Kitabı oku: «Abrégé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint (Tome 1)», sayfa 4
DES USAGES DU TEMPS DE CHARLEMAGNE
Je m'arrête à cette célèbre époque pour considérer les Usages, les Lois, la Religion, les Mœurs, l'Esprit qui régnaient alors.
J'examine d'abord l'Art de la guerre, par lequel Charlemagne établit cette puissance que perdirent ses enfants.
Je trouve peu de nouveaux règlements, mais une grande fermeté à faire exécuter les anciens. Voici à peu près les lois en usage, que sa valeur fit servir à tant de succès, et que sa prudence perfectionna.
Des Ducs amovibles gouvernaient les Provinces, et levaient les troupes à peu près comme aujourd'hui les Beglierbeis des Turcs. Ces Ducs avaient été institués en Italie par Dioclétien. Les Comtes dont l'origine me paraît du temps de Théodose, commandaient sous les Ducs, et assemblaient les troupes, chacun dans son Canton. Les Métairies, les Bourgs, les Villages fournissaient un nombre de soldats proportionné à leurs forces. Douze Métairies donnaient un cavalier armé d'un casque et d'une cuirasse, les autres soldats n'en portaient point, mais tous avaient le bouclier carré long, la hache d'armes, le javelot et l'épée. Ceux qui se servaient de flèches, étaient obligés d'en avoir au moins douze dans leur carquois. Leur habit me paraît ressembler à celui des troupes Prussiennes d'aujourd'hui. La Province qui fournissait la milice, lui distribuait du blé et les provisions nécessaires pour six mois, le Roi en fournissait pour le reste de la campagne. On faisait la revue au premier de Mars ou au premier de Mai. C'est d'ordinaire dans ces temps qu'on tenait les Parlements. Dans les sièges de Ville on employait le bélier, la baliste, la tortue, et la plupart des machines des Romains. Les Seigneurs nommés Barons, leudes richeomes, composaient avec leurs suivants le peu de cavalerie qu'on voyait alors dans les armées. Les Musulmans d'Afrique et d'Espagne avaient plus de cavaliers.
Charles avait des forces navales aux embouchures de toutes les grandes Rivières de son Empire; avant lui on ne les connaissait pas chez les Barbares, après lui on les ignora longtemps. Par ce moyen et par la police guerrière il arrêta ces inondations des peuples du Nord, il les contint dans leurs climats glacés, mais sous ses faibles descendants ils se répandirent dans l'Europe.
Les affaires générales se réglaient dans des assemblées, qui représentaient la Nation. Sous lui ses Parlements n'avaient d'autre volonté que celle d'un Maître qui savait commander et persuader.
Il fit fleurir le Commerce, parce qu'il était le Maître des Mers; ainsi les Marchands des Côtes de Toscane, et ceux de Marseille allaient trafiquer à Constantinople chez les Chrétiens et au Port d'Alexandrie chez les Musulmans, qui les recevaient, et dont ils tiraient les richesses de l'Asie.
Venise et Gênes, si puissantes depuis par le Négoce, n'attiraient pas encore à elles les richesses des Nations; mais Venise commençait à s'enrichir et à s'agrandir. Rome, Ravenne, Milan, Lyon, Arles, Tours, avaient beaucoup de Manufactures d'Étoffes de laine. On damasquinait le Fer à l'exemple de l'Asie. On fabriquait le Verre, mais les Étoffes de Soie n'étaient tissées dans aucune Ville de l'Empire d'Occident.
Les Vénitiens commençaient à les tirer de Constantinople, mais ce ne fut que près de quatre cents ans après Charlemagne que les Princes Normands établirent à Palerme une Manufacture de Soie. Le Linge était peu commun. Saint Boniface dans une Lettre à un Évêque d'Allemagne, lui mande qu'il lui envoie du drap à longs poils pour se laver les pieds. Probablement ce manque de linge était la cause de toutes ces maladies de la peau, connues sous le nom de lèpre, si générales alors; car les Hôpitaux nommés Léproseries étaient déjà très nombreux.
La Monnaie avait à peu près la même valeur que celle de l'Empire Romain depuis Constantin. Le Sou d'or était le solidum romanum. Ce sou d'or équivalait à quarante deniers d'argent. Ces deniers tantôt plus forts, tantôt plus faibles, pesaient l'un portant l'autre trente grains.
