Kitabı oku: «Ivanhoe. 3. Le retour du croisé», sayfa 10
«Nous pouvons rendre témoignage de ce que notre bon moine vient de dire, s'écria Gilbert; car, lorsque nous eûmes écarté les décombres, et qu'avec l'aide de Saint-Dunstan nous fûmes arrivés à l'escalier qui descendait au caveau, nous trouvâmes le baril de vin des Canaries à moitié vide, le juif à moitié mort, et le moine plus qu'à moitié épuisé, comme il le dit.» – «Vous êtes des coquins, et vous mentez, répliqua le moine, qui se sentait offensé; c'est vous et vos ivrognes de compagnons qui avez bu le vin, en l'appelant la goutte du matin; je veux être un païen si je ne le réservais pour la bouche de notre capitaine. Mais, au reste, qu'importe? le juif est converti, et comprend tout ce que je lui ai dit presque, sinon tout-à-fait, aussi bien que moi.» – «Est-ce vrai, juif? dit le capitaine; as-tu abjuré ta foi?» – «Puissé-je trouver merci auprès de vous, répondit Isaac, comme il est vrai que je n'ai pas entendu un seul mot de ce que m'a dit le vénérable prélat pendant cette nuit terrible. Hélas! j'étais tellement accablé d'angoisses, de frayeur et de chagrin, que notre saint père Abraham serait venu lui-même pour me prêcher, il m'aurait trouvé sourd à sa prédication.»
«Tu mens, juif, répliqua le moine, et tu sais que tu mens: je ne veux te rappeler qu'un mot de notre conférence; c'est que tu as promis de donner tous tes biens à notre saint ordre.» – «Puisse la promesse faite à nos pères me manquer, dit Isaac plus alarmé qu'auparavant, si jamais pareille chose est sortie de ma bouche. Hélas! je suis un vieillard, pauvre, et, je tremble seulement d'y penser, peut-être à jamais privé de mon enfant. Ayez pitié de moi, et permettez-moi de me retirer.» – «Ah! s'écria le moine, tu rétractes le don que tu as fait à la sainte église; eh bien, tu en feras pénitence.» En parlant ainsi, il leva sa hallebarde, et en aurait appliqué le manche sur les épaules du juif d'une manière violente, si le chevalier noir n'eût arrêté le coup, et par là tourné contre lui le ressentiment du moine. «Par saint Thomas de Cantorbéry! dit ce dernier, si je ne me retenais, je t'apprendrais à te mêler de tes propres affaires, tout couvert de fer que tu es.» – «Ne te mets pas en colère contre moi, dit le chevalier, tu sais bien que je suis ton ami juré et ton camarade.» – «Je ne sais rien de tout cela, répondit le moine, et tu me rendras raison de cette impertinence.»
«Mais, écoute-moi donc, dit le chevalier qui semblait prendre plaisir à provoquer son ci-devant hôte; as-tu oublié que, pour l'amour de moi, car je ne veux rien dire de la tentation excitée par la vue d'un flacon et d'un pâté, tu as violé tes voeux de jeûne et de vigile?» – «Je te le dis, en vérité, mon ami, dit le moine en serrant son énorme poing, je te donnerai…» – «Je ne reçois point de présens, interrompit le chevalier; je te paierai avec une usure aussi forte que jamais ton prisonnier ait exigée dans son trafic.» – «J'en veux avoir la preuve à l'instant, dit le moine.»
«Holà! s'écria le capitaine, s'adressant au moine; qu'est-ce que tu vas faire, fou que tu es? une querelle sous notre grand chêne?» – «Ce n'est pas une querelle, dit le chevalier, c'est seulement un échange amical de courtoisie. Allons, brave ermite, frappe, si tu l'oses; je veux bien faire l'épreuve de ton poing, si tu veux courir les risques de ma riposte.» – «Tu as l'avantage avec ton pot de fer sur la tête, dit le moine, mais n'importe, allons; je vais t'abattre à mes pieds, quand tu serais Goliath de Gath avec son casque de cuivre.» Alors, mettant son bras nerveux à nu jusqu'au coude, et le raidissant de toute sa force, il porta au chevalier un coup qui aurait été capable de renverser un boeuf; mais son adversaire resta ferme comme un roc, et tous les archers firent retentir l'air de leurs acclamations.
