Kitabı oku: «Henri V», sayfa 4
SCÈNE III
LE GOUVERNEUR et quelques citoyens sont sur les remparts; au bas sont les troupes anglaises. LE ROI HENRI entre avec sa suite
LE ROI. – Quelle est enfin la résolution du gouverneur? Voici le dernier pourparler que nous admettrons encore. Rendez-vous donc à notre clémence; ou, si vous êtes jaloux de votre destruction, défiez notre dernière fureur. Car, comme il est vrai que je suis soldat, nom qui, dans mes pensées, est celui qui me sied davantage, si je recommence à battre vos murailles, je ne quitterai plus Harfleur, déjà à demi démoli, qu'il ne soit enseveli sous ses cendres. Les portes de la clémence seront fermées alors, et le soldat, au carnage animé, le coeur endurci et féroce, donnant carrière à sa main sanguinaire, parcourra vos foyers, avec une conscience large comme l'enfer, moissonnant comme l'herbe vos vierges dans l'éclat de leur fraîcheur et vos enfants dans la fleur de leur âge. Que m'importe à moi, si la guerre impie, couronnée de flammes comme le prince des démons, et le front tout noirci de feux, exerce toutes les horreurs barbares qui suivent l'assaut et le pillage? Que m'importe à moi, lorsque vous seuls en êtes la cause, si vos chastes vierges tombent sous la main brûlante du viol effréné? Quel mors peut arrêter la licence et ses fureurs, lorsqu'elle roule abandonnée sur la pente de son cours impétueux? Nous épuiserons en vain nos ordres, pour rappeler des soldats acharnés sur leur proie; autant commander à l'immense Léviathan de venir sur le rivage. Ainsi, habitants d'Harfleur, prenez pitié de votre ville et de votre peuple, tandis que mes soldats sont encore soumis à mes ordres, tandis que le souffle paisible de la clémence écarte encore les nuages impurs et contagieux du meurtre, du pillage et des excès: sinon, attendez-vous à voir dans un moment le soldat aveugle et sanglant, salir d'une main impure les cheveux de vos filles qui pousseront en vain des cris aigus, vos vieillards saisis par leurs barbes d'argent, et leurs têtes vénérables écrasées contre les murs, et vos enfants empalés nus sur les lances, à la vue de leurs mères égarées et perçant les nuages de leurs hurlements, comme jadis les veuves de Judée poursuivaient de leurs clameurs les bourreaux d'Hérode. Que répondez-vous? Voulez-vous céder et prévenir ces maux; ou, coupables d'une défense trop obstinée, vous voir détruits?
LE GOUVERNEUR. – Ce jour est le terme de notre attente. Le dauphin, dont nous avions pressé les secours, nous fait répondre que ses troupes ne sont pas encore prêtes, ni en état de faire lever un si grand siége. Ainsi, roi redouté, nous cédons notre ville et notre vie à votre généreuse clémence: entrez dans notre port, disposez de nous et de nos biens; nous ne pouvons nous défendre plus longtemps.
LE ROI. – Ouvrez vos portes. – Allons, cher oncle Exeter, entrez dans Harfleur, restez-y, et fortifiez la ville contre les Français. Faites grâce à tous. – Pour nous, cher oncle, l'hiver qui s'approche, et la maladie qui se répand sur nos soldats, nous déterminent à nous retirer vers Calais. Ce soir nous serons votre hôte dans Harfleur, et demain prêts à nous mettre en marche.
(Fanfares: ils entrent dans la ville.)
SCÈNE IV
Rouen. – Appartement du palais
Entrent CATHERINE ET ALIX
CATHERINE. – Alix, tu as été en Angleterre, et tu parles bien le langage?
ALIX. – Un peu, madame.
CATHERINE. – Je te prie de m'enseigner; il faut que j'apprenne à parler. Comment appelez-vous la main, en anglais?
ALIX. – La main? Elle est appelée de hand.
CATHERINE. – Et les doigts?
ALIX. – Les doigts? Ma foi, j'ai oublié les doigts; mais je me souviendrai. Les doigts, je pense qu'ils sont appelés de fingres; oui, de fingres.
CATHERINE. – La main, de hand; les doigts, de fingres. Je pense que je suis un bon écolier. J'ai gagné deux mots d'anglais vitement. Comment appelez-vous les ongles?
