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Kitabı oku: «Henri V», sayfa 7

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SCÈNE VIII

Devant la tente du roi
Entrent GOWER ET WILLIAMS

WILLIAMS. – Je gage que c'est pour vous faire chevalier, capitaine.

(Arrive Fluellen.)

FLUELLEN. – La volonté de Dieu soit faite et son bon plaisir. Capitaine, je vous supplie, venez-vous-en bien vite chez le roi; il se prépare peut-être plus de bien pour vous par hasard, que vous ne sauriez vous imaginer.

WILLIAMS. – Monsieur, connaissez-vous ce gant-là?

FLUELLEN. – Ce gant-là? Je sais que ce gant est un gant.

WILLIAMS. – Et moi, je connais celui-ci, et voilà comme je le réclame.

(Il le frappe.)

FLUELLEN. – Sang-Dieu! voilà un traître s'il y en a un dans le monde universel, en France ou en Angleterre.

GOWER. – O Dieu! qu'est-ce qu'il y a donc? (A Williams.) Vous, misérable…

WILLIAMS. – Croyez-vous que je veuille être parjure?

FLUELLEN. – Retirez-vous, capitaine Gower; je m'en vais le traiter, le traître, comme il le mérite, et je l'arrangerai d'importance, je vous assure.

WILLIAMS. – Je ne suis point un traître.

FLUELLEN. – C'est un mensonge: qu'il t'étrangle. Je vous ordonne à vous présent, et au nom de Sa Majesté, de l'arrêter. C'est un ami du duc d'Alençon.

(Entrent Warwick et Glocester.)

WARWICK. – Qu'est-ce que c'est? Qu'y a-t-il donc là? De quoi s'agit-il?

FLUELLEN. – Monseigneur, voilà, Dieu soit béni, une des plus contagieuses trahisons qui vient de se découvrir, voyez-vous, que vous puissiez voir dans le plus beau jour d'été. – Voici Sa Majesté.

(Entrent le roi Henri et Exeter.)

LE ROI. – Comment? De quoi s'agit-il donc ici?

FLUELLEN. – Sire, voici un scélérat, un traître, qui a, voyez-vous, sire, frappé le gant que Votre Majesté a arraché du casque d'Alençon.

WILLIAMS. – Sire, c'était là mon gant, car voilà le pareil, et celui à qui je l'ai donné en échange m'a promis de le porter à son bonnet: je lui ai promis de le frapper s'il osait le faire; j'ai rencontré cet homme avec mon gant à son bonnet, et j'ai tenu ma parole.

FLUELLEN. – Or, écoutez à présent, sire, sous le bon plaisir de votre vaillance, quel misérable maraud c'est là. J'espère que Votre Majesté assurera, attestera, témoignera, et protestera bien, que c'est là le gant d'Alençon que Votre Majesté m'a donné, en votre conscience, là.

LE ROI. – Donne-moi ton gant, soldat; vois-tu, voilà le pareil. C'est moi, je te l'assure, que tu as promis de frapper, et tu peux te ressouvenir que tu t'es servi de termes très-durs à mon égard.

FLUELLEN. – Eh bien, plaise à Votre Majesté, que la tête en réponde s'il y a des lois martiales dans le monde.

LE ROI. – Comment peux-tu me faire satisfaction pour cette offense?

WILLIAMS. – Toutes les offenses, mon prince, viennent du coeur, et je proteste qu'il n'est jamais rien sorti du mien qui puisse offenser Votre Majesté.

LE ROI. – C'est nous-même cependant que tu as insulté.

WILLIAMS. – Vous ne vous êtes pas présenté alors sous les traits de Votre Majesté; vous ne m'avez paru que comme un soldat ordinaire, témoin la nuit qu'il faisait, votre uniforme et votre air soumis; et ce que Votre Altesse a souffert sous cette forme, je vous supplie de le regarder comme votre faute et non comme la mienne; car si vous eussiez été ce que je vous croyais, il n'y avait point d'offense: c'est pourquoi je supplie Votre Altesse de me pardonner.

LE ROI. – Tenez, mon oncle Exeter, remplissez ce gant d'écus, et donnez-le à ce soldat. – Garde-le, soldat, et porte-le à ton bonnet comme une marque d'honneur, jusqu'à ce que je le réclame: donnez-lui les écus. (A Fluellen.) Et vous, capitaine, il faut être aussi de ses amis.

