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Kitabı oku: «La vie et la mort du roi Richard III», sayfa 2

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ANNE. – Plût à Dieu que je pusse connaître ton coeur!

GLOCESTER. – Ma langue vous le représente.

ANNE. – Je crains bien qu'ils ne soient faux tous deux.

GLOCESTER. – Il n'y eut donc jamais d'homme sincère.

ANNE. – Bien, bien; reprenez votre épée.

GLOCESTER. – Dis donc que tu m'as pardonné.

ANNE. – Vous le saurez par la suite.

GLOCESTER. – Mais puis-je avoir de l'espérance?

ANNE. – Tous les hommes l'ont: espère.

GLOCESTER. – Daigne porter cet anneau.

ANNE met l'anneau à son doigt. – Recevoir n'est pas donner.

GLOCESTER. – Vois comme cet anneau entoure ton doigt: c'est ainsi que mon pauvre coeur est enfermé dans ton sein. Use de tous deux, car tous deux sont à toi; et si ton pauvre et dévoué serviteur peut encore solliciter de ta gracieuse beauté une seule faveur, tu assures son bonheur pour jamais.

ANNE. – Quelle est cette faveur?

GLOCESTER. – Qu'il vous plaise de laisser ce triste emploi à celui qui a plus que vous sujet de se couvrir de deuil; et d'aller d'ici vous reposer à Crosby où, dès que j'aurai solennellement fait inhumer ce noble roi dans le monastère de Chertsey, et arrosé son tombeau des larmes de mon repentir, j'irai vous retrouver encore avec un vertueux empressement. Pour plusieurs raisons que vous ignorez, je vous en conjure, accordez-moi cette grâce.

ANNE. – De tout mon coeur; et j'ai bien de la joie de vous voir si touché de repentir. – Tressel, et vous, Berkley, accompagnez-moi.

GLOCESTER. – Dites-moi donc adieu?

ANNE. – C'est plus que vous ne méritez: mais puisque vous m'instruisez à vous flatter, imaginez-vous que je vous ai dit adieu.

(Lady Anne sort avec Tressel et Berkley)

GLOCESTER. – Allons, vous autres, emportez ce corps.

UN DES OFFICIERS. – A Chertsey, noble lord?

GLOCESTER. – Non, à White-Friars. – Et attendez-moi là. (Le cortège sort avec le corps.) A-t-on jamais fait la cour à une femme de cette manière? a-t-on jamais fait de cette manière la conquête d'une femme? Je l'aurai, mais je ne compte pas la garder longtemps. – Quoi! moi qui ai tué son époux et son père, l'attaquer au plus fort de la haine qu'elle a pour moi dans le coeur, les malédictions à la bouche, les larmes dans les yeux, et en présence de l'objet sanglant qui excite sa vengeance! Dieu, sa conscience et ce cercueil sollicitaient contre moi; et moi, sans aucun ami pour appuyer mes sollicitations, que le diable en personne et mes regards dissimulés! Et en venir à bout! c'est du moins ce qu'on peut parier, le monde contre rien. – Ah! a-t-elle donc déjà oublié son époux, ce brave Édouard, que j'ai, il y a à peu près trois mois, poignardé à Tewksbury dans ma fureur? Le plus gracieux et le plus aimable gentilhomme que puisse jamais offrir l'univers entier, formé par la nature avec prodigalité; jeune, vaillant, sage, et l'on n'en peut douter, tout fait pour être roi? Et elle abaisse ses regards sur moi qui ai moissonné dans son riche printemps cet aimable prince, et qui ai fait de son lit le séjour d'un douloureux veuvage! sur moi, qui tout entier ne vaux pas la moitié de ce que valait Édouard! sur moi, boiteux et si horriblement contrefait! Mon duché contre un misérable denier, que je me suis mépris tout ce temps sur ma personne. Sur ma vie, elle trouve, quoique je n'en puisse faire autant, que je suis un homme singulièrement bien tourné. Allons, je veux faire emplette de miroirs, et entretenir à mes frais quelques douzaines de tailleurs, pour étudier les modes et en parer ma personne: puisque me voilà parvenu à gagner ses bonnes grâces, je ferai bien quelques frais pour me maintenir dans cette heureuse situation. – Mais commençons par faire loger le compagnon dans son tombeau, et ensuite je reviendrai soupirer aux genoux de ma belle. – Brillant soleil, luis en attendant que j'achète un miroir, afin qu'en marchant je puisse voir mon ombre.

