de 338 Évêques; ils proscrivirent d'une commune voix ce culte reçu dans plusieurs Églises, et surtout à Rome.
Cet Empereur eût voulu abolir aussi aisément les Moines, qu'il avait en horreur, et qu'il n'appelait que les abominables; mais il ne put y réussir: ces Moines déjà fort riches défendirent plus habilement leurs biens, que les Images de leurs Saints.
Le Pape Grégoire III et ses successeurs, ennemis secrets des Empereurs, et opposés ouvertement à leur doctrine, ne lancèrent pourtant point ces sortes d'excommunications, depuis si fréquemment et si légèrement employées. Mais soit que ce vieux respect pour les successeurs des Césars contînt encore les Métropolitains de Rome, soit plutôt qu'ils vissent combien ces excommunications, ces interdits et dispenses du serment de fidélité seraient méprisés dans Constantinople, où l'Église Patriarcale s'égalait au moins à celle de Rome, les Papes se contentèrent d'un Concile en 732, où l'on décida que tout ennemi des Images serait excommunié, sans rien de plus, et sans parler de l'Empereur. Il paraît que les Papes songèrent plutôt à négocier qu'à disputer, et qu'en agissant aux dehors en Évêques fermes, mais modérés, ils se conduisirent en vrais politiques, et préparèrent la révolution d'Occident.
RENOUVELLEMENT DE L'EMPIRE EN OCCIDENT
Le Royaume de Pépin s'étendait du Rhin aux Pyrénées et aux Alpes; Charlemagne son fils aîné recueillit cette succession toute entière car un de ses frères était mort après le partage, et l'autre s'était fait Moine auparavant au Monastère de St. Sylvestre. Une espèce de piété qui se mêlait à la barbarie de ces temps, enferma plus d'un Prince dans le Cloître; ainsi Rachis Roi des Lombards, Carloman frère de Pépin, un Duc d'Aquitaine, avaient pris l'habit de Bénédictin. Il n'y avait presque alors que cet Ordre dans l'Occident. Les Couvents étaient riches, puissants, respectés. C'étaient des asiles honorables pour ceux qui cherchaient une vie paisible. Bientôt après ces asiles furent les prisons des Princes détrônés.
Pépin n'avait pas à beaucoup près le domaine direct de tous ces États: l'Aquitaine, la Bavière, la Provence, la Bretagne Pays nouvellement conquis, rendaient hommage et payaient tribut.
Deux Voisins pouvaient être redoutables à ce vaste État, les Germains Septentrionaux et les Sarrasins. L'Angleterre, conquise par les Anglo-Saxons partagée en sept dominations, toujours en guerre avec l'Albanie qu'on nomme Écosse, et avec les Danois, était sans politique et sans puissance. L'Italie faible et déchirée n'attendait qu'un nouveau Maître qui voulût s'en emparer.
Les Germains Septentrionaux étaient alors appelés Saxons. On connaissait sous ce nom tous ces Peuples qui habitaient les bords du Weser et ceux de l'Elbe, de Hambourg à la Moravie, et de Mayence à la Mer Baltique. Ils étaient Païens, ainsi que tout le Septentrion. Leurs Mœurs et leurs Lois étaient les mêmes que du temps des Romains. Chaque Canton se gouvernait en République, mais ils élisaient un Chef pour la Guerre. Leurs Lois étaient simples comme leurs mœurs: leur Religion grossière: ils sacrifiaient dans les grands dangers, des hommes à la Divinité, ainsi que tant d'autres Nations; car c'est le caractère des Barbares, de croire la Divinité malfaisante, les hommes font Dieu à leur image. Les Français, quoique déjà Chrétiens, eurent sous Théodebert cette superstition horrible, ils immolèrent des victimes humaines en Italie au rapport de Procope, et les Juifs avaient commis quelquefois ces sacrilèges par piété. D'ailleurs ces Peuples cultivaient la justice, ils mettaient leur gloire et leur bonheur dans la liberté. Ce sont eux qui sous le nom de Cattes, de Chéruskes et de Bructéres avaient vaincu Varus, et que Germanicus avait ensuite défait.
Une partie de ces Peuples vers le Ve Siècle appelée par les Bretons insulaires contre les habitants de l'Écosse, subjugua la Bretagne qui touche à l'Écosse, et lui donna le nom d'Angleterre. Ils y avaient déjà passé au IIIe Siècle; car au temps de Constantin les côtes de cette Île étaient appelées les Côtes Saxoniques.