FLUELLEN. – Par ce jour et par cette lumière, ce drôle-là a du courage et du feu dans le ventre. Tiens, voilà un écu pour toi, et je te recommande de servir bien Dieu, et de te préserver des brouilleries, des vacarmes et des querelles, et des discussions, et je t'assure que tu t'en trouveras mieux.

WILLIAMS. – Je ne veux point de votre argent.

FLUELLEN. – C'est de bon coeur: moi je te dis que cela te servira pour raccommoder ton havre-sac: allons, pourquoi faire le honteux comme cela? Ton havre-sac n'est déjà pas si bon. C'est un bon écu, je t'assure, ou bien attends, je le changerai.

(Entre un héraut.)

LE ROI. – Eh bien, héraut, les morts sont-ils comptés?

LE HÉRAUT. – Voici la liste de ceux de l'armée française.

LE ROI. – Digne oncle, quels sont les prisonniers de marque que nous avons faits?

EXETER. – Charles, duc d'Orléans, neveu du roi; Jean, duc de Bourbon, et le seigneur Boucicaut, et des autres seigneurs, barons, chevaliers, gentilshommes, quinze cents, sans compter les soldats.

LE ROI. – Cette liste porte dix mille Français morts restés sur le champ de bataille. Dans ce nombre, il y en a cent vingt-six, tant princes que nobles, portant bannière; ajoutez huit mille quatre cents, tant chevaliers, écuyers et autres guerriers distingués, dont il y en a cinq cents qui n'ont été faits chevaliers que d'hier; en sorte que, dans les dix mille hommes qu'ils ont perdus, il n'y a que six cents mercenaires: le reste sont tous princes, barons, seigneurs, chevaliers, écuyers et gentilshommes de naissance et de qualité. Les noms de leurs nobles qui ont été tués: Charles d'Albret, grand connétable de France; Jacques Châtillon, amiral de France; le grand maître des arbalétriers; le seigneur Rambure; le brave Guichard Dauphin, grand maître de France; Jean, duc d'Alençon; Antoine, duc de Brabant, frère du duc de Bourgogne; Edouard, duc de Bar; parmi les hauts comtes: Grandpré, Roussi, Fauconberg et de Foix, Beaumont, Merle, Vaudemont et Lestrelles. Voilà une société de morts illustres. – Où est la liste des morts anglais? (Le héraut lui présente un autre papier.) Edouard, duc d'York; le comte de Suffolk; sir Richard Kelty; David Gam, écuyer, point d'autre de marque; et des soldats, vingt-cinq en tout. O Dieu du ciel! ton bras s'est signalé ici; et c'est à toi seul, et non pas à nous, que nous devons rendre tout l'honneur de cette journée! Quand jamais a-t-on vu, dans la mêlée d'une bataille rangée, et sans ruse ni stratagème, une si grande perte d'un côté, une si légère de l'autre? Prends-en tout l'honneur, grand Dieu, car il t'appartient tout entier.

EXETER. – Cela est miraculeux!

LE ROI. – Allons, marchons en procession au village prochain, et proclamons dans notre armée la défense, sous peine de mort, de se vanter de cette victoire, et d'en enlever à Dieu l'hommage; il n'appartient qu'à lui seul.

FLUELLEN. – Ne peut-on pas sans crime, s'il plaît à Votre Majesté, dire le nombre des morts?

LE ROI. – Oui, capitaine; mais avec l'aveu que Dieu a combattu pour nous.

FLUELLEN. – Oui, sur ma conscience, il nous a fait grand bien.

LE ROI. – Remplissons tous les devoirs religieux. Qu'on chante le Non nobis 34 et le Te Deum. Après avoir pieusement enseveli les morts, nous marcherons vers Calais, et de là en Angleterre, où jamais n'abordèrent de France des mortels plus fortunés que nous.

