Kitabı oku: «Roméo et Juliette», sayfa 2
ROMÉO ET JULIETTE
TRAGÉDIE
PERSONNAGES
ESCALUS, prince de Vérone.
PARIS, jeune seigneur, parent du prince
MONTAIGU, CAPULET, chefs des deux maisons ennemies.
UN VIEILLARD, oncle de Capulet.
ROMÉO, fils de Montaigu.
MERCUTIO, parent du prince et ami de Roméo.
BENVOLIO, neveu de Montaigu et ami de Roméo.
TYBALT, neveu de la signora Capulet.
FRERE LAURENCE, franciscain.
FRERE JEAN, religieux du même ordre.
BALTHASAR, domestique de Roméo.
SAMSON, GREGOIRE, domestique de Capulet.
ABRAHAM, domestique de Montaigu.
UN APOTHICAIRE.
TROIS MUSICIENS.
UN VALET.
UN PAGE de Pâris.
PIERRE.
UN OFFICIER.
CHOEUR.
LA SIGNORA MONTAIGU, femme de Montaigu.
LA SIGNORA CAPULET, femme de Capulet.
JULIETTE, fille de Capulet.
LA NOURRICE de Juliette.
CITOYENS DE VÉRONE, PLUSIEURS HOMMES
ET FEMMES DES DEUX FAMILLES,
MASQUES, GARDES, GENS DU GUET ET SERVITEURS.
La scène est pendant presque toute la pièce à Vérone.
Au cinquième acte elle est une fois à Mantoue.
PROLOGUE
Dans la belle Vérone, où nous plaçons notre scène, l'antique haine de deux maisons égales en dignité vient d'éclater par de nouveaux troubles, où le sang des citoyens a souillé les mains des citoyens. De la race funeste de ces deux ennemis a pris naissance, sous des étoiles funestes, un couple d'amants infortunés dont les malheurs et la ruine déplorable enseveliront avec eux les luttes de leurs parents. L'épisode terrible de cet amour marqué de mort, l'obstination de leurs parents dans des fureurs dont la mort de leurs enfants peut seule terminer le cours, vont pendant ces deux heures occuper notre scène. Si vous nous prêtez la faveur d'une oreille attentive, nous travaillerons par nos efforts à perfectionner ce qui pourrait manquer ici.
ACTE PREMIER
SCÈNE I
Une place publique.
Entrent SAMSON et GRÉGOIRE, armés d'épées et de boucliers.
SAMSON.—Tiens, Grégoire, sur ma parole, on ne nous fera plus avaler de pilules4.
GRÉGOIRE.—Non, car elles pourraient bien nous donner la colique.
SAMSON.—Je veux dire que, si on nous fâche, il faudra être francs du collier.
GRÉGOIRE.—Franc pour toute ta vie du collier du bourreau, n'est-ce pas?
SAMSON.—Je suis prompt à taper quand je me mets en train.
GRÉGOIRE.—Mais tu n'es pas prompt à te mettre en train de taper.
SAMSON.—La vue d'un de ces chiens de Montaigu me remue tout le corps.
GRÉGOIRE.—On se remue pour courir; quand on est brave, on tient ferme: c'est pour cela que, lorsqu'on te remue, tu te sauves.
SAMSON.—Un chien de cette maison me remuera de telle sorte que je tiendrai ferme: je prendrai le côté du mur avec tout homme ou femme des Montaigu.
GRÉGOIRE.—C'est ce qui prouve que tu n'es qu'un faible esclave, car ce sont les plus faibles qu'on met au pied du mur5.
SAMSON.—Oui, c'est vrai; et voilà pourquoi les femmes étant des vaisseaux plus fragiles, on les met toujours au pied du mur. Je prendrai le côté du mur sur les serviteurs de la maison de Montaigu; et pour les filles, je les mettrai au pied du mur.
GRÉGOIRE.—La querelle est entre nos maîtres et nous, leurs hommes.
SAMSON.—Cela m'est égal, je veux me montrer tyran. Quand je me serai battu avec les hommes, je serai cruel envers les filles: je leur couperai la tête.
GRÉGOIRE.—La tête des filles?
SAMSON.—Oui, la tête des filles, ou bien....6: arrange cela comme tu voudras.