Charlemagne, le plus ambitieux, le plus politique et le plus grand guerrier de son Siècle, fit la guerre aux Saxons trente années avant de les assujettir pleinement. Leur Pays n'avait point encore ce qui tente aujourd'hui la cupidité des Conquérants. Les riches Mines de Goflar, dont on a tiré tant d'argent, n'étaient point découvertes, elles ne le furent que sous Henri l'Oiseleur. Point de richesses accumulées par une longue industrie, nulle Ville digne de l'ambition d'un Usurpateur. Il ne s'agissait que d'avoir pour esclaves des millions d'hommes qui cultivaient la terre sous un climat triste, qui nourrissaient leurs troupeaux, et qui ne voulaient point de Maîtres.
Ils étaient mal armés; car je vois dans les Capitulaires de Charlemagne une défense rigoureuse de vendre des cuirasses aux Saxons. Cette différence des armes, jointe à la discipline, avait rendu les Romains vainqueurs de tant de Peuples, elle fit triompher enfin Charlemagne.
Le Général de la plupart de ces Peuples était ce fameux Vitiking, dont on fait aujourd'hui descendre les principales Maisons de l'Empire; Homme tel qu'Arminius, mais qui eut enfin plus de faiblesse. Charles prend d'abord la fameuse Bourgade d'Eresbourg; car ce lieu ne méritait ni le nom de Ville, ni celui de Forteresse. Il fait égorger les habitants. Il y pille et rase ensuite le principal Temple du Pays, élevé autrefois au Dieu Tanfana, Principe universel, et dédié alors au Dieu Irminsul; Temple révéré en Saxe comme celui de Sion chez les Juifs. On y massacra les Prêtres sur les débris de l'Idole renversée. On pénétra jusqu'au Weser avec l'armée victorieuse. Tous ces Cantons se soumirent. Charlemagne voulut les lier à son joug par le Christianisme, tandis qu'il court à l'autre bout de ses États à d'autres conquêtes, il leur laisse des Missionnaires pour les persuader, et des soldats pour les forcer. Presque tous ceux qui habitaient vers le Weser, se trouvèrent en un an Chrétiens et esclaves.
Vitiking retiré chez les Danois qui tremblaient déjà pour leur liberté et pour leurs Dieux, revient au bout de quelques années. Il ranime ses compatriotes, il les rassemble. Il trouve dans Brème, Capitale du Pays qui porte ce nom, un Évêque, une Église, et ses Saxons désespérés, qu'on traîne à des autels nouveaux. Il chasse l'Évêque, qui a le temps de fuir et de s'embarquer. Il détruit le Christianisme, qu'on n'avait embrassé que par la force. Il vient jusqu'auprès du Rhin suivi d'une multitude de Germains. Il bat les Lieutenants de Charlemagne.
Ce Prince accourt. Il défait à son tour Vitiking, mais il traite de révolte cet effort courageux de liberté. Il demande aux Saxons tremblants qu'on lui livre leur Général, et sur la nouvelle qu'ils l'ont laissé retourner en Danemark, il fait massacrer 4500 prisonniers au bord de la petite Rivière d'Aire. Si ces prisonniers avaient été des sujets rebelles, un tel châtiment aurait été une sévérité horrible; mais traiter ainsi des hommes qui combattaient pour leur liberté et pour leurs lois, c'est l'action d'un Brigand, que d'illustres succès et des qualités brillantes ont d'ailleurs fait Grand-homme.
Il fallut encore trois victoires avant d'accabler ces Peuples sous le joug. Enfin le sang cimenta le Christianisme et la Servitude. Vitiking lui-même lassé de ses malheurs fut obligé de recevoir le baptême, et de vivre désormais tributaire de son Vainqueur. Le Roi pour mieux s'assurer du Pays, transporta des Colonies Saxonnes jusqu'en Italie, et établit des Colonies de Francs dans les terres des vaincus, mais il joignit à cette politique sage la cruauté de faire poignarder par des espions les Saxons qui voulaient retourner à leur culte. Souvent les Conquérants ne sont cruels que dans la guerre. La paix amène des mœurs et des lois plus douces. Charlemagne au contraire fit des lois qui tenaient de l'inhumanité de ses conquêtes.
Ayant vu comment ce Conquérant traita les Allemands idolâtres, voyons comment il se conduisit avec les Mahométans d'Espagne. Il arrivait déjà parmi eux ce qu'on vit bientôt après, en Allemagne, en France et en Italie. Les Gouverneurs se rendaient indépendants. Les Émirs de Barcelone et ceux de Saragosse s'étaient mis sous la protection de Pépin. L'Émir de Saragosse en 778 vient jusqu'à Paderborne prier Charlemagne de le soutenir contre son Souverain. Le Prince Français prit le parti de ce Musulman, mais il se donna bien garde de le faire Chrétien. D'autres intérêts, d'autres soins. Il s'allie avec des Sarrasins contre des Sarrasins; mais après quelques avantages sur les frontières d'Espagne, son arrière-garde est défaite à Roncevaux, vers les montagnes des Pyrénées par les Chrétiens mêmes de ces montagnes, mêlés aux Musulmans. C'est là que périt Roland son neveu. Ce malheur est l'origine de ces fables qu'un Moine écrivit au IIe Siècle, sous le nom de l'Archevêque Turpin, et qu'ensuite l'imagination de l'Arioste a embellies. On ne sait point en quel temps Charles essuya cette disgrâce, et on ne voit point qu'il ait tiré vengeance de sa défaite. Content d'assurer ses frontières contre des ennemis trop aguerris, il n'embrasse que ce qu'il peut retenir, et règle son ambition sur les conjonctures qui la favorisent.
