Kitabı oku: «Quentin Durward», sayfa 8
L'air et les manières de ces deux fonctionnaires différaient essentiellement. Louis avait coutume de les appeler Démocrite et Héraclite; et leur maître, le grand prévôt, les nommait Jean qui pleure et Jean qui rit.
Trois-Échelles était un homme grand, sec, maigre et laid. Il avait un air de gravité toute particulière, et portait autour du cou un rosaire qu'il avait coutume d'offrir pieusement à ceux qui étaient livrés entre ses mains. Il avait continuellement à la bouche deux ou trois textes latins sur le néant et la vanité de la vie humaine; et si une telle cumulation de charges eût été régulière, il aurait pu joindre aux fonctions d'exécuteur des hautes œuvres celles de confesseur dans la prison.
Petit-André, au contraire, était un petit homme tout rond, actif, à face joyeuse, et qui faisait sa besogne comme si c'eût été l'occupation la plus divertissante du monde. Il semblait avoir une tendre affection pour ses victimes, et il leur parlait toujours en termes affectueux et caressans: c'étaient ses chers compères, ses honnêtes garçons, ses jolies filles, ses bons vieux pères, suivant leur âge et leur sexe. De même que Trois-Échelles tâchait de leur inspirer des pensées philosophiques et religieuses sur l'avenir, ainsi Petit-André manquait rarement de les régaler d'une plaisanterie ou deux pour leur faire quitter la vie comme quelque chose de ridicule, de méprisable, et qui ne méritait pas un seul regret.
Je ne puis dire ni pourquoi ni comment cela arrivait; mais il est certain que ces deux braves gens, malgré l'excellence et la variété de leurs talens, très-rares chez les personnes de leur profession, étaient peut-être plus cordialement détestés que ne le fut jamais aucune créature de leur espèce, avant ou après eux, de quiconque les connaissait: il ne restait qu'un doute; c'était de savoir lequel était le plus redouté ou le plus abhorré, du grave et pathétique Trois-Échelles, ou du comique et alerte Petit-André. Il est sûr qu'ils remportaient la palme à ces deux égards sur tous les bourreaux de la France, si l'on en excepte peut-être leur maître Tristan l'Ermite, le fameux grand prévôt, ou le maître de celui-ci, Louis XI.
Il ne faut pas supposer que ces réflexions occupassent en ce moment Quentin Durward. La vie, la mort, le temps, l'éternité, étaient en même temps devant ses yeux: perspective accablante qui fait frémir la faiblesse de la nature humaine, même quand l'orgueil cherche à la braver. Il s'adressait au Dieu de ses pères; et pendant ce temps la petite chapelle ruinée où avaient été déposés les restes de toute sa famille, dont il était le seul reste, se présenta à son imagination.
– Nos ennemis féodaux, pensa-t-il, nous ont accordé une sépulture dans notre domaine, et il faut que je serve de pâture aux corneilles et aux corbeaux dans un pays étranger, comme un félon excommunié!
Cette pensée lui tira quelques larmes des yeux. Trois-Échelles, lui frappant doucement sur l'épaule, le félicita de ce qu'il se trouvait dans de si heureuses dispositions pour mourir, en s'écriant d'une voix pathétique, beati qui in Domino moriuntur! il ajouta qu'il était heureux pour l'âme de quitter le corps pendant qu'on avait la larme à l'œil. Petit-André, lui touchant l'autre épaule, lui dit: – Courage, mon cher enfant; puisqu'il faut que vous entriez en danse, ouvrez le bal gaiement, car les instrumens sont d'accord. Et il secoua sa corde en même temps pour faire ressortir le sel de sa plaisanterie. Comme le jeune homme tournait un regard de désolation d'abord sur l'un et ensuite sur l'autre, ils se firent entendre plus clairement en le poussant vers l'arbre fatal, et en lui disant de prendre courage, attendu que tout serait terminé dans un instant.
Dans cette fâcheuse situation, le jeune homme jeta autour de lui un regard de désespoir! – Y a-t-il ici quelque bon chrétien qui m'entende, s'écria-t-il, et qui veuille dire à Ludovic Lesly, archer de la garde écossaise, surnommé en ce pays le Balafré, que son neveu pérît indignement assassiné?
