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SCÈNE IV
France. – Devant Orléans
Entrent, sur les remparts, LE MAITRE CANONNIER D'ORLÉANS ET SON FILS
LE CANONNIER. – Mon garçon, tu sais comment Orléans est assiégé, et comment les Anglais ont emporté les faubourgs?
LE FILS. – Je le sais, mon père, et j'ai souvent tiré sur eux: mais, malheureux que je suis, chaque fois j'ai manqué mon coup.
LE CANONNIER. – A présent tu ne le manqueras pas. Suis mes avis. Je suis maître canonnier en chef de cette ville; il faut que je fasse quelque chose pour me faire bien venir. Les espions du prince m'ont informé que les Anglais, bien retranchés dans les faubourgs, pénètrent par une secrète grille de fer dans la tour que tu vois là-bas, pour dominer la ville, et découvrir de là comment ils pourront, avec le plus d'avantage, nous mettre en péril, soit par leur artillerie, soit par un assaut. Pour faire cesser cet inconvénient, j'ai dirigé contre cette tour une pièce de calibre, et j'ai veillé ces trois jours entiers pour tâcher de les apercevoir. Toi, mon garçon, prends ma place, et veille à ton tour, car je ne puis rester plus longtemps à ce poste. Si tu aperçois quelque Anglais, cours et viens me l'annoncer; tu me trouveras chez le gouverneur.
(Il sort.)
LE FILS. – Mon père, ne vous inquiétez pas: je n'irai pas vous déranger si je puis les découvrir.
(Les lords Salisbury et Talbot, sir Guillaume Glansdale, sir Thomas Gargrave et autres paraissent sur la plate-forme d'une tour.)
SALISBURY. – Talbot, ma vie, ma joie, de retour ici! Et comment t'a-t-on traité tant que tu as été prisonnier? Et par quels moyens as-tu obtenu d'être relâché? Fais-moi ce récit, je t'en conjure, ici sur le plateau de cette tour.
TALBOT. – Le duc de Bedford avait un prisonnier qu'on appelait le brave seigneur Ponton de Saintrailles: j'ai été échangé contre lui. Mais auparavant ils avaient voulu, par mépris, me troquer contre un homme d'armes bien plus ignoble: moi, je l'ai refusé avec dédain et colère, et j'ai demandé la mort plutôt que d'être estimé à si vil prix. Enfin j'ai été racheté comme je le désirais… Mais, oh! la pensée du traître Fastolffe me déchire le coeur: je l'exécuterais de mes propres mains, si je le tenais en ce moment en ma puissance.
SALISBURY. – Mais tu ne me dis pas comment tu as été traité.
TALBOT. – Accablé de brocards, d'insultes et d'épithètes ignominieuses. Ils m'ont exposé sur la place publique d'un marché, pour servir de spectacle à tout le peuple: «Voilà, disaient-ils, la terreur des Français, l'épouvantail qui effraye nos enfants.» Alors je me suis dégagé des officiers qui me conduisaient, et avec mes ongles j'arrachais les pierres du pavé, pour les lancer aux spectateurs de mon opprobre. Mon air menaçant a fait fuir les autres. Personne n'osait approcher, craignant une mort soudaine. Ils ne me croyaient pas assez en sûreté dans des murs de fer. Telle était la terreur que mon nom avait répandue parmi eux, qu'ils s'imaginaient que je pourrais briser des barres d'acier, et mettre en pièces des poteaux de diamant. Aussi avais-je une garde des fusiliers les plus adroits qui se promenaient à toute minute autour de moi; et si je bougeais seulement de mon lit, aussitôt ils me couchaient en joue, prêts à me tirer au coeur.
