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Kitabı oku: «Cymbeline», sayfa 3

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ACTE DEUXIÈME

SCÈNE I

Une cour devant le palais de Cymbeline
Entre CLOTEN avec DEUX SEIGNEURS

CLOTEN. – Jamais homme a-t-il autant joué de malheur? Je frise le but1, et puis je me vois rouler au loin! J'avais sur le coup cent livres de pari, et il faudra encore qu'un impertinent faquin vienne m'entreprendre pour avoir juré, comme si je lui empruntais mes serments; et que je ne fusse pas le maître de les prodiguer à mon gré!

PREMIER SEIGNEUR. – Qu'a-t-il gagné à cela? Vous lui avez cassé la tête avec votre boule.

SECOND SEIGNEUR, à part. – S'il n'eût pas eu plus de cervelle que celui qui lui a cassé la tête, il ne lui en serait pas resté.

CLOTEN. – Lorsqu'un gentilhomme est en humeur de jurer, il n'appartient pas à aucun des spectateurs de venir interrompre2 ses jurements, je crois?

SECOND SEIGNEUR. – Non, seigneur, (à part) ni de leur couper les oreilles3.

CLOTEN. – Ce chien de bâtard! – Moi! lui donner satisfaction? Que n'est-il quelqu'un de mon rang!

SECOND SEIGNEUR, à part. – Il serait au rang des fous4!

CLOTEN. – Rien au monde ne m'impatiente autant. Peste soit de la grandeur! je voudrais n'être pas noble comme je suis. On n'ose pas se battre avec moi, à cause de la reine ma mère: le dernier petit bourgeois s'en donne son soûl de se battre, et moi, il faut que j'aille et vienne comme un coq dont on ne peut trouver le pair.

SECOND SEIGNEUR, à part. – Vous êtes à la fois un coq et un chapon, et vous chantez, coq, avec votre crête.

CLOTEN. – Vous dites?

PREMIER SEIGNEUR. – Qu'il n'est pas convenable que Votre Altesse se mesure avec le premier venu qu'il lui aura plu d'insulter.

CLOTEN. – Non: je sais cela, mais il est convenable que j'offense mes inférieurs.

SECOND SEIGNEUR. – Oui, cela ne convient qu'à Votre Altesse.

CLOTEN. – C'est ce que je dis.

PREMIER SEIGNEUR. – Avez-vous entendu parler d'un étranger qui est arrivé ce soir à la cour?

CLOTEN. – Un étranger! et je n'en sais rien!

SECOND SEIGNEUR, à part. – Ah! tu es toi-même un étrange sot5, et tu n'en sais rien non plus.

PREMIER SEIGNEUR. – Oui, il y a un Italien d'arrivé; on le croit un des amis de Léonatus.

CLOTEN. – De Léonatus, ce coquin de banni! Son ami en est un autre, quel qu'il soit. – Qui vous a appris l'arrivée de cet étranger?

PREMIER SEIGNEUR. – Un des pages de Votre Altesse.

CLOTEN. – Me convient-il d'aller le regarder? Le puis-je sans déroger?

SECOND SEIGNEUR. – Vous ne pouvez déroger, seigneur.

CLOTEN. – Cela ne m'est pas aisé, je crois.

SECOND SEIGNEUR, à part. – Vous êtes un imbécile avoué: et tout ce qui vient de vous étant d'un imbécile, ne vous fait pas déroger.

CLOTEN. – Venez, je veux voir cet Italien: ce que j'ai perdu aujourd'hui aux boules, je le regagnerai le soir avec lui. Venez, allons.

SECOND SEIGNEUR. – Je suis Votre Altesse. (Cloten sort avec le premier seigneur.) – Comment une diablesse aussi rusée a-t-elle pu mettre au monde cet âne? Une femme qui renverse tout avec sa tête; et voilà son fils à qui on ne ferait pas comprendre qu'en ôtant deux de vingt, il reste dix-huit. – Hélas! pauvre princesse, divine Imogène! que ne souffres-tu pas, entre un père que gouverne ta marâtre, une mère qui trame à tout moment des complots, et un amant plus odieux pour toi que l'horrible exil de ton cher époux; – plus odieux que cet horrible divorce qu'il désire! – Que le ciel soutienne les remparts de ta chère vertu; qu'il affermisse le temple de ta belle âme, afin que tu puisses un jour résister et posséder et ton époux banni et ce vaste royaume!