Ces mots furent prononcés à propos; car un archer de la garde écossaise, passant par hasard, avait été attiré par les apprêts de l'exécution, et s'était arrêté avec deux ou trois autres personnes pour voir ce qui se passait.
– Prenez garde à ce que vous faites! cria-t-il aux exécuteurs; car, si ce jeune homme est Écossais, je ne souffrirai pas qu'il soit mis à mort injustement.
– à Dieu ne plaise, sire cavalier! répondit Trois-Échelles; mais il faut que nous exécutions nos ordres. Et il tira Durward par un bras pour le faire avancer.
– La pièce la plus courte est toujours la meilleure, ajouta Petit-André en le tirant par l'autre.
Mais Quentin venait d'entendre des paroles d'espérance; et, réunissant toutes ses forces, il se débarrassa, par un effort soudain, de ses deux satellites, et courant vers l'archer les bras encore liés: – Secourez-moi, mon compatriote, lui dit-il en Écossais, secourez-moi, pour l'amour de l'écosse et de saint André! Je suis innocent; je suis votre concitoyen; secourez-moi, au nom de toutes vos espérances au jour du dernier jugement!
– Par saint André! ils ne vous atteindront qu'à travers mon corps, répondit l'archer en tirant son sabre.
– Coupez mes liens, mon compatriote, s'écria Quentin, et je ferai quelque chose pour moi-même.
Le sabre de l'archer lui rendit l'usage des mains en un instant, et le captif libéré, s'élançant à l'improviste sur un des gardes du grand prévôt, lui arracha la hallebarde dont il était armé.
– Maintenant, s'écria-t-il, avancez si vous l'osez!
Les deux exécuteurs se parlèrent un instant à voix basse.
– Cours après le grand prévôt, dit Trois-Échelles, et je les retiendrai ici, si je le puis. – Soldats de la garde du grand prévôt, à vos armes!
Petit-André monta à cheval, et partit au grand galop, tandis que les soldats, dociles au commandement de Trois-Échelles, se mirent en ordre de bataille avec tant de précipitation, qu'ils laissèrent échapper les deux autres prisonniers. Peut-être ne mettaient-ils pas beaucoup d'empressement à les garder; car, depuis quelque temps, ils avaient été rassasiés du sang de bien des victimes semblables; et, de même que les autres animaux féroces, ils s'étaient lassés de carnage à force de massacres. Mais ils alléguèrent, pour se justifier, qu'ils s'étaient crus appelés immédiatement à la sûreté de Trois-Échelles; car il existait une jalousie qui conduisait souvent à des querelles ouvertes entre les archers de la garde écossaise et les soldats de la garde prévôtale.
– Nous sommes en état de battre ces deux fiers Écossais, si vous le voulez, dit un de ces soldats à Trois-Échelles.
Mais ce personnage officiel fut assez prudent pour lui faire signe de rester en repos; et, s'adressant à l'archer Écossais avec beaucoup de civilité: – Monsieur, lui dit-il, c'est une insulte grave au grand prévôt, que d'oser interrompre ainsi le cours de la justice du roi, dont l'exécution lui est dûment et légalement confiée; c'est un acte d'injustice envers moi qui suis en possession légitime de mon criminel; et ce n'est pas une charité bien entendue pour ce jeune homme lui-même, attendu qu'il peut être exposé cinquante fois à être pendu, sans s'y trouver jamais aussi-bien disposé qu'il l'était avant votre intervention malavisée.
– Si mon jeune compatriote, répondit l'archer en souriant, pense que je lui aie fait tort, je le remettrai entre vos mains sans discuter davantage.
– Non, pour l'amour du ciel! non! s'écria Quentin; abattez-moi plutôt la tête avec votre sabre. Cette mort serait plus convenable à ma naissance que celle que je recevrais des mains de ce misérable.