(Ils sortent.)
FIN DU QUATRIÈME ACTE

ACTE CINQUIÈME

LE CHOEUR

Permettez, vous qui n'avez pas lu l'histoire, que je vous en retrace les événements; et vous qui la connaissez, pardonnez mes écarts sur les temps, le nombre et l'ordre exact des faits, qui ne peuvent être présentés ici dans leurs vastes détails, et leur vivante réalité. – Maintenant c'est vers Calais que nous transportons Henri. Admettez-le dans le port, et ensuite portez-le sur l'aile de vos pensées au travers des mers: voyez autour du rivage anglais cette large ceinture d'hommes, de femmes et d'enfants, dont les acclamations et les applaudissements surmontent la vaste voix de l'Océan; et l'Océan, qui, comme un puissant héraut, semble lui préparer sa route: voyez le roi descendre au milieu de son peuple, et s'avancer en pompe solennelle vers Londres. La pensée court d'un pas si rapide, que vous pouvez déjà le suivre sur Blackheath. Là ses lords lui demandent de porter devant lui, jusqu'à la cité, son casque brisé, et son épée ployée dans le combat. Exempt de vanité et d'orgueil, il défend cet honneur, et se refuse tout trophée, tout appareil, toute ostentation de gloire, pour les réserver à Dieu seul. Mais animez encore la forge active et l'atelier de la pensée, et voyez avec quelle impétuosité Londres verse les flots de ses habitants; voyez sortir de ses portes le lord maire et tous ses collègues, dans leur plus riche parure; semblables aux sénateurs de l'antique Rome; suivent les plébéiens en foule pressée, pour aller recevoir en triomphe leur conquérant César; ou bien, par une image moins grande, mais gracieuse pour nous, figurez-vous le général de notre souveraine 35 revenant aujourd'hui, comme il pourra revenir dans un temps heureux, des terres de l'Irlande, portant sur son glaive les trophées de la rébellion domptée. O quelle multitude immense quitterait le sein paisible de Londres pour courir saluer son retour glorieux! Plus grande était la foule qui volait au-devant de Henri, et plus grande aussi fut sa victoire. A présent, placez-le dans le palais de Londres, où l'humble plainte des Français gémissants invite le roi d'Angleterre à établir son séjour; où l'empereur, s'intéressant pour la France, vient régler les articles de la paix; franchissez tous les événements qui se succédèrent jusqu'au retour de Henri en France: c'est là qu'il faut le ramener. Moi-même j'ai employé l'intervalle à vous rappeler… qu'il est passé. Souffrez donc cette abréviation; et que vos yeux, suivant le vol de vos idées, reportent leurs regards sur la France.

SCÈNE I

France. – Corps de garde anglais
FLUELLEN ET GOWER

GOWER. – Oh! pour cela vous avez raison: mais pourquoi portez-vous encore votre poireau à votre chapeau? La Saint-David est passée.

FLUELLEN. – Il y a des occasions et des causes, des pourquoi dans toutes choses. Tenez, je vous le dirai en ami, capitaine Gower, ce coquin, ce misérable mendiant, ce fanfaron, ce pendard de Pistol, que vous, vous-même, comme tout le monde, savez ne valoir pas mieux qu'un drôle, voyez-vous, qui n'a aucun mérite: eh bien, il est venu à moi hier m'apporter du pain et du sel, voyez-vous, et m'a dit de manger mon poireau. Or, c'était dans un endroit où je ne pouvais pas élever de dispute avec lui; mais je prendrai la liberté de le porter en emblème à mon chapeau, jusqu'à ce que je le retrouve, et puis je lui dirai un petit morceau de mon sentiment.

(Entre Pistol.)

GOWER. – Ma foi, le voilà qui vient en se rengorgeant comme un paon.

FLUELLEN. – Tous ses rengorgements et ses paons n'y font rien. – Dieu vous assiste, vieux Pistol, infâme et misérable vaurien, Dieu vous assiste!

PISTOL. – Ah! sors-tu de Bedlam 36, toi? Est-ce que tu veux, vil Troyen, que je déchire la toile fatale dont la Parque ourdit ta trame. Retire-toi de moi; l'odeur du poireau me donne des vapeurs.

FLUELLEN. – Je vous prie en grâce, monsieur le drôle, l'impertinent, à mon désir, à ma requête et à ma supplique, de manger, voyez-vous, ce poireau: précisément, voyez-vous, parce que vous ne l'aimez pas, et vos affections, vos appétits et vos digestions ne s'accordent point avec cela: je vous prie de vouloir bien le manger.

PISTOL. – Non, pardieu, pour Cadwallader 37, et toutes ses chèvres, je ne le mangerai pas.

FLUELLEN. – Tiens, voilà une chèvre pour toi. (Il le frappe.) – Voudriez-vous avoir la bonté de le manger tout à l'heure?

PISTOL. – Infâme Troyen, tu mourras.