(Il sort.)

SCÈNE II

Une chambre à coucher, et dans un coin un coffre
IMOGÈNE, lisant dans son lit, une dame lui tient compagnie

IMOGÈNE. – Qui est là? Est-ce vous, Hélène?

HÉLÈNE. – Que désirez-vous, madame?

IMOGÈNE. – Quelle heure est-il?

HÉLÈNE. – Près de minuit, madame.

IMOGÈNE. – Alors j'ai lu trois heures; mes yeux sont fatigués. – Pliez le feuillet où j'en suis restée, et allez vous mettre au lit. N'emportez point le flambeau, laissez-le brûler: et si vous pouvez vous réveiller à quatre heures, appelez, je vous prie. – Le sommeil me gagne complètement. (Hélène sort.) Dieux, je me mets sous votre garde: protégez-moi, je vous en supplie, contre les fées et les esprits malfaisants de la nuit.

(Imogène s'endort.)

IACHIMO, sortant du coffre. – Les grillons chantent: les sens de l'homme, épuisés par le travail, se réparent dans le repos. Ainsi jadis notre Tarquin foulait doucement les joncs6 avant d'éveiller la chasteté qu'il viola. Cythérée, comme tu es belle dans ton lit! pur lis! plus blanc que les draps! oh! si je pouvais te toucher, te donner un baiser, un seul baiser! Rubis incomparable de ses lèvres, que vous le rendez précieux! C'est son haleine qui embaume ainsi l'appartement: la flamme du flambeau s'incline vers elle, et voudrait pénétrer sous ses paupières pour y voir les lumières qu'elles cachent maintenant sous leur rideau: globes d'un blanc mêlé d'azur, de l'azur même des cieux. – Mais mon projet est d'observer la chambre; je vais tout écrire. – Ici des tableaux. – Là une fenêtre. – Tels sont les ornements de son lit. – Les tapisseries, les personnages sont ainsi, et ainsi est le contenu du livre. – Mais quelques signes naturels observés sur son corps seraient un témoignage plus important que la description de dix mille meubles, et ils enrichiraient mon inventaire. O sommeil, image de la mort, appesantis-toi sur elle, et rends-la insensible comme un monument placé dans une chapelle. (Prenant le bracelet d'Imogène.) Viens à moi, viens: tu es aussi aisé à défaire que le noeud gordien était serré. – Il est à moi, et ce bracelet sera un témoin extérieur aussi fort que la conscience à l'intérieur pour désespérer son époux. – Son sein gauche porte un signe à cinq rayons comme les gouttes de pourpre qui brillent dans le calice d'une primevère7. Voilà une preuve plus forte que toutes celles que peuvent donner les lois. Ces signes cachés le forceront de croire que j'ai crocheté la serrure et ravi le trésor de son honneur. Que me faut-il de plus? – Qu'ai-je besoin d'écrire ce qui est écrit, imprimé dans ma mémoire? (Prenant le livre.) – Elle a lu bien tard l'histoire de Térée; la feuille est pliée à l'endroit où Philomèle se rendit. – J'en ai assez: rentrons dans ce coffre et refermons-en le ressort. – Vite, hâtez-vous, dragons de la nuit: que l'aurore vienne ouvrir l'oeil du corbeau. – Je vis dans la crainte; l'enfer est ici pour moi, quoiqu'un ange céleste y repose. (L'horloge sonne.) Une, deux, trois: il est temps, il est temps.

(Il rentre dans le coffre; la scène se ferme.)

SCÈNE III

Une antichambre dans l'appartement d'Imogène
Entre CLOTEN ET les DEUX SEIGNEURS

PREMIER SEIGNEUR. – Votre Altesse est l'homme le plus patient dans la perte, le joueur le plus froid qui ait jamais retourné un as.

CLOTEN. – Il n'y a pas d'homme que la perte ne rende froid.

PREMIER SEIGNEUR. – Mais tout le monde ne montre pas une patience aussi noble que Votre Altesse: vous êtes très-ardent, très-emporté lorsque vous gagnez.

CLOTEN. – Le gain donne du courage à tout le monde. Ah! si je pouvais gagner cette entêtée d'Imogène, je serais assez riche. Le matin approche, n'est-ce pas?

PREMIER SEIGNEUR. – Il est jour, seigneur.

