Kitabı oku: «Traité sur la tolérance», sayfa 6
CHAPITRE XVI.
Dialogue entre un mourant & un homme qui se porte bien
UN Citoyen était à l'agonie dans une Ville de Province; un homme en bonne santé vint insulter à ses derniers moments, & lui dit:
Misérable! pense comme moi tout-à-l'heure, signe cet Ecrit, confesse que cinq propositions sont dans un Livre que ni toi ni moi n'avons jamais lu; sois tout-à-l'heure du sentiment de Lamfran contre Berenger, de St. Thomas contre St. Bonaventure; embrasse le second Concile de Nicée contre le Concile de Francfort; explique-moi dans l'instant, comment ces paroles: Mon pere est plus grand que moi, signifient expressément: Je suis aussi grand que lui.
Dis-moi comment le Pere communique tout au Fils, excepté la paternité, ou je vais faire jetter ton corps à la voirie; tes enfants n'hériteront point, ta femme sera privée de sa dot, & ta famille mendiera du pain que mes pareils ne lui donneront pas.
Le Mourant
J'entends à peine ce que vous me dites; les menaces que vous me faites parviennent confusément à mon oreille, elles troublent mon ame, elles rendent ma mort affreuse. Au nom de Dieu, ayez pitié de moi!
Le Barbare
De la pitié! je n'en puis avoir si tu n'es pas de mon avis en tout.
Le Mourant
Hélas! vous sentez qu'à ces derniers moments tous mes sens sont flétris, toutes les portes de mon entendement sont fermées, mes idées s'enfuyent, ma pensée s'éteint. Suis-je en état de disputer?
Le Barbare
Eh bien, si tu ne peux pas croire ce que je veux, dis que tu le crois, & cela me suffit.
Le Mourant
Comment puis-je me parjurer pour vous plaire? Je vais paroître dans un moment devant le Dieu qui punit le parjure.
Le Barbare
N'importe; tu auras le plaisir d'être enterré dans un cimetiere; & ta femme, tes enfants auront de quoi vivre. Meurs en hypocrite: l'hypocrisie est une bonne chose; c'est, comme on dit, un hommage que le vice rend à la vertu. Un peu d'hypocrisie, mon Ami, qu'est-ce que cela coûte?
Le Mourant
Hélas! vous méprisez Dieu, ou vous ne le reconnaissez pas, puisque vous me demandez un mensonge à l'article de la mort, vous qui devez bientôt recevoir votre jugement de lui, & qui répondrez de ce mensonge.
Le Barbare
Comment, insolent! je ne reconnais point de Dieu?
Le Mourant
Pardon, mon frere, je crains que vous n'en connaissiez pas. Celui que j'adore ranime en ce moment mes forces, pour vous dire d'une voix mourante, que si vous croyez en Dieu, vous devez user envers moi de charité. Il m'a donné ma femme & mes enfants, ne les faites pas périr de misere. Pour mon corps, faites-en ce que vous voudrez, je vous l'abandonne; mais croyez en Dieu, je vous en conjure!
Le Barbare
Fais, sans raisonner, ce que je t'ai dit; je le veux, je l'ordonne.
Le Mourant
Et quel intérêt avez-vous à me tant tourmenter?
Le Barbare
Comment! quel intérêt? si j'ai ta signature, elle me vaudra un bon Canonicat.
Le Mourant
Ah, mon frere! voici mon dernier moment; je meurs; je vais prier Dieu qu'il vous touche & qu'il vous convertisse.
Le Barbare
Au diable soit l'impertinent qui n'a point signé! Je vais signer pour lui, & contrefaire son écriture.
La Lettre suivante est une confirmation de la même morale.
CHAPITRE XVII.
Lettre écrite au Jésuite Le Tellier, par un Bénéficier, le 6 Mai 1714
Mon Révérend Pere,
J'Obéis aux ordres que Votre Révérence m'a donnés de lui présenter les moyens les plus propres de délivrer Jesus & sa Compagnie de leurs ennemis. Je crois qu'il ne reste plus que cinq cents mille Huguenots dans le Royaume, quelques-uns disent un million, d'autres quinze cents mille; mais en quelque nombre qu'ils soient, voici mon avis, que je soumets très-humblement au vôtre, comme je le dois.
1o. Il est aisé d'attraper en un jour tous les Prédicants, & de les pendre tous à la fois dans une même place, non-seulement pour l'édification publique, mais pour la beauté du spectacle.