C'est à Rome et à l'Empire d'Occident que cette ambition aspirait. La puissance des Rois de Lombardie était le seul obstacle; l'Église de Rome et toutes les Églises sur lesquelles elle influait, les Moines déjà puissants, les Peuples déjà gouvernés par eux, tout appelait Charlemagne à l'Empire de Rome. Le Pape Adrien né Romain, homme d'un génie adroit et ferme, aplanit la route. D'abord il l'engage à répudier la fille du Roi Lombard Didier, et Charlemagne la répudie après un an de mariage, sans en donner d'autre raison, sinon qu'elle ne lui plaisait pas. Didier qui voit cette union fatale du Roi et du Pape contre lui, prend un parti, courageux. Il veut surprendre Rome et s'assurer de la personne du Pape, mais l'Évêque habile fait tourner la guerre en négociation. Charles envoie des Ambassadeurs pour gagner du temps. Enfin il passe les Alpes, une partie des troupes de Didier l'abandonne. Ce Roi malheureux s'enferme dans Pavie sa Capitale, Charlemagne l'y assiège au milieu de l'hiver. La Ville réduite à l'extrémité se rend après un siège de six mois. Didier pour toute condition obtient la vie. Ainsi finit ce Royaume des Lombards qui avaient détruit en Italie la puissance Romaine, et qui avaient substitué leurs lois à celles des Empereurs. Didier le dernier de ces Rois fut conduit en France dans le Monastère de Corbie, où il vécut et mourut captif et Moine, tandis que son fils allait inutilement demander des secours dans Constantinople à ce fantôme d'Empire Romain détruit en Occident par ses ancêtres. Il faut remarquer que Didier ne fut pas le seul Souverain que Charlemagne enferma, il traita ainsi un Duc de Bavière et ses enfants.
Charlemagne n'osait pas encore se faire Souverain de Rome. Il ne prit que le titre de Roi d'Italie, tel que le portaient les Lombards. Il se fit couronner comme eux dans Pavie d'une couronne de fer qu'on garde encore dans la petite Ville de Monza. La justice s'administrait toujours à Rome au nom de l'Empereur Grec. Les Papes même recevaient de lui la confirmation de leur élection. Charlemagne prenait seulement ainsi que Pépin le titre de Patrice, que Théodoric et Attila avaient aussi daigné prendre; ainsi ce nom d'Empereur, qui dans son origine ne désignait qu'un Général d'armée, signifiait encore le Maître de l'Orient et de l'Occident. Tout vain qu'il était, on le respectait, on craignait de l'usurper, on n'affectait que celui de Patrice, qui autrefois voulait dire Sénateur Romain.
Les Papes déjà très puissants dans l'Église, très-grands Seigneurs à Rome et Princes temporels dans un petit Pays, n'avaient dans Rome même qu'une autorité précaire et chancelante. Le Préfet, le Peuple, le Sénat, dont l'ombre subsistait, s'élevaient souvent contre eux. Les inimitiés des familles qui prétendaient au Pontificat, remplissaient Rome de confusion.
Les deux neveux d'Adrien conspirèrent contre Léon III son successeur, élu Pape selon l'usage par le Peuple et le Clergé Romain. Ils l'accusent de beaucoup de crimes, ils animent les Romains contre lui: on traîne en prison, on accable de coups à Rome celui qui était si respecté partout ailleurs. Il s'évade, il vient se jeter aux genoux du Patrice Charlemagne à Paderborne. Ce Prince qui agissait déjà en maître absolu, le renvoya avec une escorte et des Commissaires pour le juger. Ils avaient ordre de le trouver innocent. Enfin Charlemagne, maître de l'Italie comme de l'Allemagne et de la France, juge du Pape, arbitre de l'Europe vient à Rome en 801. Il se fait reconnaître et couronner Empereur d'Occident, titre qui était éteint depuis près de 500 années.