– Entendez-vous comme il blasphème? dit l'exécuteur des sentences de la loi. Hélas! comme nos meilleures résolutions s'évanouissent promptement! Il n'y a qu'un instant, il était dans les plus belles dispositions pour une bonne fin, et maintenant le voilà qui méprise les autorités!
– Mais apprenez-moi donc ce qu'a fait ce jeune homme, demanda l'archer.
– Il a osé, répondit Trois-Échelles, couper la corde qui suspendait le corps d'un criminel aux branches de cet arbre, quoique j'eusse gravé moi-même sur le tronc la fleur de lis.
– Que veut dire ceci, jeune homme? dit l'archer. Pourquoi avez-vous commis un tel délit?
– Par la protection que j'attends de vous, je jure de vous dire la vérité comme si j'étais à confesse, répondit Durward. J'ai vu un homme pendu à cet arbre, dans les convulsions de l'agonie, et j'ai coupé la corde par pure humanité. Je n'ai pensé ni à fleurs de lis, ni à fleurs de giroflée, et je n'ai pas eu plus d'idée d'offenser le roi de France que notre saint père le pape.
– Et que diable aviez-vous besoin de toucher à ce pendu? reprit l'archer. Vous n'avez qu'à suivre les pas de ce digne personnage, et vous en verrez accrochés à tous les arbres comme des grappes de raisin, vous ne manquerez pas d'ouvrage dans ce pays, si vous allez glaner après le bourreau. Néanmoins, je n'abandonnerai pas un compatriote, si je puis le sauver. écoutez-moi, monsieur l'exécuteur des hautes œuvres, vous voyez que tout ceci n'est qu'une méprise. Vous devriez avoir quelque compassion pour un voyageur si jeune. Il n'a point été accoutumé dans notre pays à voir rendre la justice d'une manière aussi expéditive que vous et votre maître la rendez.
– Ce n'est pas que vous n'en ayez bon besoin, monsieur l'archer, répondit Petit-André qui arrivait en ce moment. Tiens ferme, Trois-Échelles! voici le grand prévôt qui vient; nous allons voir s'il trouvera bon qu'on lui retire son ouvrage des mains, avant qu'il soit achevé.
– Et voici fort à propos, dit l'archer, quelques-uns de mes camarades qui arrivent.
Effectivement, tandis que Tristan l'Ermite gravissait d'un côté avec sa suite la petite colline qui était la scène de cette altercation, quatre ou cinq archers arrivaient de l'autre, et le Balafré lui-même était de ce nombre.
Ludovic Lesly, en cette occasion, ne montra nullement pour son neveu cette indifférence dont celui-ci l'avait intérieurement accusé; car, dès qu'il eut vu son camarade et Durward dans une attitude de défense, il s'écria: – Cunningham, je te remercie! Messieurs mes camarades, je réclame votre aide. C'est un gentilhomme Écossais, mon neveu. Lindesay, Guthrie, Tyrie, dégainons et frappons!
Tout annonçait un combat désespéré entre les deux partis, et ils n'étaient pas en nombre assez disproportionné pour que la supériorité des armes ne donnât pas aux cavaliers Écossais une chance de victoire. Mais le grand prévôt, soit qu'il doutât de l'issue de l'affaire, soit qu'il prévît que le roi pourrait s'en fâcher, fit signe à ses gens de s'abstenir de toute violence; et s'adressant au Balafré, qui était en avant comme chef de l'autre parti, il lui demanda pourquoi lui, cavalier de la garde du roi, il s'opposait à l'exécution d'un criminel?
– C'est ce que je nie, répondit le Balafré. Par saint Martin! il y a quelque différence entre l'exécution d'un criminel et le meurtre de mon propre neveu.
– Votre neveu peut être criminel comme un autre, répliqua le grand prévôt, et tout étranger est justiciable en France des lois du pays.
– Soit! répliqua le Balafré; mais nous avons nos privilèges, nous autres archers Écossais. N'est-il pas vrai, camarades?
– Oui, oui! s'écrièrent tous les archers; nos privilèges! nos privilèges! Vive le roi Louis! vive le brave Balafré! vive la garde écossaise! mort à quiconque enfreindra nos privilèges!
