Kitabı oku: «Traité sur la tolérance», sayfa 5
Il y a bien plus; le Seigneur ordonne à Jérémie de se mettre des cordes au cou, des colliers28 & des jougs, de les envoyer aux Roitelets ou Melchim de Moab, d'Ammon, d'Edom, de Tyr, de Sidon; & Jérémie leur fait dire par le Seigneur: Jérém. Chap. 27, v. 6.J'ai donné toutes vos Terres à Nabuchodonosor, Roi de Babylone, mon serviteur. Voilà un Roi idolâtre déclaré serviteur de Dieu & son favori.
Le même Jérémie, que le Melk, ou Roitelet Juif, Sédécias, avait fait mettre au cachot, ayant obtenu son pardon de Sédécias, lui conseille de la part de Dieu Jérém. Chap. 18, v. 19.de se rendre au Roi de Babylone: Si vous allez vous rendre à ses Officiers, dit-il, votre ame vivra. Dieu prend donc enfin le parti d'un Roi idolâtre; il lui livre l'Arche, dont la seule vue avait coûté la vie à cinquante mille soixante & dix Juifs; il lui livre le Saint des Saints, & le reste du Temple qui avait coûté à bâtir cent huit mille talents d'or, un million dix-sept mille talents d'argent & dix mille drachmes d'or, laissés par David & ses Officiers pour la construction de la Maison du Seigneur; ce qui, sans compter les deniers employés par Salomon, monte à la somme de dix-neuf milliards soixante-deux millions, ou environ, au cours de ce jour. Jamais idolâtrie ne fut plus récompensée. Je sais que ce compte est exagéré, qu'il y a probablement erreur de Copiste; mais réduisez la somme à la moitié, au quart, au huitieme même, elle vous étonnera encore. On n'est guères moins surpris des richesses qu'Hérodote dit avoir vues dans le Temple d'Ephese. Enfin, les trésors ne sont rien aux yeux de Dieu; & le nom de son Serviteur donné à Nabuchodonosor, est le vrai trésor inestimable.
Dieu Isaïe, Chap. 44 & 45.ne favorise pas moins le Kir, ou Koresh, ou Kosroes, que nous appellons Cyrus; il l'appelle son Christ, son Oint, quoiqu'il ne fût pas Oint, selon la signification commune de ce mot, & qu'il suivît la Religion de Zoroastre; il l'appelle son Pasteur, quoiqu'il fût usurpateur aux yeux des hommes: il n'y a pas dans toute la sainte Ecriture une plus grande marque de prédilection.
Vous voyez dans Malachie, que du levant au couchant le nom de Dieu est grand dans les Nations, & qu'on lui offre par-tout des oblations pures. Dieu a soin des Ninivites idolâtres comme des Juifs; il les menace, & il leur pardonne. Melchisedec, qui n'était point Juif, était Sacrificateur de Dieu. Balaam idolâtre, était Prophete. L'Ecriture nous apprend donc que non-seulement Dieu tolérait tous les autres Peuples, mais qu'il en avait un soin paternel: & nous osons être intolérants!
CHAPITRE XIII.
Extrême Tolérance des Juifs
AInsi donc sous Moïse, sous les Juges, sous les Rois, vous voyez toujours des exemples de tolérance. Il y a bien plus: Moïse dit plusieurs fois Exode, Chap. 20, v. 5.que Dieu punit les peres dans les enfants, jusqu'à la quatrieme génération: cette menace était nécessaire à un Peuple à qui Dieu n'avait révélé ni l'immortalité de l'ame, ni les peines & les récompenses dans une autre vie. Ces vérités ne lui furent annoncées ni dans le Décalogue, ni dans aucune Loi du Lévitique & du Deutéronome. C'étaient les dogmes des Perses, des Babyloniens, des Egyptiens, des Grecs, des Crétois; mais ils ne constituaient nullement la Religion des Juifs. Moïse ne dit point: Honore ton pere & ta mere, si tu veux aller au Ciel; mais, Honore ton pere & ta mere, afin de vivre long-temps sur la terre: Deutér. Chap. 28.il ne les menace que de maux corporels, de la galle seche, de la galle purulente, d'ulceres malins dans les genoux & dans les gras des jambes, d'être exposés aux infidélités de leurs femmes, d'emprunter à usure des étrangers, & de ne pouvoir prêter à usure; de périr de famine, & d'être obligés de manger leurs enfants: mais en aucun lieu il ne leur dit que leurs ames immortelles subiront des tourments après la mort, ou goûteront des félicités. Dieu qui conduisait lui-même son Peuple, le punissait ou le récompensait immédiatement après ses bonnes ou ses mauvaises actions. Tout était temporel; & c'est la preuve que le savant Evêque Warburton apporte pour démontrer que la Loi des juifs était divine:29 parce que Dieu même étant leur Roi, rendant justice immédiatement après la transgression ou l'obéissance, n'avait pas besoin de leur révéler une Doctrine qu'il réservait au temps où il ne gouvernerait plus son Peuple. Ceux qui par ignorance prétendent que Moïse enseignait l'immortalité de l'ame, ôtent au Nouveau Testament un de ses plus grands avantages sur l'ancien. Il est constant que la Loi de Moïse n'annonçait que des châtiments temporels jusqu'à la quatrieme génération. Cependant, malgré l'énoncé précis de cette Loi, malgré cette déclaration expresse de Dieu, qu'il punirait jusqu'à la quatrieme génération, Ezéchiel annonce Ezéch. Chap. 18, v. 20.Ezéch. Chap. 20, v. 25.tout le contraire aux Juifs, & leur dit, que le fils ne portera point l'iniquité de son pere: il va même jusqu'à faire dire à Dieu, qu'il leur avait donné des préceptes qui n'étaient pas bons.30
Le Livre d'Ezéchiel n'en fut pas moins inséré dans le Canon des Auteurs inspirés de Dieu: il est vrai que la Synagogue n'en permettait pas la lecture avant l'âge de trente ans, comme nous l'apprend St. Jérôme; mais c'était de peur que la jeunesse n'abusât des peintures trop naïves qu'on trouve dans les chapitres 16 & 23 du libertinage des deux sœurs Olla & Ooliba. En un mot, son Livre fut toujours reçu, malgré sa contradiction formelle avec Moïse.
