Kitabı oku: «Le roi Jean», sayfa 3
LOUIS. – Elle est triste et irritée dans la tente de Votre Majesté.
PHILIPPE. – Et, sur ma foi, cette alliance que nous avons faite ne la guérira guère de sa tristesse. – Mon frère d'Angleterre, comment satisferons-nous cette veuve? Je suis venu pour soutenir ses droits, et voilà, Dieu le sait, que j'en ai détourné une partie à mon propre avantage.
LE ROI JEAN. – Nous remédierons à tout: nous ferons le jeune Arthur duc de Bretagne et comte de Richemont, et nous lui donnerons en apanage cette riche et belle ville. – Appelez la princesse Constance: qu'un rapide messager aille l'inviter à se rendre à notre solennité. – J'espère que, si nous ne remplissons pas sa volonté tout entière, nous la satisferons cependant assez pour arrêter ses plaintes. Allons, aussi bien que nous le permettra la précipitation, accomplir cette cérémonie imprévue et sans préparatifs.
(Tous sortent excepté le Bâtard.)
LE BATARD. – Monde insensé! rois insensés! convention insensée! Jean, pour mettre fin aux prétentions d'Arthur sur le tout, s'est volontairement dessaisi d'une partie: et le roi de France, dont l'armure avait été attachée par la conscience, que le zèle et la charité avaient amené, en vrai soldat de Dieu, sur le champ de bataille, a parlé à l'oreille de ce démon rusé qui change les résolutions; ce brocanteur 13 , qui casse sans cesse la tête à la bonne foi; cet agent journalier de paroles violées, qui gagne le monde, les rois, les mendiants, les vieillards, les jeunes gens, les jeunes filles; qui prive les pauvres filles du seul bien qu'elles aient à perdre, de ce nom de filles; ce gentilhomme à la physionomie douce; l'intérêt flatteur enfin. – L'intérêt, ce penchant du monde, du monde qui est par lui-même sagement balancé, et fait pour rouler également sur un terrain toujours égal, si cet amour du gain, ce vil penchant qui nous entraîne, ce mobile souverain, – l'intérêt ne l'avait privé d'équilibre, détourné de sa direction, de ses lois, de son cours et de sa fin: c'est ce même penchant, cet intérêt, cet entremetteur, cet agent de prostitution, ce mot qui change tout, qui, venant frapper extérieurement les yeux du volage roi de France, lui a fait retirer l'aide qu'il avait promise, et abandonner une guerre honorable et décidée, pour accepter la paix la plus lâche et la plus honteuse. – Et moi-même, pourquoi est-ce que j'injurie ici l'intérêt? Seulement parce qu'il ne m'a point encore fait la cour, non qu'il fût en mon pouvoir de fermer le poing, si ses beaux angelots 14 venaient caresser ma main; mais parce que ma main, qui n'a pas encore été tentée, semblable à un pauvre mendiant, s'en prend au riche, – oui, tant que je ne serai qu'un mendiant, je m'emporterai en invectives, et je dirai: qu'il n'est point de plus grand péché que d'être riche; et lorsque je deviendrai riche, alors toute ma vertu sera de dire: qu'il n'est point de plus grand vice que la pauvreté. – Puisque les rois violent leurs serments par intérêt, profit, sois mon Dieu, car c'est toi que je veux adorer!
FIN DU DEUXIÈME ACTE
ACTE TROISIÈME
SCÈNE I
Même lieu. – La tente du roi de France
Entrent CONSTANCE, ARTHUR ET SALISBURY
CONSTANCE. – Partis pour se marier! Partis pour se jurer la paix! un sang parjure uni à un sang parjure! partis pour être amis! Louis aura Blanche, et Blanche aura ces provinces? Il n'en est pas ainsi; tu as mal parlé, tu as mal entendu. Réfléchis-y, recommence ton récit. Cela ne peut pas être. Tu m'as dit seulement que cela est ainsi, et j'ai la confiance que je ne puis m'en fier à toi; car ta parole n'est que le vain souffle d'un homme ordinaire. Crois-moi, homme, je ne le crois pas: j'ai le serment d'un roi pour garant du contraire. Tu seras puni pour m'avoir ainsi effrayée, car je suis malade et susceptible de craintes; je suis accablée d'injustices, et par conséquent remplie de craintes; je suis veuve, sans époux, et dès lors sujette à toutes les craintes; je suis femme, et naturellement faite pour la crainte: et tu aurais beau m'avouer maintenant que tu ne faisais que plaisanter, je ne puis plus avoir de trêve avec mon esprit troublé, il sera ébranlé et agité tout le jour. – Que veux-tu dire en secouant ainsi la tête? Pourquoi arrêtes-tu sur mon fils de si tristes regards? Que signifie cette main posée sur ta poitrine? Pourquoi ces larmes lamentables roulent-elles dans tes yeux, comme un fleuve orgueilleux enflé par-dessus ses bords? Toutes ces marques de tristesse confirmeraient-elles tes paroles? Parle donc encore; dis, non pas tout le premier récit, mais, par un seul mot, dis si ton récit est vrai.
