Kitabı oku: «Quentin Durward», sayfa 34
– Je le sais fort bien. Je l'ai vu traverser une rivière à la nage au risque de se noyer, quand, à trois cents pas plus loin, il aurait pu la passer sur un pont.
– C'est la vérité, Sire; et celui qui compte sa vie pour rien quand il s'agit de satisfaire la passion impétueuse d'un moment, suivra la même impulsion pour préférer le plaisir de faire sa volonté, à l'accroissement de sa véritable puissance.
– Je pense de même. Un fou préfère l'apparence de l'autorité à la réalité; et je sais que tel est le caractère de Charles de Bourgogne. Mais, mon cher ami d'Argenton, quelle conséquence tirez-vous de ces prémisses?
– Sire, celle-ci: Votre Majesté a vu un pêcheur habile se rendre maître d'un gros poisson, et par le secours de son adresse le tirer hors de l'eau avec le simple fil de sa ligne; tandis que, s'il avait voulu l'enlever brusquement, et sans lui laisser, l'espace pour s'agiter, ce fil n'aurait pu résister à la violence de ses efforts. De même, Votre Majesté, en donnant satisfaction au duc sur des objets auxquels il attache particulièrement ses idées d'honneur et de vengeance, peut éluder plusieurs autres demandes qu'elle trouverait encore plus désagréables, notamment (car je dois parler avec franchise à Votre Majesté) celles qui tendraient spécialement à l'affaiblissement de la France. Il n'y fera plus attention; elles s'échapperont de sa mémoire; et en les ajournant à une autre conférence, pour en retarder la discussion, il n'en sera plus question.
– Je vous comprends, mon bon sire Philippe; mais venons au fait. à laquelle de ces heureuses propositions votre duc est-il si attaché que la contradiction le rendrait déraisonnable et indomptable?
– À toutes, à la première venue; précisément à celle sur laquelle il pourrait vous arriver de le contredire. C'est ce que Votre Majesté doit éviter: et, pour reprendre ma première métaphore, il faut que vous ayez toujours l'œil au guet; et, quand vous le verrez prêt à se livrer à quelque mouvement de violence, que vous lui lâchiez assez de ligne pour l'empêcher de la briser. Sa fureur, déjà considérablement diminuée, se dissipera d'elle-même, si elle n'éprouve pas d'opposition; et bientôt après, vous le verrez devenir plus doux, et traitable.
– Cependant, dit le roi d'un air pensif, parmi toutes les propositions que mon beau cousin a dessein de me faire, il doit s'en trouver quelques-unes qu'il ait plus à cœur que les autres. N'y aurait-il pas moyen de les connaître, mon cher d'Argenton?
– Votre Majesté peut rendre la moindre des demandes du duc la plus importante à ses yeux, uniquement en s'y opposant. Je crois pourtant pouvoir vous dire, Sire, qu'il faut renoncer à toute espérance d'arrangement si vous n'abandonnez les Liégeois et Guillaume de la Marck.
– J'ai déjà dit que je les abandonnerai; et c'est tout ce qu'ils méritent de moi. Les misérables! commencer un pareil tumulte dans un moment où il pouvait m'en coûter la vie!
– Celui qui met le feu à une traînée de poudre, ne doit pas être surpris d'entendre l'explosion de la mine. Mais il ne suffira pas au duc Charles que vous les abandonniez. Je sais qu'il se propose de vous demander votre assistance pour réprimer cette insurrection, et votre présence royale pour sanctionner le châtiment qu'il destine aux rebelles.
– Je ne sais trop si notre honneur nous permet d'accorder cette demande, d'Argenton.
– Je ne sais trop si le soin de votre sûreté vous permet de la refuser, Sire. Charles est déterminé à prouver aux Flamands qu'ils ne doivent compter ni sur les promesses, ni sur les secours de la France; et que, s'ils se révoltent, rien ne peut les mettre à l'abri du courroux et de la vengeance de la Bourgogne.
