Kitabı oku: «La vie et la mort du roi Richard III», sayfa 4
SCÈNE II
Toujours à Londres
Entre LA DUCHESSE D'YORK, avec LE FILS ET LA FILLE DE CLARENCE
LE FILS. – Bonne grand'maman, dites-nous si notre père est mort.
LA DUCHESSE. – Non, mon enfant.
LA FILLE. – Pourquoi donc pleurez-vous si souvent, et frappez-vous votre poitrine, en criant: O Clarence! ô mon malheureux fils!
LE FILS. – Pourquoi nous regardez-vous en secouant la tête, et nous appelez-vous orphelins, infortunés dans l'abandon, si notre père est encore en vie?
LA DUCHESSE. – Mes chers enfants, vous vous méprenez tous deux: je pleure la maladie du roi que je crains de perdre, et non la mort de votre père: ce seraient des larmes perdues que de pleurer un homme mort.
LE FILS. – Ainsi donc, grand'maman, vous convenez enfin qu'il est mort. – Le roi mon oncle est bien condamnable pour cette action: Dieu la vengera, et je l'importunerai de pressantes prières, et toutes pour qu'il la venge.
LA FILLE. – Et j'en ferai autant.
LA DUCHESSE. – Paix, mes enfants, paix! Le roi vous aime bien tous deux. Pauvres innocents, simples et sans expérience, vous ne pouvez guère deviner qui a causé la mort de votre père.
LE FILS. – Nous le pouvons très-bien, grand'maman; car mon bon oncle Glocester m'a dit que le roi, poussé à cela par la reine, avait inventé des prétextes pour l'emprisonner; et quand mon oncle me dit cela, il pleurait et me plaignait, et il me baisait tendrement la joue; et il me disait de compter sur lui comme sur mon père, et qu'il m'aimerait aussi tendrement que si j'étais son fils.
LA DUCHESSE. – Ah! est-il possible que la perfidie emprunte des formes si douces, et cache la profondeur de ses vices sous le masque de la vertu? Il est mon fils… et ma honte; mais ce n'est pas dans mon sein qu'il puisa cet art de feindre.
LE FILS. – Croyez-vous, grand'mère, que mon oncle ne fût pas sincère?
LA DUCHESSE. – Oui, mon fils, je le crois.
LE FILS. – Moi, je ne le puis croire. – Écoutez… Quel est ce bruit?
(Entrent la reine Élisabeth dans le désespoir. Rivers et Dorset la suivent.)
ÉLISABETH. – Ah! qui pourra m'empêcher de gémir et de pleurer, de m'irriter contre mon sort, et de me désespérer? Oui, je veux seconder le noir désespoir qui attaque mon âme, et devenir ennemie de moi-même.
LA DUCHESSE. – A quoi tendent ces furieux transports?
ÉLISABETH. – A quelque acte de violence tragique… Édouard, mon seigneur, ton fils, notre roi, est mort. – Pourquoi les rameaux croissent-ils encore quand le tronc est abattu? Pourquoi les fleurs ne périssent-elles pas quand la sève est tarie? Si vous voulez vivre, pleurez: si vous voulez mourir, hâtez-vous; et que nos âmes dans leur vol rapide puissent encore atteindre celle du roi, ou le suivre, en sujets fidèles, dans son nouveau royaume de l'éternel repos.
LA DUCHESSE. – Ah! j'ai autant de part dans ta douleur que j'avais de droits sur ton noble mari. J'ai pleuré la mort d'un époux vertueux, et je ne conservais la vie qu'en contemplant encore ses images: mais maintenant la mort ennemie a brisé en pièces deux des miroirs où se retraçaient ses traits augustes; et il ne me reste pour toute consolation qu'une glace infidèle qui m'afflige de la vue de mon opprobre. Tu es veuve, mais tu es mère, et tes enfants te restent pour consolation. Mais moi, la mort a enlevé de mes bras mon époux, et arraché de mes faibles mains les deux appuis qui me soutenaient, Clarence et Édouard. Oh! puisque ta perte n'est que la moitié de la mienne, qu'il est donc juste que mes plaintes surmontent les tiennes, et étouffent tes cris!
LE FILS. – Ah! ma tante, vous n'avez pas pleuré la mort de notre père! Comment pouvons-nous vous aider de nos larmes?
