Kitabı oku: «Abrégé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint (Tome 1)», sayfa 9
Les Lois changent selon les temps. Ce fut le Comte de Flandres, un des
Vassaux du Royaume, qui en fut Régent. La Reine veuve se remaria à un
Comte de Crépi. Tout cela serait singulier aujourd'hui, et ne le fut point alors.
Ni Henri, ni Philippe Ier ne firent rien de mémorable, mais de leur temps leurs Vassaux et Arrières-vassaux conquirent des Royaumes.
CONQUÊTE DE LA SICILE PAR LES NORMANDS
Le goût des pèlerinages et aventures régnait alors. Quelques Normands ayant été en Palestine vers l'an 983, passèrent à leur retour sur la Mer de Naples dans la Principauté de Salerne. Les Seigneurs de ce petit État l'avaient usurpé sur les Empereurs de Constantinople. Gaimar, Prince de Salerne, était assiégé dans sa Capitale par les Mahométans. Les Aventuriers Normands lui offrirent leurs services, et l'aidèrent à faire lever le siège. De retour chez eux, comblés des présents du Prince, ils engagèrent d'autres Aventuriers à chercher leur fortune à son service. Peu à peu les Normands reprirent l'habitude de leurs pères de passer les mers. Un d'eux, nommé Raoul, alla l'an 1016 avec une troupe choisie offrir au Pape Benoît VIII ses services contre les Mahométans. Le Pape le pria de le secourir plutôt contre l'Empereur d'Orient, qui dépouillé de tout en Occident soutenait encore quelques droits contre l'Église dans la Calabre et dans la Pouille. Les Normands auxquels il était très-indifférent de se battre contre des Musulmans, ou contre des Chrétiens, servirent très-bien le Pape contre leur ancien Souverain. Bientôt après Tancréde de Hauteville, du territoire de Coutance en Normandie, alla dans la Pouille avec plusieurs de ses enfants, vendant toujours leurs services à qui les payait le mieux. Ils passèrent des petites armées du Duc de Capoue à celles du Duc de Salerne; ils servirent contre les Sarrasins, s'armèrent ensuite contre les Grecs, et enfin contre les Papes, ayant pour ennemi tous ceux qu'ils pouvaient dépouiller.
Le Pape Léon IX se servit contre eux d'excommunications. Guillaume Fierabra fils de Tancréde, et ses frères Humfroy, Robert et Richard, Chefs de ces Normands, après avoir vaincu la petite armée du Pape, l'assiégèrent dans un Château près de Bénévent, le prirent prisonnier, le gardèrent plus d'une année, et ne le relâchèrent que quand il fut attaqué d'une maladie, dont il alla mourir à Rome.
Il fallut bientôt que la Cour de Rome pliât sous ces nouveaux usurpateurs. Elle leur céda une partie des patrimoines que les Empereurs d'Occident lui avaient donné sans en être les maîtres.
Le Pape Nicolas II alla lui-même dans la Pouille trouver ces Normands, toujours excommuniés et toujours donnant la loi. Il céda à Richard la Principauté de Capoue, à Robert Guichard la Pouille, la Calabre et la Sicile entière, que Robert Guichard commençait à conquérir sur les Sarrasins. Robert se soumit de son côté envers le Pape à la redevance perpétuelle de douze deniers monnaie de Pavie pour chaque paire de bœufs dans tous les Pays qu'on lui cédait, et lui fit hommage de ce que ses frères et lui avaient conquis sur les Chrétiens et sur les Mahométans. Enfin en 1101 Roger, petit-fils de Tancréde et frère de ce Boemond si célèbre dans les Croisades, acheva de conquérir sur les Mahométans toute la Sicile, dont les Papes sont demeurés toujours Seigneurs Suzerains.