Enfin,31 lorsque l'immortalité de l'ame fut un dogme reçu, ce qui probablement avait commencé dès le temps de la captivité de Babylone, la secte des Saducéens persista toujours à croire qu'il n'y avait ni peines ni récompenses après la mort, & que la faculté de sentir & de penser périssait avec nous, comme la force active, le pouvoir de marcher & de digérer. Ils niaient l'existence des Anges. Ils différaient beaucoup plus des autres Juifs, que les Protestants ne different des Catholiques; ils n'en demeurerent pas moins dans la Communion de leurs freres: on vit même des grands Prêtres de leur secte.
Les Pharisiens croyaient à la fatalité32 & à la Métempsycose.33 Les Esséniens pensaient que les ames des Justes allaient dans les Isles fortunées,34 & celles des méchants dans une espece de Tartare. Ils ne faisaient point de sacrifices; ils s'assemblaient entre eux dans une Synagogue particuliere. En un mot, si l'on veut examiner de près le Judaïsme, on sera étonné de trouver la plus grande tolérance, au milieu des horreurs les plus barbares. C'est une contradiction, il est vrai; presque tous les Peuples se sont gouvernés par des contradictions. Heureuse celle qui amene des mœurs douces, quand on a des loix de sang!
CHAPITRE XIV.
Si l'Intolérance a été enseignée par Jesus-Christ?
VOyons maintenant si Jesus-Christ a établi des Loix sanguinaires, s'il a ordonné l'intolérance, s'il fit bâtir les cachots de l'Inquisition, s'il institua les bourreaux des Auto-da-fé.
Il n'y a, si je ne me trompe, que peu de passages dans les Evangiles, dont l'esprit persécuteur ait pu inférer que l'intolérance, la contrainte sont légitimes. L'un est la parabole dans laquelle le Royaume des Cieux est comparé à un Roi qui invite des convives aux noces de son fils: ce Monarque leur fait dire par ses Serviteurs: St. Math. Chap. 22.J'ai tué mes bœufs & mes volailles, tout est prêt, venez aux noces. Les uns, sans se soucier de l'invitation, vont à leurs maisons de campagne, les autres à leur négoce, d'autres outragent les domestiques du Roi & les tuent. Le Roi fait marcher ses Armées contre ces meurtriers & détruit leur Ville: il envoye sur les grands chemins convier au festin tous ceux qu'on trouve: un d'eux s'étant mis à table sans avoir mis la robe nuptiale, est chargé de fers & jetté dans les ténebres extérieures.
Il est clair que cette allégorie ne regardant que le Royaume des Cieux, nul homme, assurément, ne doit en prendre le droit de garotter ou de mettre au cachot son voisin qui serait venu souper chez lui sans avoir un habit de noces convenable; & je ne connais dans l'Histoire aucun Prince qui ait fait pendre un Courtisan pour un pareil sujet: il n'est pas non plus à craindre que quand l'Empereur enverra des Pages à des Princes de l'Empire pour les prier à souper, ces Princes tuent ces Pages. L'invitation au festin signifie la prédication du salut; le meurtre des Envoyés du Prince figure la persécution contre ceux qui prêchent la sagesse & la vertu.
L'autre parabole est celle d'un Particulier qui invite ses amis à un grand souper; & St. Luc, Chap. 14.lorsqu'il est prêt de se mettre à table, il envoye son domestique les avertir. L'un s'excuse sur ce qu'il a acheté une Terre, & qu'il va la visiter; cette excuse ne paraît pas valable, ce n'est pas pendant la nuit qu'on va voir sa Terre. Un autre dit qu'il a acheté cinq paires de bœufs, & qu'il les doit éprouver; il a le même tort que l'autre; on n'essaye pas des bœufs à l'heure du souper. Un troisieme répond qu'il vient de se marier, & assurément son excuse est très-recevable. Le Pere de famille, en colere, fait venir à son festin les aveugles & les boiteux; & voyant qu'il reste encore des places vuides, il dit à son valet: Allez dans les grands chemins, & le long des hayes, & contraignez les gens d'entrer.