– écoutez la raison, messieurs, dit Tristan; faites attention à la charge dont je suis revêtu.
– Ce n'est pas de vous que nous devons entendre la raison! s'écria Cunningham; nous l'entendrons de la bouche de nos officiers; nous serons jugés par le roi, ou par notre capitaine, puisque le grand connétable est absent.
– Et nous ne serons pendus par personne, ajouta Lindesay, si ce n'est par Sandie Wilson, le vieil officier prévôtal de notre corps.
– Ce serait faire un vol à Sandie, si nous cédions à d'autres ses droits, dit le Balafré; et Sandie est un homme aussi brave que n'importe quel homme qui ait jamais fait un nœud coulant à une corde. Si je devais être pendu, moi-même, personne que lui ne me serrerait la cravate.
– Mais écoutez-moi, dit le grand prévôt; ce jeune drôle n'est pas des vôtres, et il ne peut avoir droit à ce que vous appelez vos privilèges.
– Ce que nous appelons nos privilèges! s'écria Cunningham. Qui osera nous les contester?
– Nous ne souffrirons pas qu'on les mette en question, s'écrièrent tous les archers.
– Vous perdez l'esprit, mes maîtres, dit Tristan l'Ermite. Personne ne vous conteste vos privilèges'; mais ce jeune homme n'est pas des vôtres.
– Il est mon neveu, dit le Balafré d'un air triomphant.
– Mais il n'est pas archer de la garde, à ce que je pense, dit Tristan.
Les archers se regardèrent l'un l'autre d'un air incertain.
– Ferme, cousin, dit tout bas Cunningham au Balafré; dites qu'il est enrôlé parmi nous.
– Par saint Martin! vous avez raison, beau cousin, répondit Ludovic; et élevant la voix, il jura qu'il avait enrôlé ce matin même son neveu parmi les gens de sa suite.
Cette déclaration fut un argument décisif.
– Fort bien, messieurs, dit le grand prévôt, qui savait que le roi avait la plus grande crainte de voir des germes de mécontentement se glisser dans sa garde; vous connaissez vos privilèges, comme vous le dites; mon devoir est d'éviter toute querelle avec les gardes du roi, et non de les chercher. Je ferai un rapport au roi sur cette affaire et il en décidera lui-même. Mais je dois vous dire qu'en agissant ainsi je montre peut-être plus de modération que le devoir de ma charge ne m'y autorise.
À ces mots, il ordonna à sa troupe de se mettre en marche, tandis que les archers, restant sur le lieu, tinrent conseil à la hâte sur ce qu'ils avaient à faire.
– Il faut d'abord, dit l'un d'eux, que nous avertissions notre capitaine, lord Crawford, de tout ce qui vient de se passer, et que nous fassions mettre sur le contrôle le nom de ce jeune homme.
– Mais, messieurs, mes dignes amis, mes sauveurs, dit Quentin en hésitant, je n'ai pas encore suffisamment réfléchi si je dois m'enrôler parmi vous ou non.
– Eh bien! lui dit son oncle, réfléchissez si vous voulez être pendu ou non; car je vous promets que, tout mon neveu que vous êtes, je ne vois pas d'autre moyen pour vous sauver de la potence.
C'était un argument irrésistible, et Quentin se vit réduit à accepter sur-le-champ une proposition qui, en toute autre circonstance, ne lui aurait point paru très-agréable. Mais après avoir si récemment échappé à la corde, qui lui avait été à la lettre passée autour du cou, il aurait probablement consenti à une alternative encore plus fâcheuse.
– Il faut qu'il nous accompagne à notre caserne, dit Cunningham; il n'y a pas de sûreté pour lui hors de nos limites, tant que ces lévriers sont en chasse.
– Ne puis-je donc passer cette nuit dans l'hôtellerie où j'ai déjeuné ce matin, bel oncle? demanda Quentin, qui pensait peut-être, comme beaucoup de nouvelles recrues, que même une seule nuit de liberté était toujours quelque chose de gagné.