CONQUÊTE DE L'ANGLETERRE PAR GUILLAUME DUC DE NORMANDIE
Tandis que de simples Citoyens de Normandie fondaient si loin des Royaumes, leurs Ducs en acquéraient un plus beau, sur lequel les Papes osèrent prétendre le même droit que sur la Sicile. La Nation Britannique était, malgré sa fierté, destinée à se voir toujours gouvernée par des étrangers. Après la mort d'Alfred arrivée en 900, l'Angleterre retomba dans la confusion et la barbarie. Les anciens Anglo-Saxons ses premiers vainqueurs, et les Danois ses usurpateurs nouveaux, s'en disputaient toujours la possession, et de nouveaux Pirates Danois venaient encore souvent partager les dépouilles. Ces Pirates continuaient d'être si terribles et les Anglais si faibles, que vers l'année 1000 on ne put se racheter d'eux qu'en payant quarante-huit mille livres sterling. On imposa pour lever cette somme, une taxe qui dura depuis assez longtemps en Angleterre, ainsi que la plupart des autres taxes qu'on continue toujours de lever après le besoin. Ce tribut humiliant fut appelé Argent Danois, Danngeld.
Canut Roi de Danemark qu'on a nommé le Grand, et qui n'a fait que de grandes cruautés, remit sous sa domination en 1017 le Danemark et l'Angleterre. Les naturels Anglais furent traités alors comme des esclaves. Les Auteurs de ce temps avouent que quand un Anglais rencontrait un Danois, il fallait qu'il s'arrêtât jusqu'à ce que le Danois eût passé.
La race de Canut ayant manqué en 1041, les États du Royaume reprenant leur liberté, déférèrent la couronne à Édouard, un descendant des anciens Anglo-Saxons, qu'on appelle le Saint et le Confesseur. Une des grandes fautes ou un des grands malheurs de ce Roi, fut de n'avoir point d'enfants de sa femme Édithe, fille du plus puissant Seigneur du Royaume. Il haïssait sa femme ainsi que sa propre mère pour des raisons d'État, et les fit éloigner l'une et l'autre. La stérilité de son mariage servit à sa canonisation. On prétendit qu'il avait fait vœu de chasteté: vœu téméraire dans un mari, et absurde dans un Roi qui avait besoin d'héritiers. Ce vœu, s'il fut réel, prépara de nouveaux fers à l'Angleterre.
Les mœurs et les usages de ce temps-là ne ressemblent en rien aux nôtres. Guillaume VIII Duc de Normandie, qui conquit l'Angleterre, loin d'avoir aucun droit sur ce Royaume, n'en avait pas même sur la Normandie, si la naissance donnait les droits. Son père le Duc Robert qui ne s'était jamais marié, l'avait eu de la fille d'un Péletier de Falaise, que l'Histoire appelle Harlot, terme qui signifiait et signifie encore aujourd'hui en Anglais concubine ou femme publique. Ce bâtard reconnu du vivant de son père pour héritier légitime, se maintint par son habileté et par sa valeur contre tous ceux qui lui disputaient son Duché. Il régnait paisiblement en Normandie, et la Bretagne lui rendait hommage. Lorsqu'Édouard le Confesseur étant mort, il prétendit au Royaume d'Angleterre, le droit de succession ne paraissait alors établi dans aucun État de l'Europe. La couronne d'Allemagne était élective, l'Espagne était partagée entre les Chrétiens et les Musulmans. La Lombardie changeait chaque jour de Maître. La Race Carolingienne détrônée en France, faisait voir ce que peut la force contre le droit du sang. Édouard le Confesseur n'avait point joui du trône à titre d'héritage. Harald successeur d'Édouard n'était point de sa race, mais il avait le plus incontestable de tous les droits, les suffrages de toute la Nation. Guillaume le Bâtard n'avait pour lui ni le droit d'élection, ni celui d'héritage, ni même aucun parti en Angleterre. Il prétendit que dans un voyage qu'il fit autrefois dans cette Île, le Roi Édouard avait fait en sa faveur un testament que personne ne vit jamais. Il disait encore qu'autrefois il avait délivré de prison Harold, et qu'il lui avait cédé ses droits sur l'Angleterre. Il appuya ses faibles raisons d'une forte armée.