– Parlons franchement, d'Argenton; si nous pouvions faire traîner les choses en longueur, ces misérables Liégeois ne pourraient-ils pas se mettre en état de tenir bon contre le duc? Les coquins sont nombreux et entêtés. Ne pourraient-ils pas défendre leur ville contre lui?
– Ils auraient pu faire quelque chose avec les mille archers français que Votre Majesté leur a promis; mais…
– Que je leur ai promis! Hélas! mon bon sire Philippe, vous me faites tort par une telle supposition.
– Mais, ne vous en mêlant pas, continua d'Argenton sans faire attention à cette interruption, et attendu que maintenant Votre Majesté ne jugera probablement pas à propos de les secourir, comment des bourgeois peuvent-ils espérer de défendre une ville aux murs de laquelle les larges brèches faites par ordre de Charles, après la bataille de Saint-Tron, sont encore si peu réparées, que les lanciers du Hainaut, du Brabant et de la Bourgogne peuvent se présenter à l'attaque sur vingt hommes de front.
– Imprudens, idiots! S'ils ont ainsi négligé eux-mêmes leur sûreté, ils ne méritent pas ma protection. Je ne me ferai pas de querelle pour eux. Continuez.
– Je crains que le point suivant ne touche de plus près Votre Majesté.
– Ah! s'écria le roi, vous voulez parler de cet infernal mariage. Jamais je ne consentirai à rompre le contrat qui lie mon cousin d'Orléans à ma fille Jeanne. Ce serait arracher le sceptre de la France à ma postérité, car le dauphin a une santé bien faible; c'est un bouton flétri qui ne portera aucun fruit. Ce mariage entre Jeanne et d'Orléans a occupé mes pensées pendant le jour, mes rêves pendant la nuit. Je vous dis, d'Argenton, que je ne puis y consentir. D'ailleurs, c'est une barbarie que d'exiger de moi que je détruise de mes propres mains, et d'un seul coup, le plan de politique auquel je tiens le plus, et le bonheur d'un jeune couple élevé dès l'enfance l'un pour l'autre.
– Leur attachement est donc bien fort? demanda d'Argenton.
– D'un côté du moins, répondit le roi, et c'est le côté auquel je dois prendre le plus d'intérêt. Mais vous souriez, sire Philippe; vous ne croyez pas à la force de l'amour.
– Au contraire, Sire, permettez-moi de vous dire que je suis si peu incrédule à cet égard, que j'allais vous demander si vous éprouveriez un peu moins de répugnance à consentir au mariage proposé entre Louis d'Orléans et Isabelle de Croye, si je vous prouvais que la comtesse a un penchant tellement décidé pour un autre, qu'il est vraisemblable qu'elle refusera elle-même d'épouser le duc?
– Hélas! mon bon et cher ami, dit le roi en soupirant, de quel sépulcre avez-vous tiré cette consolation pour un homme mort? Son penchant! Quoi! Pour dire la vérité, supposons que d'Orléans déteste ma fille Jeanne; eh bien! sans ce concours d'accidens formant une trame mal tissue, il n'en aurait pas moins fallu qu'il l'épousât: quelle chance y a-t-il donc que cette jeune comtesse puisse refuser l'époux qu'on lui destine, quand elle sera exposée à une semblable nécessité; ou qu'elle veuille le refuser, quand cet époux est un fils de France? Non, non, Philippe, on ne peut se flatter qu'elle soit insensible aux vœux d'un tel amant. Varium et mutabile77, Philippe.
– Je crois qu'en cette occasion Votre Majesté met trop bas le courage déterminé de cette jeune dame. Elle sort d'une race volontaire et opiniâtre, et j'ai appris de Crèvecœur qu'elle a conçu un attachement romanesque pour un jeune écuyer, qui, à la vérité, lui a rendu de grands services en route.
– Ah! s'écria le roi, un archer de ma garde, nommé Quentin Durward?
– Lui-même, à ce que je crois, répondit d'Argenton; il a été fait prisonnier avec la comtesse. Ils voyageaient ensemble, presque tête à tête.