2o. Je ferais assassiner dans leurs lits, tous les peres & meres, parce que si on les tuait dans les rues, cela pourrait causer quelque tumulte; plusieurs même pourraient se sauver, ce qu'il faut éviter, sur toute chose. Cette exécution est un corollaire nécessaire de nos principes; car s'il faut tuer un hérétique, comme tant de grands Théologiens le prouvent, il est évident qu'il faut les tuer tous.
3o. Je marierais le lendemain toutes les filles à de bons Catholiques, attendu qu'il ne faut pas dépeupler trop l'Etat après la derniere guerre; mais à l'égard des garçons de quatorze & quinze ans, déja imbus de mauvais principes, qu'on ne peut se flatter de détruire, mon opinion est qu'il faut les châtrer tous, afin que cette engeance ne soit jamais reproduite. Pour les autres petits garçons, ils seront élevés dans vos Colleges, & on les fouettera jusqu'à ce qu'ils sachent par cœur les Ouvrages de Sanchez & de Molina.
4o. Je pense, sauf correction, qu'il en faut faire autant à tous les Luthériens d'Alsace, attendu que dans l'année 1704, j'apperçus deux vieilles de ce Pays-là qui riaient le jour de la bataille d'Hochstedt.
5o. L'article des Jansénistes paraîtra peut-être un peu plus embarrassant; je les crois au nombre de six millions, au moins; mais un esprit tel que le vôtre ne doit pas s'en effrayer. Je comprends parmi les Jansénistes tous les Parlements, qui soutiennent si indignement les Libertés de l'Eglise Gallicane. C'est à Votre Révérence de peser avec sa prudence ordinaire les moyens de vous soumettre tous ces esprits revêches. La conspiration des poudres n'eut pas le succès desiré, parce qu'un des Conjurés eut l'indiscrétion de vouloir sauver la vie à son ami: mais comme vous n'avez point d'ami, le même inconvénient n'est point à craindre; il vous sera fort aisé de faire sauter tous les Parlements du Royaume avec cette invention du Moine Shwarts, qu'on appelle pulvis pyrius. Je calcule qu'il faut, l'un portant l'autre, trente-six tonneaux de poudre pour chaque Parlement; & ainsi en multipliant douze Parlements par trente-six tonneaux, cela ne compose que quatre cents trente-deux tonneaux, qui, à cent écus piece, font la somme de cent-vingt-neuf mille six cents livres; c'est une bagatelle pour le Révérend Pere Général.
Les Parlements une fois sautés, vous donnerez leurs Charges à vos Congréganistes, qui sont parfaitement instruits des Loix du Royaume.
6o. Il sera aisé d'empoisonner Mr. le Cardinal de Noailles, qui est un homme simple, & qui ne se défie de rien.
Votre Révérence employera les mêmes moyens de conversion auprès de quelques Evêques rénitents: leurs Evêchés seront mis entre les mains des Jésuites, moyennant un bref du Pape; alors tous les Evêques étant du parti de la bonne cause, & tous les Curés étant habilement choisis par les Evêques, voici ce que je conseille, sous le bon plaisir de Votre Révérence.
7o. Comme on dit que les Jansénistes communient au moins à Pâques, il ne serait pas mal de saupoudrer les Hosties de la drogue dont on se servit pour faire justice de l'Empereur Henri VII. Quelque Critique me dira peut-être, qu'on risquerait dans cette opération, de donner aussi de la mort aux rats aux Molinistes: cette objection est forte; mais il n'y a point de projet qui n'ait des inconvénients, point de systême qui ne menace ruine par quelque endroit. Si on était arrêté par ces petites difficultés, on ne viendroit jamais à bout de rien: & d'ailleurs, comme il s'agit de procurer le plus grand bien qu'il soit possible, il ne faut pas se scandaliser si ce grand bien entraîne après lui quelques mauvaises suites, qui ne sont de nulle considération.
Nous n'avons rien à nous reprocher: il est démontré que tous les prétendus Réformés, tous les Jansénistes, sont dévolus à l'Enfer; ainsi nous ne faisons que hâter le moment où ils doivent entrer en possession.
Il n'est pas moins clair que le Paradis appartient de droit aux Molinistes; donc en les faisant périr par mégarde, & sans aucune mauvaise intention, nous accélérons leur joye: nous sommes dans l'un & l'autre cas les Ministres de la Providence.