FLUELLEN. – Vous avez raison, maraud; quand il plaira à Dieu: en même temps je vous prierai de vouloir vivre, afin de manger votre dîner. Tiens, voilà un peu d'assaisonnement avec. (Il le frappe.) Vous m'avez appelé hier gentilhomme de montagne; mais je vous ferai aujourd'hui gentilhomme de bas étage. Je vous en prie, commencez donc: pardieu, si vous pouvez bien goguenarder un poireau, vous pouvez bien le manger aussi.

GOWER. – Allons, en voilà assez, capitaine: vous l'avez étourdi du coup.

FLUELLEN. – Je dis que je lui ferai manger ce poireau, ou je lui frotterai la tête quatre jours de suite. – Allons, mordez, je vous en prie, cela fera du bien à votre maladie et à votre crête rouge de fat.

PISTOL. – Quoi! faut-il que je morde?

FLUELLEN. – Oui, sans doute, sans question, et sans ambiguïtés.

PISTOL. – Par ce poireau, je m'en vengerai horriblement. Je mange, mais aussi je jure…

FLUELLEN, tenant la canne levée. – Mangez, je vous prie. Est-ce que vous voudriez encore un peu d'épices pour votre poireau? Il n'y a pas encore là assez de poireau, pour jurer par lui.

PISTOL. – Tiens ta canne en repos; tu vois bien que je mange.

FLUELLEN. – Grand bien te fasse, lâche poltron; c'est de bon coeur. – Oh! mais je vous en prie, n'en jetez pas la moindre miette par terre; la pelure est bonne pour raccommoder votre crête déchirée. Quand vous trouverez l'occasion de voir des poireaux, vous m'obligerez beaucoup de les goguenarder, entendez-vous? Voilà tout.

PISTOL. – Fort bien.

FLUELLEN. – Ah! c'est une bien bonne chose que les poireaux! Tenez, voilà quatre sous pour guérir votre tête.

PISTOL. – A moi, quatre sous!

FLUELLEN. – Oui, certainement; et en vérité vous les prendrez; ou bien j'ai encore un poireau dans ma poche que vous mangerez.

PISTOL. – Je prends tes quatre sous comme des arrhes de vengeance.

FLUELLEN. – Si je vous dois quelque chose, je vous payerai en coups de canne: vous serez marchand de bois, et vous n'achèterez de moi que des bâtons. Dieu vous accompagne, vous conserve et vous guérisse la tête!

(Il sort.)

PISTOL. – Mort de ma vie! je remuerai tout l'enfer pour venger cet affront.

GOWER. – Allez, vous n'êtes qu'un lâche rodomont. Comment osez-vous vous moquer d'une ancienne tradition, qui a pris sa source dans une circonstance honorable, et dont l'emblème se porte aujourd'hui comme un trophée, en mémoire de la mort des braves gens; surtout lorsque vous n'osez pas soutenir vos paroles par vos actions! Je vous ai déjà vu deux ou trois fois badiner, invectiver ce galant homme. Vous avez cru sans doute que, parce qu'il ne pouvait pas parler aussi bon anglais que ceux du pays, il ne saurait pas non plus manier un bâton anglais. Vous voyez aujourd'hui qu'il en est tout autrement. A commencer donc de ce jour, prenez cette correction galloise comme une bonne leçon anglaise. Adieu, portez-vous bien. (Il sort.)

PISTOL, seul. – Est-ce que la Fortune se joue de moi à présent! Je viens d'apprendre que ma chère Hélène est morte à l'hôpital, de la maladie de France, et voilà mon rendez-vous manqué. Je me fais vieux, et l'honneur vient d'être expulsé de mes membres affaiblis, à grands coups de bâton. Eh bien! je m'en vais me faire agent de plaisir, et suivre un peu mon penchant pour couper les bourses avec dextérité. Je m'en irai secrètement en Angleterre, et là je filouterai, et je mettrai des emplâtres sur ces cicatrices, et je jurerai que je les ai attrapées dans les guerres de France.