– Bénis soient donc notre Seigneur, Notre-Dame, monseigneur saint Martin et monseigneur saint Julien! dit le roi. Gloire et honneur au savant Galeotti qui a lu dans les astres que le destin de ce jeune homme était en conjonction avec le mien. Si cette jeune comtesse lui est assez attachée pour devenir réfractaire aux ordres du Bourguignon, ce Quentin Durward m'a réellement été bien utile.
– D'après ce que m'a dit Crèvecœur, Sire, je crois qu'on peut espérer de la trouver suffisamment obstinée. D'ailleurs, malgré la supposition qu'il a plu à Votre Majesté de faire tout à l'heure, le noble duc lui-même ne renoncera sans doute pas volontairement à la belle cousine à laquelle il est engagé depuis long-temps.
– Hum! Mais vous n'avez jamais vu ma fille Jeanne; c'est une chouette, Philippe! une véritable chouette dont je suis honteux! Mais n'importe; qu'il soit assez sage pour l'épouser, et je lui permets ensuite d'être fou, de la plus belle femme de France. Je présume que vous m'avez maintenant déployé toute la carte des dispositions de votre maître.
– Je vous ai fait connaître, Sire, les points sur lesquels il est à présent le plus disposé à insister. Mais Votre Majesté sait que le caractère du duc est un torrent fougueux qui ne se contient dans son lit que lorsqu'il ne rencontre aucun obstacle à son cours, et dont on ne peut prévoir celui qu'il prendra, si une digue ou un rocher l'oblige à le changer. S'il obtenait inopinément des preuves plus évidente des pratiques de Votre Majesté (excusez cette expression, le temps presse et n'admet pas de cérémonie) avec les Liégeois et Guillaume de la Marck, les conséquences pourraient en être terribles. Il est arrivé d'étranges nouvelles de ce pays. On dit que de la Marck a épousé Hameline, l'aînée des comtesses de Croye.
– Cette vieille folle avait une telle envie de se marier, qu'elle aurait acceptée la main de Satan. Mais que de la Marck, brute comme il est, ait consenti à l'épouser, c'est ce qui me paraît plus surprenant.
– On dit aussi qu'un héraut ou un envoyé arrive à Péronne de la part de de la Marck. C'en est assez pour jeter le duc dans un transport de rage. J'espère que de la Marck n'a pas quelques lettres de Votre Majesté, ou quelques autres pièces qu'il pourrait montrer?
– Moi écrire à un Sanglier! Non, non, sire Philippe, je ne suis pas assez fou pour jeter des perles aux pourceaux. Le peu de relations que j'ai eues avec cet animal sauvage n'ont jamais consisté qu'en messages de vive voix, et je n'y ai employé que des vagabonds, des misérables, dont on ne voudrait pas recevoir le témoignage pour prouver le vol des œufs d'un poulailler.
– Il ne me reste, dit d'Argenton en se levant, qu'à recommander à Votre Majesté de se tenir sur ses gardes, d'agir suivant les circonstances, et surtout d'éviter avec le duc un langage et des argumens plus convenables à votre dignité qu'à votre situation actuelle.
– Si ma dignité me gêne, répondit le roi, ce qui m'arrive rarement quand j'ai à penser à de plus grands intérêts, j'ai ici un spécifique contre ce gonflement du cœur; c'est de regarder dans un petit cabinet qui est à deux pas, sire Philippe, et de songer à la mort de Charles-le-Simple: cela m'en débarrassera aussi efficacement qu'un bain froid débarrasserait d'une fièvre. Et maintenant, mon cher ami, mon digne conseiller, faut-il donc que vous vous en alliez? Eh bien, sire de Comines, le temps viendra où vous vous lasserez de donner des leçons de politique à ce taureau bourguignon qui n'est pas en état de comprendre votre plus simple argument; alors, si Louis vit encore, songez que vous avez un ami à la cour de France. Et si vous y veniez, mon cher Philippe, je le regarderais comme une bénédiction pour mon royaume, parce qu'avec des vues profondes en affaires d'état, vous avez une conscience qui vous met à même de sentir et de discerner le bien et le mal; tandis que… Que Dieu, Notre-Dame et monseigneur saint Martin me soient en aide! Olivier et La Balue ont le cœur aussi dur qu'une meule de moulin, et ma vie est remplie d'amertume par le remords et les pénitences des crimes qu'ils me font commettre. Mais vous, sire Philippe, vous qui possédez la sagesse des temps passés et celle du temps présent, vous pourriez m'apprendre à devenir grand sans cesser d'être vertueux.