CLOTEN. – Je voudrais bien voir arriver ces musiciens. On me conseille de lui donner de la musique le matin; on m'a dit que cela pénétrerait. (Les musiciens entrent.) Venez, accordez vos instruments; si vous pouvez la pénétrer avec ce jeu de vos doigts, tant mieux; nous essayerons aussi notre langue; si rien ne réussit, qu'elle reste ce qu'elle est; mais jamais je ne la céderai. – Imaginez d'abord quelque chose de piquant et d'exquis, exécutez ensuite un air d'une merveilleuse douceur, accompagné d'admirables et éloquentes paroles; et puis laissons-la à ses réflexions.

(Les musiciens chantent et s'accompagnent.)
AIR
 
Écoute, écoute, l'alouette chante à la porte des cieux.
Et Phébus va se lever
Pour abreuver ses coursiers à cette source qui repose dans le calice des fleurs;
Les marguerites clignotantes
Commencent à entr'ouvrir leurs yeux d'or.
Éveille-toi, ma douce maîtresse,
Avec toutes ces choses jolies;
Lève-toi, lève-toi.
 

CLOTEN, aux musiciens. – En voilà assez. Laissez-nous. – Si ceci pénètre, je ferai grand cas de votre musique, sinon alors c'est un vice de son oreille que ni les crins de cheval8, ni les boyaux de chat, ni la voix de l'eunuque ne pourront jamais corriger.

(Les musiciens sortent.)
(La reine et Cymbeline paraissent.)

SECOND SEIGNEUR. – Voici le roi.

CLOTEN. – Je suis bien aise d'être resté debout si tard; cela fait que je suis levé de grand matin. En bon père, il ne peut qu'approuver l'hommage que je viens de rendre. – Salut à Votre Majesté et à ma noble mère.

CYMBELINE. – Vous assiégez donc la porte de cette fille sévère? Ne paraîtra-t-elle point?

CLOTEN. – J'ai attaqué son coeur par la musique; mais elle ne daigne pas y faire attention.

CYMBELINE. – L'exil de son amant est trop récent; elle ne l'a pas encore oublié; mais le temps effacera les traces de son souvenir, et alors elle est à vous.

LA REINE. – Vous devez bien des remerciements au roi: il ne laisse échapper aucune occasion de vous faire valoir auprès de sa fille. Sachez vous-même mettre de la suite dans vos démarches auprès d'elle: apprenez à saisir l'occasion favorable; que ses refus augmentent vos empressements; que les devoirs que vous lui rendez paraissent une inspiration naturelle; obéissez-lui en toutes choses excepté lorsqu'elle vous ordonne de vous éloigner d'elle: sur ce seul article soyez insensible.

CLOTEN. – Insensible? Pas du tout.

(Un messager entre.)

LE MESSAGER. – Avec votre bon plaisir, seigneur, des ambassadeurs sont arrivés de Rome; l'un d'eux est Caïus-Lucius.

CYMBELINE. – C'est un digne Romain, quoiqu'il vienne cette fois dans des intentions hostiles, mais ce n'est pas sa faute. Je veux le recevoir avec les marques de distinction que je dois à celui qui l'envoie, et, quant à lui, nous devons nous souvenir de ses bontés passées envers nous. Mon fils, lorsque vous aurez dit bonjour à votre princesse, venez nous rejoindre; nous aurons besoin de vous employer auprès de ce Romain. – Venez, madame.

(Cymbeline sort avec la reine, les seigneurs et le messager.)

CLOTEN. – Si elle est levée, je veux lui parler, si elle ne l'est pas, qu'elle dorme et rêve à son aise. (Il frappe.) Holà! peut-on…? Je sais qu'elle est entourée de ses femmes. – Mais, si je leur dorais la main. C'est l'or qui achète l'entrée des portes. Oh! oui; fort souvent il corrompt jusqu'aux gardes de Diane, et leur fait livrer leurs biches dans les mains du braconnier; c'est l'or qui fait périr l'honnête homme et sauve le fripon; quelquefois aussi il fait pendre le fripon et l'honnête homme: que ne peut-il pas faire ou défaire? Je veux me faire un avocat d'une des femmes d'Imogène; car je n'entends pas encore moi-même l'affaire. – Avec votre permission.

(Il frappe encore.)

UNE SUIVANTE. – Qui est là? – Qui frappe?

CLOTEN. – Un gentilhomme.

LA SUIVANTE. – N'est-ce que cela?