SALISBURY. – Je suis au supplice d'entendre les tourments que tu as essuyés; mais nous en serons bien vengés. Maintenant c'est l'heure du souper à Orléans: ici, au travers de cette grille, je peux compter chaque homme, et voir comment les Français fortifient leurs remparts. Allons les observer: cette vue te récréera. Sir Thomas Gargrave, et vous, sir Guillaume Glansdale, je veux savoir positivement votre avis sur le lieu où il nous convient le mieux de diriger notre batterie.
GARGRAVE. – Je pense que c'est à la porte du nord, car c'est là que se tiennent les nobles.
GLANSDALE. – Et moi, ici, au boulevard du pont.
TALBOT. – Autant que je puis voir, il faut affamer cette ville, et l'affaiblir de plus en plus par de légères escarmouches.
(Un coup de canon part des remparts de la ville; Salisbury et Gargrave tombent.)
SALISBURY. – O Dieu, aie pitié de nous, misérables pécheurs!
GARGRAVE. – O Dieu, aie pitié de moi, malheureux que je suis!
TALBOT. – Quel est ce coup qui vient si soudainement traverser nos projets? – Parle, Salisbury… si tu peux parler encore. Quelle est ta blessure, modèle de tous les guerriers? Oh! un de tes yeux et ta joue emportés! Tour maudite! Maudite et fatale main, qui as machiné ce coup terrible! Salisbury, vainqueur dans treize batailles! lui qui forma Henri V à la guerre! Tant que sonnait une trompette, ou que battait un tambour, son épée ne cessait de frapper sur le champ de bataille. – Respires-tu encore, Salisbury? Si tu n'as pas de voix, il te reste du moins un oeil que tu peux lever vers le Ciel, pour implorer sa miséricorde. Le soleil embrasse l'univers d'un seul regard. Ciel, ne fais grâce à aucun mortel, si Salisbury ne l'obtient pas de toi. – Enlevez son corps: je vais vous aider à l'ensevelir. Et toi, Gargrave, respires-tu encore? Parle à Talbot: regarde-le. – Salisbury, console ton âme par cette pensée: tu ne mourras point tant que… Il me fait signe de la main, et me sourit comme s'il me disait: «Quand je ne serai plus, souviens-toi de me venger sur les Français. – Plantagenet, je te le promets: comme Néron, je jouerai du luth en contemplant l'incendie de leurs villes. (Un coup de tonnerre, ensuite une alarme.) Quel est ce tumulte? Que signifie ce vacarme dans les cieux? D'où viennent cette alarme et ce bruit?
(Entre un messager.)
LE MESSAGER. – Milord, milord: les Français ont rassemblé leurs troupes. Le dauphin, avec une certaine Jeanne la Pucelle… une sainte prophétesse qui vient de se manifester tout nouvellement, arrive à la tête d'une grande armée pour faire lever le siége.
(Ici Salisbury pousse un gémissement.)
TALBOT. – Écoutez, écoulez, comme gémit Salisbury mourant! son coeur souffre de ne pouvoir se venger. Français, je serai pour vous un Salisbury! Pucelle, ou non Pucelle, dauphin ou chien de mer, j'écraserai vos coeurs sous les pieds de mon cheval. Portez Salisbury dans sa tente; et, après, voyons jusqu'où va l'audace de ces lâches Français.
(Une alarme. Ils sortent emportant les deux morts.)
SCÈNE V
Devant une des portes d'Orléans
Alarmes. Escarmouches. TALBOT poursuit le DAUPHIN et le chasse devant lui; alors paraît LA PUCELLE, chassant les Anglais devant elle. Ensuite rentre TALBOT
TALBOT. – Où est ma force, mon intrépidité, ma valeur? Nos Anglais se retirent: je ne puis les arrêter. Une femme, vêtue en guerrier, les chasse devant elle. (Entre la Pucelle.) La voici, la voici qui s'avance. – Je veux me mesurer avec toi: démon mâle ou femelle, je veux te conjurer: je saurai te tirer du sang 11; tu n'es qu'une sorcière: je vais livrer dans l'instant ton âme au maître que tu sers.