– C'est une tâche difficile, dit l'historien; peu de princes l'ont remplie; et pourtant elle est encore à la portée de ceux qui voudront faire quelques efforts pour l'accomplir. Je vous quitte, Sire; préparez-vous à la conférence que le duc ne tardera pas à avoir avec vous.
Louis resta quelque temps les yeux fixés sur la porte par où d'Argenton venait de sortir. – Il m'a parlé de pêche, dit-il en souriant amèrement; – je l'ai envoyé chez lui comme une truite bien chatouillée. Il se croit vertueux parce qu'il a refusé mon argent! mais il n'a pas fermé l'oreille à mes flatteries et à mes promesses; il n'est pas insensible au plaisir de venger un affront fait à sa vanité. Il a refusé mon argent! il en est plus pauvre, mais il n'en est pas plus honnête. Il faut pourtant qu'il soit à moi, car c'est la meilleure tête de toute la Bourgogne. À présent j'attends un plus noble gibier. Il faut faire face à ce léviathan de Charles, qui va fendre les mers pour arriver à moi. Il faut que, comme un marin tremblant, je lui jette quelque chose par-dessus le bord pour l'amuser; mais peut-être trouverai-je un jour l'occasion de le percer d'un harpon.
CHAPITRE XXXI.
L'Entrevue des deux Amans
«Jeune et vaillant soldat, songe à garder ta foi!
«Et toi, jeune beauté, garde aussi ta promesse:
«Laissez la politique à la froide vieillesse;
«Montrez-vous aussi purs que le ciel azuré
«Avant que de midi le soleil ait pompé
«Les humides vapeurs qui forment les nuages.»
L'épreuve.
PENDANT la matinée importante et périlleuse qui précéda l'entrevue des deux princes dans le château de Péronne, Olivier le Dain servit son maître en agent aussi vif qu'habile, prodiguant partout les présens et les promesses, pour lui procurer des partisans, afin que, lorsque la fureur du duc éclaterait, chacun se trouvât intéressé à étouffer l'incendie plutôt qu'à l'accroître. Il se glissa comme la nuit de tente en tente et de maison en maison, se faisant des amis partout, non dans le sens de l'apôtre, mais avec le Mammon d'iniquité. Comme on l'a dit d'un autre agent politique non moins actif, – il avait le doigt dans la main, et la bouche dans l'oreille de chacun; et par diverses raisons, dont nous avons déjà fait connaître plusieurs, il s'assura des bons offices d'un grand nombre de seigneurs bourguignons qui avaient quelque chose à espérer ou à craindre de la France, ou qui pensaient que si l'autorité de Louis se trouvait trop réduite, le duc en marcherait d'un pas plus ferme et plus assuré vers le despotisme, pour lequel il avait un penchant bien décidé.
Quand il s'agissait de gagner quelqu'un près de qui il craignait que ni sa présence ni ses argumens ne pussent réussir, il employait l'entremise de quelque autre serviteur du roi; et ce fut ainsi qu'il obtint du comte de Crèvecœur la permission pour lord Crawford et le Balafré, d'avoir une entrevue avec Quentin Durward, qui, depuis son arrivée à Péronne, était gardé au secret, mais traité honorablement. Des affaires particulières furent alléguées comme la cause de cette demande; mais il est probable que Crèvecœur, qui craignait que les passions impétueuses de son maître ne le portassent à se déshonorer par quelque acte de violence envers Louis, ne fut pas fâché de fournir à Crawford l'occasion de donner au jeune archer quelques avis qui pussent être utiles au roi de France.
L'entrevue des trois compatriotes fut cordiale et même touchante.