SCÈNE II

Troyes en Champagne. – Appartement dans le palais du roi de France
Par une porte entrent LE ROI HENRI, EXETER, BEDFORD, WARWICK, et autres lords anglais; et par l'autre LE ROI DE FRANCE, LA REINE ISABELLE, LA PRINCESSE CATHERINE, LE DUC DE BOURGOGNE et autres seigneurs français

LE ROI. – Que la paix, qui est l'objet de notre entrevue, y préside! – Santé et bonheur à notre frère de France, et à notre illustre soeur! – Beaux jours et prospérité à notre belle princesse et cousine Catherine! Et vous, membre et rejeton de cette cour, vous dont les soins ont formé cette auguste assemblée, brave duc de Bourgogne, recevez notre salut, et vous aussi, princes et pairs de France.

LE ROI DE FRANCE. – Nous sommes dans la joie de vous voir, digne frère d'Angleterre. Vous êtes le bienvenu! et vous tous aussi, princes anglais.

LA REINE ISABELLE. – Puisse la fin de ce beau jour, ô grand roi! et l'issue de cette gracieuse assemblée, être aussi heureuses, qu'est grande notre joie de vous voir, et d'envisager ces yeux terribles qui ont eu pour les Français qu'ils ont fixés l'effet mortel de ceux du basilic. Nous avons le doux espoir que ces regards ont perdu leur venin, et que ce jour va changer en amour toutes les haines et tous les griefs.

LE ROI. – C'est pour dire amen à ce voeu que nous nous montrons ici.

LA REINE ISABELLE. – Princes de l'Angleterre, je vous salue tous.

LE DUC DE BOURGOGNE. – Vous qui m'êtes également chers, puissants rois de France et d'Angleterre, recevez mes respectueux hommages. – Que j'ai déployé toutes les ressources de mon esprit, prodigué tous mes efforts et tous mes soins, pour amener Vos Majestés à ce rendez-vous royal; c'est ce que vous pouvez attester tous les deux, chacun de votre côté. Puisque ma médiation a réussi à vous rapprocher l'un de l'autre, au point de vous voir face à face, les yeux fixés l'un sur l'autre, qu'on ne me fasse pas un crime de demander, en présence de cette assemblée de rois, quel est donc l'obstacle qui retarde la paix; qui empêche que cette tendre nourrice des arts, de l'abondance et de toutes les productions heureuses, maintenant indigente et nue, et le sein, déchiré de plaies, ne puisse enfin de nouveau montrer ses aimables traits dans ce beau jardin de l'univers, dans notre fertile France? Hélas! depuis trop longtemps elle est bannie de ce royaume, dont toutes les richesses naturelles languissent en groupes informes et stériles, et se corrompent dans leur propre fécondité. Ses vignes, dont les esprits réjouissent le coeur, meurent non émondées. Ses vergers, comme des prisonniers dont la chevelure s'est allongée en désordre, poussent des rameaux entremêlés. Ses terres en friche se couvrent d'ivraie, de ciguë et de triste fumeterre; et le soc, qui devait extirper ces plantes ennemies, se rouille dans le repos. Ses vastes prairies, jadis couronnées d'une agréable moisson de primevères veinées, de pimprenelle, et de trèfle verdoyant, privées aujourd'hui de la faux, sont dégénérées, et n'enfantent que des herbes paresseuses. Rien ne prospère, que l'odieuse bougrande, le chardon épineux, et le vil glouteron: elles ont perdu leur belle et utile parure. Tels que nos vignobles, nos champs, nos prés et nos vergers, qui, dépravés dans leurs qualités natives, ne produisent plus que de sauvages avortons; nous aussi, nos familles et nos enfants, nous avons oublié ou cessé d'apprendre, faute de temps, les sciences, ornement de notre patrie. Nous devenons comme des sauvages, comme des soldats, qui ne méditent plus rien que le sang; livrés aux imprécations grossières, aux regards féroces, au costume barbare de la guerre, et à toutes sortes d'habitudes étranges et indignes de l'homme. C'est pour rétablir les choses dans leur ancien état de splendeur, que vous êtes ici présents; et ce discours est une prière que je vous adresse, pour savoir pourquoi la paix ne repousserait pas tous ces maux et ne nous rendrait pas le bonheur de ses anciennes faveurs.

LE ROI. – Duc de Bourgogne, si vous voulez la paix, dont l'absence laisse le champ libre à tous les vices que vous avez dénombrés, il faut que vous l'achetiez par un consentement sans réserve à toutes nos justes demandes. Vous en avez dans vos mains les articles et les clauses détaillés en peu de mots.

LE DUC DE BOURGOGNE. – Le roi de France en a entendu la lecture, et il n'y a point encore donné sa réponse.