SALISBURY. – Aussi vrai que vous jugez faussement, à que ce je suppose, ceux qui vous donnent cause de savoir que je dis vrai.
CONSTANCE. – Oh! si tu m'enseignes à croire à une telle douleur, enseigne aussi à cette douleur à me faire mourir; et que ma croyance et ma vie s'entre-choquent l'une l'autre, comme deux ennemis furieux et désespérés qui, à la première rencontre, tombent et meurent. – Louis épouse Blanche! O mon fils! que deviens-tu? La France, l'amie de l'Angleterre! Que vais-je devenir? Va-t'en: je ne puis supporter ta vue; cette nouvelle t'a rendu un homme affreux à mes yeux.
SALISBURY. – Quel autre mal ai-je fait, bonne dame, que de vous raconter le mal qui a été fait par d'autres?
CONSTANCE. – Ce mal est en lui-même si odieux, qu'il rend malfaisant tous ceux qui en parlent.
ARTHUR. – Je vous en supplie, madame, prenez patience.
CONSTANCE. – Ah! si toi, qui veux que je prenne patience, si tu étais laid, déshonorant pour le sein de ta mère, couvert de marques désagréables et de taches repoussantes, estropié, imbécile, contrefait, noir, difforme, parsemé de vilaines protubérances et de signes choquants à l'oeil, je ne m'inquiéterais point, je prendrais patience alors, car alors je ne t'aimerais pas, car tu serais indigne de ta haute naissance et ne mériterais pas une couronne. Mais tu es beau, et à ta naissance, cher enfant, la nature et la fortune se sont associées pour te rendre grand. Pour les dons de la nature, tu peux rivaliser avec les lis et les roses à demi épanouies: mais la fortune! Oh! elle est corrompue, changée et séduite par tes ennemis; elle commet adultère à toute heure avec ton oncle Jean; et sa main dorée a entraîné le roi de France à fouler aux pieds le pur honneur des souverains, et à prostituer la majesté royale au service de leurs amours. Oui, le roi de France est l'entremetteur de la fortune et du roi Jean; de la fortune, cette vile courtisane; de Jean, cet usurpateur. – Dis-moi, mon ami, le roi de France n'est-il pas un parjure? Accable-le de paroles de mépris, ou va-t'en, et laisse dans la solitude ces chagrins que je suis seule contrainte de supporter.
SALISBURY. – Pardonnez-moi, madame; je ne puis pas retourner sans vous vers les rois.
CONSTANCE. – Tu le peux, tu le feras; je n'irai point avec toi: j'instruirai mes douleurs à être fières, car le chagrin est fier et fortifie sa victime. Que les rois s'assemblent près de moi, et devant la majesté de ma grande douleur; car ma douleur est si grande, qu'il n'y a plus que la terre vaste et solide qui puisse en soutenir le poids: ici je m'asseois, moi et la douleur; ici est mon trône; dis aux rois de venir se courber devant lui.
(Elle se jette à terre.)
(Entrent le roi Jean, le roi Philippe, Louis, Blanche, Éléonore, le Bâtard et l'archiduc d'Autriche.)
PHILIPPE. – Cela est vrai, ma chère fille; et cet heureux jour sera toujours pour la France un jour de fête. Pour célébrer ce jour, le soleil glorieux s'arrête dans sa course, et, prenant le rôle d'alchimiste, change, par l'éclat de son oeil radieux, la terre maigre et raboteuse en or brillant: le cours de l'année en ramenant ce jour ne le verra jamais que comme un jour sanctifié.