LA PUCELLE. – Viens, viens; c'est à moi seule qu'il est réservé de ternir ta gloire.
(Ils combattent.)
TALBOT. – Ciel! peux-tu souffrir que l'enfer l'emporte? Plutôt que de renoncer à châtier cette insolente créature, les élans de mon courage feront éclater ma poitrine; et, dans ma fureur, j'arracherai de mes épaules ces bras impuissants.
LA PUCELLE. – Adieu, Talbot, ton heure n'est pas encore venue: en attendant, il faut que j'aille ravitailler Orléans. – Essaye de me vaincre, si tu peux: je me ris de ta force; va, va plutôt rafraîchir tes soldats affamés, aider Salisbury à faire son testament. Cette journée est à nous, et bien d'autres qui vont la suivre.
(Elle entre dans Orléans avec les soldats.)
TALBOT. – Mes pensées tourbillonnent comme la roue d'un potier. Je ne sais où je suis, ni ce que je fais. Une sorcière, par la peur qu'elle répand, et non par sa force, comme Annibal, pousse devant elle nos troupes, et triomphe comme il lui plaît. Ainsi on voit les abeilles fuir de leurs ruches devant la fumée, et les colombes chassées de leurs asiles par une mauvaise odeur. Ils nous appelaient des dogues anglais, à cause de notre acharnement; aujourd'hui, timides comme de petits chiens, nous fuyons en poussant des cris. (Une courte alarme.) Écoutez-moi, concitoyens, ou recommencez le combat, ou arrachez les lions de l'écusson d'Angleterre: mettez-y des moutons au lieu de lions; renoncez à votre patrie. Non, le mouton ne fuit pas devant le loup, ni le cheval ou le boeuf devant le léopard, aussi timidement que vous devant ces esclaves que vous avez tant de fois vaincus. (Une autre escarmouche.) Ils ne le feront pas. – Retirez-vous dans vos retranchements: vous avez tous conspiré la mort le Salisbury, car nul de vous ne veut frapper un seul coup pour le venger. – La Pucelle est entrée dans Orléans malgré nous et tous nos efforts. Oh! je voudrais mourir avec Salisbury! La honte me forcera de cacher ma tête.
(Il sort.)
(Alarme, bruit de trompettes, retraite.)
SCÈNE VI
LA PUCELLE, CHARLES, RENÉ, ALENÇON, et des soldats paraissent sur les remparts
LA PUCELLE. – Arborons nos étendards déployés sur les murs. Orléans est délivré des loups anglais. Ainsi Jeanne la Pucelle a accompli sa parole.
CHARLES. – Divine créature, fille brillante d'Astrée, de quels honneurs assez grands te payerai-je ce succès? Tes promesses ressemblent aux jardins d'Adonis, qui donnaient un jour des fleurs et le lendemain des fruits. France, triomphe et réjouis-toi de ta glorieuse prophétesse. La ville d'Orléans est regagnée: jamais bonheur plus signalé n'est échu à notre empire.
RENÉ. – Pourquoi donc toutes les cloches de la ville n'annoncent-elles pas notre victoire? Dauphin, commandez aux citoyens d'allumer des feux de joie, et de célébrer des fêtes et des banquets dans les rues et les places, pour célébrer le bonheur que Dieu vient de nous accorder.
ALENÇON. – Toute la France sera dans la joie, quand elle apprendra quel mâle courage nous avons montré.
CHARLES. – C'est à Jeanne, et non à nous, que ce beau triomphe est dû. En reconnaissance, je veux partager ma couronne avec elle; tous les prêtres, tous les religieux de mon royaume chanteront en choeur ses immortelles louanges. Je veux lui élever une pyramide plus magnifique que ne fut jamais celle de la Rhodope de Memphis. En mémoire d'elle, quand elle sera morte, ses cendres, enfermées dans une urne plus précieuse que le coffre aux riches diamants de Darius, seront portées aux fêtes solennelles devant les rois et les reines de France. Ce ne sera plus saint Denis que nous invoquerons; Jeanne la Pucelle sera désormais la patronne de la France. Entrons, et après ce beau jour de victoire, allons nous réjouir dans un banquet royal.