ALIX. – Les ongles? Nous les appelons de nails.
CATHERINE. -De nails. Écoutez; dites-moi si je parle bien: de hand, de fingres, de nails.
ALIX. – C'est bien dit, madame; c'est du fort bon anglais.
CATHERINE. – Dites-moi l'anglais pour le bras?
ALIX. -De arm, madame.
CATHERINE. – Et le coude?
ALIX. -De elbow.
CATHERINE. -De elbow. Je fais la répétition de tous les mots que vous m'avez appris jusqu'à présent.
ALIX. – C'est trop difficile, madame, je pense.
CATHERINE. – Excusez-moi, Alix. Écoutez; De hand, de fingres, de nails, de arm, de bilbow.
ALIX. -De elbow, madame.
CATHERINE. – O seigneur Dieu! je m'oublie; de elbow. Comment appelez-vous le cou?
ALIX. -De nick, madame.
CATHERINE. -De nick? Et le menton?
ALIX. -De chin.
CATHERINE. -De jin? Le cou, de nick, le menton, de jin.
ALIX. – Oui: sauf votre honneur, en vérité, vous prononcez les mots aussi droit que les natifs d'Angleterre.
CATHERINE. – Je ne doute point d'apprendre par la grâce de Dieu, et en peu de temps.
ALIX. – N'avez-vous pas déjà oublié ce que je vous ai enseigné?
CATHERINE. – Non, je vous le réciterai promptement, de hand, de fingres, de mails.
ALIX. -De nails, madame.
CATHERINE. -De nails, de arm, de ilbow.
ALIX. – Sauf votre honneur, de elbow.
CATHERINE. – Aussi dis-je de elbow, de neck et de chin. Comment appelez-vous les pieds et la robe?
ALIX. -De foot, madame, et de coun.
CATHERINE. -De foot, de coun 20? O seigneur Dieu! ce sont des mots d'un son mauvais, corruptible, grossier et impudique, et dont les dames d'honneur ne peuvent user. Je ne voudrais pas prononcer ces mots devant les seigneurs de France pour tout le monde: il faut de foot et de coun néanmoins. Je réciterai une autre fois ma leçon ensemble; de hand, de fingres, de nails, de arm, de elbow, de neck, de chin, de foot et de coun.
ALIX. – Excellent, madame.
CATHERINE. – C'est assez pour une fois. Allons-nous-en dîner.
SCÈNE V
Autre salle du même palais
LE ROI DE FRANCE, LE DAUPHIN, LE DUC DE BOURBON, LE CONNÉTABLE DE FRANCE, ET AUTRES SEIGNEURS
LE ROI DE FRANCE. – Il est certain qu'il a passé la rivière de Somme.
LE CONNÉTABLE. – Si nous n'allons pas le combattre, mon roi, renonçons donc à vivre en France; abandonnons tout, cédons nos riches vignobles à ce peuple barbare.
LE DAUPHIN. -O Dieu vivant! quelques boutures sorties de nous, le superflu du luxe de nos ancêtres, nos rejetons, entés sur un tronc sauvage et inculte, s'élèveront-ils si rapidement jusqu'aux nues, et surpasseront-ils en hauteur la tige dont ils sont sortis?
BOURBON. – Des Normands; oui, des bâtards normands! Mort de ma vie! s'il faut qu'ils traversent ainsi le royaume sans combat, je veux vendre mon duché pour acheter une chaumière et quelque marais fangeux dans cette île irrégulière d'Albion.
LE CONNÉTABLE. -Dieu des batailles! où donc ont-ils puisé cette ardeur? Leur climat n'est-il pas couvert de brouillards et engourdi par le froid? Le soleil ne jette qu'à regret sur leur île de pâles rayons; il tue leurs fruits de ses sombres regards: leur bière, de l'eau et de l'orge fermentée, boisson faite pour des rosses surmenées, peut-elle donc échauffer à ce degré leur sang épais, et l'enflammer de cette bouillante valeur? Et le sang français, avivé encore par les esprits du vin, paraîtra-t-il glacé auprès du leur? Oh! pour l'honneur de notre patrie, ne restons pas oisifs et immobiles comme ces glaçons que l'hiver suspend au bord de nos toits, tandis qu'un peuple, né dans le berceau des frimas, répand des flots de braves jeunes gens dans nos riches campagnes; pauvres, il faut en convenir, par les maîtres qu'elles nourrissent.