CONSTANCE. – Un jour maudit, et non un jour sanctifié! Qu'a donc mérité ce jour? qu'a-t-il fait pour être ainsi inscrit dans le calendrier en lettres d'or, parmi les hautes marées? Ah! plutôt faites disparaître ce jour de la semaine, ce jour de honte, d'oppression, de parjure: ou, s'il doit encore demeurer, que les femmes grosses prient le ciel de ne pas déposer ce jour-là leur fardeau, de peur qu'un monstre ne vienne tromper leurs espérances; que les matelots ne craignent de naufrage que ce jour-là; qu'il n'y ait de marchés violés que ceux qu'on aura faits ce jour-là; que toutes les choses commencées ce jour-là viennent à mauvaise fin; oui, que la foi elle-même se change en fausseté profonde!
PHILIPPE. – Par le ciel, madame, vous n'aurez point de motif de maudire les heureux résultats de cette journée: ne vous ai-je pas engagé ma majesté royale?
CONSTANCE. – Vous m'avez trompée par un simulacre qui ressemblait à la majesté; mais à l'épreuve et sous la pierre de touche, il s'est trouvé sans valeur. Vous vous êtes parjuré, parjuré! vous êtes venu en armes pour verser le sang de mes ennemis, et maintenant en armes vous fortifiez le leur par le vôtre; cette vigoureuse ardeur de luttes corps à corps, ce rude et menaçant regard de la guerre ont dégénéré en une amitié et une paix fardées, et notre oppression est la base de cette ligue. Armez-vous, armez-vous, cieux, contre ces rois parjures! une veuve vous crie: cieux, soyez-moi un époux! ne permettez point que les heures de ce jour sacrilége laissent finir ce jour en paix; mais avant le coucher du soleil lancez la discorde armée entre ces rois parjures! exaucez-moi, oh! exaucez-moi!
L'ARCHIDUC. – Princesse Constance, la paix…
CONSTANCE. – La guerre, la guerre! point de paix! pour moi, la paix est la guerre! O Limoges! ô Autrichien 15! tu fais honte à cette dépouille sanglante, esclave que tu es, misérable, poltron, petit en vaillance, grand en déloyauté, toujours fort du côté du plus fort, champion de la fortune qui ne combats jamais que lorsque Sa Seigneurie capricieuse est avec toi pour répondre de ta sûreté! toi aussi, tu t'es parjuré, et tu flattes la puissance? quelle espèce de fou es-tu? un fou bruyant, toi qui te vantais et frappais du pied en jurant que tu serais des miens? Esclave au sang glacé, tes paroles n'ont-elles pas résonné en ma faveur comme le tonnerre? ne t'es-tu pas engagé comme mon soldat, m'enjoignant de me reposer sur ton étoile, ta fortune et ta force? Et maintenant passes-tu à mes ennemis? Tu portes la peau d'un lion! ôtes-la par pudeur, et jette une peau de veau sur ces membres de lâche 16!
L'ARCHIDUC. – Ah! si un homme me tenait de tels discours!
LE BATARD. – Et jette une peau de veau sur tes membres de lâche.
L'ARCHIDUC. – Tu n'oseras pas le dire, vilain, sur ta vie.
LE BATARD. – Et jette une peau de veau sur tes membres de lâche.
LE ROI JEAN. – Cela ne nous plaît pas; tu t'oublies.
(Entre Pandolphe.)
PHILIPPE. – Voici le saint légat du pape.
PANDOLPHE. – Salut, délégués et oints du ciel! C'est à toi, roi Jean, que s'adresse ma sainte mission. Moi, Pandolphe, cardinal du superbe Milan, et ici légat du pape Innocent, je demande pieusement en son nom pourquoi tu insultes si obstinément l'Église notre sainte mère, et pourquoi tu tiens éloigné de force Étienne Langton, élu archevêque de Cantorbéry, de ce siége saint? au nom de notre susdit saint-père le pape Innocent, je te le demande.