Quant à ceux qui pourraient être un peu effarouchés du nombre, Votre Paternité pourra leur faire remarquer, que depuis les jours florissants de l'Eglise, jusqu'à 1707, c'est-à-dire, depuis environ quatorze cents ans, la Théologie a procuré le massacre de plus de cinquante millions d'hommes; & que je ne propose d'en étrangler, ou égorger, ou empoisonner qu'environ six millions cinq cents mille.
On nous objectera peut-être encore que mon compte n'est pas juste, & que je viole la regle de trois; car, dira-t-on, si en quatorze cents ans il n'a péri que cinquante millions d'hommes pour des distinctions, des dilemmes, & des enthymêmes Théologiques, cela ne fait par année que trente-cinq mille sept cents quatorze personnes, avec fraction; & qu'ainsi je tue six millions soixante-quatre mille deux cents quatre-vingt-cinq personnes de trop, avec fraction, pour la présente année. Mais, en vérité, cette chicane est bien puérile; on peut même dire qu'elle est impie: car ne voit-on pas par mon procédé que je sauve la vie à tous les Catholiques jusqu'à la fin du Monde? On n'aurait jamais fait, si on voulait répondre à toutes les critiques.
Je suis avec un profond respect, de Votre Paternité,
Le très-humble, très-dévot & très-doux R… natif d'Angoulême, Préfet de la Congrégation.
Ce projet ne put être exécuté, parce qu'il fallut beaucoup de temps pour prendre de justes mesures, & que le Pere Le Tellier fut exilé l'année suivante. Mais comme il faut examiner le pour & le contre, il est bon de rechercher dans quels cas on pourrait légitimement suivre en partie les vues du Correspondant du Pere Le Tellier. Il paraît qu'il serait dur d'exécuter ce projet dans tous ses points; mais il faut voir dans quelles occasions on doit rouer, ou pendre, ou mettre aux galeres les gens qui ne sont pas de notre avis: c'est l'objet du Chapitre suivant.
CHAPITRE XVIII.
Seuls cas où l'Intolérance est de droit humain
POur qu'un Gouvernement ne soit pas en droit de punir les erreurs des hommes, il est nécessaire que ces erreurs ne soient pas des crimes; elles ne sont des crimes que quand elles troublent la Société; elles troublent cette Société, dès qu'elles inspirent le fanatisme; il faut donc que les hommes commencent par n'être pas fanatiques, pour mériter la Tolérance.
Si quelques jeunes Jésuites, sachant que l'Eglise a les Réprouvés en horreur, que les Jansénistes sont condamnés par une Bulle, qu'ainsi les Jansénistes sont réprouvés, s'en vont bruler une maison des Peres de l'Oratoire, parce que Quesnel l'Oratorien était Janséniste, il est clair qu'on sera bien obligé de punir ces Jésuites.
De même, s'ils ont débité des maximes coupables, si leur institut est contraire aux Loix du Royaume, on ne peut s'empêcher de dissoudre leur Compagnie, & d'abolir les Jésuites pour en faire des Citoyens; ce qui au fond est un mal imaginaire, & un bien réel pour eux: car où est le mal de porter un habit court au-lieu d'une soutane, & d'être libre au-lieu d'être esclave? On réforme à la paix des Régiments entiers, qui ne se plaignent pas: pourquoi les Jésuites poussent-ils de si hauts cris, quand on les réforme pour avoir la paix?
Que les Cordeliers, transportés d'un saint zele pour la Vierge Marie, aillent démolir l'Eglise des Jacobins, qui pensent que Marie est née dans le péché originel; on sera alors obligé de traiter les Cordeliers à peu près comme les Jésuites.
On en dira autant des Luthériens & des Calvinistes: ils auront beau dire, nous suivons les mouvements de notre conscience, il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes; nous sommes le vrai troupeau, nous devons exterminer les loups. Il est évident qu'alors ils sont loups eux-mêmes.