LE DAUPHIN. – Par l'honneur et la foi des chevaliers, nos dames se raillent de nous; elles disent hautement que notre vigueur est épuisée, et qu'elles prodigueront leurs faveurs à la jeunesse anglaise, pour repeupler la France de bâtards belliqueux.
BOURBON. – Elles nous renvoient aux écoles de danse de l'Angleterre, et nous conseillent d'apprendre leurs cabrioles et leurs lavoltes 21, disant que toutes nos grâces sont dans nos talons, et que c'est dans la fuite que nos sublimes talents se déploient.
LE ROI DE FRANCE. – Où est le héraut Montjoie? Ordonnez-lui de partir sur-le-champ. Qu'il aille saluer l'Anglais d'un insultant défi. – Allons, princes, volez sur le champ de bataille, et que l'honneur et le courage donnent à vos coeurs une trempe plus dure que l'acier de vos épées. Charles d'Albret, grand connétable de France; vous aussi, d'Orléans, Bourbon et Berri, Alençon, Brabant, Bar, Bourgogne; et vous, Jacques Châtillon, Rambure, Vaudemont, Beaumont, Grandpré, Roussi et Fauconberg, Foix, Lestrelles, Boucicaut et Charolais; grands ducs, princes, comtes, barons, lords et chevaliers, grands par vos titres, allez vous laver de ce grand opprobre: arrêtez dans sa course Henri d'Angleterre qui traverse en vainqueur notre royaume, et vengez l'insulte de ses panonceaux teints du sang de Harfleur. Fondez sur son armée comme un torrent de neiges fond sur les vallées dont l'humble profondeur reçoit les flots que vomissent les Alpes! tombez sur lui; vous avez assez de forces: ramenez-le dans les murs de Rouen captif, enchaîné sur un char victorieux.
LE CONNÉTABLE. – Voilà le rôle qui sied aux grands d'une nation! J'ai un regret, c'est que l'ennemi soit si peu nombreux et si faible, que ses soldats soient épuisés de faim et des fatigues de leur marche: car, j'en suis sûr, aussitôt qu'il verra paraître notre armée, son coeur s'abîmera dans la crainte, et son plus grand exploit sera de nous offrir sa rançon.
LE ROI DE FRANCE. – Allez donc, lord connétable: hâtez le départ de Montjoie; qu'il déclare à l'Anglais que nous envoyons savoir de lui quelle rançon il veut donner. Vous, prince dauphin, vous resterez avec nous dans Rouen.
LE DAUPHIN. – Non, mon père, j'en conjure Votre Majesté.
LE ROI DE FRANCE. – N'insistez point: vous resterez avec nous. – Allons, partez, connétable; et vous aussi, princes, et rapportez-nous promptement la nouvelle du désastre de l'Anglais.
(Ils sortent.)
SCÈNE VI
Le camp anglais en Picardie
GOWER ET FLUELLEN
GOWER. – Eh bien, capitaine Fluellen, venez-vous du pont?
FLUELLEN. – Je vous assure qu'il y a d'excellente besogne à ce pont.
GOWER. – Le duc d'Exeter est-il en sûreté?
FLUELLEN. – Le duc d'Exeter est aussi magnanime qu'Agamemnon, et c'est un homme que j'aime et que j'honore de toute mon âme, de tout mon coeur, de tout mon respect, pour toute ma vie, de toutes mes forces et de tout mon pouvoir. Il n'a pas eu (Dieu soit loué et béni!) le plus petit accident du monde. Il a conservé le pont le plus facilement, avec une excellente discipline. Il y a là, au pont, un ancien lieutenant; je crois, sur ma conscience, que c'est un autre Marc Antoine pour la valeur; cependant c'est un homme qui n'a pas la moindre réputation dans le monde; mais je lui ai vu faire des choses vaillantes.
GOWER. – Comment l'appelez-vous?
FLUELLEN. – On l'appelle l'enseigne Pistol.
GOWER. – Je ne le connais pas.
(Entre Pistol.)
FLUELLEN. – Le voilà.
PISTOL. – Capitaine, je te prie de me faire un plaisir. Le duc d'Exeter a beaucoup d'amitié pour toi.
FLUELLEN. – Moi, j'en remercie Dieu; il est vrai que j'ai mérité d'avoir quelque part dans son amitié.