– Tu es un singulier jeune homme, dit lord Crawford à Durward en lui frappant doucement sur la tête, comme un aïeul le ferait à son petit-fils; certes la fortune t'a favorisé comme si tu étais né coiffé.
– Tout cela vient de ce qu'il a obtenu si jeune une place d'archer, dit le Balafré: on n'a jamais tant parlé de moi, beau neveu, parce que j'avais vingt-cinq ans avant d'être hors de page.
– Et tu faisais un page passablement grotesque, mon brave montagnard, dit le commandant, avec ta barbe large comme une pelle de boulanger, et un dos comme celui du vieux Wallace Wight.
– Je crois, dit Quentin en baissant les yeux, que je ne porterai que peu de temps ce titre distingué, car j'ai dessein de quitter le service des archers de la garde.
Le Balafré resta muet de surprise, et les traits du vieux Crawford exprimèrent le mécontentement. Enfin le premier, recouvrant la parole, s'écria: – Quitter le service! Renoncer à votre place dans les archers de la garde écossaise! a-t-on jamais ouï parler d'un tel rêve? Je ne donnerais pas la mienne pour celle de grand connétable de France.
– Paix donc, Ludovic, dit lord Crawford; ne vois-tu pas que ce jeune homme sait suivre le vent mieux que nous, pauvres gens de l'ancien temps? Son voyage lui a fourni quelques jolis contes à faire sur le roi Louis; et il va se faire Bourguignon afin de trouver quelque petit profit à les raconter au duc Charles.
– Si je le croyais, dit le Balafré, je lui couperais la gorge de mes propres mains, fut-il cinquante fois le fils de ma sœur.
– Mais avant tout, bel oncle, dit Quentin, vous vous informeriez si j'ai mérité d'être traité ainsi? Quant à vous, milord, sachez que je ne suis pas un rapporteur de contes, et que ni la question ni les tortures n'arracheraient de moi, au préjudice du roi Louis, un seul mot de tout ce que j'ai pu apprendre pendant que j'étais à son service. Mon devoir m'impose le silence à cet égard; mais je ne resterai pas dans un service où, indépendamment des périls que je puis courir en combattant honorablement mes ennemis, je suis exposé à des embuscades dressées par mes propres amis.
– Si les embuscades ne lui plaisent pas, dit le Balafré en regardant douloureusement lord Crawford, j'en suis fâché, mais tout est dit pour lui. J'ai donné dans trente embuscades, et moi-même j'y ai été placé, car c'est une des ruses de guerre favorites de notre roi.
– C'est la vérité, Ludovic, dit lord Crawford; et cependant taisez-vous, car je crois que je comprends cette affaire mieux que vous.
– Je prie Notre-Dame que vous la compreniez, milord, répondît le Balafré; mais je souffre jusque dans la moelle des os, en pensant que le fils de ma sœur a peur d'une embuscade.
– Jeune homme, dit Crawford, je devine en partie ce que vous voulez dire. Vous avez éprouvé quelque trahison dans le voyage que vous venez de faire par ordre du roi, et vous avez lieu de le soupçonner d'en être l'auteur.
– J'ai été sur le point d'en éprouver une en m'acquittant des ordres du roi, répondit Quentin; mais j'ai eu le bonheur de la déjouer. Que Sa Majesté en soit innocente ou coupable, c'est ce que je laisse à Dieu et à sa conscience. Le roi m'a nourri quand j'avais faim; il m'a accueilli quand j'étais errant et étranger, je ne le chargerai jamais, dans l'adversité, d'accusations qui peuvent être injustes, puisque je ne les ai entendues sortir que des bouches les plus impures.
– Mon cher enfant! mon brave garçon, s'écria Crawford en le serrant dans ses bras, c'est penser et parler en Écossais. Vous êtes Écossais jusqu'au bout des ongles. Vous parlez en homme qui, voyant un ami le dos déjà tourné à la muraille, oublie la cause de querelle qu'il lui avait donnée, et ne se souvient que des services qu'il en a reçus.