Les Barons de Normandie assemblés en forme d'États, refusèrent de l'argent à leur Duc pour cette expédition, parce que s'il ne réussissait pas, la Normandie en resterait appauvrie, et qu'un heureux succès la rendrait Province d'Angleterre; mais plusieurs Normands hasardèrent leur fortune avec leur Duc. Un seul Seigneur nommé Fiz Othbern équipa quarante vaisseaux à ses dépens. Le Comte de Flandres, beau-père du Duc Guillaume, le secourut de quelque argent. Le Pape même entra dans ses intérêts. Il excommunia tous ceux qui s'opposeraient aux desseins de Guillaume. Enfin il partit de Saint Valery avec une flotte nombreuse. On ne sait combien il avait de vaisseaux, ni de soldats. Il aborda sur les côtes de Sussex, et bientôt après se donna dans cette Province la fameuse bataille de Hastings (14 Octobre 1066), qui décida seule du sort de l'Angleterre. Les Anglais ayant leur Roi Harold à leur tête, et les Normands conduits par leur Duc, combattirent pendant douze heures. La gendarmerie qui commençait à faire ailleurs la force des armées, ne paraît pas avoir été employée dans cette bataille. Les Chefs y combattirent à pied, Harold et deux de ses frères y furent tués. Le vainqueur s'approcha de Londres, portant devant lui une bannière bénite, que le Pape lui avait envoyée. Cette bannière fut l'étendard auquel tous les Évêques se rallièrent en sa faveur. Ils vinrent aux portes avec le Magistrat de Londres lui offrir la couronne qu'on ne pouvait refuser au vainqueur.
Guillaume sut gouverner comme il sut conquérir. Plusieurs révoltes étouffées, des irruptions des Danois rendues inutiles, des lois rigoureuses durement exécutées signalèrent son règne. Anciens Bretons, Danois, Anglo-Saxons, tous furent confondus dans le même esclavage. Les Normands qui avaient eu part à sa victoire, partagèrent par ses bienfaits, les terres des vaincus. De-là toutes ces Familles Normandes, dont les descendants ou du-moins les noms subsistent encore en Angleterre. Il fit faire un dénombrement exact de tous les biens des Sujets, de quelque nature qu'ils fussent. On prétend qu'il en profita pour se faire en Angleterre un revenu de quatre cents mille livres sterling; ce qui ferait aujourd'hui environ cinq millions sterling, et plus de cent millions de France. Il est évident qu'en cela les Historiens se sont trompés. L'État d'Angleterre d'aujourd'hui, qui comprend l'Écosse et l'Irlande, n'a pas un si gros revenu, si vous en déduisez ce qu'on paye pour les anciennes dettes du Gouvernement. Ce qui est sûr, c'est que Guillaume abolit toutes les Lois du Pays pour y introduire celles de Normandie. Il ordonna qu'on plaidât en Normand, et depuis lui tous les Actes furent expédiés en cette langue jusqu'à Édouard III. Il voulut que la langue des vainqueurs fût la seule du Pays. Des Écoles de la Langue Normande furent établies dans toutes les Villes et les Bourgades. Cette langue était le Français mêlé d'un peu de Danois: idiome barbare, qui n'avait aucun avantage sur celui qu'on parlait en Angleterre. On prétend qu'il traitait non seulement la Nation vaincue avec dureté, mais qu'il affectait encore des caprices tyranniques. On en donne pour exemple la Loi du couvre-feu, par laquelle il fallait au son de la cloche éteindre le feu dans chaque maison à huit heures du soir. Mais cette loi bien loin d'être tyrannique, n'est qu'une ancienne police Ecclésiastique, établie presque dans tous les anciens Cloîtres du Pays du Nord. Les maisons étaient bâties de bois, et la crainte du feu était un objet des plus importants de la Police générale.
On lui reproche encore d'avoir détruit tous les Villages qui se trouvaient dans un circuit de quinze lieues, pour en faire une Forêt, dans laquelle il pût goûter le plaisir de la chasse. Une telle action est trop insensée pour être vraisemblable. Les Historiens ne font pas attention qu'il faut au moins vingt années pour qu'un nouveau plan d'arbres devienne une Forêt propre à la chasse. On lui fait semer cette Forêt en 1080, il avait alors 63 ans. Quelle apparence y a-t-il qu'un homme raisonnable ait à cet âge détruit des Villages pour semer quinze lieues en bois dans l'espérance d'y chasser un jour?