(Il sort.)

SCÈNE III

Toujours à Londres. – Un appartement dans le palais
Entrent LA REINE ELISABETH, LORD RIVERS ET LORD GREY

RIVERS. – Madame, calmez-vous: il n'est pas douteux que Sa Majesté ne recouvre bientôt sa santé accoutumée.

GREY. – Vos inquiétudes ne font qu'aggraver son mal. Ainsi, au nom de Dieu, prenez meilleure espérance, et tâchez de réjouir Sa Majesté par des discours gais et animés.

ÉLISABETH. – S'il était mort, que deviendrais-je?

GREY. – Vous n'auriez d'autre malheur que la perte d'un tel époux.

ÉLISABETH. – La perte d'un tel époux renferme tous les malheurs.

GREY. – Le ciel vous a fait don d'un excellent fils pour être votre consolateur et votre appui quand le roi ne sera plus.

ÉLISABETH. – Ah! il est jeune, et sa minorité est confiée aux soins de Richard de Glocester, à un homme qui ne m'aime point, ni aucun de vous.

RIVERS. – Est-il décidé qu'il sera protecteur?

ÉLISABETH. – Cela est décidé. Cela n'est pas encore fait, mais cela sera nécessairement si le roi vient à manquer.

(Entrent Buckingham et Stanley)

GREY. – Voici les lords Buckingham et Stanley.

BUCKINGHAM. – Mes bons souhaits à Votre royale Majesté.

STANLEY. – Dieu veuille rendre à Votre Majesté le bonheur et la joie.

ÉLISABETH. – La comtesse de Richmond 3, mon cher lord Stanley, aurait bien de la peine à dire amen à cette bonne prière. Cependant, Stanley, quoiqu'elle soit votre femme et qu'elle ne m'aime pas, soyez bien sûr, mon bon lord, que son orgueilleuse arrogance ne vous attire point ma haine.

STANLEY. – Je vous supplie, ou de ne pas ajouter foi aux propos calomnieux de ses jaloux et perfides accusateurs, ou, quand l'accusation sera fondée, d'avoir de l'indulgence pour sa faiblesse, résultat de l'aigreur que donne la maladie, et non d'aucune mauvaise volonté réelle.

ÉLISABETH. – Avez-vous vu le roi aujourd'hui, milord?

STANLEY. – Nous sortons dans le moment, le duc de Buckingham et moi, de faire visite à Sa Majesté.

ÉLISABETH. – Voyez-vous, milords, quelque apparence que sa santé puisse s'améliorer?

BUCKINGHAM. – Madame, il y a tout lieu d'espérer. Sa Majesté parle avec gaieté.

ÉLISABETH. – Que Dieu lui accorde la santé! Avez-vous parlé d'affaires avec lui?

BUCKINGHAM. – Oui, madame. Il désire fort pacifier les différends du duc de Glocester avec vos frères, et ceux de vos frères avec milord chambellan: il vient de les mander tous devant lui.

ÉLISABETH. – Dieu veuille que tout s'arrange! mais cela ne sera jamais. – Je crains bien que notre bonheur ait atteint son dernier terme.

(Entrent Glocester, Hastings et Dorset.)

GLOCESTER. – Ils me calomnient, et je ne le souffrirai pas. – Qui sont-ils, ceux qui se plaignent au roi que je leur fais mauvaise mine, et que je ne les aime pas? Par saint Paul! ils aiment bien peu Sa Grâce, ceux qui remplissent ses oreilles de semblables tracasseries! Parce que je ne sais pas flatter, dire de belles paroles, sourire aux gens, cajoler, feindre, tromper, saluer d'un coup de tête à la française, et avec des singeries de politesse, il faudra qu'on m'accuse de rancune et d'inimitié! Un homme franc et qui ne pense point à mal ne saurait-il éviter que sa sincérité ne soit mal interprétée par de fourbes et insinuants faquins vêtus de soie?

GREY. – A qui, dans cette assemblée, Votre Grâce nous fait-elle l'honneur de s'adresser?