Un des plus étonnants exemples de fanatisme, a été une petite secte en Dannemark, dont le principe était le meilleur du monde. Ces gens-là voulaient procurer le salut éternel à leurs freres; mais les conséquences de ce principe étaient singulieres. Ils savaient que tous les petits enfants qui meurent sans Baptême sont damnés, & que ceux qui ont le bonheur de mourir immédiatement après avoir reçu le Baptême, jouissent de la gloire éternelle: ils allaient égorgeant les garçons & les filles nouvellement baptisés, qu'ils pouvaient rencontrer; c'était sans doute leur faire le plus grand bien qu'on pût leur procurer: on les préservait à la fois du péché, des miseres de cette vie, & de l'Enfer; on les envoyait infailliblement au Ciel. Mais ces gens charitables ne considéraient pas qu'il n'est pas permis de faire un petit mal pour un grand bien; qu'ils n'avaient aucun droit sur la vie de ces petits enfants; que la plupart des peres & meres sont assez charnels pour aimer mieux avoir auprès d'eux leurs fils & leurs filles, que de les voir égorger pour aller en Paradis; & qu'en un mot, le Magistrat doit punir l'homicide, quoiqu'il soit fait à bonne intention.
Les Juifs sembleraient avoir plus de droit que personne, de nous voler & de nous tuer. Car bien qu'il y ait cent exemples de tolérance dans l'ancien Testament, cependant il y a aussi quelques exemples & quelques Loix de rigueur. Dieu leur a ordonné quelquefois de tuer les idolâtres, & de ne réserver que les filles nubiles: ils nous regardent comme idolâtres; & quoique nous les tolérions aujourd'hui, ils pourraient bien, s'ils étaient les Maîtres, ne laisser au monde que nos filles.
Ils seraient sur-tout dans l'obligation indispensable d'assassiner tous les Turcs; cela va sans difficulté: car les Turcs possedent le Pays des Hétéens, des Jébuséens, des Amorrhéens, Jersénéens, Hévéens, Aracéens, Cinéens, Hamatéens, Samaréens; tous ces Peuples furent dévoués à l'anathême; leur Pays, qui était de plus de vingt-cinq lieues de long, fut donné aux Juifs par plusieurs pactes consécutifs; ils doivent rentrer dans leur bien: les Mahométans en sont les usurpateurs depuis plus de mille ans.
Si les Juifs raisonnaient ainsi aujourd'hui, il est clair qu'il n'y aurait d'autre réponse à leur faire que de les empaler.
Ce sont à peu près les seuls cas où l'intolérance paraît raisonnable.
CHAPITRE XIX.
Relation d'une dispute de controverse à la Chine
DAns les premieres années du regne du grand Empereur Kam-hi, un Mandarin de la Ville de Kanton entendit de sa maison un grand bruit qu'on faisait dans la maison voisine; il s'informa si l'on ne tuait personne; on lui dit que c'était l'Aumônier de la Compagnie Danoise, un Chapelain de Batavia, & un Jésuite qui disputaient: il les fit venir, leur fit servir du thé & des confitures, & leur demanda pourquoi ils se querellaient.
Ce Jésuite lui répondit qu'il était bien douloureux pour lui, qui avait toujours raison, d'avoir à faire à des gens qui avaient toujours tort; que d'abord il avait argumenté avec la plus grande retenue, mais qu'enfin la patience lui avait échappé.
Le Mandarin leur fit sentir, avec toute la discrétion possible, combien la politesse est nécessaire dans la dispute, leur dit qu'on ne se fâchait jamais à la Chine, & leur demanda de quoi il s'agissait?
Le Jésuite lui répondit: Monseigneur, je vous en fais juge; ces deux Messieurs refusent de se soumettre aux décisions du Concile de Trente.
Cela m'étonne, dit le Mandarin. Puis se tournant vers les deux réfractaires: Il me paraît, leur dit-il, Messieurs, que vous devriez respecter les avis d'une grande Assemblée; je ne sais pas ce que c'est que le Concile de Trente; mais plusieurs personnes sont toujours plus instruites qu'une seule. Nul ne doit croire qu'il en sait plus que les autres, & que la raison n'habite que dans sa tête; c'est ainsi que l'enseigne notre grand Confucius; & si vous m'en croyez, vous ferez très-bien de vous en rapporter au Concile de Trente.
Le Danois prit alors la parole, & dit: Monseigneur parle avec la plus grande sagesse; nous respectons les grandes Assemblées comme nous le devons; aussi sommes-nous entiérement de l'avis de plusieurs Assemblées qui se sont tenues avant celle de Trente.
Oh! si cela est ainsi, dit le Mandarin, je vous demande pardon, vous pourriez bien avoir raison. Ça, vous êtes donc du même avis, ce Hollandais & vous, contre ce pauvre Jésuite.
Point du tout, dit le Hollandais: cet homme-ci a des opinions presque aussi extravagantes que celles de ce Jésuite, qui fait ici le doucereux avec vous; il n'y a pas moyen d'y tenir.