– Puisque mon capitaine a embrassé mon neveu, dit le Balafré, je puis en faire autant. Je voudrais pourtant qu'il apprît qu'il est aussi nécessaire à un bon soldat de bien entendre le service d'une embuscade, qu'il l'est à un prêtre de savoir lire son bréviaire.
– Silence, Ludovic, dit Crawford; vous êtes un âne, mon ami, et vous ne sentez pas tout ce que vous devez au ciel pour en avoir reçu un tel neveu. Et maintenant, Quentin, mon cher ami, dites-moi si le roi a connaissance de la brave, noble et chrétienne résolution que vous avez prise? car dans la crise où il se trouve, le pauvre monarque a grand besoin de savoir sur qui il peut compter. S'il avait amené avec lui toute la brigade de ses gardes… Mais que la volonté du ciel s'accomplisse! Eh bien! dites-moi, le roi est-il instruit?
– Je ne puis trop vous le dire, répondit Quentin, cependant j'ai assuré son savant astrologue, Martius Galeotti, que je suis déterminé à garder le silence sur tout ce qui pourrait nuire au roi dans l'esprit du duc de Bourgogne. Je vous prie de m'excuser si je n'entre à cet égard dans aucun détail; et vous pouvez bien juger que j'ai été encore bien moins disposé à en donner à l'astrologue.
– Ah! ah! dit lord Crawford, effectivement je me rappelle qu'Olivier m'a dit que Galeotti a prophétisé très-fermement au roi la conduite que vous tiendriez; et je suis charmé de voir qu'il avait pour le faire une meilleure autorité que les astres.
– Lui, prophétiser? s'écria le Balafré en riant; les astres lui ont-ils jamais dit que l'honnête Ludovic aidait une joyeuse commère, au Plessis, à dépenser les beaux ducats que le philosophe lui jette sur son giron?
– Paix donc, Ludovic, lui dit son capitaine; paix donc, brute que tu es. Si tu ne respectes pas mes cheveux gris, parce que je suis moi-même un vieux routier, respecte du moins la jeunesse et l'innocence de ton neveu, et ne nous fais plus entendre de pareilles sottises.
– Votre Honneur a le droit de dire ce que bon lui semble, répondit Ludovic; mais, sur ma foi! la seconde vue de Saunders Souplesaw, savetier à Glen-Houlakin, valait deux fois plus que le talent prophétique de ce Galeotti, Galipotty, ou n'importe quel nom vous lui donniez. Saunders a prédit d'abord que tous les enfans de ma Sœur mourraient un jour; et il a fait cette prédiction à l'instant de la naissance du plus jeune, qui est Quentin que voici: or, Quentin mourra sans doute un jour, pour que la prophétie soit accomplie, et malheureusement elle l'est déjà à peu près, car excepté lui, toute la couvée est partie. Il m'a prédit ensuite à moi-même que je ferais ma fortune par un mariage, ce qui arrivera sans doute aussi en temps convenable, puisque cela n'est pas encore arrivé; mais je ne sais trop ni quand ni comment. Enfin Saunders a prédit…
– à moins que cette prédiction ne vienne singulièrement à propos, Ludovic, dit lord Crawford, je vous prierai de nous en faire grâce; il faut que vous et moi nous laissions à présent votre neveu, en adressant nos prières à Notre-Dame pour qu'elle le confirme dans ses bonnes intentions; car c'est une affaire dans laquelle un seul mot prononcé à la légère pourrait faire plus de mal que tout le parlement de Paris n'en pourrait réparer. Je vous donne ma bénédiction, mon garçon; et ne vous pressez pas tant de songer à quitter notre corps, car il y aura avant peu de bons coups à donner en face du jour, et sans avoir d'embuscades à craindre.
– Je vous donne aussi ma bénédiction, mon neveu, dit Ludovic, car puisque mon noble capitaine est satisfait, je le suis aussi, comme c'est mon devoir.
– Un instant, monseigneur, dit Quentin en tirant à part lord Crawford; je ne dois pas oublier de vous dire qu'il existe encore dans le monde quelqu'un qui a appris de moi des circonstances sur lesquelles la sûreté du roi exige que le secret soit gardé, et qui, n'ayant pas à remplir comme moi un devoir que m'imposent ma place et la reconnaissance, pourrait croire que l'obligation du silence ne s'étend pas sur elle.