Le sou d'or vaudrait aujourd'hui 1740 environ quinze francs, le denier d'argent trente sous de compte.
Il faut toujours en lisant les Histoires, se ressouvenir qu'outre ces monnaies réelles d'or et d'argent, on se servait dans le calcul d'une autre dénomination. On s'exprimait souvent en monnaie de compte, monnaie fictive, qui n'était comme aujourd'hui qu'une manière de compter.
Les Asiatiques et les Grecs comptaient par Mines et par Talens; les Romains par grands Sesterces, sans qu'il y eût aucune monnaie qui valût un grand sesterce ou un talent.
La Livre numéraire du temps de Charlemagne, était réputée le poids d'une livre d'argent de douze onces. Cette livre se divisait numériquement comme aujourd'hui en vingt parties. Il y avait à-la-vérité des sous d'argent semblables à nos écus, dont chacun pesait la 20. ou 22. ou 24. partie d'une livre de douze onces, et ce sou se divisait comme le nôtre en douze deniers. Mais Charlemagne ayant ordonné que le sou d'argent serait précisément la 20. partie de douze onces, on s'accoutuma à regarder dans les comptes numéraires 20 sous pour une livre.
Pendant deux Siècles les Monnaies restèrent sur le pied où Charlemagne les avait mis; mais petit à petit les Rois dans leurs besoins tantôt chargèrent les sous d'alliage, tantôt en diminuèrent le poids; de sorte que par un changement qui est presque la honte des Gouvernements de l'Europe, ce sou qui était autrefois ce qu'est à peu près un écu d'argent, n'est plus qu'une légère pièce de cuivre avec un 11e d'argent tout au plus; et la livre qui était le signe représentatif de douze onces d'argent, n'est plus en France que le signe représentatif de 20 de nos sous de cuivre. Le Denier qui était la 124. partie d'une livre d'argent, n'est plus que le tiers de cette vile monnaie qu'on appelle un liard: supposé donc qu'une Ville de France dût à une autre 120 livres de rente, c'est-à-dire 1440 onces d'argent du temps de Charlemagne, elle s'acquitterait aujourd'hui de sa dette en payant ce que nous appelons un écu de six francs.
La Livre de compte des Anglais, celle des Hollandais, ont moins varié.
Une Livre sterling d'Angleterre vaut environ 22 francs de France, et une
Livre de compte Hollandaise vaut environ 12 francs de France; ainsi les
Hollandais se sont écartés moins que les Français de la Loi primitive, et les Anglais encore moins.
Toutes les fois donc que l'Histoire nous parle de Monnaie sous le nom de livres, nous n'avons qu'à examiner ce que valait la livre au temps et dans le Pays dont on parle, et la comparer à la valeur de la nôtre. Nous devons avoir la même attention en lisant l'Histoire Grecque et Romaine. C'est par exemple un très-grand embarras pour le Lecteur, d'être obligé de réformer à chaque page les comptes qui se trouvent dans l'Histoire ancienne d'un célèbre Professeur de l'Université de Paris, et dans tant d'autres Auteurs. Quand ils veulent exprimer en Monnaie de France les talens, les mines, les sesterces, ils se servent toujours de l'évaluation que quelques Savants ont fait avant la mort du grand Colbert. Mais le Marc de 8 onces, qui valait sous ce Ministre 26 francs et dix sous, vaut depuis longtemps 49 francs, ce qui fait une différence de près de la moitié. Ces fautes donnent une idée des forces des anciens Gouvernements, de leur Commerce, de la paye de leurs Soldats, extrêmement contraire à la vérité.
Il paraît qu'il y avait alors autant d'argent à peu près en France, en Italie et vers le Rhin, qu'il y en a aujourd'hui. On n'en peut juger que par le prix des denrées, et je le trouve presque le même; 24 livres de pain blanc valaient un denier d'argent par les Capitulaires de Charlemagne. Ce denier était la 40. partie d'un sou d'or, qui valait environ 15 francs de notre Monnaie; ainsi la livre de pain revenait à près de cinq liards, ce qui ne s'éloigne pas du prix ordinaire dans les bonnes années.