«À moi, maintenant, dit le chevalier en ôtant son gantelet; et si j'ai eu l'avantage sur ma tête, je ne veux pas l'avoir dans ma main; tiens-toi ferme, comme un véritable brave.» – «Genam meam dedi vapulatori, j'ai livré ma joue à la main de mon ennemi, dit le prêtre; mais si tu peux me faire seulement bouger de cette place, je t'abandonne la rançon du juif.» Ainsi parla le moine, en prenant un ton de bravade et de défi complet. Mais, hélas! qui peut se soustraire à sa destinée? Le coup du chevalier fut asséné avec tant de force et tant de bonne envie de réussir, que le moine alla rouler cul par dessus tête à vingt pas de distance, au grand étonnement des spectateurs. Mais il se releva sans montrer ni colère ni confusion. «Frère, dit-il au chevalier, tu aurais dû employer ta force avec plus de ménagement. C'est tout au plus si j'aurais pu bredouiller la messe si tu m'avais cassé la mâchoire; car le joueur de flûte soufflera mal s'il lui manque la partie inférieure de son visage. Quoi qu'il en soit, voilà ma main en signe d'amitié et de l'assurance que je te donne, que je ne ferai plus de semblables marchés avec toi; car, dans celui-ci, c'est moi qui suis le perdant. Mettons de côté toute mauvaise humeur, et occupons-nous de la rançon du juif; car le léopard ne change pas sa robe mouchetée, et le juif sera toujours juif.»
«Notre prêtre, dit Clément, ne compte pas de moitié autant sur la conversion du juif, depuis le soufflet qu'il a reçu.» – Silence! impertinent que tu es, dit le moine; de quoi te mêles-tu de parler de conversion? N'y a-t-il donc plus de subordination? Tout le monde est-il maître, et n'y a-t-il plus de valets? Je te dis, misérable, que j'étais encore fatigué lorsque j'ai reçu le coup du brave chevalier: sans cela j'aurais résisté à sa violence. Mais si tu veux que nous recommencions ensemble, je te ferai voir que je sais donner aussi bien que recevoir.» – «Allons, paix! dit le capitaine, et toi, juif, pense à ta rançon. Je n'ai pas besoin de te dire que ta race est réputée maudite dans tous les pays chrétiens, et que nous ne pouvons plus souffrir ta présence parmi nous. Ainsi, pense à l'offre que tu as à nous faire pendant que je vais interroger un prisonnier d'une autre espèce.»
«A-t-on pris un grand nombre des soldats de Front-de-Boeuf?» demanda le chevalier noir. – «Aucun qui soit d'un rang à donner l'espoir d'en obtenir rançon, répondit le capitaine; il y avait quelques pauvres diables que nous avons renvoyés pour se procurer un nouveau maître; notre vengeance était satisfaite, et nous avons eu quelque profit, c'était assez; tout le reste ne valait pas un quart d'écu. Mais quant au prisonnier dont je parle, c'est différent: c'est un moine réjoui, en voyage pour aller rendre visite à sa belle, du moins à en juger par ses équipages et par son propre ajustement. Mais voici le digne prélat aussi;» et devant le trône champêtre du chef des proscrits, parut, au milieu de deux gardes, notre ancien ami Aymer, prieur de Jorvaulx.
CHAPITRE XXXIII
Cominius.
«Fleur des guerriers, quelles nouvelles nous donnerez-vous de Titus Lartius? Que fait-il?»
Coriolan.
«Occupé à remplir les devoirs de sa place; condamnant les uns à la mort, les autres à l'exil; remettant la rançon de celui-ci; plaignant celui-là, ou lui pardonnant, tandis qu'il menace le reste.»
SHAKSPEARE. Coriolan.