GLOCESTER. – A toi, qui n'as pas plus de probité que 4 d'honneur. Quand t'ai-je fait tort? ou à toi, ou à toi (en montrant les autres lords), à aucun de votre cabale? Dieu vous confonde tous! Sa Majesté… (que Dieu veuille conserver plus longtemps que vous ne le souhaitez!) ne peut respirer un moment tranquille, que vous n'alliez la fatiguer de vos infâmes délations.

ÉLISABETH. – Mon frère de Glocester, vous avez mal pris la chose. Le roi, de sa propre et royale volonté, et sans en avoir été sollicité par personne, ayant en vue, apparemment, la haine que vous nourrissez dans votre coeur, et qui éclate dans votre conduite, contre mes enfants, mes frères et moi-même, vous mande auprès de lui, afin de prendre connaissance des motifs de votre mauvaise volonté pour travailler à les écarter.

GLOCESTER. – Je ne saurais dire, mais le monde est devenu si pervers, que le roitelet vient picoter là où n'oserait percher l'aigle. – Depuis que tant de Gros-Jean sont devenus gentilshommes, bien des gentilshommes sont redevenus Gros-Jean.

ÉLISABETH. – Allons, allons, mon frère Glocester, nous devinons votre pensée. Vous êtes blessé de mon élévation et de l'avancement de mes amis: Dieu nous fasse la grâce de n'avoir jamais besoin de vous!

GLOCESTER. – En attendant, Dieu nous fait la grâce, madame, d'avoir besoin de vous: c'est par vos menées que mon frère est emprisonné, que je suis moi-même disgracié, et que la noblesse du royaume est tenue en mépris; tandis qu'on fait tous les jours de nombreuses promotions pour anoblir des personnages qui, deux jours auparavant, avaient à peine un noble.

ÉLISABETH. – Au nom de Celui qui, du sein de la destinée tranquille où je vivais satisfaite, m'a élevée à cette grandeur pleine d'inquiétudes, je jure que jamais je n'ai aigri Sa Majesté contre le duc de Clarence, et qu'au contraire j'ai plaidé sa cause avec chaleur. Milord, vous me faites une honteuse injure de jeter sur moi, contre toute vérité, ces soupçons déshonorants.

GLOCESTER. – Vous êtes capable de nier que vous avez été la cause de l'emprisonnement de milord Hastings?

RIVERS. – Elle le peut, milord; car…

GLOCESTER. – Elle le peut, lord Rivers? et qui ne le sait pas qu'elle le peut? Elle peut vraiment faire bien plus que le nier: elle peut encore vous faire obtenir nombre d'importantes faveurs et nier après que sa main vous ait secondé, et faire honneur de toutes ces dignités à votre rare mérite. Que ne peut-elle pas? Elle peut!.. oui, par la messe 5, elle peut…

RIVERS. – Eh bien! par la messe, que peut-elle?..

GLOCESTER. – Ce qu'elle peut, par la messe! épouser un roi, un beau jeune adolescent. Nous savons que votre grand'mère n'a pas trouvé un si bon parti.

ÉLISABETH. – Milord de Glocester, j'ai trop longtemps enduré vos insultes grossières, et vos brocards amers. Par le ciel! j'informerai Sa Majesté de ces odieux outrages que j'ai tant de fois soufferts avec patience. J'aimerais mieux être servante de ferme que d'être une grande reine à cette condition d'être ainsi tourmentée, insultée, et en butte à vos emportements. Je trouve bien peu de joie à être reine d'Angleterre!

(Entre la reine Marguerite, qui demeure en arrière)

MARGUERITE. – Et ce peu, puisse-t-il être encore diminué! Mon Dieu, je te le demande! Tes honneurs, ta grandeur, et le trône où tu t'assieds, sont à moi.

GLOCESTER, à Élisabeth. – Quoi! vous me menacez de vous plaindre au roi? Allez l'instruire, et ne m'épargnez pas: comptez que ce que je vous ai dit, je le soutiendrai en présence du roi: je brave le danger d'être envoyé à la Tour. Il est temps que je parle: on a tout à fait oublié mes travaux.

MARGUERITE, toujours derrière. – Odieux démon! Je ne m'en souviens que trop. Tu as tué, dans la Tour, mon époux Henri, et mon pauvre fils Édouard à Tewksbury.