PISTOL. – Un certain Bardolph, soldat intrépide et courageux, a, par un sort cruel et par un tour furieux de l'inconstante roue de cette écervelée de Fortune, cette aveugle déesse qui se balance sur une pierre qui roule sans fin…
FLUELLEN. – Avec votre permission, enseigne Pistol, la déesse Fortune est représentée aveugle avec un bandeau tenant les yeux pour vous faire entendre que la fortune est aveugle: et on la peint aussi avec une roue, pour vous faire voir, et c'est la morale qu'il en faut tirer, qu'elle tourne toujours et qu'elle est inconstante, et qu'elle n'est que mutabilités et vicissitudes: et son pied, voyez-vous, est posé sur une pierre sphérique qui roule, roule, roule… A dire vrai, le poëte en fait une très-excellente description: la fortune, voyez-vous, est une excellente morale.
PISTOL. – La fortune est l'ennemie de Bardolph, et le regarde d'un mauvais oeil; car il a volé un ciboire, et il doit être pendu: cela fait une vilaine mort. Le gibet est bon pour les chiens; mais l'homme devrait en être exempt. Ne souffre donc pas que le chanvre lui coupe le sifflet. Exeter a prononcé l'arrêt de mort, pour un ciboire de peu de valeur: ainsi, va donc, et parle; le duc t'écoutera: empêche que le fil de la vie du pauvre Bardolph ne soit coupé avec une ficelle d'un sou et d'une manière ignominieuse. Parle, capitaine, en faveur de sa vie, et je serai reconnaissant de ce service.
FLUELLEN. – Enseigne Pistol, je vois bien à peu près ce que vous voulez dire.
PISTOL. – Allons, tant mieux pour vous.
FLUELLEN. – Certainement, Pistol, il n'y a pas là de quoi dire tant mieux; car, voyez-vous, il serait mon frère, que je prierais le duc de suivre son bon plaisir, et de le faire exécuter; car il faut observer la discipline.
PISTOL. – Meurs, et va à tous les diables, et figue pour ton amitié.
FLUELLEN. – Fort bien.
PISTOL. – Je te souhaite une figue d'Espagne 22!
(Pistol sort.)
FLUELLEN. – Fort bon.
GOWER. – Cet homme-là, c'est le plus fieffé misérable qui fut jamais. Je le remets bien à présent; c'est un infâme entremetteur, un coupe-jarret.
FLUELLEN. – Je vous assure qu'il proférait sur le pont les plus braves paroles qu'on puisse jamais voir dans les plus beaux jours de l'été; mais cela est égal, ce qu'il vient de me dire… C'est fort bien… Je vous assure que quand l'occasion se trouvera…
GOWER. – Par Dieu! c'est un filou, un bouffon, un fripon, qui de temps en temps va à la guerre, pour avoir l'avantage, à son retour à Londres, de se parer du costume d'un militaire. Ces drôles-là savent, à point nommé, les noms de tous les chefs d'une armée; ils vous diront par coeur tout ce qui s'est passé dans le service, et où il s'est fait; ils vous nommeront les lieux où il y aura eu la moindre escarmouche: c'était à tel endroit, à telle brèche, à tel ou tel convoi; ils vous diront qui s'est distingué, qui fut tué, qui s'est déshonoré, quels étaient les postes de l'ennemi; et ils vous rendent cela dans les meilleurs termes de guerre, qu'ils vous assaisonnent des jurements les plus nouveaux 23. Et vous ne sauriez vous imaginer l'effet merveilleux que des moustaches taillées sur le patron de celles du général, et d'horribles cris, contrefaisant ceux d'un camp, font parmi des bouteilles fumantes et des esprits abreuvés de bière mousseuse. Oh! il faut apprendre à connaître ces misérables, qui font la honte du siècle; ou bien vous feriez d'étranges méprises.
FLUELLEN. – Tenez, capitaine Gower, je vous dirai bien une chose, c'est que je m'aperçois bien qu'il n'est pas tout ce qu'il voudrait bien faire accroire au monde qu'il est. A la première occasion que je pourrai trouver le moindre trou dans son pourpoint, je lui ferai sentir ma façon de penser. – Écoutez; voilà le roi qui vient: il faut que je lui parle sur ce qui se passe au pont. (Entrent le roi, Glocester, des soldats.) Dieu bénisse Votre Majesté!