CLOTEN. – Et le fils d'une noble dame.

LA SUIVANTE, ouvrant la porte. – Bien des gens, dont les tailleurs coûtent aussi cher que le vôtre, ne pourraient pas se vanter de la même chose. – Que désire Votre Altesse?

CLOTEN. – La personne de votre maîtresse; – est-elle prête?

LA SUIVANTE. – Oui, à garder sa chambre.

CLOTEN. – Cette bourse est à vous: vendez-moi une bonne réputation.

LA SUIVANTE. – Comment, ma bonne réputation? ou s'agit-il de dire ce que je croirai être du bien de vous? – La princesse…

(Entre Imogène.)

CLOTEN. – Bonjour, la plus belle des soeurs, laissez-moi prendre votre douce main.

IMOGÈNE. – Bonjour, seigneur, vous prenez beaucoup trop de peine pour ne recueillir que des refus; les remerciements que vous aurez de moi, c'est de m'entendre dire que je suis très-avare de remerciements et que je n'en ai pas de reste pour vous.

CLOTEN. – Cependant je vous aime, je vous le jure.

IMOGÈNE. – Si vous me le disiez sans me le jurer, cela aurait fait le même effet sur moi; mais si vous vous obstinez à jurer toujours, votre récompense sera toujours de voir que je n'y fais pas la moindre attention.

CLOTEN. – Ce n'est pas là une réponse.

IMOGÈNE. – Je ne vous parlerais pas, si je ne craignais que mon silence ne vous autorisât à dire que je cède. Laissez-moi en paix, je vous prie. – A ne vous rien cacher, je répondrai sans plus de courtoisie à toutes vos plus tendres prévenances. Un homme de votre pénétration devrait apprendre la discrétion quand on la lui enseigne.

CLOTEN. – Quoi! vous laisser dans votre folie? ce serait un péché; je n'en ferai rien.

IMOGÈNE. – Les sots ne sont pas des fous.

CLOTEN. – Me traitez-vous de sot, moi?

IMOGÈNE. – Comme je suis folle, je le fais. Mais soyez patient et je ne serai plus folle; alors nous serons guéris tous les deux. – Je suis fâchée, seigneur, que vous me forciez d'oublier les manières d'une femme bien élevée, en vous prodiguant tant de paroles. Une fois pour toutes, apprenez donc de moi, qui connais bien mon coeur, que je vous déclare, au nom de la vérité, que je ne me soucie pas de vous, et suis si près de manquer de charité que je vous hais (ce dont je m'accuse); j'aurais mieux aimé que vous l'eussiez senti que de me le faire dire.

CLOTEN. – Vous manquez à l'obéissance que vous devez à votre père; car l'engagement dont vous prétendez être liée avec ce misérable élevé par charité, nourri de plats froids et des restes de la cour, n'est pas un engagement; non, ce n'en est pas un. Il peut être permis aux gens de basse extraction (et en est-il de plus basse que la sienne?) d'enchaîner leurs âmes dans les noeuds qu'ils ont tissés eux-mêmes; il n'y a pour toute conséquence que des marmots et la misère. Mais vous êtes privée de cette liberté par l'importance de la couronne, et vous n'avez pas le droit d'en souiller le précieux éclat avec un vil esclave digne de porter la livrée et les vieux habits d'un maître; – avec un valet, et moins encore.

IMOGÈNE. – Profane! fusses-tu le fils de Jupiter, si tu n'étais que ce que tu es d'ailleurs, tu serais trop vil pour être le valet de Posthumus; tu serais assez honoré, et l'envie te trouverait trop heureux, si, pour récompenser tes vertus, on te nommait le valet du bourreau dans son royaume; tu serais haï pour être si bien traité.

CLOTEN. – Que la peste l'étouffe9!

IMOGÈNE. – Il ne peut jamais éprouver de malheur plus affreux que celui d'être seulement nommé par toi. – Le plus grossier vêtement qui ait seulement couvert son corps est plus précieux pour moi que tous les cheveux de ta tête, fussent-ils changés en autant d'hommes te ressemblant. – (Appelant.) Pisanio!

CLOTEN. – Son vêtement! Eh bien! que le diable!..

(Pisanio paraît.)

IMOGÈNE. – Pisanio, allez promptement trouver ma suivante Dorothée.

CLOTEN. – Son vêtement!