Les traits et la contenance du prieur prisonnier offraient un mélange bizarre d'orgueil offensé, de fatuité comprimée et de terreur apparente. «Eh bien, mes chers maîtres, dit-il d'un ton qui participait de ces trois émotions, quel désordre s'est donc introduit parmi vous? Êtes-vous des Turcs ou des chrétiens, vous qui vous permettez de porter la main sur un membre de l'Église? Savez-vous ce que c'est que de manus imponere in servos Domini? Vous avez pillé mes malles, déchiré ma chape bordée de dentelle, qui aurait été digne d'un cardinal. Un autre à ma place vous aurait déjà menacés de son excommunicabo vos; mais je suis doux et clément; et si vous me rendez mes palefrois et mes malles, si vous remettez en liberté les frères qui m'accompagnaient, si vous envoyez promptement cent pièces d'argent pour faire dire des messes au maître-autel de l'Abbaye de Jorvaulx, et si vous faites voeu de ne point manger de venaison d'ici à la Pentecôte prochaine, il est possible que vous n'entendiez plus parler de cette incartade.»
«Vénérable pasteur, dit le chef des proscrits, je suis extrêmement peiné d'apprendre que vous ayez éprouvé de la part de qui que ce soit de ma troupe un traitement qui lui attire votre réprimande paternelle.» – «Traitement! répéta le prieur, encouragé par le ton de douceur du chef; ils m'ont traité comme on ne traiterait pas un chien de bonne race, encore moins un chrétien, bien moins encore un prêtre, et moins que tout cela le véritable prieur de la sainte communauté de Jorvaulx. Vous avez ici un profane et ivrogne de ménestrel, appelé Allan-a-Dale, nebulo quidam, qui m'a menacé de punition corporelle; que dis-je! même de mort, si je ne payais comptant quatre cents couronnes pour ma rançon, indépendamment de toutes les richesses qu'il m'a volées, chaînes d'or, bagues, bijoux, dont je ne saurais vous dire la valeur, sans compter tout ce qui a été brisé et gâté par leurs mains rudes et grossières, entre autres ma poudrière et mes pinces d'argent.» – «Il n'est pas possible qu'Allan-a-Dale ait traité de la sorte une personne aussi respectable que vous l'êtes, répliqua le capitaine.» – «C'est aussi vrai que l'évangile de saint Nicodême, dit le prieur. Il m'a menacé, en faisant les juremens les plus affreux dans son langage du Nord, de me pendre à l'arbre le plus élevé de la forêt.»
«Est-ce bien réellement vrai? dit Locksley: en ce cas, mon révérend père, vous ne sauriez mieux faire que de vous soumettre; car une fois qu'Allan-a-Dale a ainsi donné sa parole, il n'y a pas d'homme plus exact à la tenir.»
«Vous voulez plaisanter avec moi, dit le prieur pétrifié et déguisant sa terreur sous un rire forcé; c'est bien: j'aime beaucoup la plaisanterie, ha, ha, ha! mais lorsque la gaîté a duré toute la nuit, il est temps d'être sérieux le lendemain matin.» – «Et je parle aussi sérieusement qu'un confesseur, répliqua le chef des proscrits. Il faut que vous payiez une bonne rançon, sire prieur; car, sans cela, il est probable que les religieux de votre couvent seront convoqués pour procéder à une nouvelle élection; votre place va devenir vacante.» – «Êtes-vous chrétiens, dit le prieur, pour parler ainsi à un dignitaire de l'Église?» – «Si nous sommes chrétiens! répondit le proscrit; oui sans doute nous le sommes, et de plus nous avons des théologiens parmi nous. Qu'on fasse venir notre enjoué chapelain pour expliquer au révérend père les passages de l'Écriture qui ont rapport au sujet.» Le moine, moitié ivre, moitié rassis, avait passé très imparfaitement un froc par dessus sa soutane verte, et appelant à son aide le petit nombre de phrases qu'il avait autrefois apprises par routine: «Mon révérend père, dit-il; puis continuant en mauvais latin: Deus faciet salvum benignitatem vestrum… soyez le bienvenu dans cette forêt.»
«Eh! quelle est cette mascarade profane? dit le prieur; si tu appartiens véritablement à l'Église, tu ferais une acte bien plus méritoire, en m'indiquant les moyens de me tirer des mains de ces gens-ci, au lieu de faire des singeries et des grimaces comme un arlequin.» – «En vérité, mon révérend père, dit le moine, je ne sais qu'un moyen de vous tirer d'affaire: c'est aujourd'hui la Saint-André chez nous, et nous recueillons nos dîmes.» – «Mais non pas sur le clergé, j'espère, dit le prieur.» – «Sur le clergé et sur les fidèles, sur les clercs et sur les laïques, dit le moine; ainsi donc, sire prieur, facite vobis amicos de mammone iniquitatis, faites-vous des amis avec les trésors de l'iniquité; car je ne vois pas d'amitié qui puisse vous être utile comme celle-là.»