Le Conquérant de l'Angleterre fut la terreur du Roi de France Philippe Ier qui voulut abaisser trop tard un Vassal si puissant, se jeta sur le Maine, qui dépendait alors de la Normandie. Guillaume repassa la mer, reprit le Maine, et contraignit le Roi de France à demander la paix.
Les prétentions de la Cour de Rome n'éclatèrent jamais plus singulièrement qu'avec ce Prince. Le Pape Grégoire VII prit le temps qu'il faisait la guerre à la France pour demander qu'il lui rendît hommage du Royaume d'Angleterre. Cet hommage était fondé sur cet ancien Denier de Saint Pierre, qu'une partie de l'Angleterre payait à l'Église de Rome. Il revenait à environ trois livres de notre monnaie par chaque maison, aumône trop forte que les Papes regardaient comme un tribut. Guillaume le Conquérant fit dire au Pape, qu'il pourrait bien continuer l'aumône, mais au lieu de faire hommage il fit défense en Angleterre de ne reconnaître d'autre Pape que celui qu'il approuverait. La proposition de Grégoire VII devint par-là ridicule à force d'être audacieuse. C'est ce même Grégoire VII qui bouleversait l'Europe pour élever le Sacerdoce au-dessus de l'Empire; mais avant de parler de cette querelle mémorable et des Croisades qui prirent naissance dans ces temps, il faut voir en peu de mots en quel état étaient les autres Pays de l'Europe.
DE L'ÉTAT OÙ ÉTAIT L'EUROPE AUX Xe ET XIe SIÈCLES
La Russie avait embrassé le Christianisme à la fin du VIIIe Siècle. Les femmes étaient destinées à convertir les Royaumes. Une sœur des Empereurs Basile et Constantin, mariée au père de ce Czar Jaraslau, dont j'ai parlé, obtint de son mari qu'il se ferait baptiser. Les Russes esclaves de leur Maître l'imitèrent, mais ils ne prirent du Rite Grec que les superstitions.
Environ dans ce temps-là une femme attira encore la Pologne au Christianisme. Miceslas Duc de Pologne fut converti par sa femme sœur du Duc de Bohême. J'ai déjà remarqué que les Bulgares avaient reçu la foi de la même manière. Giselle sœur de l'Empereur Henri fit encore Chrétien son mari Roi de Hongrie dans la première année du XIe Siècle; ainsi il est très-vrai que la moitié de l'Europe doit aux femmes son Christianisme.
La Suède chez qui elle avait été prêchée dès le IXe Siècle, était redevenue idolâtre. La Bohême et tout ce qui est au Nord de l'Elbe, renonça au Christianisme en 1013. Toutes les Côtes de la Mer Baltique vers l'Orient étaient Païennes. Les Hongrois en 1047 retournèrent au Paganisme. Mais toutes ces Nations étaient beaucoup plus loin encore d'être polies, que d'être Chrétiennes.
La Suède, probablement depuis longtemps épuisée d'habitants par ces anciennes émigrations dont l'Europe fut inondée, paraît dans le VIIIe, IXe, Xe et XIe Siècles comme ensevelie dans sa barbarie, sans guerre et sans commerce avec ses voisins; elle n'a part à aucun grand événement, et n'en fut probablement que plus heureuse.
La Pologne beaucoup plus barbare que Chrétienne conserva jusqu'au XIIIe Siècle toutes les coutumes des anciens Sarmates, de tuer leurs enfants qui naissaient imparfaits, et les vieillards invalides. Qu'on juge par-là du reste du Nord.
L'Empire de Constantinople n'était ni plus resserré ni plus agrandi que nous l'avons vu au IXe Siècle. À l'Occident il se défendait contre les Bulgares, à l'Orient et au Nord contre les Turcs et les Arabes.
On a vu en général ce qu'était l'Italie: des Seigneurs particuliers partageaient tout le Pays depuis Rome jusqu'à la Mer de la Calabre; et les Normands en avaient la plus grande partie. Florence, Milan, Pavie, se gouvernaient par leurs Magistrats sous des Comtes ou sous des Ducs nommés par les Empereurs. Bologne était plus libre.