– Vous le pouvez, beau neveu, lui répondit son oncle d'un ton ironique, si vous voulez nous donner le plaisir de vous pêcher dans quelque canal, ou dans un étang, ou peut-être dans un bras de la Loire, cousu dans un sac, ce qui vous donnera plus de facilité pour nager. Le grand prévôt souriait en nous regardant quand il est parti, continua-t-il en se tournant vers Cunningham, et c'est un signe qu'il médite quelque projet dont nous devons nous défier.
– Je m'inquiète fort peu de ses projets, répliqua Cunningham: des oiseaux tels que nous prennent leur vol trop haut pour que ses traits puissent les atteindre. Mais je vous conseille de conter toute l'affaire à ce diable d'Olivier le Dain, qui s'est toujours montré ami de la garde écossaise. Il verra le père Louis avant que le prévôt puisse le voir, car il doit le raser demain matin.
– Fort bien, répliqua le Balafré; mais vous savez qu'on ne peut guère se présenter devant Olivier les mains vides, et je suis aussi nu que le bouleau en hiver.
– Nous pouvons tous en dire autant, dit Cunningham; mais Olivier ne refusera pas d'accepter pour une fois notre parole d'Écossais. Nous pouvons entre nous lui faire un joli présent le premier jour de paie; et s'il s'attend à entrer en partage, permettez-moi de vous dire que le jour de paie n'en viendra que plus tôt.
– Et maintenant au château, dit le Balafré. Chemin faisant, mon neveu nous dira comment il s'y est pris pour mettre à ses trousses le grand prévôt, afin que nous puissions préparer notre rapport à lord Crawford et à Olivier.
CHAPITRE VII.
L'Enrôlement
Le juge de paix. «Donnez-moi les statuts, et lisez les articles.
«Prêtez serment, signez, et soyez un héros.
«Vous recevrez, pour prix de vos futurs travaux,
«Six sous par jour, en sus de votre nourriture.»
FARQHUAR. Officier en recrutement.
ON fit mettre pied à terre à un homme de la suite d'un des archers, et l'on donna son cheval à Quentin Durward, qui, accompagné de ses belliqueux concitoyens, s'avança d'un bon pas vers le château du Plessis, sur le point de devenir, quoique involontairement de sa part, habitant de cette sombre forteresse dont l'extérieur lui avait causé tant de surprise dans la matinée.
Cependant, en réponse aux questions multipliées de son oncle, il lui fit le détail exact de l'aventure qui venait de l'exposer à un si grand danger. Quoiqu'il n'y eût rien de fort gai, selon lui, dans son histoire, elle fut pourtant reçue avec de grands éclats de rire par son escorte.
– C'est une fort mauvaise plaisanterie, dit son oncle; que diable ce jeune écervelé avait-il besoin de se mêler d'aller décrocher le corps d'un maudit mécréant, juif, maure ou païen?
– Passe encore, dit Cunningham, s'il avait eu querelle avec la garde prévôtale pour une jolie fille, comme Michel de Moffat; il y aurait eu plus de bon sens à cela.
– Mais je crois qu'il y va de notre honneur, dit Lindesay, que Tristan et ses gens n'affectent pas de confondre nos toques écossaises avec les turbans de ces pillards vagabonds. S'ils n'ont pas la vue assez bonne pour en faire la différence, il faut la leur apprendre à tour de bras. Mais je suis convaincu que Tristan ne prétend s'y méprendre qu'afin de pouvoir accrocher les braves Écossais qui viennent voir leurs parens.
– Puis-je vous demander, mon oncle, dit Durward, quelle sorte de gens sont ceux dont vous parlez?
– Sans doute, vous le pouvez, beau neveu, répondit Ludovic, mais je ne sais pas qui est en état de vous répondre. À coup sûr, ce n'est pas moi, quoique j'en sache peut-être autant qu'un autre. Il y a un an ou deux qu'ils ont paru dans ce pays, comme aurait pu le faire une nuée de sauterelles.
– C'est cela même, dit Lindesay, et Jacques Bonhomme (c'est ainsi que nous désignons ici le paysan, mon jeune camarade; avec le temps vous apprendrez notre manière de parler); l'honnête Jacques Bonhomme, dis-je, s'inquiéterait peu de savoir quel vent les a apportés, eux ou les sauterelles, s'il pouvait espérer que quelque autre vent les emportât.