Il est vrai qu'il n'est pas dit expressément que cette parabole soit une figure du Royaume des Cieux. On n'a que trop abusé de ces paroles: Contrains-les d'entrer; mais il est visible qu'un seul valet ne peut contraindre par la force tous les gens qu'il rencontre à venir souper chez son Maître; & d'ailleurs, des convives ainsi forcés, ne rendraient pas le repas fort agréable. Contrains-les d'entrer, ne veut dire autre chose, selon les Commentateurs les plus accrédités, sinon: priez, conjurez, pressez, obtenez. Quel rapport, je vous prie, de cette priere & de ce souper, à la persécution?
Si on prend les choses à la lettre, faudra-t-il être aveugle, boiteux, & conduit par force, pour être dans le sein de l'Eglise? Jesus dit dans la même parabole: Ne donnez à dîner ni à vos amis, ni à vos parents riches: en a-t-on jamais inféré, qu'on ne dût point en effet dîner avec ses parents & ses amis, dès qu'ils ont un peu de fortune?
Jesus-Christ, après la parabole du festin, dit: St. Luc, Chap. 14, v. 26 & suiv.Si quelqu'un vient à moi, & ne hait pas son pere, sa mere, ses freres, ses sœurs, & même sa propre ame, il ne peut être mon Disciple, &c. Car qui est celui d'entre vous qui voulant bâtir une tour, ne suppute pas auparavant la dépense? Y a-t-il quelqu'un dans le monde assez dénaturé, pour conclurre qu'il faut haïr son pere & sa mere? & ne comprend-on pas aisément que ces paroles signifient: Ne balancez pas entre moi & vos plus cheres affections?
On cite le passage de St. Mathieu: Qui n'écoute point l'Eglise, soit comme un Païen & comme un Receveur de la Douane. St. Math. Chap. 8, v. 17.Cela ne dit pas assurément qu'on doive persécuter les Païens, & les Fermiers des droits du Roi; ils sont maudits, il est vrai, mais ils ne sont point livrés au bras séculier. Loin d'ôter à ces Fermiers aucune prérogative de Citoyen, on leur a donné les plus grands privileges; c'est la seule profession qui soit condamnée dans l'Ecriture, & c'est la plus favorisée par les Gouvernements. Pourquoi donc n'aurions-nous pas pour nos freres errants autant d'indulgence que nous prodiguons de considération à nos freres les Traitants?
Un autre passage, dont on a fait un abus grossier, est celui de St. Mathieu & de St. Marc, où il est dit que Jesus ayant faim le matin, approcha d'un figuier, où il ne trouva que des feuilles: car ce n'était pas le temps des figues: il maudit le figuier qui se sécha aussi-tôt.
On donne plusieurs explications différentes de ce miracle: mais y en a-t-il une seule qui puisse autoriser la persécution? Un figuier n'a pu donner des figues vers le commencement de Mars, on l'a séché: est-ce une raison pour faire sécher nos freres de douleur dans tous les temps de l'année? Respectons dans l'Ecriture tout ce qui peut faire naître des difficultés dans nos esprits curieux & vains, mais n'en abusons pas pour être durs & implacables.
L'esprit persécuteur qui abuse de tout, cherche encore sa justification dans l'expulsion des Marchands chassés du Temple, & dans la légion de Démons envoyée du corps d'un possédé dans le corps de deux mille animaux immondes. Mais qui ne voit que ces deux exemples ne sont autre chose qu'une justice que Dieu daigne faire lui-même d'une contravention à la Loi? C'était manquer de respect à la Maison du Seigneur, que de changer son parvis en une boutique de Marchands. En vain le Sanhedrin & les Prêtres permettaient ce négoce pour la commodité des sacrifices; le Dieu auquel on sacrifiait pouvait sans doute, quoique caché sous la figure humaine, détruire cette profanation: il pouvait de même punir ceux qui introduisaient dans le Pays des troupeaux entiers, défendus par une Loi dont il daignait lui-même être l'observateur. Ces exemples n'ont pas le moindre rapport aux persécutions sur le dogme. Il faut que l'esprit d'intolérance soit appuyé sur de bien mauvaises raisons, puisqu'il cherche par-tout les plus vains prétextes.
Presque tout le reste des paroles & des actions de Jesus-Christ prêche la douceur, la patience, l'indulgence. C'est le Pere de famille qui reçoit l'enfant prodigue; c'est l'ouvrier qui vient à la derniere heure, & qui est payé comme les autres; c'est le Samaritain charitable; lui-même justifie ses Disciples de ne pas jeûner; il pardonne à la pécheresse; il se contente de recommander la fidélité à la femme adultere: il daigne même condescendre à l'innocente joye des convives de Canaa, qui étant déja échauffés de vin, en demandent encore; il veut bien faire un miracle en leur faveur, il change pour eux l'eau en vin.
Il n'éclate pas même contre Judas qui doit le trahir; il ordonne à Pierre de ne se jamais servir de l'épée; il réprimande les enfants de Zébédée, qui, à l'exemple d'Elie, voulaient faire descendre le feu du Ciel sur une Ville qui n'avait pas voulu le loger.