– Sur elle! s'écria Crawford; pour le coup, s'il y a une femme dans le secret, que le ciel ait pitié de nous! car nous sommes encore en danger de naufrage.
– Ne le croyez pas, seigneur, répondit Durward; mais employez votre crédit auprès du comte de Crèvecœur pour qu'il me permette d'avoir une entrevue avec la comtesse Isabelle de Croye. C'est elle qui est instruite de mon secret, et je ne doute pas que je ne réussisse à la décider à le garder comme moi-même sur tout ce qui pourrait exciter le ressentiment du duc contre le roi Louis.
Le vieux commandant réfléchit assez long-temps, leva les yeux au plafond, les baissa vers le plancher, secoua la tête, et dit enfin: – Il y a dans tout cela quelque chose que je ne comprends pas. La comtesse Isabelle de Croye! une entrevue avec une dame si distinguée par son rang, par sa naissance, par sa fortune! Et toi, jeune Écossais n'ayant que la cape et l'épée, si sûr d'obtenir d'elle ce que tu veux lui demander! – Il faut que vous ayez une étrange confiance en vous-même, mon jeune ami, ou que vous ayez bien employé le temps pendant votre voyage. Mais, par la croix de saint André! je parlerai en votre faveur à Crèvecœur; et comme il craint véritablement que la colère du duc ne le porte contre le roi à quelque extrémité déshonorante pour lui et pour la Bourgogne, je crois qu'il est assez probable qu'il consentira à votre demande, quoique, sur mon honneur, elle soit singulière.
à ces mots, et faisant un mouvement des épaules, le vieux lord sortit de l'appartement, suivi de Ludovic, qui, se modelant toujours sur son chef, et quoiqu'il ignorât ce qui venait de se passer entre celui-ci et Quentin, tâcha de prendre un air aussi important et aussi mystérieux que Crawford lui-même.
Au bout de quelques minutes, lord Crawford revint, mais sans être accompagné du Balafré. Le vieillard semblait dans un accès d'humeur bizarre: il riait, et à ce qu'il paraissait, en dépit de lui-même; il avait un air goguenard qui agitait singulièrement les rides de ses traits naturellement rigides; il secouait en même temps la tête, et paraissait occupé de quelque chose qu'il ne pouvait s'empêcher de condamner, quoique cette même chose lui parut burlesque.
– Certes, mon jeune concitoyen, dit-il à Quentin, vous n'êtes pas dégoûté! Jamais la timidité ne vous empêchera de réussir auprès d'une belle. J'ai fait avaler votre proposition à Crèvecœur, quoiqu'elle fut pour lui comme un verre de vinaigre, car il m'a juré par tous les saints de la Bourgogne que, s'il ne s'agissait de l'honneur de deux princes et de la paix de deux états, vous ne verriez jamais seulement la trace d'un pied de la comtesse Isabelle sur le sable. S'il n'avait pas une dame, et une belle dame, je le soupçonnerais de vouloir rompre une lance lui-même pour cette captive. Peut-être pense-t-il à son neveu, le comte étienne. Une comtesse! – Vous en faut-il donc de cet aloi? Mais allons, suivez-moi. Songez que votre entrevue avec elle doit être courte. D'ailleurs vous savez sans doute mettre à profit les instans. Ho! ho! ho! sur ma foi, je n'ai pas la force de te gronder de ta présomption, tant elle me fait rire!
Les joues rouges comme de l'écarlate, offensé, déconcerté par les insinuations un peu brusques du vieux lord, piqué de voir que sa passion était regardée comme absurde et ridicule par quiconque avait du jugement et de l'expérience, Durward suivit lord Crawford en silence au couvent des Ursulines, où la jeune comtesse était logée; et en entrant dans le parloir, ils y trouvèrent le comte de Crèvecœur.