Dans les Pays Septentrionaux l'argent était beaucoup plus rare, le prix d'un bœuf fut fixé par exemple à un sou d'or. Nous verrons dans la suite comment le commerce et les richesses se sont étendues de proche en proche. En voilà déjà trop pour un abrégé.
DE LA RELIGION
La querelle des Images est ce qui s'offre de plus singulier en matière de Religion. Je vois d'abord que l'Impératrice Irène, Tutrice de son malheureux fils Constantin Porphyrogénète, pour se frayer le chemin à l'Empire, flatte le Peuple et les Moines, à qui le Culte des Images proscrit par tant d'Empereurs depuis Léon l'Isaurien plaisait encore. Elle y était elle-même attachée, parce que son mari les avait eu en horreur. On avait persuadé à Irène que pour gouverner son mari, il fallait mettre sur le chevet de son lit les Images de certaines Saintes. La plus ridicule crédulité entre dans les esprits politiques. L'Empereur son mari en avait puni les auteurs. Irène après la mort de son mari donne un libre cours à son goût et à son ambition. Voilà ce qui assemble en 786 le second Concile de Nicée, septième Concile Œcuménique, commencé d'abord à Constantinople. Elle fait élire pour Patriarche un Laïc Secrétaire d'État, nommé Taraise. Il y avait eu autrefois quelques exemples de Séculiers élevés ainsi à l'Évêché, sans passer par les autres grades; mais alors cette coutume ne subsistait plus.
Ce Patriarche ouvrit le Concile. La conduite du Pape Adrien est très-remarquable. Il n'anathématise pas ce Secrétaire d'État qui se fait Patriarche. Il proteste seulement avec modestie dans ses Lettres à Irène contre le titre de Patriarche Universel, mais il insiste qu'on lui rende les patrimoines de la Sicile. Il redemande hautement ce peu de bien, tandis qu'il arrachait ainsi que ses prédécesseurs le domaine utile de tant de belles Terres données par Pépin et par Charlemagne. Cependant le Concile Œcuménique de Nicée, auquel président les Légats du Pape et ce Ministre Patriarche, rétablit le Culte des Images.
C'est une chose avouée de tous les sages Critiques, que les Pères de ce Concile, qui étaient au nombre de 350, y rapportèrent beaucoup de Pièces évidemment fausses; beaucoup de Miracles, dont le récit n'aurait que scandalisé dans d'autres temps; beaucoup de Livres apocryphes. Mais ces Pièces fausses ne firent point de tort aux vraies, sur lesquelles on décida.
Mais quand il fallut faire recevoir ce Concile par Charlemagne et par les Églises de France, quel fut l'embarras du Pape? Charles s'était déclaré hautement contre les Images. Il venait de faire écrire les Livres qu'on nomme Carolins, dans lesquels ce culte est anathématisé. Il assemblait en 794 un Concile à Francfort, composé de 300 Évêques ou Abbés tant d'Italie que de France, qui rejetait d'un consentement unanime le service et l'adoration des Images. Ce mot équivoque d'adoration était la source de tous ces différends, car si les hommes définissaient les mots dont ils se servent, il y aurait moins de dispute, et plus d'un Royaume a été bouleversé pour un mal-entendu.
Tandis que le Pape Adrien envoyait en France les Actes du second Concile de Nicée, il reçoit les Livres Carolins opposés à ce Concile, et on le presse au nom de Charles de déclarer hérétique l'Empereur de Constantinople et sa mère. On voit assez par cette conduite de Charles, qu'il voulait se faire un nouveau droit de l'hérésie prétendue de l'Empereur, pour lui enlever Rome sous couleur de justice.
Le Pape partagé entre le Concile de Nicée qu'il adoptait et Charlemagne qu'il ménageait, prit, me semble, un tempérament politique qui devrait servir d'exemple dans toutes ces malheureuses disputes qui ont toujours divisé les Chrétiens. Il explique les Livres Carolins d'une manière favorable au Concile de Nicée, et par là réfute le Roi sans lui déplaire; il permet qu'on ne rende point de culte aux Images; ce qui était très raisonnable chez les Germains à peine sortis de l'Idolâtrie, et chez les Français grossiers qui avaient peu de Sculpteurs et de Peintres. Il exhorte en même temps à ne point briser ces mêmes Images. Ainsi il satisfait tout le monde, et laisse au temps à confirmer ou à abolir un culte encore douteux. Attentif à ménager les hommes et à faire servir la Religion à ses intérêts, il écrit à Charlemagne. «Je ne peux déclarer Irène et son fils hérétiques après le Concile de Nicée, mais je les déclarerai tels s'ils ne me rendent les biens de Sicile».