LE ROI. – Eh bien, Fluellen, venez-vous du pont?
FLUELLEN. – Moi! Oui, sous le bon plaisir de Votre Majesté. Le duc d'Exeter a très-galamment conservé le pont. Les Français se sont retirés, voyez-vous, et il y a de beaux et libres passages à présent. Par sainte Marie, l'adversaire aurait eu la possession du pont; mais il a été forcé de se retirer, et le duc d'Exeter est le maître du pont. Ah! je peux bien assurer Votre Majesté que c'est un brave homme que ce duc.
LE ROI. – Combien avez-vous perdu de monde, Fluellen?
FLUELLEN. – La perdition de l'adversaire a été très-grande, fort raisonnablement grande. Sainte Marie! pour moi, je pense que le duc n'a pas perdu un seul homme, sinon un qui a bien l'air d'être pendu pour avoir volé une église, un certain Bardolph… Si Votre Majesté sait qui c'est; c'est un homme qui a le visage bourgeonné et tout couvert de boutons, et comme une flamme ardente, et dont les lèvres étoupent le nez, et sont comme un charbon de feu, tantôt bleues et tantôt rouges; mais son nez est expédié à présent, et son feu est éteint; ainsi n'en parlons plus.
LE ROI. – Je voudrais nous voir défaits ainsi de tous les pillards de son espèce. – Et nous enjoignons expressément que, dans notre marche au travers des campagnes, on n'enlève rien des villages par violence, qu'on ne prenne rien sans le payer, qu'on n'insulte pas le dernier des Français d'aucune parole de mépris ou de reproche. Quand la douceur et la cruauté jouent à qui aura un royaume, c'est le joueur le plus doux qui gagne.
(On entend la trompette du héraut.)
(Montjoie s'avance.)
MONTJOIE. – Vous me reconnaissez à mon habillement 24?
LE ROI. – Oui, je te reconnais. Qu'as-tu à m'apprendre?
MONTJOIE. – Les intentions de mon maître.
LE ROI. – Déclare-les.
MONTJOIE. – Voici ce que dit mon roi. – «Annonce à Henri d'Angleterre que, quoique nous ayons paru morts, nous n'étions qu'endormis. La prudence est un meilleur soldat que la témérité. Dis-lui que nous aurions pu le repousser à Harfleur, mais que nous n'avons pas jugé à propos de venger l'injure qu'elle ne fût à son comble. – Maintenant c'est à notre tour à parler, et notre voix est la voix d'un souverain. L'Anglais se repentira de sa folie; il sentira sa faiblesse et admirera notre patience. Dis-lui de songer à sa rançon: elle doit être proportionnée aux pertes que nous avons essuyées, au nombre de sujets que nous avons perdus, à l'insulte que nous avons dévorée; et si la réparation égalait la grandeur des offenses, sa faiblesse succomberait sous le poids. Pour payer nos pertes, son trésor est trop pauvre: pour payer l'effusion de notre sang, les troupes de son royaume entier sont un nombre insuffisant. Et quant à l'insulte qui nous a été faite, sa personne même, à nos pieds prosternée, ne serait qu'une faible et indigne satisfaction. A ce discours ajoute le défi; et finis par lui déclarer qu'il a dévoué et perdu ceux qui le suivent, et que leur condamnation est prononcée.» – Ainsi parle le roi mon maître: là finit mon ministère.
LE ROI. – Je connais ton rang. Quel est ton nom?
MONTJOIE. – Montjoie.