LE ROI JEAN. – Quel nom sur la terre peut imposer un interrogatoire à la libre voix d'un roi sacré? Tu ne peux, cardinal, inventer pour me sommer de répondre un nom plus impuissant, plus méprisé et plus ridicule que celui du pape. Va lui raconter ce que je te dis, et ajoutes-y encore ceci de la bouche du roi d'Angleterre: «Qu'aucun prêtre italien ne viendra lever ni dîmes ni droits dans nos États; mais que, comme nous sommes après Dieu le chef suprême, nous maintiendrons seuls, sous sa protection, là où nous régnerons, cette haute suprématie, sans l'assistance d'aucune main mortelle.» Dis cela au pape, en mettant de côté tout respect pour lui et pour son autorité usurpée.
PHILIPPE. – Mon frère d'Angleterre, ceci est un blasphème.
LE ROI JEAN. – Vous, et tous les rois de la chrétienté, vous vous laissez conduire par les grossiers artifices de ce prêtre intrigant, effrayés d'une excommunication dont l'argent peut vous relever; et par les mérites de l'or vil, de cet alliage, de cette poussière, vous achetez des absolutions corrompues d'un homme qui dans ce marché aliène l'absolution dont il aurait lui-même besoin. Bien que vous et tout le reste, grossièrement séduits, souteniez de vos revenus cette diabolique jonglerie; moi, moi seul, tout seul, je résiste au pape, et tiens ses amis pour mes ennemis.
PANDOLPHE. – Eh bien, en vertu du pouvoir légitime dont je suis revêtu, tu seras maudit et excommunié. Béni sera celui qui abandonnera son allégeance envers un hérétique; et la main qui, par quelque voie secrète, tranchera ton exécrable vie sera tenue pour méritoire, canonisée et révérée comme celle d'un saint.
CONSTANCE. – Oh! que pour un instant Rome me donne le droit de maudire avec elle! Bon père cardinal, crie amen à mes amères malédictions; car, sans mes injures, nulle langue n'a pouvoir pour le maudire autant qu'il le mérite!
PANDOLPHE. – Madame, j'ai pouvoir et mission pour maudire.
CONSTANCE. – Et moi aussi. Lorsque la loi ne peut plus faire justice, qu'il devienne légitime que la loi ne puisse mettre obstacle à l'injure. La loi ne peut ici rendre à mon fils son royaume, car celui qui tient le royaume tient aussi la loi. Ainsi puisque la loi elle-même est une complète injustice, comment la loi pourrait-elle interdire à ma langue les malédictions?
PANDOLPHE. – Philippe de France, sous peine de l'excommunication, quitte la main de cet archihérétique; et, à moins qu'il ne se soumette à Rome, soulève contre sa tête toutes les forces de la France.
ÉLÉONORE. – Tu pâlis, roi de France? Ne retire pas ta main.
CONSTANCE. – Prends bien garde, démon, que le roi de France ne se repente, et, dégageant sa main, ne fasse perdre une âme à l'enfer.
L'ARCHIDUC. – Roi Philippe, écoutez le cardinal.
LE BATARD. – Et couvre d'une peau de veau ses membres de lâche!
L'ARCHIDUC. – Misérable, il faut que j'empoche toutes ces insultes, parce que…
LE BATARD. – Parce que vos braies sont faites pour les porter.
LE ROI JEAN. – Philippe, que réponds-tu au cardinal?
CONSTANCE. – Que peut-il dire que le cardinal n'ait dit?
LOUIS. – Réfléchissez, mon père; vous avez à choisir entre la pesante malédiction de Rome, et la légère perte de l'amitié de l'Angleterre. Préférez ce qu'il y a de plus facile à supporter.
BLANCHE. – C'est l'excommunication de Rome.
CONSTANCE. – O Louis, tiens ferme; le démon te tente ici sous la forme d'une nouvelle épouse dépouillée de ses parures de noce.
BLANCHE. – La princesse Constance ne parle pas d'après sa foi, mais d'après ses nécessités.
CONSTANCE. – Oh! si tu conviens de mes nécessités, qui n'existent que parce que toute foi a péri, de ces nécessités tu dois nécessairement inférer le principe que la foi revivra quand les nécessités périront. Foule donc aux pieds mes nécessités, et la foi se relève; relève mes nécessités, la foi est foulée aux pieds.