LA FILLE. – On a vu sans gémir nos pleurs d'orphelins; votre douleur de veuve demeurera de même sans larmes.
ÉLISABETH. – Ne m'aidez point à me plaindre; je ne serai pas stérile de lamentations. Puisse le cours de tous les ruisseaux venir aboutir à mes yeux! et puissé-je, ainsi gouvernée par l'humide influence de la lune, verser des larmes assez abondantes pour submerger le monde! Ah! mon mari! Ah! mon cher seigneur Édouard!
LES DEUX ENFANTS. – Ah! notre tendre père! Notre cher seigneur Clarence!
LA DUCHESSE. – Hélas! je pleure sur tous deux: tous deux étaient à moi. Mon Édouard! mon Clarence!
ÉLISABETH. – Quel appui avais-je qu'Édouard? Et il m'a quittée!
LES ENFANTS. – Quel appui avions-nous que Clarence? et il nous a quittés!
LA DUCHESSE. – Quels appuis avais-je qu'eux deux? Et ils m'ont quittée!
ÉLISABETH. – Jamais veuve n'a tant perdu.
LES ENFANTS. – Jamais orphelins n'ont tant perdu.
LA DUCHESSE. – Jamais mère n'a tant perdu. Hélas! Je suis la mère de toutes ces douleurs. Leurs pertes sont partagées entre eux: la mienne les embrasse toutes. Elle pleure un Édouard, et moi aussi: je pleure un Clarence, et elle n'a point de Clarence à pleurer. Ces enfants pleurent Clarence, et moi aussi: mais je pleure un Édouard, et ces enfants n'ont point d'Édouard à pleurer. Hélas! c'est sur moi, trois fois malheureuse! que vous faites tomber toutes vos larmes; c'est moi qui suis chargée de vos douleurs, et je les nourrirai par mes lamentations.
DORSET. – Prenez courage, ma bonne mère. Dieu s'offense de vous voir vous révolter avec tant d'ingratitude contre sa volonté. Dans le monde, les hommes taxent d'ingratitude celui qui se refuse de mauvaise grâce à rendre la dette qu'une main libérale lui a généreusement prêtée: c'en est une plus grande que de disputer ainsi contre le Ciel, parce qu'il vous redemande ce prêt royal qu'il vous a fait.
RIVERS. – Madame, songez, comme le doit une tendre mère, au jeune prince votre fils: envoyez-le chercher sans délai, pour le faire couronner roi: c'est en lui que réside votre consolation. Ensevelissez cette douleur désespérée dans le tombeau d'Édouard mort, et replacez votre bonheur sur le trône d'Édouard vivant.
(Entrent Glocester, Buckingham, Stanley, Hastings, Ratcliff et autres.)
GLOCESTER. – Consolez-vous, ma soeur; tous tant que nous sommes, nous avons tous sujet de déplorer l'obscurcissement de l'étoile qui brillait sur nous. Mais nul ne peut guérir ses maux avec des larmes. Madame ma mère, je vous demande pardon: je n'avais pas aperçu Votre Grâce. – Je demande humblement à vos genoux votre bénédiction.
LA DUCHESSE. – Dieu te bénisse et mette dans ton coeur la bonté, la bienveillance, la charité, l'obéissance et la fidélité à ton devoir.
GLOCESTER, à part. – Amen, et qu'il me fasse la grâce de mourir vieux et bon homme; c'est à cela que tend la bénédiction d'une mère: je suis étonné que Sa Grâce l'ait oublié.
BUCKINGHAM. – O vous, princes en deuil, pairs au coeur rempli de tristesse, qui tous partagez le poids de la douleur commune, cherchez maintenant votre consolation dans une amitié réciproque. Nous perdons, il est vrai, la récolte que nous offrait ce roi: mais il nous reste l'espérance de celle que nous promet son fils. Il faut maintenant conserver et maintenir soigneusement l'union et le lien si récemment formés entre vos coeurs naguère gonflés de ressentiments qui viennent d'être apaisés. – Je crois qu'il conviendrait d'envoyer chercher dès à présent le jeune prince qui est à Ludlow, et de l'amener à Londres avec peu de suite pour le faire couronner roi.
RIVERS. – Et pourquoi avec peu de suite, milord de Buckingham?