On voit la même prudence de ce Pape dans une dispute encore plus délicate, et qui seule eût suffi en d'autres temps pour allumer des guerres civiles. On avait voulu savoir si le St. Esprit procède du Père et du Fils, ou du Père seulement? Toute l'Église Grecque avait toujours cru qu'il ne procédait que du Père. Tout l'Empire de Charlemagne croyait la procession du Père et du Fils. Ces mots du Symbole qui ex patre filioque procedit, étaient sacrés pour les Français, mais ces mêmes mots n'avaient jamais été adoptés à Rome. On presse de la part de Charlemagne le Pape de le déclarer. Le Pape répond qu'il est de l'avis du Roi, mais ne change rien au Symbole de Rome: Il apaise la dispute en ne décidant rien, en laissant à chacun ses usages. Il traite en un mot les affaires spirituelles en Prince, et trop de Princes les ont traité en Évêques.
Dès lors la politique profonde des Papes établissait peu à peu leur puissance. Ce même Adrien fait paraître adroitement au jour un recueil des faux Actes connus aujourd'hui sous le nom de fausses Décretales. Il ne se hasarde pas à les donner lui même. C'est un Espagnol nommé Isidore qui les digère. Ce sont les Évêques Allemands, dont la bonne foi fut trompée, qui les répandent et les font valoir. Dans ces fausses Décretales on suppose d'anciens Canons, qui ordonnent qu'on ne tiendra jamais un seul Concile Provincial sans la permission du Pape; et que toutes les Causes Ecclésiastiques ressortiront à lui. On y fait parler les successeurs immédiats des Apôtres. On leur suppose des écrits. Il est vrai que tout étant de ce mauvais style du VIIe Siècle, tout étant plein de fautes contre l'Histoire et la Géographie, l'artifice était grossier; mais c'était des hommes grossiers qu'on trompait. Ces fausses Décretales ont abusé les hommes pendant huit Siècles; et enfin quand l'erreur a été reconnue, les usages par elle établis, ont subsisté dans une partie de l'Église: l'antiquité leur a tenu lieu de vérité.
Dès ces temps les Évêques d'Occident étaient des Seigneurs temporels, et possédaient plusieurs Terres en fief, mais aucun n'était Souverain indépendant. Les Rois de France nommaient aux Évêchés; plus hardis en cela et plus politiques que les Empereurs des Grecs, et les Rois de Lombardie, qui se contentaient d'interposer leur autorité dans les élections.
Les premières Églises Chrétiennes s'étaient gouvernées en Républiques sur le modèle des Synagogues. Ceux qui présidaient à ces assemblées, avaient pris insensiblement le titre d'Évêque, d'un mot Grec, dont les Grecs appelaient les Gouverneurs de leurs Colonies. Les Anciens de ces assemblées se nommaient Prêtres, qui signifie en Grec Vieillard.
Charlemagne dans sa vieillesse accorda aux Évêques un droit dont son propre fils devint la victime. Ils firent accroire à ce Prince que dans le Code rédigé sous Thédose une loi portait que si de deux Séculiers en procès, l'un prenait un Évêque pour juge, l'autre était obligé de se soumettre à ce jugement sans en pouvoir appeler. Cette loi qui jamais n'avait été exécutée, passe chez tous les Critiques pour supposée. Elle a excité une guerre civile sourde entre les Tribunaux de la Justice et les Ministres du Sanctuaire, mais comme en ce temps-là tout ce qui n'était pas Clergé était en Occident d'une ignorance profonde, il faut s'étonner qu'on n'ait pas donné encore plus d'empire à ceux qui seuls étant un peu instruits, semblaient seuls mériter de juger les hommes.