LE ROI. – Tu remplis bien ton office. Retourne sur tes pas, et dis à ton roi: – Qu'en ce moment je ne le cherche pas, et que je serais bien aise de marcher sans empêchement jusqu'à Calais. Car, pour avouer la vérité, quoique la prudence défende un pareil aveu devant un ennemi rusé, qui sait prendre avantage de tout, mes soldats sont considérablement affaiblis par la maladie 25; leur nombre est diminué, et le peu qui m'en reste ne vaut guère mieux qu'un pareil nombre de Français. – Tant que mes soldats étaient frais et pleins de santé, je te dis, héraut, que je croyais voir sur deux jambes anglaises marcher trois Français. – Que Dieu me pardonne si je me vante à ce point. C'est votre air de France qui souffle ce vice en moi; et je dois pourtant me le reprocher. – Pars, et dis à ton maître que tu m'as trouvé ici: ma rançon est ce corps frêle et chétif, mon armée n'est plus qu'une garde faible et consumée par la maladie. Cependant, que Dieu soit mon guide, et nous marcherons en avant, quand le roi de France lui-même, ou tout autre voisin, s'opposerait à notre passage. (Il lui remet une bourse.) Voilà pour te payer ton message, Montjoie. Va: dis à ton maître de bien se consulter. Si nous pouvons passer, nous passerons; si l'on veut nous en empêcher, nous rougirons de votre sang vos noirs sillons. Adieu, Montjoie. En deux mots, voici notre réponse: Dans l'état où nous sommes, nous n'irons pas chercher le combat: et dans l'état où nous sommes, nous déclarons que nous ne l'éviterons pas. Rends cette réponse à ton roi.
MONTJOIE. – Elle sera fidèlement rendue. Je remercie Votre Majesté.
(Montjoie s'en va.)
GLOCESTER. – J'espère qu'ils ne viendront pas nous attaquer à présent.
LE ROI. – Nous sommes dans la main de Dieu, frère, et non pas dans les leurs. – Marchez au pont: la nuit s'approche. – Nous camperons au delà de la rivière; et demain matin, ordonnez qu'on marche en avant.
(Ils sortent.)
SCÈNE VII
Le camp français, à Azincourt
Entrent LE CONNÉTABLE DE FRANCE, LE DUC D'ORLÉANS, LE DAUPHIN, RAMBURES, ET AUTRES SEIGNEURS
LE CONNÉTABLE. – Par Dieu! j'ai bien la meilleure armure du monde. Que n'est-il jour!
LE DUC D'ORLÉANS. – J'avouerai que vous avez une excellente armure; mais aussi vous rendrez justice à mon cheval.
LE CONNÉTABLE. – Oh! cela est vrai; c'est le meilleur cheval de l'Europe.
LE DUC D'ORLÉANS. – Le matin n'arrivera-t-il donc jamais!
LE DAUPHIN. – Duc d'Orléans, et vous seigneur connétable, vous parlez de cheval et d'armure?..
LE DUC D'ORLÉANS. – Oh! en fait de ces deux meubles, vous êtes aussi bien pourvu qu'aucun prince du monde.
LE DAUPHIN. – Que cette nuit est longue! – Je ne changerais pas mon cheval pour aucun qui ne marche que sur quatre pieds; il bondit au-dessus de terre comme une balle garnie de crin: c'est le cheval volant, le Pégase aux narines de feu. Une fois en selle, je vole, je suis un faucon; il trotte dans l'air, et la terre résonne quand il la touche: oui, la corne de son sabot est plus musicale et plus harmonieuse que la flûte d'Hermès.
LE DUC D'ORLÉANS. – Il est couleur de muscade.
LE DAUPHIN. – Et chaud comme le gingembre. C'est un coursier digne de Persée: il n'est formé que d'air et de feu. Si l'on découvre en lui quelque mélange des grossiers éléments de la terre et de l'eau, ce n'est que dans sa patiente tranquillité, lorsque son maître le monte. C'est là ce qui s'appelle un cheval; et tous les autres, auprès de lui, ne méritent que le nom de bêtes de somme.
LE CONNÉTABLE. – Oui, prince, on peut dire que c'est le cheval le plus accompli et le plus excellent qu'il y ait.
LE DAUPHIN. – C'est le prince des coursiers: son hennissement ressemble à la voix impérieuse d'un monarque, et son port majestueux vous force à lui rendre hommage…
LE DUC D'ORLÉANS. – Allons, en voilà assez sur ce sujet, mon cousin.
LE DAUPHIN. – Je dis plus encore, il faut n'avoir pas l'ombre d'esprit pour n'être pas en état, depuis le lever de l'alouette jusqu'au coucher de l'agneau, de chanter les louanges de mon cheval sans se répéter: c'est un sujet aussi inépuisable que la mer. Faites des langues éloquentes de tous les grains de sable, mon cheval peut les occuper toutes. Il est digne d'être loué par un souverain et monté par le souverain d'un souverain. Enfin, il mérite que tout l'univers, connu et inconnu, ne fasse autre chose que de l'admirer. J'ai fait un jour un sonnet à sa louange, qui commençait ainsi: Merveille de la nature.