BUCKINGHAM. – De peur, milord, que dans une foule considérable les blessures de la haine, trop nouvellement fermées, ne trouvassent occasion de se rouvrir, ce qui serait d'autant plus dangereux que le royaume est dans un état d'enfance, et encore sans maître. Quand chacun des chevaux dispose du frein qui le contient, et peut diriger sa course comme il lui plaît, on doit, à mon avis, prévenir avec autant de soin la crainte du mal que le mal lui-même.
GLOCESTER. – Je me flatte que le roi nous a tous réconciliés; et quant à moi, la réconciliation est solide et sincère de ma part.
RIVERS. – J'en peux dire autant de moi, et, je crois, de nous tous. Mais puisque le lien de notre amitié est si frais encore, il ne faut pas l'exposer à la plus légère occasion de rupture; danger qui serait peut-être plus à craindre si le cortége était nombreux: ainsi, je pense, comme le noble Buckingham, qu'il est prudent de n'envoyer que peu de monde pour chercher le jeune prince.
HASTINGS. – C'est aussi mon avis.
GLOCESTER. – Eh bien, soit; allons délibérer sur le choix de ceux que nous enverrons à l'heure même à Ludlow. – (A la reine.) Madame, et vous, ma mère, voulez-vous venir donner vos avis sur cette affaire importante?
(Tous sortent, excepté Buckingham et Glocester.)
BUCKINGHAM. – Milord, quels que soient ceux qui seront envoyés vers le prince, au nom de Dieu, songez bien qu'il ne faut pas que nous restions ici ni l'un ni l'autre. Je veux, chemin faisant, pour prélude du projet dont nous avons parlé, trouver l'occasion d'écarter du jeune prince l'ambitieuse parente de la reine.
GLOCESTER. – Oh! mon second moi-même, mon conseil tout entier, mon oracle, mon prophète, mon cher cousin, je suivrai tes avis avec la docilité d'un enfant. Rendons-nous donc à Ludlow, car il ne faut pas rester en arrière.
(Ils sortent.)
SCÈNE III
Toujours à Londres. – Une rue
Entrent DEUX CITOYENS se rencontrant
PREMIER CITOYEN. – Bonjour, voisin. Où allez-vous si vite?
SECOND CITOYEN. – Je vous jure que je ne le sais pas trop moi-même. Savez-vous les nouvelles?
PREMIER CITOYEN. – Oui, le roi est mort.
SECOND CITOYEN. – Funeste nouvelle, par Notre-Dame! Rarement le successeur est meilleur. Je crains, je crains bien que le monde n'aille de travers.
(Entre un troisième citoyen.)
TROISIÈME CITOYEN. – Voisins, Dieu vous garde!
PREMIER CITOYEN. – Je vous donne le bonjour, mon cher.
TROISIÈME CITOYEN. – La nouvelle de la mort du bon roi Édouard se confirme-t-elle?
SECOND CITOYEN. – Oui; elle n'est que trop vraie. Dieu veuille nous assister!
TROISIÈME CITOYEN. – En ce cas, messieurs, attendez-vous à voir du trouble dans le royaume.
PREMIER CITOYEN. – Non, non, s'il plaît à Dieu, son fils régnera.
TROISIÈME CITOYEN. – Malheur au pays qui est gouverné par un enfant!
SECOND CITOYEN. – Il peut nous donner l'espérance d'être bien gouvernés: d'abord par un conseil sous son nom, pendant sa minorité; et ensuite par lui-même, quand l'âge l'aura mûri. N'en doutez pas, il gouvernera bien.
PREMIER CITOYEN. – Telle était la situation de l'État, lorsque Henri VI fut couronné à Paris, à l'âge de neuf mois.
TROISIÈME CITOYEN. – Telle était la situation de l'État, dites-vous? Non, mes bons amis, Dieu le sait; car alors ce pays-ci était singulièrement bien fourni de sages politiques, et le roi avait des oncles vertueux pour le soutenir.
PREMIER CITOYEN. – Celui-ci en a aussi, tant du côté paternel que du côté maternel.
TROISIÈME CITOYEN. – Il vaudrait bien mieux ou qu'il n'en eût que du côté paternel, ou qu'il n'eût aucun parent de ce côté; car la rivalité des prétentions, à qui sera le plus près du roi, nous causera bien des maux si Dieu n'y met la main. Oh! le duc de Glocester est un homme bien dangereux, et les fils et frères de la reine sont superbes et hautains. Si, au lieu de gouverner, ils étaient tous contenus dans l'obéissance, ce pays languissant pourrait encore avoir de bons moments comme par le passé.