«J'aime beaucoup un joyeux chasseur, dit le prieur: allons, il ne faut pas être trop exigeant à mon égard; je connais les bois, et l'art de faire la chasse; et je sais donner du cor, et lui faire rendre un son clair et retentissant, qui sera répété par chacun des chênes de la forêt; allons, il ne faut pas être trop exigeant envers moi.» – «Qu'on lui donne un cor, dit Locksley, pour le mettre à même de prouver ce qu'il avance.» Le prieur Aymer sonna une fanfare. Le capitaine secoua la tête.
«Sire prieur, dit-il, il n'y a pas là de quoi payer ta rançon, et, comme le dit la légende que portait le bouclier de certain chevalier, t'accorder la liberté pour une bouffée de vent, ce serait la donner à trop bon marché. D'ailleurs, il y a bien autre chose; car je vois que tu es un de ces novateurs qui, au moyen des ornemens et des tra la lira fraîchement importés du continent, cherchent à dénaturer les anciens airs de chasse anglais. Prieur, la dernière partie de ta fanfare a ajouté cinquante couronnes au prix de ta rançon, pour avoir voulu introduire la corruption dans les anciens airs graves et mâles de la vénerie anglaise.» – «Ami, dit l'abbé, d'un ton de mauvaise humeur, tu es difficile à contenter en ce qui touche à la chasse et à la fanfare; mais j'espère que tu seras plus raisonnable sur l'article de ma rançon. En un mot, puisque enfin il faut que je brûle un cierge en l'honneur du diable, quelle rançon faut-il que je paie pour avoir la liberté de marcher dans les rues sans avoir cinquante hommes pour escorte?» – «Si nous faisions fixer la rançon du juif par le prieur, et celle du prieur par le juif? dit le lieutenant de la troupe à l'oreille du capitaine; qu'en pensez-vous?» – «Tu es un singulier corps, dit le capitaine; mais ton idée est bonne. Holà! juif, approche. Regarde ce révérend père Aymer, prieur de la riche abbaye de Jorvaulx, et dis-nous quelle rançon nous pouvons lui demander. Tu connais les revenus du couvent, j'en réponds.»
«Oh! assurément, dit Isaac; j'ai fait plus d'une affaire avec les bons pères, et j'ai acheté d'eux du blé, de l'orge et autres produits de la terre, ainsi que de fortes parties de laines. Oh! c'est une abbaye riche; et ils font bonne chère et boivent les meilleurs vins, ces bons pères de Jorvaulx. Ah! si un proscrit comme moi avait une retraite comme celle-là et des rentrées comme les leurs à l'année et au mois, je donnerais beaucoup d'or et d'argent pour me tirer de captivité.» – «Chien de juif! s'écria le prieur, personne ne sait mieux que toi que notre sainte maison est endettée pour les frais de réparation de notre choeur…» – «Et pour avoir rempli vos celliers des meilleurs vins de Gascogne, l'année dernière, interrompit le juif; mais ceci… ceci n'est qu'une bagatelle.»
«Écoutez-donc ce chien d'infidèle, dit le prieur. Le voilà qui nous cherche querelle, en dormant à entendre que nous ne sommes endettés que parce que nous avons acheté les vins que nous avons la permission de boire propter necessitatem et ad frigus depellendum. Ce vilain circoncis blasphème la sainte Église, et des chrétiens l'entendent et ne lui imposent pas silence.» – «Tout cela ne fait rien à notre affaire, dit le capitaine; Isaac, dis-nous ce que nous pouvons lui demander, sans lui enlever poil et peau en même temps.» – «Six cents couronnes, dit Isaac, et le bon prieur peut fort bien les donner à vos seigneuries, sans pour cela être assis moins mollement dans sa stalle.» – «Six cents couronnes? dit gravement le chef; j'en suis content; c'est très bien parler, Isaac. Six cents couronnes; c'est une sentence, sire prieur.» – «C'est une sentence, c'est une sentence! s'écria toute la troupe. Salomon n'en eût pas prononcé une meilleure.»