LE DUC D'ORLÉANS. – J'ai vu un sonnet pour une maîtresse qui commençait de même.
LE DAUPHIN. – Eh bien, ils auront donc imité celui que j'ai composé pour mon coursier, car mon cheval est ma maîtresse.
LE DUC D'ORLÉANS. – Votre maîtresse porte bien.
LE DAUPHIN. – Oui, moi seul; c'est là le mérite, la perfection exigée d'une bonne maîtresse.
LE CONNÉTABLE. – Ma foi, l'autre jour il m'a semblé que votre maîtresse vous a durement mené.
LE DAUPHIN. – Peut-être la vôtre en a fait de même.
LE CONNÉTABLE. – La mienne n'était pas bridée.
LE DAUPHIN. – Elle était donc vieille et tranquille, et vous galopâtes comme un kerne d'Irlande 26, sans votre haut-de-chausse français et avec des caleçons étroits.
LE CONNÉTABLE. – Vous vous connaissez en équitation.
LE DAUPHIN. – Recevez donc une leçon de moi. Ceux qui chevauchent ainsi et sans précaution tombent dans de sales fondrières: je préfère mon cheval à ma maîtresse.
LE CONNÉTABLE. – J'aimerais autant que ma maîtresse fût une rosse.
LE DAUPHIN. – Je te dis, connétable, que ma maîtresse porte ses propres cheveux.
LE CONNÉTABLE. – Je pourrais en dire autant si j'avais une truie pour maîtresse.
LE DAUPHIN. -Le chien est retourné à son vomissement, et la truie lavée au bourbier 27. Tu te sers de tout.
LE CONNÉTABLE. – Cependant je ne me sers pas de mon cheval pour maîtresse, ou d'un pareil proverbe mal à propos.
RAMBURE. – Seigneur connétable, sont-ce des étoiles ou des soleils qui brillent sur l'armure que j'ai vue ce soir dans votre tente?
LE CONNÉTABLE. – Ce sont des étoiles.
LE DAUPHIN. – Il en tombera quelques-unes demain, j'espère.
LE CONNÉTABLE. – Et cependant mon ciel n'en manquera pas encore pour cela.
LE DAUPHIN. – Cela peut bien être, car vous en avez tant de superflues! et cela vous ferait plus d'honneur qu'il y en eût quelques-unes de moins.
LE CONNÉTABLE. – C'est comme votre cheval qui porte tant de louanges, et qui n'en trotterait pas moins bien quand quelques-unes de vos forfanteries seraient démontrées.
LE DAUPHIN. – Ne fera-t-il donc jamais jour? – Je veux trotter demain l'espace d'un mille, et que mon chemin soit pavé de faces anglaises.
LE CONNÉTABLE. – Moi je n'en dirai pas autant de peur qu'on ne me fît en face l'affront de me démentir; mais je voudrais en effet de tout mon coeur qu'il fît jour, pour bien frotter les oreilles aux Anglais.
LE DAUPHIN. – Qui veut courir avec moi le risque de leur faire une vingtaine de prisonniers?
LE CONNÉTABLE. – Il faut que vous commenciez par vous exposer au risque de l'être vous-même.
LE DAUPHIN. – Allons, il est minuit: je vais m'armer.
(Il sort.)
LE DUC D'ORLÉANS. – Le dauphin soupire après le jour.
RAMBURE. – Il meurt d'envie de manger les Anglais.
LE CONNÉTABLE. – Je crois qu'il peut bien manger tous ceux qu'il tuera.
LE DUC D'ORLÉANS. – Par la blanche main de ma dame, c'est un aimable prince.
LE CONNÉTABLE. – Jurez plutôt par son pied, afin qu'elle puisse d'un pas effacer le serment.
LE DUC D'ORLÉANS. – Tout ce qu'on peut dire de lui, c'est que c'est peut-être l'homme de France le plus actif.
LE CONNÉTABLE. – Agir c'est être actif, et il sera toujours agissant.
LE DUC D'ORLÉANS. – Je n'ai jamais ouï dire qu'il ait fait de mal à personne.
LE CONNÉTABLE. – Et je vous jure qu'il ne commencera pas encore demain; il conservera cette bonne réputation.
LE DUC D'ORLÉANS. – Je sais qu'il a du courage.