PREMIER CITOYEN. – Allons, allons; nous voyons au pis. Tout ira bien.
TROISIÈME CITOYEN. – Quand on voit paraître des nuages, les hommes sages prennent leur manteau. Quand les grandes feuilles commencent à tomber, l'hiver n'est pas loin. Quand le soleil se couche, qui ne s'attend à la nuit? Les orages hors de saison menacent d'une disette. Tout peut aller bien: mais si Dieu nous fait cette grâce, c'est plus que nous ne méritons, et que je n'espère.
SECOND CITOYEN. – Au fait, tous les coeurs sont agités de crainte. Vous ne pouvez vous entretenir avec personne qui ne vous paraisse triste et rempli de frayeur.
TROISIÈME CITOYEN. – C'est ce qui arrive toujours à la veille des jours de révolution. L'esprit de l'homme, par un instinct divin, pressent le danger qui s'avance, comme nous voyons l'eau s'enfler à l'approche d'une violente tempête. Mais laissons tout entre les mains de Dieu. Où allez-vous?
SECOND CITOYEN. – Eh! vraiment, nous sommes mandés par les juges.
TROISIÈME CITOYEN. – Et moi aussi. Je vous tiendrai compagnie.
(Ils sortent.)
SCÈNE IV
Toujours à Londres. – Un appartement du palais
Entrent L'ARCHEVÊQUE D'YORK, LE JEUNE DUC D'YORK, LA REINE, LA DUCHESSE D'YORK
L'ARCHEVÊQUE. – On m'a dit qu'ils avaient couché la nuit dernière à Stony-Stratford et qu'ils devaient coucher ce soir à Northampton 11. Demain, ou après-demain, ils seront ici.
LA DUCHESSE. – Je brûle d'impatience de voir le prince. J'espère qu'il aura beaucoup grandi depuis la dernière fois que je l'ai vu.
ÉLISABETH. – Mais j'ai ouï dire que non. On assure même que mon fils York l'a presque regagné pour la taille.
YORK. – On le dit, ma mère; mais j'aurais voulu que cela fût autrement.
LA DUCHESSE. – Eh! pourquoi donc, mon enfant? Il est bon de grandir.
YORK. – Grand'maman, un soir que nous étions à souper, mon oncle Rivers disait que je grandissais beaucoup plus vite que mon frère: «Ah! dit mon oncle Glocester, ce sont les petites plantes qui sont bonnes à quelque chose, et les mauvaises herbes croissent rapidement;» et depuis ce temps il me semble que j'aimerais mieux ne pas grandir si vite, puisque les belles fleurs viennent lentement, et que les mauvaises herbes se dépêchent.
LA DUCHESSE. – Vraiment, vraiment, celui qui t'a dit cela est lui-même une exception au proverbe: c'était dans son enfance l'être le plus chétif, le plus lent à croître et le moins avancé; si sa règle était vraie, il devrait être rempli de qualités.
L'ARCHEVÊQUE. – Et il n'est pas douteux qu'il ne le soit, ma gracieuse dame.
LA DUCHESSE. – Je veux bien l'espérer, mais permettez l'inquiétude aux mères.
YORK. – Oh! si je m'en étais souvenu, j'aurais pu lancer à Sa Grâce, mon oncle, sur sa croissance, une épigramme bien meilleure que celle qu'il m'a dite sur la mienne.
LA DUCHESSE. – Et comment, mon petit York? Dis-le-moi, je t'en prie.
YORK. – Vraiment, l'on dit que mon oncle grandissait si vite, que deux heures après sa naissance il pouvait ronger une croûte, tandis que moi, à deux ans, je n'avais pas encore fait seulement une dent. N'est-ce pas grand'maman, ç'aurait été une bonne plaisanterie pour le faire enrager?
LA DUCHESSE. – Eh! je t'en prie, mon cher petit York, qui est-ce qui t'a raconté cela?
YORK. – Sa nourrice, grand'maman.
LA DUCHESSE. – Sa nourrice? Eh bon!.. elle était morte avant que tu fusses né.
YORK. – Si ce n'est pas elle, je ne me rappelle pas qui me l'a dit.