IMOGÈNE. – Je suis obsédée par un insensé; sa présence m'effraye et m'irrite encore plus. – Allez, je vous prie, et ordonnez à ma suivante de chercher un bracelet qui, par malheur, a glissé de mon bras. Il vient de votre maître; et que je sois maudite si je voudrais le perdre pour toutes les richesses d'aucun roi de l'Europe. Je crois l'avoir vu ce matin; je suis certaine qu'il était à mon bras la nuit dernière: je l'ai baisé. J'espère qu'il n'est pas allé conter à mon seigneur que je donne des baisers à un autre objet que lui.

PISANIO. – Il ne peut pas être perdu.

IMOGÈNE. – Je l'espère; allez, et cherchez-le.

CLOTEN. – Vous m'avez outragé… – Le plus grossier vêtement!

IMOGÈNE. – Oui, je l'ai dit, seigneur; si vous voulez m'en faire un crime, appelez des témoins.

CLOTEN. – J'en informerai votre père.

IMOGÈNE. – Votre mère aussi, elle est pleine de bonté pour moi, et j'espère qu'elle l'interprétera au pire. Je vous laisse, seigneur, à tout votre mécontentement.

(Elle sort.)

CLOTEN. – Je me vengerai. – Son plus grossier vêtement! – Fort bien.

(Il sort.)

SCÈNE IV

Rome. – Appartement de la maison de Philario
Entrent POSTHUMUS et PHILARIO

POSTHUMUS. – N'ayez aucune crainte, seigneur; je voudrais être sûr de fléchir le roi comme je suis certain que l'honneur d'Imogène restera inviolable.

PHILARIO. – Quels moyens employez-vous pour fléchir le roi?

POSTHUMUS. – Aucun; que de me soumettre aux révolutions des temps; de trembler pendant cet hiver, en souhaitant de voir renaître des jours plus chauds. Cette espérance que trouble la crainte est la stérile reconnaissance dont je paye votre amitié; si elle m'abandonne, il faudra que je meure votre débiteur.

PHILARIO. – Vos vertus et votre société acquittent avec usure tout ce que je puis faire pour vous. – Maintenant votre roi a reçu des nouvelles du grand Auguste; Caïus-Lucius remplira sa commission de point en point, et je pense que Cymbeline payera enfin le tribut avec les arrérages, avant de revoir nos Romains, dont le souvenir est encore tout frais dans la douleur de ses peuples.

POSTHUMUS. – Quoique je ne sois pas homme d'État, et qu'il n'est pas probable que je le devienne jamais, je pense que ceci finira par une guerre. Vous entendrez dire que les légions qui sont aujourd'hui dans les Gaules sont descendues dans notre courageuse Bretagne avant d'apprendre la nouvelle qu'elle ait payé un denier du même tribut. Nos peuples sont mieux disciplinés qu'au temps où César souriait de leur inexpérience, tout en trouvant que leur valeur méritait qu'il fronçât les sourcils. Aujourd'hui la discipline est alliée au courage; ceux qui en feront l'épreuve connaîtront que les Bretons sont un peuple qui se perfectionne dans ce monde.

(Entre Iachimo.)

PHILARIO. – Eh! voilà Iachimo.

POSTHUMUS. – Les cerfs les plus agiles vous ont porté sur terre, et les vents de tous les coins des cieux ont caressé vos voiles pour presser la course de votre vaisseau.

PHILARIO. – Soyez le bienvenu, seigneur.

POSTHUMUS. – J'espère que la brièveté de la réponse qu'on vous a faite est la cause de la célérité de votre retour.

IACHIMO. – Votre épouse est une des plus belles femmes que j'aie jamais vues.

POSTHUMUS. – Et en même temps la plus vertueuse, ou que sa beauté aille briller à une fenêtre pour attirer les coeurs perfides et les tromper elle-même.

IACHIMO. – Voici des lettres pour vous.

POSTHUMUS. – Leur contenu est bon, j'espère?

IACHIMO. – Cela est vraisemblable.

POSTHUMUS. – Lucius est-il arrivé à la cour de Bretagne pendant que vous y étiez.

IACHIMO. – On l'attendait, mais il n'était pas encore arrivé.

POSTHUMUS, après avoir lu la lettre. – Jusqu'ici tout est bien. – Le diamant brille-t-il comme de coutume? Ne le trouvez-vous point trop terne, pour le porter dans vos jours de parure?