GLOCESTER, à Élisabeth. – Avant que vous fussiez reine, ou votre époux roi, j'étais le cheval de peine dans toutes ses affaires, l'exterminateur de ses fiers ennemis, le rémunérateur prodigue de ses amis; pour couronner son sang, j'ai versé le mien.

MARGUERITE. – Oui, et un sang bien meilleur que le sien ou le tien.

GLOCESTER, à Élisabeth. – Et pendant tout ce temps, vous et votre mari Grey, combattiez pour la maison de Lancastre; et vous aussi, Rivers. – Votre mari n'a-t-il pas été tué dans le parti de Marguerite, à la bataille de Saint-Albans? Laissez-moi vous remettre en mémoire, si vous l'oubliez, ce que vous étiez alors, et ce que vous êtes aujourd'hui; et en même temps ce que j'étais moi, et ce que je suis.

MARGUERITE. – Un infâme meurtrier, et tu l'es encore.

GLOCESTER. – Le pauvre Clarence abandonna son père Warwick, et se rendit parjure. Que Jésus le lui pardonne!..

MARGUERITE. – Que Dieu l'en punisse!

GLOCESTER. – Pour combattre en faveur des droits d'Édouard à la couronne, et pour son salaire, ce pauvre lord est dans les fers! Plût à Dieu que j'eusse comme Édouard un coeur de roche, ou que celui d'Édouard fût tendre et compatissant comme le mien! Je suis, pour le monde où nous vivons, d'une sensibilité vraiment trop puérile.

MARGUERITE. – Fuis donc aux enfers, de par l'honneur, et quitte ce monde, démon infernal; c'est là qu'est ton royaume.

RIVERS. – Milord de Glocester, dans ces temps difficiles, où vous nous reprochez d'avoir été les ennemis de votre maison, nous avons suivi notre maître, notre légitime souverain; nous en ferions de même pour vous si vous deveniez notre roi.

GLOCESTER. – Si je le devenais? J'aimerais mieux être porte-balle: loin de mon coeur une pareille pensée!

ÉLISABETH. – Milord, quand vous vous figurez qu'il y ait si peu de joie à être roi d'Angleterre, vous pouvez vous figurer aussi que je n'ai pas plus de joie à en être reine.

MARGUERITE. – La reine d'Angleterre goûte, en effet, très peu de joie, car c'est moi qui le suis, et je n'en ai plus aucune. – Je ne peux me contenir plus longtemps. (Elle s'avance.) Écoutez-moi, pirates querelleurs, qui vous disputez le partage des dépouilles que vous m'avez enlevées: qui de vous peut me regarder sans trembler? Si vous ne vous inclinez pas comme des sujets soumis, devant moi votre reine, c'est comme des rebelles que vous frissonnez devant moi que vous avez déposée. (A Glocester.) Ah! brigand de noble race, ne te détourne pas.

GLOCESTER. – Abominable sorcière ridée, que viens-tu offrir à ma vue?

MARGUERITE. – L'image de ce que tu as détruit; c'est là ce que je veux faire, avant de te laisser partir.

GLOCESTER. – N'as-tu pas été bannie sous peine de mort?

MARGUERITE. – Oui, je l'ai été: mais je trouve l'exil plus cruel que ne serait la mort pour être restée en ces lieux. – Tu me dois un époux et un fils! – (à la reine Élisabeth) et toi, un royaume; (à l'assemblée) et vous tous l'obéissance: mes douleurs vous appartiennent de droit, et tous les biens que vous usurpez sont à moi.

GLOCESTER. – La malédiction qu'appela sur toi mon noble père, lorsque tu ceignis son front belliqueux d'une couronne de papier, et que par tes outrages tu fis couler de ses yeux des torrents de larmes, et qu'ensuite, pour les essuyer, tu lui présentas un mouchoir trempé dans le sang innocent du charmant Rutland; ces malédictions que, dans l'amertume de son coeur, il invoqua contre toi, sont tombées sur sa tête: c'est Dieu, et non pas nous, qui a puni ton action sanguinaire.

ÉLISABETH. – Dieu montre sa justice en faisant droit à l'innocent!

HASTINGS. – Oh! ce fut l'action la plus odieuse, d'égorger cet enfant; le trait le plus impitoyable dont on ait jamais entendu parler!

RIVERS. – Les tyrans mêmes pleurèrent, quand on leur en fit le récit.

DORSET. – Il n'est personne qui n'en ait prédit la vengeance.