– Eh bien! jeune homme, dit le comte à Quentin, d'un ton sévère, il parait qu'il faut que vous voyiez encore une fois la belle compagne de votre expédition romanesque?
– Oui, monsieur le comte, répondit Quentin; et qui plus est, il faut que je la voie sans témoins.
– Il n'en sera rien, s'écria Crèvecœur. Je vous en fais juge, lord Crawford. Cette jeune dame, la fille de mon ancien ami, de mon compagnon d'armes, la plus riche héritière de la Bourgogne, a avoué une sorte de…; qu'allais-je dire? en un mot, elle est folle, et votre jeune archer est un fat présomptueux. Ils ne se verront pas sans témoins.
– En ce cas je ne dirai pas un seul mot à la comtesse, car je ne lui parlerai pas en votre présence, s'écria Quentin transporté de joie. Quelque présomptueux que je sois, ce que vous venez de m'apprendre surpasse de beaucoup ce que j'aurais osé espérer.
– Il a raison, mon cher ami, dit Crawford au comte, et votre langue a marché plus vite que la prudence n'aurait dû le lui permettre. Mais puisque vous me faites juge de l'affaire, je vous dirai qu'il y a une bonne et forte grille qui divise le parloir. Je vous conseille donc de vous y fier, et qu'ils fassent ce qu'ils pourront avec leur langue. Corbleu! la vie d'un roi et celle de plusieurs milliers d'hommes doivent-elles être mises en balance avec ce que deux jeunes gens pourront se souffler dans l'oreille l'un de l'autre pendant une couple de minutes?
à ces mots, il entraîna Crèvecœur hors de l'appartement; et le comte, le suivant presque malgré lui, sortit en jetant des regards courroucés sur le jeune archer.
Ils étaient à peine partis, que la comtesse Isabelle parut de l'autre côté de la grille. Dès qu'elle vit que Quentin était seul dans le parloir, elle s'arrêta et resta les yeux baissés pendant quelques secondes.
– Et pourquoi me montrerais-je ingrate, dit-elle enfin, parce que certaines gens ont conçu des soupçons injustes? Mon protecteur! mon sauveur! puis-je dire; au milieu de tous les dangers que j'ai courus, mon fidèle et constant ami!
Tout en parlant ainsi, elle s'avançait vers lui, et elle lui tendit la main à travers la grille. Elle ne fit même aucun effort pour la retirer, tandis qu'il la couvrait de baisers et qu'il la mouillait de larmes. Elle se borna à lui dire: – Si nous devions nous revoir encore, Durward, je ne vous permettrais pas cette folie.
Si l'on fait attention aux périls dont Quentin, l'avait préservée; si l'on réfléchit qu'il avait été dans le fait son unique, son fidèle et zélé défenseur, mes lectrices, quand même il se trouverait parmi elles de belles comtesses et de riches héritières, pardonneront à Isabelle, cette dérogation à sa dignité.
Elle dégagea pourtant enfin sa main de celles de Durward, s'éloigna d'un pas de la grille, et lui dit d'un ton fort embarrassé: – Eh bien! qu'avez-vous à me demander? car vous avez une demande à me faire; je l'ai appris du vieux lord Écossais, qui est venu ici il y a quelques instans avec mon cousin Crèvecœur. Si elle est raisonnable, si elle est telle que la pauvre Isabelle puisse l'accorder sans manquer à son devoir et à son honneur, vous ne devez pas craindre d'être refusé. Mais ne vous pressez pas trop de parler, ajouta-t-elle en jetant autour d'elle un regard craintif; songez à ne rien dire qui puisse être interprété à notre désavantage si l'on nous entendait.
– Ne craignez rien, noble dame, répondit Quentin douloureusement: ce n'est pas ici que je puis oublier la distance que le destin a placée entre nous, et vous exposer à la censure de vos fiers parens comme l'objet de l'amour le plus dévoué d'un homme plus pauvre et moins puissant qu'ils ne le sont. Que cette idée passe, comme un rêve de la nuit, pour tout le monde, excepté pour un cœur où, tout rêve qu'elle est, elle tiendra la place de toutes les réalités.