La Maison de Maurienne dont descendent les Ducs de Savoie, Rois de Sardaigne, commençait à s'établir. Elle possédait comme Fief de l'Empire la Comté héréditaire de Savoie et de Maurienne, depuis que Humbert aux blanches mains, tige de cette Maison, avait eu en 888 ce petit démembrement du Royaume de Bourgogne.
Les Suisses et les Grisons détachés aussi de ce même Royaume, obéissaient aux Baillis que les Empereurs nommaient.
Deux Villes maritimes d'Italie commençaient à s'élever non par ces invasions subites qui ont fait les droits de presque tous les Princes qui ont passé en revue, mais par une industrie sage qui dégénéra aussi bientôt en esprit de conquête. Ces deux Villes étaient Gênes et Venise. Gênes célèbre du temps des Romains, regardait Charlemagne comme son restaurateur. Cet Empereur l'avait rebâtie quelque temps après que les Goths l'avaient détruite. Gouvernée par des Comtes sous Charlemagne et ses premiers descendants, elle fut saccagée au Xe Siècle par les Mahométans, et presque tous ses citoyens furent emmenés en servitude. Mais comme c'était un Port commerçant, elle fut bientôt repeuplée. Le Négoce qui l'avait fait fleurir, servit à la rétablir. Elle devint alors une République. Elle prit l'Île de Corse sur les Arabes, qui s'en étaient emparés. C'est ici qu'il faut se souvenir que Louis le Débonnaire avait donné la Corse aux Papes. Ils exigèrent un tribut des Génois pour cette Île. Les Génois payèrent ce tribut au commencement de l'XIe Siècle, mais bientôt après ils s'en affranchirent sous le Pontificat de Lucius II. Enfin leur ambition croissant avec leurs richesses, de Marchands ils voulurent devenir Conquérants.
La Ville de Venise bien moins ancienne que Gênes affectait le frivole honneur d'une plus ancienne liberté, et jouissait de la gloire solide d'une puissance bien supérieure. Ce ne fut d'abord qu'une retraite de pêcheurs et de quelques fugitifs, qui s'y réfugièrent au commencement du Ve Siècle, quand les Goths ravageaient l'Italie. Il n'y avait pour toute Ville que des cabanes sur le Rialto. Le nom de Venise n'était point encore connu. Ce Rialto bien loin d'être libre, fut pendant trente années une simple Bourgade appartenant à la Ville de Padoue, qui le gouvernait par des Consuls. La vicissitude des choses a mis depuis Padoue sous le joug de Venise.
Il n'y a aucune preuve que sous les Rois Lombards Venise ait eu une liberté reconnue. Il est plus vraisemblable que ses habitants furent oubliés dans leurs marais.
Le Rialto et les petites Îles voisines ne commencèrent qu'en 709 à se gouverner par leurs Magistrats. Ils furent alors indépendants de Padoue, et se regardèrent comme une République.
C'est en 709 qu'ils eurent leur premier Doge, qui ne fut qu'un Tribun du Peuple élu par des Bourgeois. Plusieurs familles qui donnèrent leur voix à ce premier Doge, subsistent encore. Elles sont les plus anciens Nobles de l'Europe, sans en excepter aucune Maison; et prouvent que la Noblesse peut s'acquérir autrement qu'en possédant un Château, ou en payant des Patentes à un Souverain.
Héraclée fut le premier siège de cette République jusqu'à la mort de son troisième Doge. Ce ne fut que vers la fin du IXe Siècle que ces Insulaires retirés plus avant dans leurs lagunes, donnèrent à cet assemblage de petites Îles qui formèrent une Ville, le nom de Venise, du nom de cette côte, qu'on appelait terrae Venetorum. Les habitants de ces marais ne pouvaient subsister que par leur commerce. La nécessité fut l'origine de leur puissance. Il n'est pas assurément bien décidé que cette République fût alors indépendante. On voit que Bérenger reconnu quelque temps Empereur en Italie, accorda l'an 950 au Doge le privilège de battre monnaie. Ces Doges même étaient obligés d'envoyer aux Empereurs en redevance un manteau de drap d'or tous les ans, et Othon III leur remit en 998 cette espèce de petit tribut. Mais ces légères marques de vassalité n'étaient rien à la véritable puissance de Venise; car tandis que les Vénitiens payaient un manteau d'étoffe d'or aux Empereurs, ils acquirent par leur argent et par leurs armes toute la Province d'Istrie, et presque toutes les côtes de Dalmatie, Spalatro, Raguse, Narenta. Leur Doge prenait vers le milieu du Xe Siècle le titre de Duc de Dalmatie; mais ces conquêtes enrichissaient moins Venise que le Commerce, dans lequel elle surpassait encore les Génois; car tandis que les Barons d'Allemagne et de France bâtissaient des donjons et opprimaient les peuples, Venise attirait leur argent, en leur fournissant toutes les denrées de l'Orient. Les Mers étaient déjà couvertes de leurs vaisseaux, et elle s'enrichissait de l'ignorance et de la barbarie des Nations Septentrionales de l'Europe.