ÉLISABETH. – Petit raisonneur! – Allons, pas tant de malice, je vous prie.
L'ARCHEVÊQUE. – Ma bonne madame, ne le grondez pas.
ÉLISABETH. – Les murs 12 ont des oreilles.
(Entre un messager.)
L'ARCHEVÊQUE. – Voici un messager. – Quelles nouvelles?
LE MESSAGER. – De telles nouvelles qu'il m'est pénible, milord, de vous les annoncer.
ÉLISABETH. – Comment se porte le prince?
LE MESSAGER. – Bien, madame, il est en bonne santé.
LA DUCHESSE. – Quelles sont donc tes nouvelles?
LE MESSAGER. – Lord Rivers et lord Grey ont été conduits en prison à Pomfret, et avec eux sir Thomas Vaughan.
LA DUCHESSE. – Et par quel ordre?
LE MESSAGER. – Par ordre des puissants ducs de Glocester et de Buckingham.
ÉLISABETH. – Et pour quel crime?
LE MESSAGER. – Je vous ai dit tout ce que j'en sais. Par quel motif ou dans quelle intention ces nobles ducs ont été emprisonnés, c'est, ma gracieuse dame, ce que j'ignore absolument.
ÉLISABETH. – Hélas! je prévois la ruine de ma maison. Le tigre a saisi la brebis sans défense. L'insolente tyrannie commence à s'élever sur le trône qu'un innocent enfant ne peut faire respecter. Arrivez donc, destruction, carnage, massacre. Je vois tracée, comme sur une carte, la fin de tout ceci.
LA DUCHESSE. – Exécrables jours de troubles et de discorde, combien de fois mes yeux vous ont vus renaître! Mon époux a perdu la vie pour gagner la couronne; et mes fils ont été, haut et bas, battus de la fortune, me donnant tantôt à jouir de leurs succès, tantôt à pleurer leurs malheurs. Établis enfin lorsque toutes les querelles domestiques sont entièrement dissipées, voilà que, devenus les maîtres, ils se font la guerre les uns aux autres, frère contre frère, sang contre sang, chacun contre soi-même! – Oh! frénétiques insultes à la nature, cessez vos fureurs maudites, ou laissez-moi mourir; que je n'aie plus la mort devant les yeux!
ÉLISABETH. – Viens, viens, mon enfant; allons nous renfermer dans le sanctuaire. – Adieu, madame.
LA DUCHESSE. – Attendez, je veux vous suivre.
ÉLISABETH. – Vous n'avez rien à craindre.
L'ARCHEVÊQUE, à la reine. – Venez, ma gracieuse dame, et apportez vos trésors et tout ce que vous possédez. Pour moi, je veux remettre entre vos mains les sceaux qui m'étaient confiés; et puisse-t-il m'advenir selon que je me conduirai envers vous et les vôtres! Venez, je vais vous conduire au sanctuaire.
FIN DU DEUXIÈME ACTE
ACTE TROISIÈME
SCÈNE I
Toujours à Londres. – Une rue
On entend les trompettes. Entrent LE PRINCE DE GALLES, GLOCESTER, BUCKINGHAM, LE CARDINAL BOUCHIER (le même que L'ARCHEVÊQUE), et autres
BUCKINGHAM. – Soyez le bienvenu, aimable prince, dans votre ville de Londres, votre demeure 13.
GLOCESTER. – Soyez le bienvenu, cher cousin, souverain de mes pensées. Il paraît que la fatigue de la route vous a rendu mélancolique.
LE PRINCE. – Non, mon oncle. Mais les douloureux incidents de notre voyage me l'ont rendu ennuyeux, pénible et fatigant. Je voudrais voir ici plus d'oncles pour me recevoir.
GLOCESTER. – Cher prince, l'innocente pureté de votre âge n'a pas encore pénétré les mensonges du monde. Vous ne pouvez discerner dans un homme que ce que son extérieur offre à vos yeux; et les dehors, Dieu le sait, s'accordent rarement, pour ne pas dire jamais, avec le coeur. Ces oncles, que vous auriez voulu voir ici, étaient des hommes dangereux. Votre Grâce ne sentait que le miel de leurs paroles, et n'apercevait pas le poison de leurs coeurs. Dieu vous préserve d'eux, et d'amis aussi perfides!
LE PRINCE. – Dieu me préserve d'amis perfides! Mais ils ne l'étaient pas.