«Tu l'entends, prieur, dit le capitaine.» – «Êtes-vous fous, mes chers maîtres? dit le prieur; où voulez-vous que je trouve cette somme? Quand même je vendrais le saint ciboire et les chandeliers d'argent du grand autel de Jorvaulx, j'aurais de la peine à m'en procurer la moitié, encore faudrait-il pour cela que j'aille moi-même à Jorvaulx; vous pouvez retenir mes deux prêtres comme otages.» – «Ce serait une confiance par trop aveugle, mon cher prieur, dit le proscrit; nous allons te retenir, toi, et nous enverrons tes deux prêtres chercher ta rançon: un verre de bon vin et une bonne tranche de venaison ne te feront faute jusqu'à leur retour; et si tu aimes la chasse, ton pays du nord ne t'offrira jamais rien de comparable à ce que tu verras ici.» – «Ou bien, si vous l'agréez, dit Isaac, qui désirait se concilier la bienveillance des proscrits, je puis envoyer chercher à York les six cents couronnes, à compte de certaine somme que j'ai entre mes mains, pourvu que le très révérend prieur veuille bien m'en donner quittance.»
«Il te donnera tout ce que tu voudras, Isaac, et tu paieras la rançon du prieur Aymer, ainsi que la tienne.» – «La mienne! s'écria Isaac; ah! braves seigneurs, je ne suis qu'un vieillard tout cassé et ruiné; si j'avais à vous payer seulement cinquante couronnes, un bâton de mendiant serait ma seule ressource pour tout le reste de ma vie.» – «Le prieur en décidera, répliqua le capitaine. Qu'en dites-vous, révérend père Aymer? Le juif est-il en état de payer une bonne rançon?»
«En état? lui? répondit le prieur. Eh! n'est-ce pas Isaac d'York, dont les richesses auraient suffi pour racheter les dix tribus d'Israël qui furent emmenées en captivité par les Assyriens? En mon particulier, je le connais très peu, mais notre cellerier et notre trésorier ont fait beaucoup d'affaires avec lui, et le bruit court que sa maison à York est tellement pleine d'or et d'argent que c'est une honte dans un pays chrétien. C'est un sujet d'étonnement pour tous les coeurs chrétiens que l'on souffre que ces serpens dévorans rongent jusqu'aux entrailles, et l'État, et l'Église elle-même, par leurs abominables usures et extorsions.»
«Un moment, mon révérend père, dit le juif; adoucissez et calmez votre colère. Je prie votre révérence de remarquer que je ne force personne à prendre mon argent; mais, lorsque le clerc et le laïque, le prince et le prieur, le chevalier et le prêtre, viennent frapper à la porte d'Isaac, ce n'est pas en se servant de termes aussi peu civils qu'ils demandent à emprunter son argent. C'est alors: Mon cher Isaac, voulez-vous bien nous faire ce plaisir? Je vous paierai exactement au jour convenu, j'en prends Dieu à témoin; ou bien, ce sera: Mon bon Isaac, si jamais vous avez rendu service à quelqu'un, soyez mon ami dans cette occasion. Et, lorsque arrive le jour, et que je demande ce qui m'appartient, qu'est-ce que j'entends, sinon: Maudit, juif! que toutes les plaies d'Égypte fondent sur toi et toute ta race! et tout ce qui peut soulever une populace grossière et barbare contre de pauvres étrangers.»