LE ROI JEAN. – Le roi est ému et ne répond rien.
CONSTANCE, à Philippe. – Oh! éloignez-vous de lui, et répondez bien.
L'ARCHIDUC. – Faites-le, roi Philippe, et ne demeurez pas plus longtemps suspendu dans le doute.
LE BATARD. – Ne suspendez rien qu'une peau de veau, bonhomme.
PHILIPPE. – Je suis perplexe et ne sais que dire.
PANDOLPHE. – Que pourrez-vous dire qui ne vous jette dans des perplexités plus grandes, si vous êtes excommunié et maudit?
PHILIPPE. – Mon bon révérend père, mettez-vous à ma place, et dites-moi comment vous vous conduiriez vous-même. (Montrant le roi Jean.) Ma main vient de s'enchaîner à sa main royale, et l'accord intime de nos deux âmes, unies par une alliance, les tient associées et liées l'une à l'autre de toute la force et la sainteté des serments religieux. Les derniers souffles qui aient rendu le son des paroles ont profondément juré foi, paix, affection, amitié sincère entre nos deux royaumes et nos deux personnes royales: et avant ce traité, bien peu de temps avant, ce qu'il nous fallut seulement pour bien laver nos mains prêtes à se serrer dans un royal traité de paix, le ciel sait comment elles avaient été teintes et souillées par le pinceau du carnage, et comment la vengeance y avait peint les effroyables discordes de deux rois irrités. Et ces mains si récemment purifiées de sang, si nouvellement unies dans l'affection, si puissantes dans la haine et l'amitié, se relâcheront de leur étreinte et de leurs mutuels signes d'attachement! nous pourrions nous jouer ainsi de la foi, nous moquer du ciel, et faire de nous à ce point des enfants inconstants, que, détachant nos mains l'une de l'autre, nous voulussions abjurer la foi jurée, conduire sur le lit nuptial de la paix souriante une armée ensanglantée, et élever le tumulte sur le front serein de la loyale sincérité! O saint homme, mon révérend père, qu'il n'en soit pas ainsi! Veuillez par votre grâce nous présenter, nous prescrire, nous imposer quelque condition supportable, et nous nous trouverons heureux de vous obéir et de rester amis.
PANDOLPHE. – Toute forme est difforme, tout ordre est désordre, qui ne se montre point ennemi de l'alliance de l'Angleterre. Ainsi, aux armes! soyez le champion de notre Église, ou que l'Église notre mère prononce sa malédiction, la malédiction d'une mère sur son fils rebelle. Roi de France, il y a moins de danger pour toi à tenir un serpent par la langue, un lion enfermé par sa griffe mortelle, un tigre à jeun par les dents, qu'à garder en paix cette main que tu tiens.
PHILIPPE. – Je puis bien retirer ma main, mais non pas ma foi.
PANDOLPHE. – Ainsi tu fais de la foi l'ennemie de la foi, et, comme dans une guerre civile, tu élèves ton serment contre ton serment et ta parole contre ta parole. Oh! que ton serment juré d'abord au ciel, soit d'abord accompli envers le ciel: c'est-à-dire, sois champion de notre Église! tout ce que tu as juré depuis, tu l'as juré contre toi-même, et toi-même ainsi ne peux l'accomplir; car le mal que tu as promis de faire n'est point mal s'il est fait à bon droit; et ne le pas faire lorsque le faire est un mal, c'est avoir agi à bon droit de ne le pas faire. Ce qu'il y a de mieux à faire dans les occasions où on s'est trompé, c'est de se tromper de nouveau; car, bien qu'on dévie alors, la déviation redevient la droite voie, et la déloyauté sert de remède à la déloyauté, comme le feu calme l'ardeur du feu dans les veines écorchées de celui qui vient de se brûler. – C'est la religion qui oblige à tenir les serments; mais tu as juré contre la religion, par laquelle tu jures contre la chose que tu jures; tu te fais d'un serment la preuve du bon droit contre un serment. Incertain sur le bon droit de tes serments, jure seulement de ne te point parjurer: autrement quelle dérision serait-ce de jurer? Mais ce que tu jures maintenant, c'est de devenir parjure, et d'autant plus parjure que tu tiendras à ce que tu as juré. Ainsi tes derniers voeux, contraires aux premiers, sont en toi une révolte contre toi-même; et tu ne peux jamais remporter de plus belle victoire que d'armer ce qu'il y a en toi de noble et de constant contre ces suggestions imprudentes et passagères. Nos prières, si tu y consens, viendront aider à ces résolutions meilleures. Mais sinon, sache que le danger de notre malédiction est suspendu sur ta tête, si pesant que tu ne pourras jamais le secouer, mais tu mourras désespéré sous ce noir fardeau.