Alors régnait en Orient cette Impératrice Irène, fameuse par son courage et par ses crimes, qui avait fait mourir son fils unique, après lui avoir arraché les yeux. Elle eût voulu prendre Charlemagne; mais trop faible pour lui faire la guerre, elle voulut l'épouser et réunir ainsi les deux Empires. Tandis qu'on ménageait ce mariage, une révolution chassa Irène d'un trône qui lui avait tant coûté. Charles n'eut donc que l'Empire d'Occident. Il ne posséda presque rien dans les Espagnes; car il ne faut pas compter pour domaine le vain hommage de quelques Sarrasins. Il n'avait rien sur les côtes d'Afrique, tout le reste était sous sa domination.
S'il eût fait de Rome sa Capitale, si ses Successeurs y eussent fixé leur principal séjour, et surtout si l'usage de partager ses États à ses enfants n'eût point prévalu chez les Barbares, il est vraisemblable qu'on eût vu renaître l'Empire Romain. Tout concourut depuis à démembrer ce vaste corps, que la valeur et la fortune de Charlemagne avait formé, mais rien n'y contribua plus que ses descendants.
Il n'avait point de Capitale, seulement Aix-la-Chapelle était le séjour qui lui plaisait le plus. Ce fut-là qu'il donna des audiences avec le faste le plus imposant aux Ambassadeurs des Califes et à ceux de Constantinople. D'ailleurs il était toujours en guerre ou en voyage, ainsi que vécut Charlequint longtemps après lui. Il partagea ses États et même de son vivant, comme tous les Rois de ce temps-là.
Mais enfin quand de ses fils qu'il avait désignés pour régner, il n'y resta plus que ce Louis si connu sous le nom de Débonnaire, auquel il avait déjà donné le Royaume d'Aquitaine, il l'associa à l'Empire dans Aix-la-chapelle et lui commanda de prendre lui-même sur l'autel la Couronne Impériale, pour faire voir au monde que cette Couronne n'était due qu'à la valeur du Père et au mérite du fils, et comme s'il eût pressenti qu'un jour les Ministres de l'autel voudraient disposer de ce diadème.
Il avait raison de déclarer son fils Empereur de son vivant; car cette Dignité acquise par la fortune de Charlemagne, n'était point assurée au fils par le droit d'héritage; mais en laissant l'Empire à Louis, et en donnant l'Italie à Bernard fils de son fils Pépin, ne déchirait-il pas lui-même cet Empire qu'il voulait conserver à sa postérité? N'était-ce pas armer nécessairement ses successeurs les uns contre les autres? Était-il à présumer que le neveu Roi d'Italie obéirait à son oncle Empereur, ou que l'Empereur voudrait bien n'être pas le Maître en Italie?
Il paraît que dans les dispositions de sa famille, il n'agit ni en Roi ni en Père; Partager les États, est-il d'un sage Conquérant? Et puisqu'il les partageait, laisser trois autres enfants sans aucun héritage, à la discrétion de Louis, était-il d'un Père juste?
Il est vrai qu'on a cru que ces trois enfants ainsi abandonnés, nommés
Drogon, Thierri et Hugues, étaient bâtards; mais on l'a cru sans preuve.
D'ailleurs les enfants des concubines héritaient alors. Le grand Charles
Martel était bâtard, et n'avait point été déshérité.
Quoi qu'il en soit, Charlemagne mourut en 813, avec la réputation d'un Empereur aussi heureux qu'Auguste, aussi guerrier qu'Adrien, mais non tel que les Trajans et les Antonins, auxquels nul Souverain n'a été comparable.
Il y avait alors en Orient un Prince qui l'égalait en gloire comme en puissance; c'était le célèbre Calife Aaron Rachild, qui le surpassa beaucoup en justice, en science, en humanité.
J'ose presque ajouter à ces deux hommes illustres le Pape Adrien, qui dans un rang moins élevé, dans une fortune presque privée, et avec des vertus moins héroïques, montra une prudence à laquelle ses successeurs ont dû leur agrandissement.
La curiosité des hommes qui pénètre dans la vie privée des Princes, a voulu savoir jusqu'au détail de la vie de Charlemagne et au secret de ses plaisirs. On a écrit qu'il avait poussé l'amour des femmes jusqu'à jouir de ses propres filles. On en a dit autant d'Auguste: mais qu'importe au Genre-humain le détail de ces faiblesses, qui n'ont influé en rien sur les affaires publiques!
J'envisage son règne par un endroit plus digne de l'attention d'un citoyen. Les Pays qui composent aujourd'hui la France et l'Allemagne jusqu'au Rhin, furent tranquilles pendant près de cinquante ans, et l'Italie pendant treize, depuis l'avènement à l'Empire. Point de révolution en France, point de calamité pendant ce demi-Siècle, qui par là est unique. Un bonheur si long ne suffit pas pourtant pour rendre aux hommes la Politesse et les Arts. La rouille de la Barbarie était trop forte, et les Âges suivants l'épaissirent encore.