DE L'ESPAGNE ET DES MAHOMÉTANS DE CE ROYAUME,
JUSQU'AU COMMENCEMENT DU XIIe SIÈCLE
L'Espagne était toujours partagée entre les Mahométans et les Chrétiens, mais les Chrétiens n'en avaient pas la quatrième partie, et ce coin de terre était la Contrée la plus stérile. L'Asturie dont les Princes prenaient le titre de Roi de Leon, une partie de la vieille Castille gouvernée par des Comtes, Barcelone et la moitié de la Catalogne aussi sous un Comte, la Navarre qui avait un Roi, une partie de l'Aragon unis quelque temps à la Navarre, voilà ce qui composait les États des Chrétiens. Les Arabes possédaient le Portugal, la Murcie, l'Andalousie, Valence, Grenade, Tortose, et s'étendaient au milieu des terres par-delà les montagnes de la Castille et de Saragosse. Le séjour des Rois Mahométans était toujours à Cordoue. Ils y avaient bâti cette grande Mosquée, dont la voûte est soutenue de 365 Colonnes de marbre précieux, et qui porte encore parmi les Chrétiens le nom de la Mosqueta, Mosquée, quoiqu'elle soit devenue Cathédrale.
Les Arts y fleurissaient, les plaisirs recherchés, la magnificence, la galanterie régnaient à la Cour des Rois Maures. Les Tournois, les Combats à la barrière sont peut-être de l'invention de ces Arabes. Ils avaient des Spectacles, des Théâtres, qui tout grossiers qu'ils étaient, montraient du-moins que les autres Peuples étaient moins polis que ces Mahométans. Cordoue était le seul Pays de l'Occident où la Géométrie, l'Astronomie, la Chimie, la Médecine fussent cultivées. Sanche le Gros, Roi de Leon, fut obligé de s'aller mettre à Cordoue en 956 entre les mains de ce fameux Médecin Arabe, qui invité par le Roi voulut que le Roi vînt à lui.
Cordoue est un Pays de délices arrosé par le Guadalquivir, où des forêts de citronniers, d'orangers, de grenadiers parfument l'air, et où tout invite à la mollesse.
Le luxe et le plaisir corrompirent enfin les Rois Musulmans. Leur domination fut au Xe Siècle, comme celle de presque tous les Princes Chrétiens, partagée en petits États. Tolède, Murcie, Valence, Huelca même, eurent leurs Rois. C'était le temps d'accabler cette puissance divisée, mais les Chrétiens d'Espagne étaient plus divisés encore. Ils se faisaient une guerre continuelle, se réunissaient pour se trahir, et s'alliaient souvent avec les Musulmans. Alphonse V Roi de Leon, donna même l'année 1000 sa sœur Thérèse en mariage au Sultan Abdala Roi de Tolède.
Les jalousies produisent plus de crimes entre les petits Princes qu'entre les grands Souverains. La guerre seule peut décider du sort des vastes États; mais les surprises, les perfidies, les assassinats, les empoisonnements sont plus communs entre des rivaux voisins, qui ayant beaucoup d'ambition et peu de ressources, mettent en œuvre tout ce qui peut suppléer à la force. C'est ainsi qu'un Sancho Garcias Comte de Castille empoisonna sa mère à la fin du Xe Siècle, et que son fils Don Garcie fut poignardé par trois Seigneurs du Pays dans le temps qu'il allait se marier.