L'ARCHIDUC. – Rébellion, pure rébellion!
LE BATARD. – Quoi! il n'en sera rien? une peau de veau ne viendra pas te fermer la bouche?
LOUIS. – Mon père, aux armes!
BLANCHE. – Le jour de ton mariage? contre le sang auquel tu viens de t'unir? Quoi! la fête de nos noces sera-t-elle célébrée par des hommes égorgés? Sera-ce au son des trompettes criardes, du bruyant et brutal tambour, des clameurs de l'enfer, que se réglera la marche de nos cérémonies? O mon mari, écoute-moi! (hélas! hélas! que ce nom de mari est nouveau dans ma bouche!) par ce nom que ma langue vient de prononcer pour la première fois, je t'en conjure à genoux, ne prends point les armes contre mon oncle.
CONSTANCE. – Et moi aussi, sur mes genoux endurcis à force de m'agenouiller, je t'adresse mes prières, vertueux dauphin: ne change point les décrets portés d'avance par le ciel.
BLANCHE. – Je vais voir si tu m'aimes. Quel motif sera plus puissant auprès de toi que le nom de ta femme?
CONSTANCE. – Ce qui glorifie celui dont tu te glorifies, son honneur. Ton honneur, ô Louis, ton honneur!
LOUIS. – Je m'étonne de voir Votre Majesté si froide à ces hautes considérations qui la pressent.
PANDOLPHE. – Je vais lancer l'anathème sur sa tête.
PHILIPPE. – Tu n'en auras pas besoin. – Roi d'Angleterre, je romps avec toi.
CONSTANCE. – O brillant retour de la majesté éclipsée!
ÉLÉONORE. – O indigne trahison de l'inconstance française!
LE ROI JEAN. – Roi de France, dans une heure tu regretteras cette heure-ci.
LE BATARD. – Le temps, ce vieux régulateur d'horloges, ce chauve fossoyeur, est-il donc à ses ordres? Eh bien donc, le roi de France regrettera.
BLANCHE. – Le soleil se couvre d'un nuage de sang: beau jour, adieu! – De quel parti dois-je me ranger? Je suis à tous les deux; chaque armée tient une de mes mains, et, retenue comme je le suis par toutes les deux, le tourbillon de la rage qui les sépare va me démembrer. – Mon mari, je ne puis prier pour ta victoire. – Mon oncle, il faut que je prie pour ta défaite. – Mon père, je ne puis désirer que la fortune te favorise. – Ma grand'mère, je ne puis souhaiter que tes souhaits s'accomplissent. Quel que soit le vainqueur, je perdrai de l'autre côté, assurée de perdre même avant que la partie soit jouée.
LOUIS. – Madame, vous êtes avec moi; votre fortune est attachée à la mienne.
BLANCHE. – Là où vit ma fortune, là meurt ma vie.
LE ROI JEAN. – Mon cousin, allez rassembler nos forces. (Faulconbridge sort.) (A Philippe.) – Roi de France, je brûle d'une colère enflammée, d'une rage dont l'ardeur est parvenue à ce point que rien ne la peut calmer, rien que du sang, le sang de la France, et son sang le plus cher, le plus précieux.
PHILIPPE. – Ta rage te consumera, et tu seras réduit en cendres avant que notre sang en éteigne la flamme. Prends garde à toi, tu es en péril.
LE ROI JEAN. – Pas plus que celui qui me menace. – Courons aux armes.
(Ils sortent.)
SCÈNE II
La scène est toujours en France. – Plaine près d'Angers
Fanfares; soldats qui passent et repassent. -Entre LE BATARD, tenant la tête de l'archiduc d'Autriche
LE BATARD. – Sur ma vie, cette journée devient terriblement chaude! Quelque démon aérien plane là-haut et verse le mal sur la terre. – La tête de l'archiduc est ici, tandis que Philippe respire encore.