LE ROI. – Eh bien, c'est de sa réponse que dépend la paix que vous sollicitez avec tant d'ardeur.

LE ROI DE FRANCE. – Je n'ai parcouru tous ces articles que d'un oeil rapide. S'il plaît à Votre Grâce de nommer quelques lords parmi ceux qui sont présents à ce conseil, pour les relire avec nous, et les examiner avec plus d'attention, nous allons, sans délai, accepter ce que nous approuvons, et donner sur le reste notre réponse décisive.

LE ROI. – Volontiers, mon frère. – Allez, mon oncle Exeter, et vous aussi, mon frère Glocester; et vous, Warwick, Huntington, suivez le roi; et je vous donne le plein pouvoir de ratifier, d'augmenter, ou de changer, selon que votre prudence le jugera avantageux à notre dignité, tous les articles compris ou non compris dans nos demandes; et nous y apposerons notre sceau royal. (A la reine.) Voulez-vous, aimable soeur, suivre les princes, ou rester avec nous?

LA REINE. – Mon gracieux frère, je vais les suivre. Quelquefois la voix d'une femme peut être utile au bien, lorsque les hommes se débattent trop longtemps sur des articles trop obstinément exigés.

LE ROI. – Du moins laissez-nous notre belle cousine. Catherine est l'objet de notre principale demande, et cet article est le premier de tous.

LA REINE ISABELLE. – Elle est libre de rester.

(Tous sortent excepté Henri, Catherine et sa suivante.)

LE ROI. – Belle Catherine, la plus belle des princesses, voudriez-vous me faire la grâce d'enseigner à un soldat des termes propres à flatter l'oreille d'une dame, et à plaider près de son tendre coeur la cause de l'amour?

CATHERINE. – Votre Majesté se moquerait de moi; je ne saurais parler votre Angleterre.

LE ROI. – O belle Catherine! si vous voulez bien m'aimer de tout votre coeur français, j'aurai bien du plaisir à vous entendre avouer votre amour en mauvais anglais. – M'aimez-vous, Catherine?

CATHERINE. -Pardonnez-moi; je ne saurais dire ce qui me ressemble 38.

LE ROI. – Un ange, Catherine: et vous ressemblez à un ange.

CATHERINE. -Que dit-il, que je suis semblable à ces anges?

ALIX. -Oui vraiment (sauf votre grâce), ainsi dit-il.

LE ROI. – Je l'ai dit, Catherine, et ne rougis point de l'affirmer.

CATHERINE. -Oh! bon Dieu! les langues des hommes sont pleines de tromperies.

LE ROI, à la dame d'honneur. – Que dit-elle, belle dame? que les langues des hommes sont pleines de tromperies?

LA DAME. – Oui, que les langues de les hommes sont pleines de perfidies! Voilà le dire de la princesse.

LE ROI. – La princesse n'en est que meilleure Anglaise. Sur ma foi, ma chère Catherine, ma manière de vous faire la cour va, on ne peut pas mieux, avec votre peu de connaissance dans ma langue. Je suis bien aise que vous ne sachiez pas mieux parler anglais; car, si vous le saviez, vous me trouveriez si uni et si fort sans façon pour un roi, que vous croiriez que je viens de vendre ma ferme pour en acheter ma couronne. Je ne sais ce que c'est que de filer en propos galants une déclaration d'amour; je dis tout rondement, je vous aime; et si vous me pressez, si vous m'en demandez plus que cette question, est-il bien vrai que vous m'aimez? je suis au bout de mon rôle. Donnez-moi votre réponse; là, du coeur; en même temps frappons-nous dans la main, et tout est dit: c'est un marché conclu. – Que répondez-vous, madame?

CATHERINE. -Sauf votre honneur, moi entendre bien vous.