– Ils font donc bien du mal? demanda Quentin Durward.
– Du mal! répondit Cunningham en faisant le signe de la croix; savez-vous bien que ce sont des païens, ou des juifs, ou des mahométans tout au moins; qu'ils ne croient ni à Notre-Dame ni aux saints; qu'ils volent tout ce qui peut leur tomber sous la main; qu'ils chantent, et qu'ils disent la bonne aventure?
– Et l'on assure qu'il y a parmi leurs femmes quelques filles de bonne mine, ajouta Guthrie; mais Cunningham sait cela mieux que personne.
– Comment! s'écria Cunningham; j'espère que vous n'avez pas dessein de m'insulter?
– Rien n'est plus loin de ma pensée, répondit Guthrie.
– J'en fais juge toute la compagnie, répliqua Cunningham. N'avez-vous pas dit que moi, gentilhomme Écossais et vivant dans le giron de la sainte église, j'avais une belle amie parmi ces chiens de païens?
– Allons, allons, dit le Balafré, il n'a fait que plaisanter. Il ne faut pas de querelles entre camarades.
– En ce cas il ne faut pas de pareilles plaisanteries, murmura Cunningham comme s'il se fût parlé à lui-même.
– Trouve-t-on de pareils vagabonds ailleurs qu'en France? demanda Lindesay.
– Oui, sur ma foi, répondit le Balafré; on en a vu paraître des bandes en Allemagne, en Espagne, en Angleterre. Mais, grâce à la protection du bon saint André, l'écosse n'en est pas encore empestée.
– L'écosse, dit Cunningham, est un pays trop froid pour les sauterelles, et trop pauvre pour les voleurs.
– Ou peut-être, ajouta Guthrie, John-Highlander36 ne veut-il pas y souffrir d'autres voleurs que lui.
– Il est bon, s'écria le Balafré, que je vous fasse savoir à tous que je suis né sur les montagnes d'Angus; que j'ai de braves parens sur celles de Glen-Isla, et que je ne souffrirai pas qu'on parle mal des montagnards.
– Vous ne nierez pas, ajouta Guthrie, qu'ils ne descendent sur les basses terres pour enlever les troupeaux?
– Chasser une proie37 n'est pas voler, répondit le Balafré, et je le soutiendrai quand vous le voudrez et où il vous plaira.
– Eh bien! eh bien, camarade, dit Cunningham, qui est-ce qui se querelle à présent? Fi donc! il ne faut pas que ce jeune homme voie de si folles altercations parmi nous. Allons, voilà que nous sommes au château; si vous voulez venir dîner avec moi, je paierai un poinçon de vin, pour nous réjouir en bons camarades; et nous boirons à l'écosse, aux montagnes et aux basses terres.
– Convenu! convenu! s'écria le Balafré, et j'en paierai un autre pour noyer le souvenir de toute altercation et célébrer l'entrée de mon neveu dans notre corps, en buvant à sa santé.
Lorsqu'ils arrivèrent au château, on ouvrit le guichet et le pont-levis fut baissé. Ils entrèrent un à un; mais lorsque Quentin se présenta, les sentinelles croisèrent leurs piques et lui ordonnèrent de s'arrêter tandis que les arcs et les arquebuses se dirigeaient vers lui du haut des murailles: précaution sévère qui fut observée quoique le jeune étranger arrivât en compagnie de plusieurs membres de la garnison, faisant même partie du corps qui avait fourni les sentinelles.
Le Balafré, qui était resté à dessein près de son neveu, donna les explications nécessaires; et après beaucoup de délais et d'hésitation, le jeune homme fut conduit, sous bonne garde, à l'appartement de lord Crawford.
Ce seigneur était un des derniers restes de cette vaillante troupe de lords et de chevaliers Écossais, fidèles serviteurs de Charles VII, dans ces guerres sanglantes qui décidèrent l'indépendance de la couronne française et l'expulsion des Anglais.