(Entrent le roi Jean, Arthur et Hubert.)
LE ROI JEAN. – Hubert, prends cet enfant sous ta garde. (A Faulconbridge.) – Philippe, au combat: ma mère est assiégée dans ma tente, et prise peut-être, j'en ai peur.
LE BATARD. – Seigneur, je l'ai délivrée; Son Altesse est en sûreté; ne craignez rien. Mais en avant, mon prince; il ne faut plus que bien peu d'efforts pour amener notre besogne à bien.
(Ils sortent.)
SCÈNE III
La scène est la même
On sonne l'alarme, escarmouches, retraite. – Entrent le ROI
JEAN, ÉLÉONORE, ARTHUR, LE BATARD, HUBERT,
et des lords
LE ROI JEAN. – Il en sera ainsi.(A Éléonore.) – Votre Seigneurie demeurera en arrière avec cette forte garde. – (Au jeune Arthur.) Mon cousin, n'aie pas l'air si triste: ta grand'mère t'aime, et ton oncle sera aussi tendre pour toi que le fut ton père.
ARTHUR. – Oh! cela fera mourir ma mère de chagrin.
LE ROI JEAN, au bâtard.-Cousin, partez pour l'Angleterre: prenez les devants en diligence, et, avant votre arrivée, songez à bien secouer les coffres de nos abbés thésauriseurs, et à remettre en liberté leurs angelots captifs. Les grasses côtes de la paix doivent maintenant servir à nourrir les affamés. Usez du pouvoir que nous vous donnons dans toute son étendue.
LE BATARD. – La cloche, le livre, le cierge, ne me feront pas reculer quand l'or et l'argent m'inviteront à avancer. Je prends congé de Votre Altesse.(A Éléonore.) – Grand'mère, si jamais je me souviens d'être dévot, je prierai pour votre belle santé. Sur ce, je vous baise les mains.
ÉLÉONORE. – Adieu, mon aimable cousin.
LE ROI JEAN. – Cousin, adieu.
(Le Bâtard sort.)
ÉLÉONORE, à Arthur.-Approchez, mon petit parent. Écoutez, je veux vous dire un mot.
LE ROI JEAN. – Approche, Hubert, – ô mon cher Hubert, nous te devons beaucoup; et dans cette prison de chair il est une âme qui te tient pour son créancier, et qui se propose bien de te payer ton affection avec usure. Mon cher ami, ton serment volontaire vit dans ce coeur comme un précieux souvenir. – Donne-moi ta main. – J'aurais quelque chose à te dire;… mais j'attendrai quelque autre moment plus convenable. Par le ciel! Hubert, je suis presque embarrassé de te dire en quelle estime je te tiens.
HUBERT. – Je suis bien obligé à Votre Majesté.
LE ROI JEAN. – Mon bon ami, tu n'as encore aucune raison de dire cela; mais tu l'auras un jour, et le temps ne coulera pas si lentement qu'il n'amène pour moi le moment de te faire du bien. – J'aurais une chose à te dire… mais laissons cela. – Le soleil est maintenant aux cieux, et le jour pompeux, environné des plaisirs du monde, est partout trop dissipé, trop plein de gaieté pour me donner audience. – Si la cloche de minuit frappait une heure de sa langue de fer et de sa bouche d'airain dans le cours assoupi de la nuit; si nous étions ici dans un cimetière, et toi préoccupé de mille injures; si l'humeur sombre de la mélancolie avait en toi coagulé, épaissi, appesanti le sang qui d'ordinaire court haut et bas en chatouillant les veines, éveille dans les yeux de l'homme le rire imbécile, enfle ses joues dans une vaine gaieté, passion odieuse à mes projets;… ou bien si tu pouvais me voir sans yeux, m'entendre sans oreilles, et me répondre sans voix et par la seule pensée, sans yeux, sans oreilles, sans le son dangereux des paroles: alors, en dépit du jour vigilant qui nous enveloppe, je verserais mes pensées dans ton sein. – Mais non, je n'en ferai rien. – Cependant je t'aime bien, et, sur ma foi, je crois que tu m'aimes bien.