Je ne vous conçois pas, dit le Mandarin: N'êtes-vous pas tous trois Chrétiens? ne venez-vous pas tous trois enseigner le Christianisme dans notre Empire? & ne devez-vous pas par conséquent avoir les mêmes dogmes?
Vous voyez, Monseigneur, dit le Jésuite: ces deux gens-ci sont ennemis mortels, & disputent tous deux contre moi; il est donc évident qu'ils ont tous les deux tort, & que la raison n'est que de mon côté. Cela n'est pas si évident, dit le Mandarin: il se pourrait faire à toute force que vous eussiez tort tous trois; je serais curieux de vous entendre l'un après l'autre.
Le Jésuite fit alors un assez long discours, pendant lequel le Danois & le Hollandais levaient les épaules; le Mandarin n'y comprit rien. Le Danois parla à son tour; ses deux Adversaires le regarderent en pitié, & le Mandarin n'y comprit pas davantage. Le Hollandais eut le même sort. Enfin, ils parlerent tous trois ensemble, ils se dirent de grosses injures. L'honnête Mandarin eut bien de la peine à mettre le hola, & leur dit: Si vous voulez qu'on tolere ici votre Doctrine, commencez par n'être ni intolérants ni intolérables.
Au sortir de l'audience, le Jésuite rencontra un Missionnaire Jacobin; il lui apprit qu'il avait gagné sa cause, l'assurant que la vérité triomphait toujours. Le Jacobin lui dit: Si j'avais été là, vous ne l'auriez pas gagnée; je vous aurais convaincu de mensonge & d'idolâtrie. La querelle s'échauffa; le Jacobin & le Jésuite se prirent aux cheveux. Le Mandarin informé du scandale les envoya tous deux en prison. Un Sous-Mandarin dit au Juge: Combien de temps votre Excellence veut-elle qu'ils soient aux Arrêts? Jusqu'à ce qu'ils soient d'accord, dit le Juge. Ah! dit le Sous-Mandarin, ils seront donc en prison toute leur vie. Eh bien, dit le Juge, jusqu'à ce qu'ils se pardonnent. Ils ne se pardonneront jamais, dit l'autre, je les connais. Eh bien donc, dit le Mandarin, jusqu'à ce qu'ils fassent semblant de se pardonner.
CHAPITRE XX.
S'il est utile d'entretenir le Peuple dans la superstition?
TElle est la faiblesse du Genre-Humain, & telle sa perversité, qu'il vaut mieux sans doute pour lui d'être subjugué par toutes les superstitions possibles, pourvu qu'elles ne soient point meurtrieres, que de vivre sans Religion. L'homme a toujours eu besoin d'un frein; & quoiqu'il fût ridicule de sacrifier aux Faunes, aux Sylvains, aux Naïades, il était bien plus raisonnable & plus utile d'adorer ces images fantastiques de la Divinité, que de se livrer à l'athéisme. Un Athée qui serait raisonneur, violent & puissant, serait un fléau aussi funeste qu'un superstitieux sanguinaire.
Quand les hommes n'ont pas de notions saines de la Divinité, les idées fausses y suppléent, comme dans les temps malheureux on trafique avec de la mauvaise monnoye, quand on n'en a pas de bonne. Le Païen craignait de commettre un crime de peur d'être puni par les faux Dieux. Le Malabare craint d'être puni par sa Pagode. Par-tout où il y a une Société établie, une Religion est nécessaire; les Loix veillent sur les crimes commis, & la Religion sur les crimes secrets.
Mais lorsqu'une fois les hommes sont parvenus à embrasser une Religion pure & sainte, la superstition devient, non-seulement inutile, mais très-dangereuse. On ne doit pas chercher à nourrir de gland ceux que Dieu daigne nourrir de pain.
La superstition est à la Religion ce que l'Astrologie est à l'Astronomie, la fille très-folle d'une mere très-sage. Ces deux filles ont long-temps subjugué toute la terre.
Lorsque dans nos siecles de barbarie il y avait à peine deux Seigneurs féodaux qui eussent chez eux un nouveau Testament, il pouvait être pardonnable de présenter des fables au vulgaire, c'est-à-dire, à ces Seigneurs féodaux, à leurs femmes imbécilles, & aux brutes, leurs vassaux: on leur faisait croire que St. Christophe avait porté l'enfant Jesus du bord d'une riviere à l'autre; on les repaissait d'histoires de Sorciers & de possédés: ils imaginaient aisément que St. Genou guérissait de la goutte, & que Ste. Claire guérissait les yeux malades. Les enfants croyaient au loup-garou, & les peres au cordon de St. François. Le nombre des Reliques était innombrable.