Il avait combattu dans sa jeunesse à côté de Douglas et de Buchan, avait suivi la bannière de Jeanne d'Arc, et était peut-être un des derniers de ces chevaliers Écossais qui avaient de si bon cœur défendu les fleurs de lis contre leurs anciens ennemis les Anglais.
Les changemens qui avaient eu lieu dans le royaume d'écosse, et peut-être l'habitude qu'il avait contractée du climat et des mœurs de la France, avaient fait perdre au vieux baron toute idée de retourner dans sa patrie, d'autant plus que le rang élevé qu'il occupait dans la maison de Louis, et son caractère franc et loyal, lui avaient donné un ascendant considérable sur le roi. Ce prince, quoiqu'il ne fut pas en général très disposé à croire à l'honneur et à la vertu, ne doutait pas que lord Crawford n'en fut rempli, et lui accordait d'autant plus d'influence, que le vieux militaire ne l'employait jamais que pour des affaires qui avaient un rapport direct avec son commandement.
Le Balafré et Cunningham suivirent Durward et son escorte dans l'appartement de leur capitaine dont l'air de dignité, et le respect que lui accordaient ces fiers soldats, qui semblaient ne respecter que lui, en imposèrent considérablement au jeune Écossais.
Lord Crawford était d'une taille avantageuse; l'âge l'avait maigri; mais il conservait encore la force, sinon l'élasticité de la jeunesse, et il était en état de supporter le poids de son armure pendant une marche, aussi-bien que le plus jeune de ceux qui servaient dans son corps. Il avait les traits durs, le teint basané, le visage sillonné de cicatrices, un œil qui avait vu la mort de près dans trente batailles, mais qui cependant exprimait plutôt un mépris joyeux pour le danger que le courage féroce d'un soldat mercenaire. Sa grande taille était alors enveloppée dans une ample robe de chambre, serrée autour de lui par un ceinturon de buffle, dans lequel était passé un poignard dont le manche était richement orné. Il avait autour du cou le collier et la décoration de l'ordre de Saint-Michel; il était assis sur un fauteuil couvert en peau de daim, avait sur le nez des lunettes, invention alors toute nouvelle, et s'occupait à lire un manuscrit intitulé le Rosier de la Guerre, code de politique civil et militaire que Louis avait compilé pour l'instruction du dauphin son fils, et dont il désirait savoir ce que pensait un vieux guerrier plein d'expérience.
Lord Crawford mit son livre de côté avec une sorte d'humeur, en recevant cette visite inattendue, et demanda, dans son dialecte national, ce que diable on lui voulait.
Le Balafré, avec plus de respect peut-être qu'il n'en aurait montré à Louis lui-même, lui fit un détail des circonstances dans lesquelles son neveu se trouvait, et lui demanda humblement sa protection. Lord Crawford l'écouta fort attentivement; il sourit de l'empressement qu'avait mis le jeune homme à couper la corde d'un pendu; mais il secoua la tête quand il apprit la querelle qui avait eu lieu à ce sujet entre les archers Écossais et les gens du grand prévôt.
– M'apporterez-vous donc toujours des écheveaux embrouillés? s'écria-t-il. Combien de fois faut-il que je vous le dise, et surtout à vous deux, Ludovic Lesly et Archie Cunningham? le soldat étranger doit se comporter avec douceur et réserve à l'égard des habitans de ce pays, si vous ne voulez pas avoir sur vos talons tous les chiens de la ville. Cependant, s'il faut que vous ayez une affaire avec quelqu'un, j'aime mieux que ce soit avec ce coquin de prévôt qu'avec un autre; et je vous blâme moins pour cette incartade que pour les autres querelles que vous vous êtes faites, Ludovic, car il était convenable et naturel de soutenir votre jeune parent; il ne faut pas non plus qu'il soit victime de sa simplicité: ainsi prenez le registre du contrôle de la compagnie sur ce rayon, et donnez-le-moi. Nous y inscrirons son nom, afin qu'il puisse jouir de nos privilèges.
– Si votre Seigneurie me le permet, dit Durward, je…
– A-t-il perdu l'esprit? s'écria son oncle. Comment osez-vous parler à Sa Seigneurie, sans qu'elle vous interroge?