Enfin en 1035 Ferdinand, fils de Sanche Roi de Navarre et d'Aragon, réunit sous sa puissance la vieille Castille, dont la famille avait hérité par le meurtre de ce Don Garcie, et le Royaume de Leon dont il dépouilla son beau-frère, qu'il tua dans une bataille (1036).
Alors la Castille devint un Royaume, et Leon en fut une Province. Ce Ferdinand, non content d'avoir ôté la couronne de Leon et la vie à son beau-frère, enleva aussi la Navarre à son propre frère, qu'il fit assassiner dans une bataille qu'il lui livra. C'est ce Ferdinand à qui les Espagnols ont prodigué le nom de grand, apparemment pour déshonorer ce titre trop prodigué aux usurpateurs.
Son père Don Sanche, surnommé aussi le Grand pour avoir succédé aux Comtes de Castille, et pour avoir marié un de ses fils à la Princesse des Asturies, s'était fait proclamer Empereur, et Don Ferdinand voulut aussi prendre ce titre. Il est sûr qu'il n'y a, ni ne peut y avoir de titre affecté aux Souverains, que ceux qu'ils veulent prendre, et que l'usage leur donne. Le nom d'Empereur signifiait partout l'héritier des Césars et le maître de l'Empire Romain, ou du-moins celui qui prétendait l'être. Il n'y a pas d'apparence que cette appellation pût être le titre distinctif d'un Prince mal affermi, qui gouvernait la quatrième partie de l'Espagne.
L'Empereur Henri III et non Henri II comme le disent tant d'Auteurs, mortifia la fierté Espagnole, en demandant à Ferdinand l'hommage de ses petits États comme d'un Fief de l'Empire. Il est difficile de dire quelle était la plus mauvaise prétention, celle de l'Empereur Allemand, ou celle de l'Espagnol. Ces idées vaines n'eurent aucun effet, et l'État de Ferdinand resta un petit Royaume libre.
C'est sous le règne de ce Ferdinand que vivait Rodrigue surnommé le Cid, qui en effet épousa depuis Chimène, dont il avait tué le père. Tous ceux qui ne connaissent cette histoire que par la tragédie si célèbre dans le Siècle passé, croient que le Roi Don Ferdinand possédait l'Andalousie.
Les fameux exploits du Cid furent d'abord d'aider Don Sanche fils aîné de Ferdinand à dépouiller ses frères et ses sœurs de l'héritage que leur avait laissé leur père. Mais Don Sanche ayant été assassiné dans une de ces expéditions injustes, ses frères rentrèrent dans leurs États. (1073)
Ce fut alors qu'il y eut près de vingt Rois en Espagne soit Chrétiens soit Musulmans, et outre ces vingt Rois un nombre considérable de Seigneurs indépendants, qui venaient à cheval, armés de toutes pièces, et suivis de quelques Écuyers offrir leurs services aux Princes ou aux Princesses qui étaient en guerre. Cette coutume, déjà répandue en Europe, ne fut nulle part plus accréditée qu'en Espagne. Les Princes à qui ces Chevaliers s'engageaient, leur ceignaient le baudrier, et leur faisaient présent d'une épée, dont ils leur donnaient un coup léger sur l'épaule. Les Chevaliers Chrétiens ajoutèrent d'autres cérémonies à l'accolade. Ils faisaient la veille des armes devant un autel de la Vierge. Les Musulmans se contentaient de se faire ceindre un cimeterre. Ce fut-là l'origine des Chevaliers errants, et de tant de combats particuliers. Le plus célèbre fut celui qui se fit après la mort du Roi Don Sanche, assassiné en assiégeant sa sœur Ouraca dans la Ville de Zamore. Trois Chevaliers soutinrent l'innocence de l'Infante contre Don Diègue de Lare qui l'accusait. Ils combattirent l'un après l'autre en champ clos, en présence des Juges nommés de part et d'autre. Don Diègue renversa et tua deux des Chevaliers de l'Infante, et le cheval du troisième ayant les rênes coupées et emportant son Maître hors des barrières, le combat fut jugé indécis.