«Prieur, dit le capitaine, tout juif qu'il est, il n'y a rien que de vrai dans ce qu'il a dit; ainsi fixe sa rançon comme il a fixé la tienne, sans autres invectives de part ni d'autre.» – «Il n'y a qu'un latro famosus, ce que je vous expliquerai dans un autre moment, dit le prieur, qui puisse faire asseoir sur le même banc des accusés un prélat chrétien et un juif non baptisé; mais enfin, puisque vous voulez que je fixe la rançon de ce misérable, je vous dirai franchement que vous vous ferez tort à vous-mêmes si vous recevez de lui un sou de moins que mille couronnes.» – «C'est une sentence! une sentence! dit le chef des proscrits.» – «Une sentence! une sentence! répétèrent les assistans; le chrétien nous a donné une preuve des bons principes dans lesquels il a été élevé; il a été plus généreux que le juif.» – «Que le dieu de mes pères me soit en aide! dit le juif; voulez-vous donc courber jusqu'à terre un vieillard déjà accablé par la misère? Aujourd'hui, aujourd'hui même peut-être, je n'ai plus d'enfant; et vous voulez en outre me priver de tout moyen d'existence?»
«Eh bien! dit Aymer, tes dépenses seront diminuées d'autant.» – «Hélas! milord, dit Isaac, votre religion vous interdit jusqu'à la possibilité de savoir jusqu'à quel point l'objet de nos affections se trouve enlacé dans l'organisme sensitif de notre coeur. Ô Rébecca! fille de ma bien-aimée Rachel, si chaque feuille de cet arbre était un sequin, et que chaque sequin m'appartînt, je donnerais toute cette masse de richesses pour savoir si tu vis encore et si tu as pu te sauver des mains du Nazaréen.» – «Ta fille n'avait-elle pas des cheveux noirs? dit un des proscrits, et ne portait-elle pas un voile de soie brodé en argent?» – «Oui, oui, dit le vieillard avec autant d'empressement qu'il avait auparavant témoigné de crainte; que la bénédiction de Jacob vienne se reposer sur ta tête! Peux-tu me donner des nouvelles de ma fille et me dire si elle est en lieu de sûreté?» – «En ce cas, dit l'archer, c'est elle qui fut enlevée hier au soir par le fier templier, lorsqu'il se fit jour à travers nos rangs. J'avais déjà bandé mon arc pour lui décocher une flèche, mais je me retins à cause de la demoiselle que je craignais de blesser.»
«Ah! s'écria le juif, plût à Dieu que ta flèche eût été lancée, quand même tu lui aurais percé le sein; plutôt le tombeau de ses pères que l'infâme attouchement du licencieux et sauvage templier. Ichobald! Ichobald! la gloire de ma maison est éteinte.» – «Mes amis, dit le chef regardant autour de lui, ce vieillard n'est qu'un juif; néanmoins son affliction me touche. Allons, Isaac, sois juste envers nous; dis-nous sans détour si le paiement de mille couronnes pour ta rançon te laissera absolument sans ressources.»
Isaac, rappelé à la fois à l'idée favorite de ses richesses et à celle de son affection de père, pâlit, balbutia et ne put s'empêcher d'avouer qu'il pourrait bien lui rester encore quelque petite chose. «Eh bien! allons, dit le proscrit, il t'en restera ce qui pourra; mais nous ne compterons pas trop rigoureusement avec toi. Sans argent, tu ne dois pas plus t'attendre à retirer ta fille des mains de sir Brian de Bois-Guilbert qu'à abattre un cerf avec une flèche émoussée. Nous fixerons le prix de ta rançon au prix de celle du prieur Aymer, et même à cent couronnes au dessous, lesquelles cent couronnes seront une perte que je supporterai personnellement; par ce moyen nous éviterons le reproche d'avoir rançonné un négociant juif au même taux qu'un prélat chrétien, et il te restera quatre cents couronnes avec lesquelles tu pourras traiter de la rançon de ta fille. Les templiers aiment l'éclat des pièces d'or autant que celui des plus beaux yeux. Hâte-toi de faire entendre le son de tes couronnes aux oreilles de Bois-Guilbert avant que pis ne t'arrive. Tu le trouveras, suivant le rapport de nos vedettes, à la préceptorerie voisine. Camarades, approuvez-vous ce que je viens de dire?»
Tous les proscrits exprimèrent leur entier acquiescement à la décision de leur chef, et Isaac, allégé d'une moitié du poids de ses appréhensions par l'assurance qu'il venait de recevoir que sa fille vivait, et par la possibilité de la racheter, se jeta aux pieds du généreux proscrit, et frottant sa barbe contre ses brodequins, chercha à baiser le bord de son justaucorps vert. Le capitaine recula de quelques pas, et se débarrassa des mains du juif, non pas sans donner quelques signes de mépris.