IACHIMO. – Si j'ai perdu le pari, je dois en payer la valeur en or. – Je ferais de grand coeur un voyage deux fois plus loin, pour passer encore une nuit aussi délicieusement courte que celle dont j'ai joui en Bretagne; car le diamant est gagné.

POSTHUMUS. – La pierre est trop dure pour céder.

IACHIMO. – Pas du tout, puisque votre épouse est si facile.

POSTHUMUS. – Ne faites point, seigneur, un badinage de votre perte. Vous vous souvenez, j'espère, que nous ne devons plus rester amis.

IACHIMO. – Nous le devons, brave seigneur, si vous tenez nos conventions. Si je ne vous rapportais pas une connaissance approfondie de votre épouse, j'avoue que notre contestation devait aller plus loin; mais je m'annonce ici comme un homme qui a gagné à la fois son honneur et votre bague; et je n'ai fait d'outrage ni à elle ni à vous, n'ayant agi que d'après votre volonté à tous deux.

POSTHUMUS. – Si vous pouvez me prouver que vous êtes entré dans sa couche, ma main et ma bague sont à vous, sinon, après l'indigne opinion que vous avez conçue de sa pure vertu, il vous faudra conquérir mon épée ou moi la vôtre; ou bien que toutes deux restent sans maître, pour le premier qui les trouvera.

IACHIMO. – Mes preuves étant aussi près de l'évidence que je vais vous le faire voir, seigneur, elles doivent d'abord vous persuader; je suis prêt à les confirmer par serment; mais je ne doute pas que vous ne m'en dispensiez quand vous trouverez vous-même que vous n'en avez pas besoin.

POSTHUMUS. – Poursuivez.

IACHIMO. – D'abord, sa chambre à coucher, où j'avoue que je n'ai point dormi en me voyant maître de ce qui méritait bien qu'on veillât; elle est tendue d'une tapisserie soie et argent; c'est l'histoire de la superbe Cléopâtre lorsqu'elle alla trouver son Romain; on voit le Cydnus au-dessus de ses rives enflé d'orgueil ou du poids de mille vaisseaux. Cet ouvrage est à la fois si bien fini et si riche, que le travail et le prix de la matière s'y disputent l'avantage: je me suis demandé comment il pouvait être fait avec une vérité si rare et si parfaite; les personnages semblent vivants.

POSTHUMUS. – Cela est vrai, et vous pouvez l'avoir entendu dire ici par moi ou par quelque autre.

IACHIMO. – D'autres détails vous prouveront ce que je sais.

POSTHUMUS. – Il le faut bien, ou vous êtes déshonoré!

IACHIMO. – La cheminée est au midi de la chambre, le manteau de la cheminée représente la chaste Diane au bain: jamais je ne vis statue si prête à parler, le sculpteur fut une autre nature; dans sa création muette, il l'a surpassée, au mouvement et à la respiration près.

POSTHUMUS. – C'est une chose que vous pouvez encore avoir apprise par quelque récit, car ce morceau est renommé.

IACHIMO. – Le plafond de l'appartement est décoré de chérubins d'or; les chenets, que j'oubliais, sont deux amours d'argent, au regard malin, se tenant sur un pied, et délicatement appuyés sur leurs brandons.

POSTHUMUS. – S'agit-il ici de son honneur? Je veux que vous ayez vu tous ces objets, et j'admire votre mémoire; mais la description de ce que contient sa chambre ne vous fait pas gagner la gageure.

IACHIMO, tirant le bracelet. – Eh bien! pâlissez si vous en êtes capable; je ne veux que vous montrer ce bijou: voyez, et maintenant tout est fini. Il faut qu'il se marie à votre diamant que voilà, et je les garderai l'un et l'autre.

POSTHUMUS. – O Jupiter! laissez-moi le regarder encore une fois. Est-ce bien celui que je lui laissai en partant?

IACHIMO. – Le même, seigneur, et j'en remercie votre épouse. Elle l'ôta de son bras; je la vois encore; la grâce de l'action enchérit sur son présent et me le rendit plus précieux; en me le donnant, elle me dit qu'elle y tenait naguère.

POSTHUMUS. – Peut-être elle l'aura détaché pour me l'envoyer.

IACHIMO. – Vous le mande-t-elle? En parle-t-elle dans sa lettre?