LE CONNÉTABLE. – Je me suis laissé dire la même chose par quelqu'un qui le connaît mieux que vous.
LE DUC D'ORLÉANS. – Qui cela?
LE CONNÉTABLE. – Pardieu! c'est lui-même qui me l'a dit, et il a ajouté qu'il ne se souciait pas qu'on le sût.
LE DUC D'ORLÉANS. – Il n'a pas besoin de cette précaution; son mérite n'est point caché.
LE CONNÉTABLE. – Sur ma foi, très-caché. Il n'y a jamais eu que son laquais qui l'ait vu; mais sa valeur est comme le faucon encore coiffé de son chaperon: quand on le lâchera, on verra son essor.
LE DUC D'ORLÉANS. – Jamais la haine n'a dit du bien de son ennemi.
LE CONNÉTABLE. – Je payerai ce proverbe d'un autre: Jamais l'amitié n'est exempte de flatterie.
LE DUC D'ORLÉANS. – Et moi je répondrai par cet autre: Rendez même au diable ce qui lui est dû.
LE CONNÉTABLE. – C'est bien dit. Vous avez votre âme pour jouer le rôle du diable. Je riposte à ce proverbe par ces mots: La peste du diable!
LE DUC D'ORLÉANS. – Vous êtes le plus fort de nous deux aux proverbes. Le trait d'un fou est bientôt lancé.
LE CONNÉTABLE. – Vous avez lancé le vôtre de travers.
LE DUC D'ORLÉANS. – Ce n'est pas la première fois que vous avez été manqué.
(Entre un messager.)
LE MESSAGER. – Seigneur connétable, les Anglais ne sont plus qu'à quinze cents pas de votre tente.
LE CONNÉTABLE. – Qui en a mesuré l'espace?
LE MESSAGER. – Le seigneur Grandpré.
LE CONNÉTABLE. – C'est un brave homme, et qui a une grande expérience. – Je voudrais qu'il fît jour. Hélas! le pauvre Henri d'Angleterre ne soupire pas comme nous, je crois, après la naissance du jour.
LE DUC D'ORLÉANS. – Qui est donc ce maussade et pauvre roi d'Angleterre, pour venir rêver avec ses stupides Anglais si loin des lieux de sa connaissance?
LE CONNÉTABLE. – Si les Anglais avaient un grain de bon sens, ils se sauveraient.
LE DUC D'ORLÉANS. – Oh! c'est de bon sens qu'ils manquent; car si leurs cervelles avaient la moindre défense intellectuelle, jamais ils ne pourraient porter des casques si pesants.
RAMBURE. – Il faut avouer que cette île d'Angleterre produit de valeureuses créatures: leurs dogues, par exemple, sont d'un courage sans pareil.
LE DUC D'ORLÉANS. – Oh! pardieu! oui; voilà d'excellents chiens qui vont se jeter les yeux fermés dans la gueule d'un ours, qui leur écrase la tête d'un coup de dent comme des pommes cuites. C'est comme si vous disiez que c'est une mouche bien courageuse que celle qui ose aller prendre son déjeuner sur les lèvres d'un lion.
LE CONNÉTABLE. – Précisément: vous avez raison, et les hommes de ce pays-là ressemblent aussi un peu à leurs dogues dans leur manière lourde et pesante d'attaquer, et de laisser leur esprit avec leurs femmes; car donnez-leur bien à mâcher de grosses tranches de boeuf, et puis fournissez-les de fer et d'acier, ils dévoreront comme des loups, et se battront comme des diables.
LE DUC D'ORLÉANS. – Oui, mais ces pauvres Anglais sont diablement à court de boeuf.
LE CONNÉTABLE. – Eh bien, s'il en est ainsi, vous verrez que demain ils n'auront d'appétit que pour manger, et point du tout pour se battre: allons, il est temps de nous armer. Irons-nous nous équiper?
LE DUC D'ORLÉANS. – Il est deux heures. – Eh bien, avant qu'il en soit dix, nous aurons chacun une centaine d'Anglais.
(Ils partent.)
FIN DU TROISIÈME ACTE
On se rappelle ici le passage du Menteur:
Ah! le beau compliment à charmer une dame!…On s'introduit bien mieux à titre de vaillant.Tout le secret ne gît qu'en un peu de grimaces,Qu'à mentir à propos, qu'à jurer avec grâce.
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