Enfin, il meurt victime de l'envie. Si on ose comparer le sacré avec le profane, & un Dieu avec un homme, sa mort, humainement parlant, a beaucoup de rapport à celle de Socrate. Le Philosophe Grec périt par la haine des Sophistes, des Prêtres, & des premiers du Peuple: le Législateur des Chrétiens succomba sous la haine des Scribes, des Pharisiens, & des Prêtres. Socrate pouvait éviter la mort, & il ne le voulut pas: Jesus-Christ s'offrit volontairement. Le Philosophe Grec pardonna non-seulement à ses calomniateurs & à ses Juges iniques, mais il les pria de traiter un jour ses enfants comme lui-même s'ils étaient assez heureux pour mériter leur haine comme lui: le Législateur des Chrétiens, infiniment supérieur, pria son Pere de pardonner à ses ennemis.
Si Jesus-Christ sembla craindre la mort, si l'angoisse qu'il ressentit fut si extrême qu'il en eut une sueur mêlée de sang, ce qui est le symptome le plus violent & le plus rare, c'est qu'il daigna s'abaisser à toute la faiblesse du corps humain qu'il avait revêtu. Son corps tremblait, & son ame était inébranlable; il nous apprenait que la vraie force, la vraie grandeur consistent à supporter des maux sous lesquels notre nature succombe. Il y a un extrême courage à courir à la mort en la redoutant.
Socrate avait traité les Sophistes d'ignorants, & les avait convaincus de mauvaise foi: Jesus, usant de ses droits divins, traita les Scribes & les Pharisiens d'hypocrites, St. Math. Chap. 23.d'insensés, d'aveugles, de méchants, de serpents, de race de vipere.
Socrate ne fut point accusé de vouloir fonder une secte nouvelle; on n'accusa point Jesus-Christ d'en avoir voulu introduire une.St. Math. Chap. 26. Il est dit que les Princes des Prêtres, & tout le Conseil, cherchaient un faux témoignage contre Jesus pour le faire périr.
Or, s'ils cherchaient un faux témoignage, ils ne lui reprochaient donc pas d'avoir prêché publiquement contre la Loi. Il fut en effet soumis à la Loi de Moïse depuis son enfance jusqu'à sa mort: on le circoncit le huitieme jour comme tous les autres enfants. S'il fut depuis baptisé dans le Jourdain, c'était une cérémonie consacrée chez les Juifs, comme chez tous les Peuples de l'Orient. Toutes les souillures légales se nettoyaient par le Baptême; c'est ainsi qu'on consacrait les Prêtres: on se plongeait dans l'eau à la fête de l'expiation solemnelle, on baptisait les Prosélites.
Jesus observa tous les points de la Loi; il fêta tous les jours de Sabath; il s'abstint des viandes défendues; il célébra toutes les fêtes; & même avant sa mort il avait célébré la Pâque: on ne l'accusa ni d'aucune opinion nouvelle, ni d'avoir observé aucun Rite étranger. Né Israélite, il vécut constamment en Israélite.
Deux témoins qui se présenterent, l'accuserent d'avoir dit, qu'il pourrait détruire le Temple, & le rebâtir en trois jours.St. Math. chap. 26, v. 61. Un tel discours était incompréhensible pour les Juifs charnels, mais ce n'était pas une accusation de vouloir fonder une nouvelle secte.
Le Grand-Prêtre l'interrogea, & lui dit: Je vous commande par le Dieu vivant, de nous dire, si vous êtes le Christ, Fils de DIEU. On ne nous apprend point ce que le Grand-Prêtre entendait par Fils de Dieu. On se servait quelquefois de cette expression pour signifier un juste,35 comme on employait les mots de fils de Bélial, pour signifier un méchant. Les Juifs grossiers n'avaient aucune idée du mystere sacré d'un Fils de Dieu, Dieu lui-même, venant sur la terre.
Jesus lui répondit: Vous l'avez dit; mais je vous dis que vous verrez bientôt le fils de l'homme assis à la droite de la vertu de Dieu, venant sur les nuées du Ciel.
Cette réponse fut regardée, par le Sanhedrin irrité, comme un blasphême. Le Sanhedrin n'avait plus le droit du glaive: ils traduisirent Jesus devant le Gouverneur Romain de la Province, & l'accuserent calomnieusement d'être un perturbateur du repos public, qui disait qu'il ne fallait pas payer le tribut à César, & qui de plus se disait Roi des Juifs. Il est donc de la plus grande évidence qu'il fut accusé d'un crime d'Etat.
Le Gouverneur Pilate ayant appris qu'il était Galiléen, le renvoya d'abord à Hérode, Tétrarque de Galilée. Hérode crut qu'il était impossible que Jesus pût aspirer à se faire chef de parti, & prétendre à la Royauté; il le traita avec mépris, & le renvoya à Pilate, qui eut l'indigne faiblesse de le condamner, pour appaiser le tumulte excité contre lui-même, d'autant plus qu'il avait essuyé déja une révolte des Juifs, à ce que nous apprend Joseph. Pilate n'eut pas la même générosité qu'eut depuis le Gouverneur Festus.
Je demande à présent, si c'est la tolérance, ou l'intolérance, qui est de droit divin? Si vous voulez ressembler à Jesus-Christ, soyez martyrs, & non pas bourreaux.
CHAPITRE XV.
Témoignages contre l'Intolérance
C'Est une impiété d'ôter, en matiere de Religion, la liberté aux hommes, d'empêcher qu'ils ne fassent choix d'une Divinité; aucun homme, aucun Dieu ne voudrait d'un service forcé. (Apologétique, ch. 24.)