Ainsi que les Évêques disputaient l'autorité aux Séculiers, les Moines commençaient à la disputer aux Évêques, qui pourtant étaient leurs maîtres par les Canons. Ces Moines étaient déjà trop riches pour obéir. Cette célèbre Formule de Marculfe était déjà bien souvent mise en usage, moi, pour le repos de mon âme, et pour n'être pas placé après ma mort parmi les boucs, je donne à tel Monastère, etc. Elle avait enrichi ceux qui s'étaient consacrés à la pauvreté. Des Abbés Bénédictins longtemps avant Charlemagne étaient assez puissants pour se révolter. Un Abbé de Fontenelle avait osé se mettre à la tête d'un parti contre Charles Martel, et assembler des troupes. Le Héros fit trancher la tête au Religieux; exécution juste, qui ne contribue pas peu à toutes ces révélations que tant de Moines eurent depuis de la damnation de Charles Martel.
Avant ce temps on voit un Abbé de St. Rémy de Reims9 et l'Évêque de cette Ville susciter une guerre civile contre Childebert au VIe Siècle: crime qui n'appartient qu'aux hommes puissants.
Les Évêques et les Abbés avaient beaucoup d'esclaves. On reproche à l'Abbé Alewin d'en avoir eu jusqu'à vingt mille. Ce nombre n'est pas incroyable. Alewin avait trois Abbayes, dont les terres pouvaient être habitées au moins par vingt mille hommes. Ces esclaves connus sous le nom de serfs, ne pouvaient se marier ni changer de demeure sans la permission de l'Abbé. Ils étaient obligés de marcher 50 lieues avec leurs charrettes, quand il l'ordonnait. Ils travaillaient pour lui trois jours de la semaine, et il partageait tous les fruits de la terre.
«En France et en Allemagne plus d'un Évêque allait au combat avec ses serfs. Charlemagne dans une Lettre à une de ses femmes, nommée Frastade, lui parle d'un Évêque qui a vaillamment combattu auprès de lui, dans une bataille contre les Avares, Peuples descendus des Scytes, qui habitaient vers le Pays qu'on nomme à présent l'Autriche. Je vois de son temps 14 Monastères qui doivent fournir des Soldats; pour peu qu'un Abbé fût guerrier, rien ne l'empêchait de les conduire lui-même. Il est vrai qu'en 603 un Parlement se plaignit à Charlemagne du trop grand nombre de Prêtres qu'on avait tué à la guerre. Il fut défendu alors aux Ministres de l'Autel d'aller aux combats. Il n'était pas permis de se dire Clerc sans l'être, de porter la tonsure sans appartenir à un Évêque. De tels Clercs s'appelaient acéphales. On les punissait comme vagabonds. On ignorait cet état aujourd'hui si commun, qui n'est ni Séculier ni Ecclésiastique. Le titre d'Abbé, qui signifie Père, n'appartenait qu'aux Chefs des Monastères.
Les Abbés avaient dès lors le Bâton Pastoral que portaient les Évêques, et qui avait été autrefois la marque de la Dignité Pontificale dans Rome Païenne. Telle était la puissance de ces Abbés sur les Moines, qu'ils condamnaient quelquefois aux peines afflictives les plus cruelles. Ils furent les premiers qui prirent le barbare usage des Empereurs Grecs, de faire brûler les yeux; et il fallut qu'un Concile leur défendît cet attentat, qu'ils commençaient à regarder comme un droit.
La Messe était différente de ce qu'elle est aujourd'hui, et plus encore de ce qu'elle était dans les premiers temps.
La Confession Auriculaire commençait à s'introduire. Les Évêques exigèrent d'abord que les Chanoines se confessassent à eux. Les Abbés fournirent leurs Moines à ce joug, et les Séculiers peu à peu le portèrent. La Confession publique ne fut jamais en usage dans l'Occident; car lorsque les Barbares embrassèrent le Christianisme, les abus et les scandales qu'elle entraînait après elle, l'avaient abolie en Orient, sous le Patriarche Nectaire, à la fin du IVe Siècle; mais souvent les Pécheurs publics faisaient des pénitences publiques dans les Églises d'Occident, surtout en Espagne, où l'invasion des Sarrasins redoublait la ferveur des Chrétiens humiliés.