HUBERT. – Si bien, que quelque chose que vous me commandiez de faire, dût ma mort accompagner mon action, par le ciel, je le ferais.
LE ROI JEAN. – Eh! ne sais-je pas bien que tu le ferais? Bon Hubert, Hubert, Hubert, jette les yeux sur ce jeune garçon; je vais te dire ce que c'est, mon ami: c'est un serpent sur mon chemin, et quelque part que se pose mon pied, il est là devant moi. – M'entends-tu? tu es son gardien…
HUBERT. – Et je le garderai si bien qu'il ne pourra jamais nuire à Votre Majesté.
LE ROI JEAN. – La mort!
HUBERT. – Seigneur!..
LE ROI JEAN. – Un tombeau.
HUBERT. – Il ne vivra point.
LE ROI JEAN. – C'est assez: je puis me réjouir maintenant. Hubert, je t'aime; mais voilà, je ne veux pas te dire ce que je prétends faire pour toi. Souviens-toi… – Madame, portez-vous bien: j'enverrai ces troupes à Votre Majesté.
ÉLÉONORE. – Que ma bénédiction t'accompagne.
LE ROI JEAN, à Arthur. – Allons, cousin, en Angleterre. Hubert est chargé de vous servir; il aura pour vous tous les égards qui vous sont dus. – Marchons vers Calais; allons.
(Ils sortent.)
SCÈNE IV
Toujours en France. – La tente du roi de France
Entrent LE ROI PHILIPPE, LOUIS, PANDOLPHE, suite
PHILIPPE. – Ainsi, sur les flots, une bruyante tempête disperse une Armada entière de vaisseaux rassemblés, et les sépare les uns des autres.
PANDOLPHE. – Consolez-vous, reprenez courage, et tout ira bien encore.
PHILIPPE. – Et qui peut aller bien quand tout nous a tourné si mal? Ne sommes-nous pas battus? Angers n'est-il pas perdu, Arthur prisonnier? Plusieurs amis très-chers n'ont-ils pas été tués? et en dépit de la France, l'Anglais tout sanglant n'est-il pas retourné en Angleterre, surmontant tous les obstacles?
LOUIS. – Ce qu'il a conquis, il l'a fortifié. Il n'y a pas d'exemple d'une si ardente promptitude dirigée avec tant de sagesse, d'une conduite si prudente dans une guerre si impétueuse. Qui a jamais lu ou entendu le récit d'un exploit semblable?
PHILIPPE. – Je supporterais que l'Anglais eût obtenu cette gloire, si nous pouvions trouver quelque exemple de notre honte. (Entre Constance.) Regardez; qui vient ici? un tombeau renfermant une âme, retenant contre son gré l'immortel esprit dans l'odieuse prison d'une vie douloureuse. – Je vous en prie, madame, venez avec moi.
CONSTANCE. – Voyez, maintenant, voyez le résultat de votre paix.
PHILIPPE. – Patience, ma bonne dame. Courage, noble Constance.
CONSTANCE. – Non; je défie tout conseil, toute réparation, si ce n'est celle qui met fin à tous les conseils, la véritable réparation, la mort, la mort. O mort aimable et chérie! balsamique puanteur! saine corruption! lève-toi de la couche de l'éternelle nuit, toi l'abjection, la haine et la terreur des heureux; je baiserai tes détestables os, je mettrai mes yeux sous tes caverneux sourcils, des vers de ta demeure je ferai des bagues pour ces doigts; ta dégoûtante poussière fermera le passage à mon haleine, afin que je devienne un monstre de pourriture comme toi! Viens à moi en grinçant des dents et je croirai que tu souris, et je te donnerai le baiser d'une épouse! O toi, l'amour des malheureux, viens à moi!
PHILIPPE. – Belle affligée, calmez-vous.
CONSTANCE. – Non, non, je ne me calmerai point tant qu'il me restera un souffle pour crier. Oh! que ma langue n'est-elle placée dans la bouche du tonnerre! Alors de ma douleur j'ébranlerais le monde et je réveillerais de son sommeil ce cruel squelette qui ne peut entendre la faible voix d'une femme, qui dédaigne de communes invocations!