(Fanfare. Ils sortent.)
FIN DU PREMIER ACTE.
ACTE DEUXIÈME
SCÈNE I
France. – Devant Orléans
Entre UN SERGENT français, avec DEUX SENTINELLES
LE SERGENT. – Camarades, à vos postes, et soyez vigilants. Si vous entendez quelque bruit, si vous apercevez quelque ennemi près des remparts, donnez-nous-en avis au corps de garde par quelque signal.
LES SENTINELLES. – Sergent, vous serez averti. (Le sergent sort.) Ainsi les pauvres subalternes, tandis que les autres dorment tranquilles sur leurs lits, sont contraints de veiller au milieu des ténèbres, par le froid et la pluie!
(Entrent Talbot, Bedford, le duc de Bourgogne et les troupes, munis d'échelles d'assaut. Leurs tambours battent une marche sourde.)
TALBOT. – Lord régent, et vous, duc redouté dont l'alliance nous donne l'amitié des provinces d'Artois, de Flandre et de Picardie, pendant cette nuit favorable, les Français sont sans défense, après avoir bu et banqueté tout le jour. Saisissons cette occasion: elle est faite pour nous venger de leur fraude, oeuvre de perfidie et d'une sorcellerie diabolique.
BEDFORD. – Lâche roi! Quel outrage il fait à sa renommée en désespérant ainsi de la vigueur de son bras, et en se liguant avec des sorcières et des suppôts d'enfer!
LE DUC DE BOURGOGNE. – Les traîtres n'ont jamais d'autre alliance. Mais quelle est donc cette Pucelle qu'on dit si chaste?
TALBOT. – Une jeune fille, dit-on.
BEDFORD. – Une jeune fille! et si guerrière!
LE DUC DE BOURGOGNE. – Prions Dieu que d'ici à peu de temps elle ne prouve pas qu'elle est un homme, si elle continue, comme elle a commencé, à porter l'armure sous l'étendard des Français!
TALBOT. – Eh bien, qu'ils commercent, qu'ils complotent avec les esprits infernaux! Dieu est notre forteresse; en son nom victorieux, déterminons-nous à escalader leurs remparts.
BEDFORD. – Monte, brave Talbot, nous te suivrons.
TALBOT. – Non pas tous ensemble: il vaut bien mieux, à mon avis, que nous entrions par divers côtés à la fois: si quelqu'un de nous vient à échouer, les autres pourront tenir encore contre les ennemis.
BEDFORD. – D'accord. Je vais monter par cet angle, là-bas.
LE DUC DE BOURGOGNE. – Et moi, par celui-ci.
TALBOT. – Et Talbot montera par ici, ou y trouvera son tombeau. Allons, Salisbury; c'est pour toi et pour le droit de Henri d'Angleterre; cette nuit va montrer combien je vous suis dévoué à tous les deux.
(Les Anglais escaladent les murailles en criant: Saint-George! Talbot!)
UNE SENTINELLE, à l'intérieur. – Aux armes! aux armes! L'ennemi livre l'assaut.
(Les Français accourent et sautent à demi-vêtus sur les murs. Le Bâtard, Alençon, René, arrivent par différents côtés, les uns habillés et armés, et les autres en désordre.)
ALENÇON. – Quoi donc, mes seigneurs, à demi nus!
LE BATARD. – A demi nus? oui; et bien joyeux d'avoir échappé si heureusement!
RENÉ. – Il était temps, je crois, de s'éveiller et de quitter nos lits; l'alarme retentissait à la porte de nos chambres.
ALENÇON. – De tous les exploits que j'ai vus, depuis que je fais la guerre, jamais je n'ai ouï parler d'une entreprise plus hasardeuse et plus désespérée que cet assaut.