«Que fais-tu donc? lui dit-il; relève-toi: je suis Anglais, et n'aime point ces marques orientales d'humiliation. Agenouille-toi devant Dieu, et non devant un pauvre pécheur comme moi.» – «Oui, juif, dit le prieur Aymer, agenouille-toi devant Dieu, représenté par le serviteur de ces autels, et qui sait ce que ton repentir sincère et les dons que tu feras à la châsse de saint Robert, peuvent te procurer de grâce et pour toi et pour ta fille Rébecca? Je suis vraiment peiné lorsque je pense à cette fille; car elle est jolie; elle a une tournure gracieuse; je l'ai vue à la passe d'armes d'Ashby. Je te dirai aussi que Brian de Bois-Guilbert est un homme sur qui j'ai quelque influence; songe aux moyens de mériter que je m'intéresse en ta faveur auprès de lui.»
«Hélas, hélas! dit le juif, de toutes parts je ne vois que des oppresseurs s'élever contre moi; je suis jeté en proie à l'Assyrien, complétement dépouillé par l'Égyptien.» – «Et quel autre sort ta race maudite peut-elle espérer? dit le prieur; car que dit l'Écriture? Verbum Domini projecerunt, et sapientia est nulla in eis, ils ont rejeté la parole du Seigneur, et ils n'y a en eux aucune sagesse: Propterea dabo mulieres corum exteris, c'est pourquoi je donnerai leurs femmes aux étrangers, c'est-à-dire au templier, dans le cas dont il s'agit à présent, et thesauros eorum hæredibus alienis, et leurs trésors à des héritiers étrangers.» Isaac poussa de profonds soupirs, se tordit les mains et retomba dans son état de désolation et de désespoir; mais le chef le tira à part et lui parla ainsi:
«Réfléchis bien, Isaac, à ce que tu dois faire en cette occasion: mon avis est que tu te fasses un ami de cet ecclésiastique. Il est vain et il est avare, ou du moins il a besoin d'argent pour fournir à ses profusions. Tu peux facilement satisfaire sa cupidité; car ne pense pas m'aveugler par tous tes prétextes de pauvreté. Je connais, Isaac, jusqu'au coffre de fer dans lequel tu renfermes tes sacs d'argent. Hé quoi! est-ce que je ne connais pas la grande pierre sous un pommier, qui ferme un caveau voûté dans ton jardin à York!» Le juif devint pâle comme la mort. «Ne crains rien de ma part, continua le capitaine; nous sommes d'anciennes connaissances. Ne te souvient-il pas d'un archer malade, que ta charmante fille délivra des prisons, à York, que tu gardas dans ta maison jusqu'à ce que sa santé fût rétablie, et qu'alors tu renvoyas en lui donnant une pièce d'argent? Tout usurier que tu es, tu n'as jamais placé ton argent à un meilleur intérêt; car cette chétive pièce t'en a sauvé aujourd'hui cinq cents.
«C'est donc toi, dit le juif, que nous appelions Diccon Bend-the-Bow31? Il me semblait bien que je connaissais le son de ta voix.
«Je suis Bend-the-Bow, dit le capitaine, et je suis Locksley, et j'ai encore un autre nom qui vaut bien ceux-ci.
Mais tu es dans l'erreur, mon cher Bend-the-Bow, dit le juif, à l'égard du caveau voûté dont tu parles. J'atteste le ciel qu'il n'y a rien que des marchandises, en petit nombre, dont je me déferai avec plaisir en votre faveur; ce sont cent aunes de drap vert de Lincoln, pour faire des pourpoints à tes gens, et cent bâtons d'if d'Espagne, pour faire des arcs, et autant de cordes d'arc en soie, fortes, rondes et d'une excellente qualité; je t'enverrai tout cela en reconnaissance de l'intérêt que tu me témoignes, mon brave Diccon; mais je t'en prie, mon cher, bon brave Diccon, ne parle pas du caveau voûté.»