LE ROI. – Sainte Marie! si vous exigiez de moi des vers ou une danse, pour vous plaire, chère Catherine, ma foi, ce serait fait de moi; car pour les vers, je n'ai ni mots ni mesure; et pour la danse je n'ai ni mesure ni cadence, quoique je sois en bonne mesure pour la force. S'il ne fallait pour gagner le coeur d'une dame, que sauter en selle, ma cuirasse sur le dos, sans me vanter, je suis sûr que je ne serais pas long à sauter sur elle: ou bien, s'il était question de combattre pour ma maîtresse, ou de faire volter mon cheval pour obtenir ses faveurs, je me sens en état de m'en tirer aussi bien que le plus hardi, et de me tenir en selle comme un singe. Mais sur mon Dieu, Catherine, je n'entends rien à faire les yeux doux, ni à débiter avec grâce mon éloquence, et je ne sais mettre aucun art dans mes protestations: je ne sais faire que des serments tout ronds, que je ne profère jamais que je n'y sois forcé, mais aussi qu'on ne peut jamais me forcer de violer. Si tu te sens capable, Catherine, d'aimer un cavalier de cette trempe, dont la figure ne craint plus le hâle, qui ne se regarde jamais dans un miroir, pour le plaisir de s'y voir, allons, qu'un coup d'oeil déclare ton choix. Je te parle en soldat: si cette franchise peut t'engager à m'aimer, accepte-moi; sinon, quand je te dirai que je mourrai, cela sera bien vrai un jour; mais que je mourrai d'amour pour toi, pardieu, je mentirais; et cependant je t'aime bien: et tant que tu vivras, chère Catherine, souviens-toi de prendre un époux d'une trempe d'amour toute brute et sans artifice; car alors il faut, de toute nécessité, qu'il te rende ce qui t'appartient, attendu qu'il n'a pas le don d'aller faire sa cour ailleurs. Il est de beaux diseurs, dont la langue ne tarit jamais, et qui ont le talent d'attraper avec des rimes les faveurs des dames; mais leurs beaux discours les en privent bientôt. Après tout, qu'est-ce qu'un beau parleur? un bavard. Les vers? une ballade. Une bonne jambe peut se casser, un dos bien droit se courbera, une barbe bien noire blanchira un jour, une tête bien frisée deviendra chauve, une belle figure se fanera, un oeil bien saillant se creusera; mais un bon coeur, Catherine, vaut le soleil et la lune, on plutôt le soleil et non la lune: car ce coeur brille toujours et ne change jamais dans son cours invariable. Si tu veux un coeur de cette trempe, prends le mien, prends un soldat, prends un roi. Eh bien, que réponds-tu à présent à mon amour? Parlez, ma belle; et avec franchise, je vous en conjure.

CATHERINE. -Est-il possible à moi de aimer le ennemi de France?

LE ROI. – Non; il n'est pas possible, sans doute, que vous aimiez l'ennemi de la France, belle Catherine; mais en m'aimant vous aimeriez l'ami de la France. Car j'aime si bien la France, que je ne me déferai pas d'un seul de ses villages: je veux l'avoir à moi tout entière. Alors, Catherine, quand toute la France m'appartiendra, et que je vous appartiendrai, toute la France sera à vous, et vous serez à moi.

CATHERINE. – Je ne sais ce que c'est que cela.

LE ROI. – Non? Eh bien! Catherine, je vais essayer de vous le dire en mots français, lesquels, j'en suis sûr, vont rester suspendus au bout de ma langue, comme une nouvelle mariée au cou de son époux, c'est-à-dire de façon à ne pouvoir s'en détacher: essayons. Quand j'ai la possession de France, et quand vous avez la possession de moi (attendez… Quoi?.. Morbleu! saint Denis, aide-moi), donc vôtre est France, et vous estes mienne. Il me serait aussi facile, chère Catherine, de conquérir tout le royaume, que de dire encore autant de français. Je suis sûr que je ne vous engagerai jamais à rien en parlant français, sinon à vous moquer de moi.

CATHERINE. -Sauf votre honneur, le français que vous parlez est meilleur que l'anglais que je parle.

LE ROI. – Non pardieu, Catherine, cela n'est pas vrai; mais il faut avouer que nous parlons tous deux, vous ma langue, et moi la vôtre, on ne peut pas plus faux, et que nous sommes bien de niveau là-dessus. Mais enfin, chère Catherine, entendez-vous au moins assez d'anglais pour comprendre ceci: Peux-tu m'aimer?

CATHERINE. – C'est ce que je ne puis dire.