LE BATARD. – Je crois que ce Talbot est un démon des enfers.
RENÉ. – Si ce n'est pas l'enfer, à coup sûr, c'est le ciel qui le seconde.
ALENÇON. – Voici Charles qui vient. Je suis étonné de sa diligence.
(Entrent Charles et la Pucelle.)
LE BATARD, avec ironie. – Bon! la divine Jeanne était sa garde.
CHARLES, à la Pucelle. – Est-ce là ton art, trompeuse dame? N'as-tu commencé de nous flatter d'abord par un léger succès, que pour nous exposer après à une perte dix fois plus grande?
LA PUCELLE. – Pourquoi Charles est-il exigeant avec son amie? Prétendez-vous que ma puissance soit toujours la même? Dois-je l'emporter soit que je veille, soit que je dorme? ou rejetterez-vous sur moi toutes les fautes? Imprévoyants soldats, si vous aviez fait bonne garde, ce désastre soudain ne serait jamais arrivé.
CHARLES. – Duc d'Alençon, c'est votre faute, à vous, qui commandiez la garde de nuit, de n'avoir pas été plus attentif à cet important emploi.
ALENÇON. – Si tous vos quartiers avaient été aussi soigneusement veillés que celui dont j'avais l'inspection, nous n'aurions pas été si honteusement surpris.
LE BATARD. – Le mien était en sûreté.
RENÉ. – Et le mien aussi, mon prince.
CHARLES. – Pour moi, j'ai passé la plus grande partie de cette nuit dans le quartier de la Pucelle et dans le mien, à errer de garde en garde, et à relever les sentinelles: comment donc les ennemis ont-ils pu entrer? par quel côté ont-ils pénétré le premier?
LA PUCELLE. – Ne demandez plus, seigneur, comment et par où. Il est certain qu'ils ont trouvé quelque partie faiblement gardée, où la brèche a été ouverte. Et maintenant il ne nous reste que la ressource de rallier nos soldats épars, et d'établir de nouvelles plates-formes, pour inquiéter les Anglais.
(Une alarme. Entre un soldat anglais criant: Talbot! Talbot! Le roi, les ducs et la Pucelle fuient, laissant derrière eux une partie de leurs habits.)
LE SOLDAT. – J'aurai bien la hardiesse de prendre ce qu'ils ont laissé. Le cri de Talbot me sert d'épée. Me voilà chargé de dépouilles, sans avoir employé d'autre arme que son nom. (Il sort.)
SCÈNE II
Orléans. – Dans la ville
Entrent TALBOT, BEDFORD, LE DUC DE BOURGOGNE, UN CAPITAINE et autres
BEDFORD. – Le jour commence à percer, et la nuit fuit en repliant le noir manteau dont elle couvrait la terre. Cessons ici notre chaude poursuite, et faisons sonner la retraite.
(On sonne la retraite.)
TALBOT. – Qu'on apporte le corps du vieux Salisbury et qu'on le dépose au milieu de la place publique, dans le centre même de cette ville maudite. – Me voilà donc acquitté du voeu que j'avais fait à son âme. Pour chaque goutte de sang qu'il a perdue, cinq Français au moins sont morts cette nuit, et afin que les siècles futurs sachent quel désastre a produit sa vengeance, je veux ériger dans leur principal temple une tombe où sera enterré son corps: sur sa tombe, et de telle sorte que chacun le puisse lire, sera gravé le récit du sac d'Orléans, par quelle trahison est arrivée sa mort déplorable, et quelle terreur il inspirait à la France. – Mais je songe, seigneurs, que dans notre sanglant carnage nous n'avons pas rencontré l'altesse du dauphin, ni son nouveau champion, la vaillante Jeanne d'Arc, ni aucun de ses perfides alliés.