GLOCESTER. – Milord, voici le maire de Londres qui vient vous rendre son hommage.
(Entre le lord maire et son cortége.)
LE MAIRE. – Que le Ciel accorde à Votre Grâce la santé et des jours prospères!
LE PRINCE. – Je vous remercie tous. (Sortent le maire, etc.) – Je croyais que ma mère et mon frère York seraient venus, il y a longtemps, nous joindre en chemin. – Quel indigne paresseux que ce Hastings, qui ne vient pas nous dire s'ils arrivent ou non!
(Entre Hastings.)
BUCKINGHAM. – Le voici fort à propos, et tout en nage.
LE PRINCE. – Soyez le bienvenu, milord. Eh bien, notre mère vient-elle?
HASTINGS. – La reine votre mère, et votre frère York, ont été, à propos de quoi, Dieu le sait et non pas moi, se réfugier dans le sanctuaire. – Le jeune prince aurait bien souhaité venir avec moi au-devant de Votre Grâce, mais sa mère l'a retenu malgré lui.
BUCKINGHAM. – Fi donc! quelle conduite déplacée et maussade! (A l'archevêque.) Lord cardinal, Votre Grâce veut-elle aller déterminer la reine à envoyer sur-le-champ le duc d'York à son auguste frère? Si elle s'y oppose, milord Hastings, allez avec le cardinal, et alors arrachez-le par force de ses bras jaloux.
L'ARCHEVÊQUE. – Milord Buckingham, si ma faible éloquence peut obtenir de sa mère le jeune duc d'York, attendez-vous à le voir ici dans un moment: mais, si elle s'obstine à résister à des instances amicales, que le Dieu du ciel ne permette pas que nous violions jamais le saint privilége du bienheureux sanctuaire! Pour le royaume entier, je ne voudrais pas me rendre coupable d'un si noir péché.
BUCKINGHAM. – Vous vous entêtez ici contre toute raison, milord, pour de pures formes et de vieilles traditions. Considérez la chose même conformément aux idées grossières de ce siècle, vous trouverez que vous ne violez point les droits du sanctuaire en forçant le prince d'en sortir. Le bénéfice de l'asile n'est accordé qu'à ceux à qui leurs actions l'ont rendu nécessaire, et qui ont assez de jugement pour le réclamer. Mais le prince ne peut ni le réclamer ni en avoir besoin. Il n'est donc pas, à mon avis, en droit de l'obtenir; ainsi, en le faisant sortir de là où il ne peut être, vous ne violez aucun privilège, aucune charte. J'ai souvent ouï parler d'hommes réfugiés dans le sanctuaire; mais d'enfants, jamais jusqu'à présent.
L'ARCHEVÊQUE. – Milord, pour cette fois votre opinion l'emporte sur la mienne 14. – Allons, milord Hastings, voulez-vous venir avec moi?
HASTINGS. – Je vous suis, milord.
LE PRINCE. – Chers lords, faites, je vous prie, toute la diligence qui vous sera possible. (Sortent le cardinal et Hastings.) Dites, mon oncle Glocester, si notre frère vient, où logerons-nous jusqu'au jour de notre couronnement?
GLOCESTER. – Dans le lieu qui plaira le plus à Votre Altesse. Si vous voulez suivre mon conseil, vous vous reposerez un ou deux jours à la Tour, et ensuite dans le lieu qui vous plaira, et qui sera jugé le plus favorable à votre santé et à vos amusements.
LE PRINCE. – La Tour est l'endroit du monde qui me plaît le moins. – Est-il vrai, mon oncle, que ce soit Jules César qui l'ait bâtie?
GLOCESTER. – C'est lui, mon gracieux seigneur, qui l'a bâtie d'abord; puis dans la suite des siècles elle a été rebâtie plusieurs fois.
LE PRINCE. – Ce fait est-il constaté par des actes, ou bien a-t-on seulement raconté d'âge en âge que c'est lui qui l'avait bâtie?
BUCKINGHAM. – Par des actes, milord.
LE PRINCE. – Mais supposez, milord, que cela n'eût pas été consigné dans les archives, il me semble que la vérité devrait vivre d'âge en âge, comme un héritage transmis à la postérité, jusqu'au jour de la fin universelle.
GLOCESTER, à part. – Des enfants si précoces et si sages, dit-on, ne vivent pas longtemps.