Si on usait de violence pour la défense de la Foi, les Evêques s'y opposeraient. (St. Hilaire, Liv. I.)
La Religion forcée n'est plus Religion; il faut persuader, & non contraindre. La Religion ne se commande point. (Lactance, Liv. 3.)
C'est une exécrable hérésie de vouloir tirer par la force, par les coups, par les emprisonnements, ceux qu'on n'a pu convaincre par la raison. (St. Athanase, Liv. I.)
Rien n'est plus contraire à la Religion que la contrainte. (St. Justin, Martyr, Liv. 5.)
Persécuterons-nous ceux que Dieu tolere? dit St. Augustin, avant que sa querelle avec les Donatistes l'eût rendu trop sévere.
Qu'on ne fasse aucune violence aux Juifs, (4me. Concile de Tolede, 56me. canon.)
Conseillez, & ne forcez pas. (Lettres de saint Bernard.)
Nous ne prétendons point détruire les erreurs par la violence. (Discours du Clergé de France à Louis XIII.)
Nous avons toujours désapprouvé les voyes de rigueur. (Assemblée du Clergé, 11me. Aoust 1560.)
Nous savons que la Foi se persuade, & ne se commande point. (Fléchier, Evêque de Nîmes, Lettre 19.)
On ne doit pas même user de termes insultants. (L'Evêque du Belley dans une Instr. pastorale.)
Souvenez-vous que les maladies de l'ame ne se guérissent point par contrainte & par violence. (Le Cardinal le Camus, Instruction pastorale de 1688.)
Accordez à tous la tolérance civile. (Fénelon, Archevêque de Cambrai, au Duc de Bourgogne.)
L'exaction forcée d'une Religion est une preuve évidente que l'esprit qui la conduit est un esprit ennemi de la vérité. (Dirois, Docteur de Sorbonne, Liv. 6, chap. 4.)
La violence peut faire des hypocrites; on ne persuade point quand on fait retentir par-tout les menaces. (Tillemont, Hist. Eccl. tom. 6.)
Il nous a paru conforme à l'équité & à la droite raison, de marcher sur les traces de l'ancienne Eglise, qui n'a point usé de violence pour établir & étendre la Religion. (Remontr. du Parlement de Paris à Henri II.)
L'expérience nous apprend que la violence est plus capable d'irriter que de guérir un mal qui a sa racine dans l'esprit &c. (De Thou, Epître dédicatoire à Henri IV..)
La Foi ne s'inspire pas à coups d'épée. (Cérisier, sur les regnes de Henri IV & de Louis XIII.)
C'est un zele barbare que celui qui prétend planter la Religion dans les cœurs, comme si la persuasion pouvait être l'effet de la contrainte. (Boulainvilliers, Etat de la France.)
Il en est de la Religion comme de l'amour; le commandement n'y peut rien, la contrainte encore moins; rien de plus indépendant que d'aimer & de croire. (Amelot de la Houssaye, sur les Lettres du Cardinal d'Ossat.)
Si le Ciel vous a assez aimé pour vous faire voir la vérité, il vous a fait une grande grace: mais est-ce à ceux qui ont l'héritage de leur Pere, de haïr ceux qui ne l'ont pas? (Esprit des Loix, Liv. 25.)
On pourrait faire un Livre énorme, tout composé de pareils passages. Nos Histoires, nos Discours, nos Sermons, nos Ouvrages de morale, nos Catéchismes, respirent tous, enseignent tous aujourd'hui ce devoir sacré de l'indulgence. Par quelle fatalité, par quelle inconséquence démentirions-nous dans la pratique une théorie que nous annonçons tous les jours? Quand nos actions démentent notre morale, c'est que nous croyons qu'il y a quelque avantage pour nous à faire le contraire de ce que nous enseignons; mais certainement il n'y a aucun avantage à persécuter ceux qui ne sont pas de notre avis, & à nous en faire haïr. Il y a donc, encore une fois, de l'absurdité dans l'intolérance. Mais, dira-t-on, ceux qui ont intérêt à gêner les consciences, ne sont point absurdes. C'est à eux que s'adresse le petit Chapitre suivant.
Les Prophetes, qui s'appellaient les Voyants chez les Egyptiens & chez les Juifs, non-seulement s'exprimaient en allégories, mais ils figuraient par des signes les événements qu'ils annonçaient. Ainsi Isaïe, Isaïe, Chapitre 8.le premier des quatre grands Prophetes Juifs, prend un rouleau, & y écrit: Shas bas, butinez, vîte; puis il s'approche de la Prophétesse, elle conçoit, & met au monde un fils, qu'il appelle Maher-Salal-Has-bas: c'est une figure des maux que les Peuples d'Egypte & d'Assyrie feront aux Juifs.
Ce Prophete dit: Avant que l'enfant soit en âge de manger du beurre & du miel, & qu'il sache réprouver le mauvais & choisir le bon, la terre détestée par vous sera délivrée des deux Rois: le Seigneur sifflera aux mouches d'Egypte & aux abeilles d'Assur: le Seigneur prendra un rasoir de louage, & en rasera toute la barbe & les poils des pieds du Roi d'Assur.