Parmi tant de Chevaliers le Cid fut celui qui se distingua le plus contre les Musulmans. Plusieurs Chevaliers se rangèrent sous sa bannière, et tous ensemble avec leurs Écuyers et leurs Gendarmes composaient une armée couverte de fer, montée sur les plus beaux chevaux du Pays. Le Cid vainquit plus d'un petit Roi Maure, et s'étant ensuite fortifié dans la Ville d'Alcosar, il s'y forma une Souveraineté.
Enfin il persuada à son Maître Alfonse VI Roi de la vieille Castille d'assiéger la Ville de Tolède, et lui offrit tous ses Chevaliers pour cette entreprise. Le bruit de ce siège et la réputation du Cid, appelèrent de l'Italie et de la France beaucoup de Chevaliers et de Princes. Raimond Comte de Toulouse, et deux Princes du sang de France de la branche de Bourgogne, vinrent à ce siège. Le Roi Mahométan nommé Hiaja, était fils d'un des plus généreux Princes dont l'Histoire ait conservé le nom. Almamon son père avait donné dans Tolède un asile à ce même Roi Alfonse que son frère Sanche persécutait alors. Ils avaient vécu longtemps ensemble dans une amitié peu commune, et Almamon loin de le retenir, quand après la mort de Sanche il devint Roi et par conséquent à craindre, lui avait fait part de ses trésors. On dit même qu'ils s'étaient séparés en pleurant. Plus d'un Chevalier Mahométan sortirent des murs pour reprocher au Roi Alfonse son ingratitude envers son bienfaiteur, et il y eut plus d'un combat singulier sous les murs de Tolède.
Le siège dura une année. Enfin Tolède capitula, mais à condition que l'on traiterait les Musulmans comme ils en avaient usé avec les Chrétiens; qu'on leur laisserait leur Religion et leurs Lois. Promesse qu'on tint d'abord, et que le temps fit violer. Toute la Castille neuve se rendit ensuite au Cid, qui en prit possession au nom d'Alfonse; et Madrid, petite Place qui devait un Jour être la Capitale de l'Espagne, fut pour la première fois au pouvoir des Chrétiens.
Plusieurs familles vinrent de France s'établir dans Tolède. On leur donna des privilèges qu'on appelle même encore en Espagne fransches. Le Roi Alfonse fit aussitôt une assemblée d'Évêques, laquelle sans le concours du peuple autrefois nécessaire, élut pour Évêque de Tolède un Prêtre nommé Bernard, à qui le Pape Grégoire VII conféra la Primatie d'Espagne à la prière du Roi. La conquête fut presque toute pour l'Église, mais le premier soin du Primat fut d'en abuser, en violant les conditions que le Roi avait jurées aux Maures. La grande Mosquée devait rester aux Mahométans. L'Archevêque pendant l'absence du Roi, en fit une Église, et excita contre lui une sédition. Alfonse revint à Tolède, irrité contre l'indiscrétion du Prélat. Il allait même le punir, et il fallut que les Mahométans à qui le Roi eut la sagesse de rendre la Mosquée, demandassent la grâce de l'Archevêque.
Alfonse augmenta encore par un mariage les États qu'il gagnait par l'épée du Cid. Soit politique, soit goût, il épousa Zaïd fille de Benabat nouveau Roi Maure d'Andalousie, et reçut en dot plusieurs Villes.
On lui reproche d'avoir conjointement avec son beau-père appelé en Espagne d'autres Mahométans d'Afrique. Il est difficile de croire qu'il ait fait une si étrange faute contre la politique, mais tous les Rois se conduisent quelquefois contre la vraisemblance. Quoi qu'il en soit, une armée de Maures vient fondre d'Afrique, en Espagne, et augmenter la confusion où tout était alors. Le Miramolin qui régnait à Maroc, et dont la race y règne encore, envoie son Général Abénana au secours du Roi d'Andalousie. Ce Général trahit non seulement ce Roi même à qui il était envoyé, mais encore le Miramolin au nom duquel il venait. Enfin le Miramolin irrité vient lui-même combattre son Général perfide, qui faisait la guerre aux autres Mahométans, tandis que les Chrétiens étaient aussi divisés entre eux.