BEDFORD. – On croit, lord Talbot, qu'au commencement du combat, arrachés tout d'un coup à leurs lits paresseux, et au milieu des pelotons de gens armés, ils ont sauté par-dessus les murailles pour chercher un asile dans la plaine.
LE DUC DE BOURGOGNE. – Moi-même, autant que j'ai pu distinguer à travers la fumée et les noires vapeurs de la nuit, je suis sûr d'avoir effrayé le dauphin et sa compagne, comme ils accouraient tous deux les bras enlacés, ainsi qu'un couple de tendres tourterelles, qui ne peuvent vivre séparées ni le jour ni la nuit. – Quand nous aurons mis ordre à tout ici, nous marcherons sur leurs traces avec toutes nos troupes.
(Entre un messager.)
LE MESSAGER. – Salut à vous tous, milords! Quel est celui, dans cette noble réunion, que vous nommez le belliqueux Talbot, célèbre par ses exploits si vantés dans tout le royaume de France?
TALBOT. – Voici Talbot; qui veut lui parler?
LE MESSAGER. – Une vertueuse dame, la comtesse d'Auvergne, admirant avec respect ta renommée, te supplie par moi, illustre seigneur, de lui accorder la faveur de visiter l'humble château où elle réside, afin qu'elle puisse se vanter d'avoir vu l'homme dont la gloire remplit l'univers de son éclat.
LE DUC DE BOURGOGNE. – En est-il donc ainsi? Allons, je vois que nos guerres deviendront un gai et paisible passe-temps, si les dames demandent qu'on aille ainsi les visiter. – Vous ne pouvez honnêtement, milord, dédaigner sa gracieuse requête.
TALBOT. – Ne me croyez plus désormais; car ce qu'un peuple entier d'orateurs n'auraient jamais pu obtenir de moi avec toute leur éloquence, la politesse d'une femme l'emporte. Ainsi, dites-lui que je lui rends grâces, et que, soumis et respectueux, j'irai lui faire ma cour. Vos Seigneuries ne me tiendront-elles pas compagnie?
BEDFORD. – Non certes: ce serait plus que n'exige la politesse; et j'ai ouï dire que les hôtes qui ne sont pas priés ne sont jamais mieux venus que lorsqu'ils s'en vont.
TALBOT. – Allons, j'irai donc seul, puisqu'il n'y a pas moyen de s'en défendre; je veux faire l'essai de la courtoisie de cette dame. – Capitaine, approchez. (Il lui parle à l'oreille.) Vous devinez mes intentions?
LE CAPITAINE. – Oui, milord, et je m'y conformerai.
SCÈNE III
(Cour du château de la comtesse d'Auvergne.)
LA COMTESSE, suivie du CONCIERGE de son château
LA COMTESSE. – Concierge, souviens-toi de ce dont je t'ai chargé; et, quand tu l'auras fait, apporte-moi les clefs.
LE CONCIERGE. – Je le ferai, madame.
(Il sort.)
LA COMTESSE. – Le plan est dressé. Si tout réussit, je serai aussi fameuse par cet exploit que la Scythe Thomyris par la mort de Cyrus. – On fait un grand bruit de ce redoutable chevalier et de ses merveilleuses prouesses. Je serais bien aise que le témoignage de mes yeux concourût avec celui de mes oreilles pour porter mon jugement sur ses hauts faits.
(Entrent le messager et Talbot.)
LE MESSAGER. – Madame, conformément à votre désir exprimé par mon message, le lord Talbot vient vous voir.
LA COMTESSE. – Il est le bienvenu. – Quoi! est-ce lui?
LE MESSAGER. – Madame, lui-même.
LA COMTESSE. – Est-ce là le fléau de la France? Est-ce là ce Talbot si redouté dans l'Europe, et dont le nom sert aux mères pour faire taire leurs enfants? Je vois à présent combien les récits sont fabuleux et trompeurs; je m'attendais à voir un Hercule, un second Hector, à l'aspect farouche, d'une vaste et forte stature. Eh! c'est un enfant, un nain ridicule; il ne se peut pas que cet avorton faible et ridé frappe ses ennemis d'une si grande terreur.