Cette prophétie des abeilles, de la barbe & du poil des pieds rasé, ne peut être entendue que par ceux qui savent que c'était la coutume d'appeller les essaims au son du flageolet ou de quelqu'autre instrument champêtre; que le plus grand affront qu'on pût faire à un homme, était de lui couper la barbe; qu'on appellait le poil des pieds, le poil du pubis; que l'on ne rasait ce poil que dans des maladies immondes, comme celle de la lepre. Toutes ces figures, si étrangeres à notre style, ne signifient autre chose, sinon que le Seigneur, dans quelques années, délivrera son Peuple d'oppression.
Le même Isaïe Isaïe, Chapitre 20marche tout nud, pour marquer que le Roi d'Assyrie emmenera d'Egypte & d'Ethiopie une foule de captifs qui n'auront pas de quoi couvrir leur nudité.
Ezéchiel mange le volume de parchemin Ezéch. Chap. 4 & suiv.qui lui est présenté: ensuite il couvre son pain d'excréments, & demeure couché sur son côté gauche trois cents quatre-vingt-dix jours, & sur le côté droit quarante jours, pour faire entendre que les Juifs manqueront de pain, & pour signifier les années que devait durer la captivité. Il se charge de chaînes, qui figurent celles du Peuple; il coupe ses cheveux & sa barbe, & les partage en trois parties: le premier tiers désigne ceux qui doivent périr dans la Ville; le second, ceux qui seront mis à mort autour des murailles; le troisieme, ceux qui doivent être emmenés à Babylone.
Le Prophete Ozée Ozée, Chap. 3.s'unit à une femme adultere, qu'il achete quinze pieces d'argent & un chomer & demi d'orge: Vous m'attendrez, lui dit-il, plusieurs jours, & pendant ce temps nul homme n'approchera de vous; c'est l'état où les enfants d'Israël seront long-temps sans Rois, sans Princes, sans Sacrifices, sans Autel & sans Ephod. En un mot, les Nabi, les Voyants, les Prophetes, ne prédisent presque jamais sans figurer par un signe la chose prédite.
Jérémie ne fait donc que se conformer à l'usage, en se liant de cordes, & en se mettant des colliers & des jougs sur le dos, pour signifier l'esclavage de ceux auxquels il envoye ces types. Si on veut y prendre garde, ces temps-là sont comme ceux d'un ancien monde, qui differe en tout du nouveau; la vie civile, les Loix, la maniere de faire la guerre, les cérémonies de la Religion, tout est absolument différent. Il n'y a même qu'à ouvrir Homere & le premier Livre d'Hérodote, pour se convaincre que nous n'avons aucune ressemblance avec les Peuples de la haute antiquité, & que nous devons nous défier de notre jugement quand nous cherchons à comparer leurs mœurs avec les nôtres.
La nature même n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui. Les Magiciens avaient sur elle un pouvoir qu'ils n'ont plus: ils enchantaient les serpents, ils évoquaient les morts, &c. Dieu envoyait des songes, & des hommes les expliquaient. Le don de prophétie était commun. On voyait des métamorphoses telles que celles de Nabuchodonosor changé en bœuf, de la femme de Loth en statue de sel, de cinq Villes en un lac bitumineux.
Il y avait des especes d'hommes qui n'existent plus. La race des géants Rephaïm, Emim, Néphilim, Enacim a disparu. St. Augustin, au Livre V de la Cité de Dieu, dit avoir vu la dent d'un ancien Géant, grosse comme cent de nos molaires. Ezéchiel parle des pigmées Gamadim, hauts d'une coudée, qui combattaient au siege de Tyr: & en presque tout cela les Auteurs sacrés sont d'accord avec les profanes. Les maladies & les remedes n'étaient point les mêmes que de nos jours: les possédés étaient guéris avec la racine nommée Barad enchassée dans un anneau qu'on leur mettait sous le nez.
Enfin tout cet ancien monde était si différent du nôtre, qu'on ne peut en tirer aujourd'hui aucune regle de conduite; & si, dans cette antiquité reculée, les hommes s'étaient persécutés & opprimés tour à tour au sujet de leur culte, on ne devrait pas imiter cette cruauté sous la Loi de grace.
Il paraît, par ce passage, que si l'on évoquait les ames des morts, ce sortilege prétendu supposait la permanence des ames. Il se peut aussi que les Magiciens dont parle Moïse, n'étant que des trompeurs grossiers, n'eussent pas une idée distincte du sortilege qu'ils croyaient opérer. Ils faisaient accroire qu'ils forçaient des morts à parler, qu'ils les remettaient par leur magie dans l'état où ces corps avaient été de leur vivant; sans examiner seulement si l'on pouvait inférer ou non de leurs opérations ridicules le dogme de l'immortalité de l'ame. Les Sorciers n'ont jamais été Philosophes; ils ont été toujours des jongleurs stupides, qui jouaient devant des imbécilles.
On peut remarquer encore qu'il est bien étrange que le mot de Python se trouve dans le Deutéronome, long-temps avant que ce mot Grec pût être connu des Hébreux: aussi le terme Python n'est point dans l'Hébreu, dont nous n'avons aucune traduction exacte.