BUCKINGHAM. – Northumberland qui y était présent en pleura.

MARGUERITE. – Quoi! vous étiez à vous quereller et tout prêts à vous prendre à la gorge avant que j'arrivasse, et maintenant vous tournez toutes vos haines contre moi! Les malédictions d'York ont-elles donc eu tant de pouvoir sur le ciel, que la mort de Henri, la mort de mon aimable Édouard, la perte de leur couronne, et mon déplorable bannissement aient seulement servi de satisfaction pour la mort de ce méchant petit morveux? Les malédictions peuvent-elles percer les nuages et pénétrer dans les cieux? S'il en est ainsi, nuages épais, donnez passage à mes rapides imprécations. – Qu'au défaut de la guerre, votre roi périsse par la débauche, comme le nôtre a péri par le meurtre, pour le faire roi! (A la reine.) Qu'Édouard ton fils, aujourd'hui prince de Galles, pour me payer Édouard, mon fils, avant lui prince de Galles, périsse dans sa jeunesse, par une fin violente! Et toi, qui es reine, pour ma vengeance à moi qui étais reine, puisses-tu survivre à tes grandeurs, comme moi, malheureuse que je suis! Puisses-tu vivre longtemps pour pleurer longtemps la perte de tes enfants, et en voir une autre parée de tes dépouilles, comme je te vois aujourd'hui à ma place! Que tes jours de bonheur expirent longtemps avant ta mort, et après de longues heures de peine; meurs après avoir cessé d'être mère, d'être épouse, d'être reine d'Angleterre! Rivers, et toi, vous étiez présents, et tu l'étais aussi, lord Hastings, lorsque mon fils fut percé de leurs poignards sanglants. Que Dieu, je l'en conjure, ne laisse vivre aucun de vous, jusqu'au terme naturel de sa vie, mais qu'un accident imprévu tranche vos jours!

GLOCESTER. – Mégère, as-tu fini ta conjuration, vieille et détestable sorcière que tu es?

MARGUERITE. – Et je t'oublierais, toi! Arrête, chien: il faut que tu m'entendes. Si le Ciel tient en réserve quelques châtiments douloureux, plus cruels que ceux que je peux te souhaiter, oh! qu'il les retienne encore jusqu'à ce que la mesure de tes forfaits soit comblée, et qu'alors il précipite sur toi leur indignation, perturbateur du repos de ce triste univers! Que le ver de la conscience ronge ton âme sans relâche! que, tant que tu vivras, tes amis te soient suspects comme traîtres, et que les traîtres les plus perfides soient pris par toi pour tes meilleurs amis! Que jamais le sommeil ne ferme ton oeil de mort, si ce n'est pour qu'un songe terrible t'épouvante d'une troupe infernale de hideux démons; avorton dévoué par les fées, pourceau dévastateur 6, marqué à ta naissance pour être le rebut de la nature, et le fils de l'enfer! toi, l'opprobre du ventre pesant de ta mère, fruit abhorré des reins de ton père, lambeau déshonoré! détestable…

GLOCESTER. – Marguerite!

MARGUERITE. – Richard!

GLOCESTER. – Quoi?

MARGUERITE. – Je ne t'appelle point.

GLOCESTER. – En ce cas, pardonne; j'avais cru que tous ces noms odieux s'adressaient à moi.

MARGUERITE. – Oui, c'était à toi; mais je n'attendais pas de réponse. – Oh! laisse-moi finir mon imprécation.

GLOCESTER. – Je l'ai finie, moi; elle se termine par ce nom: Marguerite.

ÉLISABETH. – Ainsi, toutes vos imprécations retombent sur vous-même.

MARGUERITE. – Pauvre reine en peinture! Vain fantôme de mes grandeurs! pourquoi répandre le sucre devant cette araignée au large ventre 7 dont la toile funeste t'enveloppe de toutes parts? Insensée, insensée! tu aiguises le couteau qui doit t'égorger! Un jour viendra où tu imploreras mon secours pour t'aider à maudire ce venimeux crapaud de bossu.

HASTINGS. – Fausse prophétesse, finis tes frénétiques imprécations, ou crains, pour ton malheur, de lasser notre patience.

MARGUERITE. – Opprobre sur vous tous: vous avez tous lassé la mienne.