TALBOT. – Madame, j'ai pris la hardiesse de vous importuner; mais puisque Votre Seigneurie n'est pas libre, je choisirai quelque autre temps pour vous faire ma visite.
LA COMTESSE. – Que prétend-il? Allez lui demander où il va.
LE MESSAGER. – Daignez rester, milord Talbot: ma maîtresse désire savoir la cause de votre brusque départ.
TALBOT. – Hé mais, c'est parce que je vois qu'elle est dans l'erreur: je vais lui prouver que Talbot est ici.
(Rentre le concierge avec des clefs.)
LA COMTESSE. – Si tu es Talbot, tu es donc prisonnier.
TALBOT. – Prisonnier? Et de qui?
LA COMTESSE. – Le mien, lord altéré de sang: et voilà pourquoi je t'ai attiré chez moi. Depuis longtemps ton ombre est ma prisonnière, car ton portrait est pendu dans ma galerie. Aujourd'hui l'original subira le même sort, et j'enchaînerai tes bras et tes jambes à toi, qui, depuis tant d'années, as tyranniquement opprimé, ravagé ma patrie, égorgé nos citoyens, et envoyé dans les fers nos enfants et nos maris.
TALBOT. – Ha, ha, ha!
LA COMTESSE. – Tu ris, misérable! Va, ta joie se changera bientôt en gémissements.
TALBOT. – Je ris de votre folie, de croire que vous ayez en votre possession autre chose que l'ombre de Talbot pour objet de vengeance.
LA COMTESSE. – Quoi! n'es-tu pas l'homme?
TALBOT. – Oui, sans doute.
LA COMTESSE. – Eh bien, j'en possède donc l'original.
TALBOT. – Non, non: je ne suis que l'ombre de moi-même. Vous êtes déçue, madame; vous n'avez ici que l'ombre de Talbot: ce que vous voyez n'est qu'un frêle et chétif individu de l'espèce humaine. Je vous dis, madame, que si Talbot tout entier était ici, vous le verriez d'une grandeur et d'une étendue si immense, que votre appartement ne suffirait pas pour le contenir.
LA COMTESSE. – C'est un marchand d'énigmes: il est ici et il n'est point ici: comment ces contradictions peuvent-elles se concilier?
TALBOT. – Je vais vous le montrer dans l'instant. (Il donne un coup de sifflet: on entend des tambours; aussitôt suit une décharge d'artillerie. Les portes sont forcées; entre une troupe de soldats.) Qu'en dites-vous, madame? Reconnaissez-vous à présent que Talbot n'est que l'ombre de lui-même? (Montrant ses soldats.) Voilà sa substance, ses muscles, ses bras, sa force avec laquelle il courbe sous le joug vos têtes rebelles, rase vos cités, renverse vos places, et les change en un moment en solitudes désolées.
LA COMTESSE. – Victorieux Talbot! pardonne mon outrage. Je vois que tu n'es pas moins grand que ne te peint la renommée, et que tu es bien plus grand que ne l'annonce ta stature. Que ma présomption ne provoque pas ton courroux! Je me reproche de ne t'avoir pas reçu avec le respect qui t'est dû.
TALBOT. – Ne vous effrayez point, belle dame; et ne vous méprenez pas sur l'âme de Talbot, comme vous vous êtes méprise sur son apparence extérieure. Ce que vous avez fait ne m'a point offensé: et je ne vous demande d'autre satisfaction, que de nous permettre, de votre plein gré, de goûter votre vin et de voir quelles douceurs vous avez à nous offrir, car l'appétit des soldats les sert toujours à merveille.
LA COMTESSE. – De tout mon coeur. Et croyez que je me trouve honorée de fêter un si grand guerrier dans ma maison.