La rouille de tant de superstitions a subsisté encore quelque temps chez les Peuples, lors même qu'enfin la Religion fut épurée. On sait que quand Mr. de Noailles, Evêque de Châlons, fit enlever & jetter au feu la prétendue Relique du saint nombril de Jesus-Christ, toute la ville de Châlons lui fit un procès; mais il eut autant de courage que de piété, & il parvint bientôt à faire croire aux Champenois, qu'on pouvait adorer Jesus-Christ en esprit & en vérité, sans avoir son nombril dans une Eglise.
Ceux qu'on appellait Jansénistes, ne contribuerent pas peu à déraciner insensiblement dans l'esprit de la Nation, la plupart des fausses idées qui déshonoraient la Religion Chrétienne. On cessa de croire qu'il suffisait de réciter l'Oraison de trente jours à la Vierge Marie, pour obtenir tout ce qu'on voulait, & pour pécher impunément.
Enfin, la Bourgeoisie a commencé à soupçonner que ce n'était pas Ste. Genevieve qui donnait ou arrêtait la pluye, mais que c'était Dieu lui-même qui disposait des éléments. Les Moines ont été étonnés que leurs Saints ne fissent plus de miracles; & si les Ecrivains de la Vie de St. François-Xavier revenaient au monde, ils n'oseraient pas écrire que ce Saint ressuscita neuf morts, qu'il se trouva en même-temps sur mer & sur terre, & que son Crucifix étant tombé dans la mer, un cancre vint le lui rapporter.
Il en a été de même des excommunications. Nos Historiens nous disent que lorsque le Roi Robert eut été excommunié par le Pape Grégoire V, pour avoir épousé la Princesse Berthe, sa commere, ses domestiques jettaient par les fenêtres les viandes qu'on avait servies au Roi, & que la Reine Berthe accoucha d'une oye en punition de ce mariage incestueux. On doute aujourd'hui que les Maîtres-d'Hôtel d'un Roi de France excommunié, jettassent son dîner par la fenêtre, & que la Reine mît au monde un oison en pareil cas.
S'il y a quelques convulsionnaires dans un coin d'un fauxbourg, c'est une maladie pédiculaire, dont il n'y a que la plus vile populace qui soit attaquée. Chaque jour la raison pénetre en France dans les boutiques des Marchands, comme dans les Hôtels des Seigneurs. Il faut donc cultiver les fruits de cette raison, d'autant plus qu'il est impossible de les empêcher d'éclorre. On ne peut gouverner la France après qu'elle a été éclairée par les Paschals, les Nicoles, les Arnauds, les Bossuets, les Descartes, les Gassendis, les Bayles, les Fontenelles, &c., comme on la gouvernait du temps des Garasses & des Menots.
Si les Maîtres d'erreur, je dis les grands Maîtres, si long-temps payés & honorés pour abrutir l'espece humaine, ordonnaient aujourd'hui de croire que le grain doit pourrir pour germer, que la terre est immobile sur ses fondements, qu'elle ne tourne point autour du Soleil, que les marées ne sont pas un effet naturel de la gravitation, que l'arc-en-ciel n'est pas formé par la réfraction & la réflexion des rayons de la lumiere, &c., & s'ils se fondaient sur des passages mal-entendus de la sainte Ecriture pour appuyer leurs ordonnances, comment seraient-ils regardés par tous les hommes instruits? Le terme de bêtes serait-il trop fort? Et si ces sages Maîtres se servaient de la force & de la persécution pour faire régner leur ignorance insolente, le terme de bêtes farouches serait-il déplacé?
Plus les superstitions des Moines sont méprisées, plus les Evêques sont respectés, & les Curés considérés; ils ne font que du bien, & les superstitions monachales ultramontaines feraient beaucoup de mal. Mais de toutes les superstitions, la plus dangereuse, n'est-ce pas celle de haïr son Prochain pour ses opinions? & n'est-il pas évident qu'il serait encore plus raisonnable d'adorer le saint nombril, le saint prépuce, le lait & la robe de la Vierge Marie, que de détester & de persécuter son frere?