Cette Langue a des difficultés insurmontables: c'est un mélange de Phénicien, d'Egyptien, de Syrien & d'Arabe; & cet ancien mélange est très-altéré aujourd'hui. L'Hébreu n'eut jamais que deux modes aux verbes, le présent & le futur: il faut deviner les autres modes par le sens. Les voyelles différentes étaient souvent exprimées par les mêmes caracteres, ou plutôt ils n'exprimaient pas les voyelles; & les inventeurs des points n'ont fait qu'augmenter la difficulté. Chaque adverbe a vingt significations différentes. Le même mot est pris en des sens contraires. Ajoutez à cet embarras la sécheresse & la pauvreté du langage: les Juifs, privés des Arts, ne pouvaient exprimer ce qu'ils ignoraient. En un mot l'Hébreu est au Grec, ce que le langage d'un Paysan est à celui d'un Académicien.
Il est rapporté au Chapitre 16 des Nombres, que la terre ouvrit sa bouche sous les tentes de Coré, de Dathan & d'Abiron, qu'elle les dévora avec leurs tentes & leur substance, & qu'ils furent précipités vivants dans la sépulture, dans le souterrein; il n'est certainement question dans cet endroit, ni des ames de ces trois Hébreux, ni des tourments de l'Enfer, ni d'une punition éternelle.
Il est étrange que dans le Dictionnaire Encyclopédique, au mot Enfer, on dise que les anciens Hébreux en ont reconnu la réalité; si cela était, ce serait une contradiction insoutenable dans le Pentateuque. Comment se pourrait-il faire que Moïse eût parlé dans un passage isolé & unique, des peines après la mort, & qu'il n'en eût point parlé dans ses Loix? On cite le 32e Chapitre du Deutéronome, mais on le tronque; le voici entier: Ils m'ont provoqué en celui qui n'était pas Dieu, & ils m'ont irrité dans leur vanité; & moi je les provoquerai dans celui qui n'est pas Peuple, & je les irriterai dans la Nation insensée. Et il s'est allumé un feu dans ma fureur, & il brûlera jusqu'au fond de la terre; il dévorera la terre jusqu'à son germe, & il brulera les fondements des montagnes, & j'assemblerai sur eux les maux, & je remplirai mes fleches sur eux; ils seront consumés par la faim, les oiseaux les dévoreront par des morsures ameres; je lâcherai sur eux les dents des bêtes qui se traînent avec fureur sur la terre, & des serpents.
Y a-t-il le moindre rapport entre ces expressions & l'idée des punitions infernales, telles que nous les concevons? Il semble plutôt que ces paroles n'ayent été rapportées que pour faire voir évidemment que notre Enfer était ignoré des anciens Juifs.
L'Auteur de cet Article cite encore le passage de Job, au Chap. 24. L'œil de l'adultere observe l'obscurité; disant, l'œil ne me verra point, & il couvrira son visage; il perce les maisons dans les ténebres comme il l'avait dit dans le jour, & ils ont ignoré la lumiere; si l'aurore apparaît subitement, ils la croyent l'ombre de la mort, & ainsi ils marchent dans les ténebres comme dans la lumiere: il est léger sur la surface de l'eau; que sa part soit maudite sur la terre, qu'il ne marche point par la voye de la vigne, qu'il passe des eaux de neige à une trop grande chaleur: & ils ont péché le tombeau, ou bien, le tombeau a dissipé ceux qui pechent, ou bien, (selon les Septante) leur péché a été rappellé en mémoire.
Je cite les passages entiers, & littéralement, sans quoi il est toujours impossible de s'en former une idée vraie.
Y a-t-il là, je vous prie, le moindre mot, dont on puisse conclure que Moïse avait enseigné aux Juifs la doctrine claire & simple des peines & des récompenses après la mort?
Le Livre de Job n'a nul rapport avec les Loix de Moïse. De plus, il est très-vraisemblable que Job n'était point Juif; c'est l'opinion de St. Jérôme dans ses questions hébraïques sur la Genese. Le mot Sathan, qui est dans Job, n'était point connu des Juifs, & vous ne le trouvez jamais dans le Pentateuque. Les Juifs n'apprirent ce nom que dans la Chaldée, ainsi que les noms de Gabriel & de Raphael, inconnus avant leur esclavage à Babylone. Job est donc cité ici très-mal à propos.
On rapporte encore le Chapitre dernier d'Isaïe: Et de mois en mois, & de Sabath en Sabath, toute chair viendra m'adorer, dit le Seigneur; & ils sortiront, & ils verront à la voirie les cadavres de ceux qui ont prévariqué; leur ver ne mourra point, leur feu ne s'éteindra point, & ils seront exposés aux yeux de toute chair jusqu'à satiété.
Certainement s'ils sont jettés à la voirie, s'ils sont exposés à la vue des passants jusqu'à satiété, s'ils sont mangés des vers, cela ne veut pas dire que Moïse enseigna aux Juifs le dogme de l'immortalité de l'ame; & ces mots, Le feu ne s'éteindra point, ne signifient pas que des cadavres qui sont exposés à la vue du Peuple subissent les peines éternelles de l'Enfer.