– Patience, Ludovic, dit lord Crawford; écoutons ce que le jeune homme veut nous dire.
– Rien qu'un seul mot, milord, répondit Quentin. J'avais dit ce matin à mon oncle que j'avais quelque doute si je devais entrer dans cette troupe. J'ai à déclarer maintenant qu'il ne m'en reste plus aucun, depuis que j'ai vu son noble et respectable chef sous lequel je serai fier de servir; car son air respire l'autorité.
– C'est bien parlé, mon enfant, dit le vieux lord, qui ne fut pas insensible à ce compliment; nous avons quelque expérience, et Dieu nous a fait la grâce d'en profiter, tant en servant qu'en commandant. Vous voilà reçu, Quentin Durward, dans l'honorable corps des archers de la garde écossaise, comme écuyer de votre oncle, et servant sous sa lance. J'espère que vous prospérerez, car vous devez faire un brave homme d'armes, si tout ce qui vient de haut lieu est brave, puisque vous êtes d'une famille honorable. Ludovic, vous aurez soin que votre parent suive exactement ses exercices, car nous aurons des lances à rompre un de ces jours.
– Par le pommeau de mon sabre! j'en suis ravi, milord. Cette paix n'est bonne qu'à nous changer tous en poltrons. Moi-même je ne me sens plus la même ardeur quand je me vois enfermé dans ce maudit donjon.
– Eh bien! un oiseau m'a sifflé à l'oreille qu'on verra bientôt la vieille bannière se déployer en campagne.
– J'en boirai ce soir un coup de plus sur cet air, milord.
– Tu en boiras sur tous les airs du monde, Ludovic; mais je crains que tu ne boives un jour quelque breuvage amer que tu te seras préparé toi-même.
Lesly, un peu déconcerté, répondit qu'il y avait bien des jours qu'il n'avait fait aucun excès, mais que Sa Seigneurie connaissait l'usage de la compagnie, de célébrer la bienvenue d'un nouveau camarade, en buvant à sa santé.
– C'est vrai, dit le vieux chef; je l'avais oublié. Je vous enverrai quelques craches de vin pour vous aider à vous réjouir; mais que tout soit fini au coucher du soleil. Et écoutez-moi: veillez à ce qu'on choisisse avec soin les soldats qui doivent être de garde cette nuit, et qu'aucun d'eux ne fasse la débauche avec vous.
– Votre Seigneurie sera ponctuellement obéie, répondit Ludovic, et sa santé ne sera pas oubliée.
– Il peut se faire, dit lord Crawford, que j'aille moi-même vous joindre quelques instans, uniquement pour voir si tout se passe en bon ordre.
– En ce cas, milord, la fête sera complète, dit Ludovic. Et ils se retirèrent tous trois fort satisfaits du résultat de leur entrevue, pour songer aux apprêts de leur banquet militaire, auquel Lesly invita une vingtaine de ses camarades qui, assez généralement, étaient dans l'usage de manger à la même table.
Une fête de soldats est ordinairement un impromptu, et tout ce qu'on exige, c'est qu'il s'y trouve de quoi boire et manger. Mais, en cette occasion, le Balafré eut soin de se procurer du vin de meilleure qualité que de coutume: – Car, dit-il à ses camarades, le vieux lord est le convive sur lequel nous pouvons le plus compter. Il nous prêche la sobriété; mais après avoir bu à la table du roi autant de vin qu'il en peut prendre décemment, il ne manque jamais une occasion honorable de passer la soirée en compagnie d'un bon pot de vin: ainsi il faut nous préparer à entendre les vieilles histoires des batailles de Verneuil et de Beaugé.
L'appartement gothique dans lequel ils prenaient ordinairement leurs repas fut mis à la hâte dans le meilleur ordre; on chargea les palefreniers d'aller cueillir des joncs pour les étendre sur le plancher, et les bannières sous lesquelles la garde écossaise avait marché au combat, de même que celles qu'elle avait prises sur les ennemis, furent déployées au-dessus de la table et autour des murs de la chambre, en guise de tapisseries.