La Religion Chrétienne ne s'était point encore étendue au Nord plus loin que les conquêtes de Charlemagne. La Scandinavie, le Danemark, qu'on appelait le Pays des Normands, étaient plongés dans une idolâtrie grossière. Ils adoraient Odin, et ils se figuraient qu'après leur mort le bonheur de l'homme consistait à boire dans la salle d'Odin de la bière dans le crâne de ses ennemis. On a encore de leurs anciennes chansons traduites, qui expriment cette idée. C'était beaucoup pour eux que de croire une autre Vie. La Pologne n'était ni moins barbare, ni moins idolâtre. Les Moscovites, plus sauvages que le reste de la grande Tartarie, en savaient à peine assez pour être Païens; mais tous ces Peuples vivaient en paix dans leur ignorance: heureux d'être inconnus à Charlemagne, qui vendait si cher la connaissance du Christianisme!
Les Anglais commençaient à recevoir la Religion Chrétienne. Elle y avait été apportée un peu auparavant par Constance Chlore, protecteur secret de cette Religion alors persécutée. Elle n'y domina point, l'Idolâtrie eut le dessus encore longtemps. Quelques Missionnaires des Gaules cultivèrent grossièrement un petit nombre de ces Insulaires. Le fameux Pélage, trop zélé défenseur de la Nature Humaine, était né en Angleterre; mais il n'y fut point élevé, et il faut le compter parmi les Romains.
L'Irlande qu'on appelait Écosse et l'Écosse connue alors sous le nom d'Albanie, ou du Pays des Pictes, avait reçu aussi quelques semences du Christianisme, étouffées toujours par l'idolâtrie, qui dominait. Le Moine Colombon né en Irlande, était du VIe Siècle; mais il paraît par sa retraite en France, et par les Monastères qu'il fonda en Bourgogne, qu'il y avait peu à faire et beaucoup à craindre pour ceux qui cherchaient en Irlande et en Angleterre de ces établissements riches et tranquilles, qu'on trouvait ailleurs à l'abri de la Religion.
Après une extinction presque totale du Christianisme dans l'Angleterre, l'Écosse et l'Irlande, la tendresse conjugale l'y fit renaître. Etherbert, un des Rois Barbares Anglo-Saxons de l'Eptarchie d'Angleterre, qui avait son petit Royaume dans la Province de Kent, où est Cantorbery, voulut s'allier avec un Roi de France. Il épousa la fille de Chérébert Roi de Paris. Cette Princesse Chrétienne, qui passa la mer avec un Évêque de Soissons, disposa son mari à recevoir le baptême, comme Clotilde avait soumis Clovis. Le Pape Grégoire le Grand envoya Augustin avec d'autres Moines Romains en 598. Ils firent peu de conversions; car il faut au-moins entendre la langue du Pays, pour en changer la Religion; mais favorisés par la Reine ils bâtirent un Monastère.
Ce fut proprement la Reine qui convertit le petit Royaume de Cantorbery. Ses sujets Barbares, qui n'avaient point d'opinions, suivirent aisément l'exemple de leurs Souverains. Cet Augustin n'eut pas de peine à se faire déclarer Primat par Grégoire le Grand. Il eût voulu même l'être des Gaules; mais Grégoire lui écrivit qu'il ne pouvait lui donner de juridiction que sur l'Angleterre. Il fut donc premier Archevêque de Cantorbery, premier Primat de l'Angleterre. Il donna à l'un de ses Moines le titre d'Évêque de Londres, à l'autre celui de Rochester. On ne peut mieux comparer ces Évêchés, qu'à ceux d'Antioche et de Babylone, qu'on appelle Évêques in partibus infidelium. Mais avec le temps, la Hiérarchie d'Angleterre se forma. Les Monastères surtout étaient très-riches au VIIIe et au IXe Siècle. Ils mettaient au catalogue des Saints tous les grands Seigneurs qui leur avaient donné des terres, d'où vient que l'on trouve parmi leurs Saints de ce temps-là, sept Rois, sept Reines, huit Princes, seize Princesses. Leurs Chroniques disent que dix Rois et onze Reines finirent leurs jours dans des Cloîtres; mais il est croyable que ces dix Rois et ces onze Reines se firent seulement revêtir à leur mort d'habits religieux, et peut-être porter à leurs dernières maladies dans des Couvents, mais non pas qu'en effet ils aient en santé renoncé aux affaires publiques, pour vivre en Cénobites.