LE PRINCE. – Que dites-vous, mon oncle?
GLOCESTER. – Je disais que, sans le secours des caractères, la renommée vit longtemps 15. (A part.) Ainsi, comme l'Iniquité personnifiée sur nos théâtres, je moralise avec des mots à double sens.
LE PRINCE. – Ce Jules César était un homme bien fameux! Sa valeur a illustré son génie, et son génie a déposé dans ses écrits de quoi faire vivre sa valeur. La mort n'a pu faire de ce conquérant sa conquête, car il est encore vivant par la gloire, bien qu'il ait perdu la vie. – Je veux vous dire une chose, mon cousin Buckingham.
BUCKINGHAM. – Quoi, mon gracieux seigneur?
LE PRINCE. – Si j'atteins l'âge d'homme, je veux ou reconquérir nos anciens droits sur la France, ou mourir en soldat, comme j'aurai vécu en roi.
GLOCESTER. – Les courts étés ont eu ordinairement un printemps très-précoce.
(Entre York, Hastings et le cardinal.)
BUCKINGHAM. – Ah! voici le duc d'York qui vient comme nous l'avions désiré.
LE PRINCE. – Richard d'York, comment se porte notre cher frère?
YORK. – Bien, mon redouté seigneur; car c'est ainsi que je dois vous nommer désormais.
LE PRINCE. – Oui, mon frère, à notre grande douleur ainsi qu'à la vôtre: il est trop vrai qu'il vient de mourir celui qui eût dû plus longtemps conserver ce titre, auquel sa mort a ôté beaucoup de majesté.
GLOCESTER. – Comment se porte notre cousin le noble duc d'York?
YORK. – Je vous remercie, cher oncle. O milord! c'est vous qui avez dit que mauvaise herbe croît bien vite: le prince, mon frère, a grandi beaucoup plus que moi.
GLOCESTER. – Il est vrai, milord.
YORK. – Il est donc mauvais?
GLOCESTER. – O mon beau cousin! je ne dis pas cela du tout.
YORK. – En ce cas, il vous a plus d'obligation que moi.
GLOCESTER. – Il peut me commander, lui, à titre de mon souverain; et vous, vous avez sur moi le pouvoir d'un parent.
YORK. – Je vous prie, mon oncle, donnez-moi ce poignard.
GLOCESTER. – Mon poignard, petit cousin? De tout mon coeur.
LE PRINCE. – Mendie-t-on comme cela, mon frère?
YORK. – Ce n'est qu'à mon cher oncle, qui, je le sais bien, me le donnera volontiers: ce n'est qu'une bagatelle qu'il ne peut pas avoir de peine à me donner.
GLOCESTER. – Je veux faire à mon cousin un plus beau présent.
YORK. – Un plus beau présent! Oh! vous voulez donc y joindre l'épée?
GLOCESTER. – Oui, mon beau cousin, si elle était assez légère.
YORK. – Oh! je vois bien que vous n'aimez à me faire que des dons légers; et, dans des demandes d'un plus grand poids, vous refuseriez au mendiant.
GLOCESTER. – Mais elle est, pour vous, trop pesante à porter.
YORK. – Fût-elle plus pesante, je la manierais très-facilement.
GLOCESTER. – Quoi! vous voudriez avoir mon épée, petit lord?
YORK. – Oui, je le voudrais, pour vous remercier de l'épithète que vous me donnez.
GLOCESTER. – Quelle épithète?
YORK. – Petit.
LE PRINCE. – Milord d'York sera toujours contrariant dans ses discours: mais, mon oncle, Votre Grâce sait comment le supporter.
YORK. – Vous voulez dire me porter, et non pas me supporter. – Mon oncle, mon frère se moque de vous et de moi. Parce que je suis aussi petit qu'un singe, il croit que vous pourriez me porter sur votre épaule.
BUCKINGHAM, à part. – Avec quelle finesse et quelle promptitude d'esprit il raisonne! Pour adoucir le sarcasme qu'il lance à son oncle, il se raille lui-même avec toute sorte de grâce et d'adresse. Tant de malice à cet âge est une chose étonnante!
GLOCESTER. – Mon gracieux seigneur, voulez-vous continuer votre route? Mon bon cousin Buckingham et moi, nous allons nous rendre auprès de votre mère pour la presser de venir vous trouver à la Tour et vous féliciter sur votre arrivée.