RIVERS. – Si l'on vous faisait justice, on vous apprendrait votre devoir.

MARGUERITE. – Pour me faire justice, vous devriez tous me rendre vos devoirs, m'enseigner à être votre reine, et apprendre, vous, à être mes sujets: oh! faites-moi justice, et apprenez vous-mêmes à observer ce devoir.

DORSET. – Ne disputez point avec elle; c'est une lunatique.

MARGUERITE. – Silence, maître marquis; point tant d'insolence. Vos dignités, tout nouvellement frappées, commencent à peine à avoir cours. Oh! si votre noblesse toute jeune encore pouvait juger ce que c'est que de perdre son rang, et de tomber dans la misère! Ceux qui se trouvent placés sur les hauteurs sont exposés à un bien plus grand nombre de coups de vents, et s'ils tombent, ils se brisent en mille morceaux.

GLOCESTER. – Le conseil est bon, vraiment! retenez-le, retenez-le, marquis.

DORSET. – Il vous regarde, milord, autant que moi.

GLOCESTER. – Sans doute, et beaucoup plus. Mais je suis né à une telle élévation que notre nid, bâti sur la cime du cèdre, se joue dans les vents et brave le soleil.

MARGUERITE. – Et le plonge dans les ténèbres. – Hélas, hélas! témoin mon fils, qui maintenant est plongé dans les ombres de la mort, lui, dont ta rage ténébreuse a enveloppé les purs et brillants rayons dans une nuit éternelle. Votre aire a été bâtie dans notre nid aérien 8. O Dieu qui le vois, ne le souffre pas! Il a été conquis par le sang; qu'il soit perdu de même.

BUCKINGHAM. – Cessez, cessez, par pudeur, si ce n'est par charité.

MARGUERITE. – Ne me parlez ni de charité ni de pudeur. Vous en avez agi avec moi sans charité, et vous avez sans pudeur moissonné cruellement toutes mes espérances. Ma charité, c'est l'outrage; si je rougis, c'est de vivre; et puisse ma honte entretenir à jamais la rage de ma douleur!

BUCKINGHAM. – Finissez, finissez.

MARGUERITE. – Oh! noble Buckingham! je baise ta main en signe d'union et d'amitié avec toi. Que le bonheur te suive, toi et ton illustre maison! Tes vêtements ne sont pas teints de notre sang, et tu n'es pas compris dans mes malédictions.

BUCKINGHAM. – Non, ni personne de ceux qui sont ici: les malédictions expirent en sortant de la bouche qui les exhale dans l'air.

MARGUERITE. – Moi, je ne puis m'empêcher de croire qu'elles s'élèvent au ciel, et qu'elles y interrompent le doux sommeil de la miséricorde de Dieu. O Buckingham! prends garde à ce chien; sois sûr que quand il flatte c'est pour mordre, et que quand il mord, le venin de sa dent s'aigrit jusqu'à causer la mort. N'aie rien à démêler avec lui; prends garde à lui: le péché, le crime et l'enfer l'ont marqué de leur sceau, et tous leurs ministres l'environnent.

GLOCESTER. – Que dit-elle, milord Buckingham?

BUCKINGHAM. – Rien qui arrête mon attention, mon gracieux lord.

MARGUERITE. – Quoi! tu payes de mépris mes conseils bienveillants, et tu flattes le démon que je t'avertis d'éviter! Oh! ne manque pas de te le rappeler un jour, lorsqu'il brisera ton coeur d'amertume; et dis alors: l'infortunée Marguerite l'avait prédit. Vivez tous pour être les objets de sa haine, lui de la vôtre, et tous, tant que vous êtes, de celle de Dieu.

(Elle sort.)

BUCKINGHAM. – Mes cheveux se dressent d'entendre ses imprécations.

RIVERS. – Et les miens aussi: je m'étonne de ce qu'on la laisse en liberté.

GLOCESTER. – Je ne puis la blâmer. Par la sainte mère de Dieu, elle a essuyé de trop cruels outrages, et je me repens, en mon particulier, du mal que je lui ai fait.

ÉLISABETH. – Je ne me rappelle pas, moi, lui avoir jamais fait aucun tort.