«Muet comme un loir, dit le proscrit, et crois-moi bien lorsque je te dis que je suis extrêmement peiné de ce qui est arrivé à ta fille. Mais il ne m'est pas possible de tenter quelque chose pour elle. Les lances du templier sont trop fortes pour nos arcs, elles les disperseraient comme le vent disperse la poussière. Si dans le moment j'avais su que c'était Rébecca qu'on enlevait, j'aurais pu faire quelque chose; mais maintenant il faut user de politique. Allons, veux-tu que je négocie pour toi avec le prieur?» – «Oui, mon cher Diccon, répondit le juif; oui, je t'en prie au nom de Dieu, s'il est possible de me faire retrouver l'enfant de mon coeur.» – «Ne viens pas me contrarier avec ton avarice hors de saison, dit le proscrit, et je vais lui parler en ta faveur.»
Alors il se sépara du juif, qui néanmoins le suivit et ne le quitta pas plus que son ombre.
«Prieur Aymer, dit le capitaine, veux-tu bien venir un instant avec moi sous cet arbre? Il est des gens qui disent que tu aimes le vin et le sourire d'une belle, peut-être un peu plus qu'il ne convient à un homme revêtu de ton caractère sacré, sire prêtre; mais enfin je n'ai rien à voir à cela. On dit aussi que tu aimes assez une couple de bons chiens et un excellent coursier, et il est très possible que tu ne haïsses pas une bourse bien rebondie; mais je n'ai jamais entendu dire que tu sois dur et cruel. Maintenant voici Isaac, qui veut bien te fournir les moyens de satisfaire ton amour des plaisirs, en te donnant un sac qui contient cent marcs d'argent, si, par ton intercession auprès de ton ami et allié le templier, il peut obtenir la liberté de sa fille.»
«Saine et intacte, telle qu'elle m'a été enlevée, dit le juif; autrement il n'y a rien de fait.» – «Tais-toi, Isaac, dit le proscrit, autrement je ne m'en mêle plus. Prieur Aymer, qu'avez-vous à répondre à la proposition que je vous fais?» – «La chose dont vous me parlez, dit le prieur, est d'une nature mixte; car il y a deux choses à considérer. Si, d'un côté, je fais une bonne action, de l'autre, c'est à l'avantage d'un juif, partant, au détriment de ma conscience. Néanmoins, si l'Israélite veut donner quelque chose de plus, pour la construction de notre dortoir, je prends sur moi de faire toutes les démarches nécessaires pour tout ce qui a rapport à sa fille.»
«Oh! dit le capitaine, s'il ne s'agit que d'une vingtaine de marcs pour le dortoir… Tais-toi donc Isaac!.. ou d'une couple de chandeliers d'argent pour l'autel, nous n'y regarderons pas de si près.» – «Mais écoute donc, mon brave Diccon Bend-the-Bow,» dit Isaac, cherchant à arrêter cet élan de générosité…
«Brave juif, brave bête, brave ver de terre, dit le capitaine perdant patience, si tu continues à vouloir mettre tes vils profits en balance avec la vie et l'honneur de ta fille, par le ciel, avant qu'il soit trois jours, je te dépouille de tout ce que tu possèdes dans ce monde.» Isaac soupira et garda le silence. «Et quelle garantie me donnera-t-on pour tout cela? demanda le prieur.» – «Si Isaac réussit par votre médiation, répliqua le proscrit, je jure par saint Hubert que, s'il ne vous paie pas la somme convenue, en bel et bon argent, je lui ferai rendre un compte tel, qu'il aurait préféré payer vingt fois cette somme.»
«Eh bien! juif, dit Aymer, puisqu'il faut que je me mêle de cette affaire, donne-moi tes tablettes: non… laisse… plutôt que de faire usage de ta plume, j'aimerais mieux jeûner vingt-quatre heures… mais où en trouverai-je une?» – «Si les pieux scrupules de votre révérence, dit le capitaine, ne vont pas jusqu'à vous interdire l'usage des tablettes de juif, je puis trouver le moyen de suppléer au manque de la plume.» Sur quoi, bandant son arc, il décocha une flèche contre une oie sauvage qui passait au dessus de leurs têtes, garde avancée d'une phalange de ses compagnes, qui dirigeait son vol vers les marais éloignés et solitaires d'Holderness32. L'oiseau, percé de la flèche vint tomber en voltigeant à ses pieds.