LE ROI. – Y a-t-il quelqu'un de vos voisins, Catherine, qui puisse m'en instruire? Je les prierai de me le dire. – Allons, je sais que vous m'aimez; et ce soir, quand vous serez retirée dans votre cabinet, vous questionnerez cette dame à mon sujet: et je sais bien encore, Catherine, que les qualités que vous aimerez le mieux en moi sont celles que vous priserez le moins devant elle. Mais, chère Catherine, daigne épargner mes ridicules, d'autant plus, aimable princesse, que je t'aime à la fureur. Si jamais tu es à moi, Catherine (et j'ai en moi une ferme foi, qui me dit que cela sera), comme je t'aurai conquise par la victoire, il faut que tu deviennes une mère féconde de bons soldats. Est-ce que nous ne pourrons pas, toi et moi, entre saint Denis et saint George, former un garçon, moitié français et moitié anglais, qui aille un jour jusqu'à Constantinople et y tire la barbe du Grand-Turc 39. Hem! que dis-tu à cela, ma belle fleur de lis?

CATHERINE. – Je ne sais pas cela.

LE ROI. – Non, pas à présent; c'est dans la suite que tu le sauras: mais aujourd'hui tenons-nous-en à la promesse. Promettez-moi donc seulement, belle Catherine, que de votre côté vous ferez bien votre rôle de Française, pour former un tel héritier; et pour ma moitié anglaise du rôle, recevez ma parole, foi de roi et de garçon, que je saurai m'en acquitter. Que répondez-vous à cela, la plus belle Catherine du monde, ma très-chère et divine déesse?

CATHERINE. -Your majesté have fausse french enough to deceive de most sage demoiselle dat is en France 40.

LE ROI. – Oh! fi de mon mauvais français! Sur mon honneur, en bon anglais je t'aime, chère Catherine. Je n'oserais pas faire le même serment, que tu m'aimes et en jurer aussi par mon honneur: cependant le frémissement de mon coeur commence à me flatter qu'il en est quelque chose, malgré le peu de pouvoir de ma figure. Je maudis en ce moment l'ambition de mon père; c'était un homme qui avait la tête pleine de guerres civiles, quand il m'a engendré: voilà pourquoi j'ai apporté en naissant cet air déterminé, cet aspect d'acier qui fait que, quand je veux courtiser les dames, je leur fais peur; mais au fond, Catherine, plus je vieillirai, et plus je changerai en bien. Ma consolation est que l'âge (ce destructeur de la beauté) ne saurait enlaidir ma figure. Tu m'auras, si tu m'as, dans le pire état où je puisse être; et si tu me supportes, tu me supporteras de mieux en mieux. Ainsi, dis-moi donc, belle Catherine, veux-tu de moi? – Mettez de côté cette rougeur virginale; déclarez les pensées de votre coeur avec le regard décidé d'une impératrice; prenez-moi par la main, et dites: Henri d'Angleterre, je suis à toi; et tu n'auras pas plus tôt enchanté mon oreille de cette douce parole, que je te répondrai à haute voix: Chère Catherine, l'Angleterre est à toi, l'Irlande est à toi, et Henri Plantagenet est à toi; et ce Henri, j'ose le dire en sa présence, s'il n'est pas le meilleur des rois, tu le trouveras le roi des bons garçons. Allons, répondez en musique discordante; car le son de votre voix est une musique, et c'est votre anglais qui détonne. Allons, reine des reines, belle Catherine, ouvre-moi ton coeur quoique en mauvais anglais; dis, veux-tu de moi?

CATHERINE. – C'est comme il plaira au roi mon père.

LE ROI. – Oh! cela lui plaira, Catherine, celui lui plaira.

CATHERINE. – Eh bien, j'en serai contente aussi.

LE ROI. – Oh! cela étant, je vous baise la main, et je vous nomme ma reine.

CATHERINE. -Laissez, mon seigneur, laissez, laissez; sur mon honneur, je ne souffrirai pas que vous abaissiez votre grandeur en baisant la main de votre indigne serviteure: excusez-moi, je vous supplie, mon très-puissant seigneur.

34.Dans le psaume In exitu, que le roi fit chanter après la victoire, se trouve, selon la Vulgate, celui qui commence par Non nobis, Domine.
35.Le comte d'Essex, alors favori d'Elisabeth.
36.Bedlam, les Petites-Maisons de l'Angleterre.
37.Allusion à quelque roman.
38.Equivoque sur le mot like, semblable, et to like, aimer.
39.Les Turcs ne se sont emparés de Constantinople qu'en l'année 1453, et il y avait déjà trente-un ans que Henri était mort.
40.Dialogue moitié français, moitié anglais.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
130 s. 1 illüstrasyon
Tercüman:
Telif hakkı:
Public Domain