GLOCESTER. – Et cependant vous recueillez tout le profit de ses pertes. Moi, j'ai été trop ardent à servir les intérêts de quelqu'un qui est trop froid pour s'en souvenir encore. C'est comme Clarence: vraiment, il en est bien récompensé! Voilà, pour sa peine, qu'on l'a mis à engraisser sous le toit à porcs. Dieu veuille pardonner à ceux qui en sont la cause!

RIVERS. – C'est finir vertueusement et chrétiennement, que de prier pour ceux qui nous ont fait du mal.

GLOCESTER. – C'est toujours ma coutume, et je la crois sage (à part), car si j'avais maudit en ce moment, je me serais maudit moi-même.

(Entre Catesby.)

CATESBY. – Madame, Sa Majesté vous demande, (à Richard) ainsi que Votre Grâce; et vous aussi, mes nobles lords.

ÉLISABETH. – Catesby, je vous suis. – Lords, voulez-vous venir avec moi?

RIVERS. – Madame, nous allons accompagner Votre Majesté.

(Ils sortent tous, excepté Glocester.)

GLOCESTER. – Je fais le mal, et je crie le premier. Toutes les méchancetés que j'ourdis en secret, je les fais peser sur le compte des autres. Clarence, que moi seul j'ai fait mettre à l'ombre, je le pleure devant quantité de pauvres oisons comme Stanley, Hastings, Buckingham; et je leur dis que c'est la reine et sa famille qui aigrissent le roi contre le duc mon frère: les en voilà tous persuadés; et ils m'excitent à me venger de Rivers, de Vaughan et de Grey; mais je leur réponds, avec un soupir accompagné d'un lambeau de l'Écriture, que Dieu nous ordonne de rendre le bien pour le mal: c'est ainsi que je couvre la nudité de ma scélératesse de quelque vain bout de phrase volé aux livres sacrés, et je parais un saint, précisément lorsque je joue le mieux le rôle du diable! – Mais, silence; voilà mes exécuteurs. (Entrent deux assassins.) Eh bien, mes braves, mes robustes et résolus compagnons, êtes-vous prêts à finir cette affaire?

PREMIER ASSASSIN. – Tout prêts, milord; et nous venons chercher un ordre qui nous autorise à pénétrer jusqu'aux lieux où il est.

GLOCESTER. – J'y ai bien pensé: je l'ai ici sur moi. (Il leur donne l'ordre.) Dès que vous aurez fini, réfugiez-vous à Crosby. Mais, messieurs, de la promptitude dans l'exécution, et soyez inexorables. Ne vous arrêtez point à l'entendre plaider; car Clarence parle bien, et peut-être finirait-il par exciter vos coeurs à la pitié, si vous écoutiez ses discours.

SECOND ASSASSIN. – Allez, allez, milord, nous ne nous amuserons pas à babiller: les grands parleurs ne sont pas bons pour l'action. Soyez certain que nous allons agir du bras, et non pas de la langue.

GLOCESTER. – Oui, vos yeux pleurent des meules de moulin, quand les imbéciles versent des larmes. Vous me plaisez tout à fait, mes enfants. Sur-le-champ à l'ouvrage… Allez, allez, dépêchez.

PREMIER ASSASSIN. – Nous y allons, mon noble lord.

(Ils sortent.)
3.La comtesse du Richmond, mère du jeune comte de Richmond depuis Henri VII, avait épousé en secondes noces lord Stanley.
4.To whom in all this presence speaks your grace?
  –To thee that hast nor honesty nor grace.
  Il a fallu, pour conserver quelque chose de la forme de cette réplique de Glocester, substituer le mot honneur au mot grâce, qui ne peut s'entendre en français dans le sens qu'il a ici en anglais.
5.Ay marry may she!-What marry may she?-What marry may she? marry with a king.  Il y a ici un jeu de mots entre le mot marry, espèce de serment, et marry, qui signifie marier, épouser. Il a fallu, pour conserver quelque sens à cette partie du dialogue, substituer à marry le serment par la messe, assez familier aux Anglais de cette époque.
6.Richard portait dans ses armes un sanglier que Marguerite, pour l'insulter davantage transforme ici en pourceau (hog).
7.Bouttled spider, araignée en forme de bouteille.
8.Your aiery buildeth in our aiery nest, jeu de mots entre aiery (aire) et aiery (aérien).
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
Hacim:
150 s. 1 illüstrasyon
Tercüman:
Telif hakkı:
Public Domain