YORK. – Quoi! vous voulez aller à la Tour, mon prince?
LE PRINCE. – Milord protecteur dit qu'il le faut.
YORK. – Je ne dormirai pas tranquillement dans la Tour.
GLOCESTER. – Et pourquoi, mon ami? Qu'y voyez-vous à craindre?
YORK. – Vraiment, l'âme irritée de mon oncle Clarence. Ma grand'mère m'a dit qu'il y avait été assassiné.
LE PRINCE. – Je ne crains pas les oncles morts.
GLOCESTER. – Ni les vivants non plus, je m'en flatte.
LE PRINCE. – Oui, s'ils vivent, je n'ai, je l'espère, rien à craindre. – Mais marchons, milord: et, le coeur plein de tristesse, je vais, en songeant à eux, me rendre à la Tour.
(Sortent le prince, York, Hastings et le cardinal.)
BUCKINGHAM. – Pensez-vous, milord, que ce petit babillard d'York n'ait pas été excité par son artificieuse mère à vous poursuivre de ses sarcasmes insultants?
GLOCESTER. – Il n'y a pas de doute, il n'y a pas de doute. C'est un petit raisonneur, hardi, vif, spirituel, prompt et capable. C'est tout le portrait de sa mère, de la tête aux pieds.
BUCKINGHAM. – Laissons-les pour ce qu'ils sont. – Approche, cher Catesby. Tu t'es engagé aussi fortement à exécuter les intentions que nous t'avons communiquées, qu'à garder soigneusement le secret de la confidence que nous t'avons faite. Tu as entendu nos raisons pendant la route? – Qu'en penses-tu? Serait-il si difficile de faire entrer le lord Hastings dans le projet que nous avons d'installer cet illustre duc sur le trône royal de cette île fameuse?
CATESBY. – Il aime si tendrement le jeune prince, à cause de son père, qu'il ne sera pas possible de l'engager à rien de contraire à ses intérêts.
BUCKINGHAM. – Et Stanley, qu'en penses-tu? S'y refusera-t-il?
CATESBY. – Stanley fera tout ce que fera Hastings.
BUCKINGHAM. – En ce cas, il faut s'en tenir à ceci. Va, cher Catesby, sonde de loin lord Hastings pour savoir de quel oeil il verrait notre projet; et invite-le à se rendre demain à la Tour, pour assister au couronnement. Si tu trouves qu'on puisse le disposer pour nous, alors encourage-le, et dis-lui toutes nos raisons. S'il est de plomb, de glace, froid, et mal disposé, sois de même, romps aussitôt l'entretien, et viens nous instruire de ses dispositions. – Demain nous tenons deux conseils séparés où tu joueras un grand rôle.
GLOCESTER. – Assure lord William de mon attachement, et dis-lui, Catesby, que l'ancienne ligue de ses dangereux ennemis va verser son sang demain au château de Pomfret; et recommande de ma part à mon ami de donner, en signe de joie de cette bonne nouvelle, un doux baiser de plus à mistriss Shore 16.
BUCKINGHAM. – Va, cher Catesby: exécute habilement ta commission.
CATESBY. – Mes bons lords, je vous promets à tous deux d'y donner tous les soins dont je suis capable.
GLOCESTER. – Catesby, aurons-nous de vos nouvelles, avant de nous mettre au lit?
CATESBY. – Vous en aurez, milord.
GLOCESTER. – A Crosby: tu nous trouveras là tous deux.
(Catesby sort.)
BUCKINGHAM. – Que ferons-nous, milord, si nous voyons que Hastings ne se prête pas à nos projets?
GLOCESTER. – Nous ferons tomber sa tête, mon cher. – Nous viendrons à bout de quelque chose. – Et souviens-toi, lorsque je serai roi, de me demander le comté d'Hereford, dont le roi mon frère était en possession, avec toutes ses dépendances.
BUCKINGHAM. – Je réclamerai de Votre Grâce l'effet de cette promesse.
GLOCESTER. – Et compte qu'elle te sera accordée en toute affection. – Allons, il faut souper de bonne heure afin d'avoir ensuite le temps de digérer nos projets et de leur donner une certaine forme.
(Ils sortent.)
Les pots ont des oreilles. Le proverbe anglais est: Les petits pots ont de grandes oreilles.