Comment peut-on citer un passage d'Isaïe pour prouver que les Juifs du temps de Moïse avaient reçu le dogme de l'immortalité de l'ame? Isaïe prophétisait, selon la computation Hébraïque, l'an du monde 3380. Moïse vivait vers l'an du monde 2500; il s'est écoulé huit siecles entre l'un & l'autre. C'est une insulte au sens commun, ou une pure plaisanterie, que d'abuser ainsi de la permission de citer, & de prétendre prouver qu'un Auteur a eu une telle opinion, par un passage d'un Auteur venu huit cents ans après, & qui n'a point parlé de cette opinion. Il est indubitable que l'immortalité de l'ame, les peines & les récompenses après la mort, sont annoncées, reconnues, constatées dans le Nouveau Testament, & il est indubitable qu'elles ne se trouvent en aucun endroit du Pentateuque.
Les Juifs, en croyant depuis l'immortalité de l'ame, ne furent point éclairés sur sa spiritualité; ils penserent comme presque toutes les autres Nations, que l'ame est quelque chose de délié, d'aérien, une substance légere, qui retenait quelque apparence du corps qu'elle avait animé; c'est ce qu'on appellait les ombres, les mânes des corps. Cette opinion fut celle de plusieurs Peres de l'Eglise. Tertullien, dans son Chap. 22. de l'Ame, s'exprime ainsi: Definimus animam Dei flatu natam, immortalem, corporalem, effigiatam, substantiâ simplicem; «Nous définissons l'ame née du souffle de Dieu, immortelle, corporelle, figurée, simple dans sa substance.
St. Irenée dit dans son Livre II, Chap. 34. Incorporales sunt animæ quantùm ad comparationem mortalium corporum. «Les ames sont incorporelles en comparaison des corps mortels.» Il ajoute, que «Jesus-Christ a enseigné que les ames conservent les images du corps;» Caracterem corporum in quo adoptantur, &c. On ne voit pas que Jesus-Christ ait jamais enseigné cette Doctrine, & il est difficile de deviner le sens de St. Irenée.
St. Hilaire est plus formel & plus positif dans son Commentaire sur St. Matthieu: il attribue nettement une substance corporelle à l'ame: Corpoream natura sua substantiam sortiuntur.
St. Ambroise sur Abraham, Liv. II, Chap. 8, prétend qu'il n'y a rien de dégagé de la matiere, si ce n'est la substance de la Ste. Trinité.
On pourrait reprocher à ces hommes respectables d'avoir une mauvaise Philosophie; mais il est à croire qu'au fond leur Théologie était fort saine, puisque ne connaissant pas la nature incompréhensible de l'ame, ils l'assuraient immortelle, & la voulaient Chrétienne.
Nous savons que l'ame est spirituelle, mais nous ne savons point du tout ce que c'est qu'esprit. Nous connaissons très-imparfaitement la matiere, & il nous est impossible d'avoir une idée distincte de ce qui n'est pas matiere. Très-peu instruits de ce qui touche nos sens, nous ne pouvons rien connaître par nous-mêmes de ce qui est au-delà des sens. Nous transportons quelques paroles de notre langage ordinaire dans les abymes de la Métaphysique & de la Théologie, pour nous donner quelque légere idée des choses que nous ne pouvons ni concevoir, ni exprimer; nous cherchons à nous étayer de ces mots, pour soutenir, s'il se peut, notre faible entendement dans ces régions ignorées.
Ainsi nous nous servons du mot esprit, qui répond à souffle & vent, pour exprimer quelque chose qui n'est pas matiere; & ce mot souffle, vent, esprit, nous ramenant malgré nous à l'idée d'une substance déliée & légere, nous en retranchons encore ce que nous pouvons, pour parvenir à concevoir la spiritualité pure; mais nous ne parvenons jamais à une notion distincte: nous ne savons même ce que nous disons quand nous prononçons le mot substance; il veut dire, à la lettre, ce qui est dessous; & par cela même il nous avertit qu'il est incompréhensible: car, qu'est-ce en effet que ce qui est dessous? La connaissance des secrets de Dieu n'est pas le partage de cette vie. Plongés ici dans des ténebres profondes, nous nous battons les uns contre les autres, & nous frappons au hasard au milieu de cette nuit, sans savoir précisément pourquoi nous combattons.
Si on veut bien réfléchir attentivement sur tout cela, il n'y a point d'homme raisonnable qui ne conclue que nous devons avoir de l'indigence pour les opinions des autres, & en mériter.
Toutes ces remarques ne sont point étrangeres au fond de la question, qui consiste à savoir si les hommes doivent se tolérer: car si elles prouvent combien on s'est trompé de part & d'autre dans tous les temps, elles prouvent que les hommes ont dû dans tous les temps se traiter avec indulgence.
Depuis Homere, on assigna des planetes aux Dieux; mais il n'y avait pas plus de raison aux hommes de placer un Dieu dans la Lune, qu'aux habitants de la Lune de mettre un Dieu dans la planete de la terre. Junon & Iris n'eurent d'autre Palais que les nuées; il n'y avait pas là où réposer son pied. Chez les Sabéens, chaque Dieu eut son étoile; mais une étoile étant un Soleil, il n'y a pas moyen d'habiter là, à moins d'être de la nature du feu. C'est donc une question fort inutile de demander ce que les Anciens pensaient du Ciel; la meilleure réponse est qu'ils ne pensaient pas.