POSTHUMUS. – Oh! non, non: c'est vrai. Prenez aussi cette bague (il lui donne la bague); sa vue me donne la mort. C'est un basilic pour mes yeux! que l'honneur ne se trouve jamais où est la beauté, la vérité où est la vraisemblance, l'amour où se trouve un autre homme! Que les serments des femmes ne les lient pas plus à ceux qui les ont reçus, qu'elles ne tiennent elles-mêmes à leur vertu, qui n'est que néant; ô perfidie au delà de toute mesure!

PHILARIO. – Calmez-vous, seigneur, et reprenez votre diamant, il n'est pas encore gagné. Il est probable qu'elle a perdu ce bracelet; ou qui sait, s'il ne lui a pas été dérobé par quelqu'une de ses suivantes que l'on aura corrompue.

POSTHUMUS. – Vous avez raison, oui, je crois qu'il se l'est procuré ainsi: (à Iachimo) allons, rendez-moi ma bague. – Donnez-moi une preuve plus convaincante, quelque signe que vous ayez vu sur sa personne, car ceci a été volé.

IACHIMO. – Par Jupiter, il a passé de son bras dans mes mains.

POSTHUMUS. – L'entendez-vous? il jure, il jure par Jupiter: c'est vrai. – Allons, gardez le diamant. C'est vrai, je suis sûr qu'elle n'a pu le perdre; ses suivantes ont toutes prêté serment et sont des femmes d'honneur; – elles l'auraient volé, elles! elles se seraient laissé corrompre, et cela par un étranger! Non, elle s'est livrée à lui. (Montrant le bracelet.) Voilà la preuve de son déshonneur, c'est à ce prix qu'elle a acheté le nom de prostituée. (A Iachimo.) Tenez, prenez votre salaire, et que tous les démons de l'enfer se partagent entre elle et vous!

PHILARIO. – Seigneur, modérez-vous; ce n'est point encore là une preuve assez forte pour convaincre un homme bien persuadé de…

POSTHUMUS. – Ne m'en parlez jamais, elle s'est donnée à lui.

IACHIMO. – Si vous voulez un témoignage plus satisfaisant: au-dessous de son sein, qui mérite bien qu'on le presse amoureusement, est un signe tout fier de cette charmante demeure. Sur ma vie, je l'ai baisé; et quoique rassasié de jouir, je sentis soudain renaître mon ardeur. Vous rappelez-vous cette tache qu'elle a sur le sein?

POSTHUMUS. – Oui, et elle sert maintenant à me convaincre d'une autre tache, la plus vaste que puisse contenir l'enfer, – quand elle y serait toute seule…

IACHIMO. – Voulez-vous en entendre davantage?

POSTHUMUS. – Épargnez-moi votre arithmétique; ne comptez point vos triomphes; un seul ou un million, qu'importe.

IACHIMO. – Je vais le jurer.

POSTHUMUS. – Point de serments: si vous le jurez, vous n'avez pas fait ce que vous dites, vous mentez; et je vous tue si vous osez nier que vous m'ayez déshonoré.

IACHIMO. – Je ne nierai rien.

POSTHUMUS. – Oh! que ne l'ai-je ici pour la mettre en pièces! J'irai, et je le ferai en présence de la cour et sous les yeux de son père. – Je ferai quelque chose…

(Il sort.)

PHILARIO. – Il est emporté au delà des bornes de la raison. Vous avez gagné. Suivons-le, pour détourner la fureur dont il est transporté en ce moment contre lui-même.

IACHIMO. – De tout mon coeur.

(Ils sortent.)
1.I kissed the jack, cochonnet, but.
2.To curtail his oath, mot à mot, couper la queue à ses jurements, les mutiler.
3.L'autre répond: Ni de leur couper les oreilles, nor crop the ears of them.
4.Jeu de mots sur rank, rang et rance; le second seigneur répond: Sentir le fou.
5.Jeu de mots sur strange, étrange et étranger.
6.On étendait des joncs sur le parquet des appartements, comme nous y mettons aujourd'hui des tapis.
7.Shakspeare avait observé la nature, mais il ne la peint pas ici exactement: ces gouttes de la primevère sont jaunes et non pourpres.
8.Horse hair and cat's guts, pour dire les crins de l'archet et les cordes des instruments.
9.The south-fogrot him!
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
13 ekim 2017
Hacim:
130 s. 1 illüstrasyon
Tercüman:
Telif hakkı:
Public Domain