GRÉGOIRE.—C'est à celles qui le sentiront à s'en arranger.
SAMSON.—Elles me sentiront tant que le courage me tiendra; et on sait que je suis un gaillard bien en chair.
GRÉGOIRE.—Oui, tu n'es pas poisson: si tu l'étais, tu serais un hareng de deux liards. Allons, tire ta flamberge; en voilà deux de la maison des Montaigu.
(Entrent Abraham et Balthasar.)
SAMSON.—Voilà mon épée hors du fourreau. Cherche-leur querelle, je t'épaulerai.
GRÉGOIRE.—Comment, en tournant les épaules et en te sauvant?
SAMSON.—Ne crains rien de mon courage.
GRÉGOIRE.—Moi, craindre ton courage! non, vraiment.
SAMSON.—Mettons la loi de notre côté; laissons-les commencer.
GRÉGOIRE.—Je vais froncer le sourcil en passant devant eux; qu'ils le prennent comme ils voudront.
SAMSON.—C'est-à-dire comme ils l'oseront. Moi, je vais leur mordre mon pouce7; s'ils le supportent, ils sont déshonorés.
ABRAHAM.—Est-ce à notre intention, monsieur, que vous mordez votre pouce?
SAMSON.—Je mords mon pouce, monsieur.
ABRAHAM.—Est-ce à notre intention, monsieur, que vous mordez votre pouce?
SAMSON.—Aurons-nous la loi de notre côté si je réponds oui?
GRÉGOIRE.—Non pas.
SAMSON.—Non, monsieur, ce n'est pas à votre intention que je mords mon pouce; mais je mords mon pouce, monsieur.
GRÉGOIRE.—Cherchez-vous querelle, monsieur?
ABRAHAM.—Querelle, monsieur? Non monsieur.
SAMSON.—Si vous cherchez querelle, monsieur, je suis bon pour vous; je sers un aussi bon maître que vous.
ABRAHAM.—Pas un meilleur.
SAMSON.—Soit, monsieur.
GRÉGOIRE.—Dis meilleur. (A part, à Samson.) J'aperçois un des parents de mon maître8.
(On voit de loin entrer Benvolio.)
SAMSON.—Oui, meilleur, monsieur.
ABRAHAM.—Vous mentez.
SAMSON.—Tirez, si vous êtes des hommes.—Grégoire, n'oublie pas ce coup qui fait tant de bruit.
(Ils se battent.)
BENVOLIO, accourant l'épée nue pour les séparer.—Séparez-vous, imbéciles. Remettez vos épées; vous ne savez ce que vous faites. (Il abaisse leurs épées)
(Entre Tybalt.)
TYBALT.—Quoi! tu tires l'épée contre cette lâche canaille! Tourne-toi, Benvolio; regarde ta mort en face.
BENVOLIO.—Je ne veux que rétablir la paix ici. Remets ton épée, ou sers-t'en pour m'aider à séparer ces hommes.
TYBALT.—Quoi! l'épée est tirée et tu parles de paix! Je hais ce mot comme je hais l'enfer, tous les Montaigu et toi. Défends-toi, lâche.
(Ils se battent.)
(Entrent des partisans des deux maisons qui se joignent à la mêlée. Entrent ensuite des citoyens avec de gros bâtons.)
PREMIER CITOYEN.—Prenez vos bâtons, vos piques, vos pertuisanes. Frappons, faisons-les tomber à terre: à bas les Capulet! à bas les Montaigu!
Entrent le vieux Capulet, en robe de chambre, et la signora Capulet.
CAPULET.—Quel est ce bruit? Holà! Donnez-moi mon épée de combat.
LA SIGNORA CAPULET.—Votre béquille, votre béquille! Que voulez-vous faire d'une épée?
CAPULET.—Mon épée! vous dis-je, j'aperçois le vieux Montaigu: il fait briller sa lame en l'air pour me braver.
(Entrent Montaigu et la signora Montaigu.)
MONTAIGU.—C'est toi, traître de Capulet!—Ne me retenez pas, laissez-moi aller.
LA SIGNORA MONTAIGU.—Je ne vous laisserai pas faire un pas pour chercher un ennemi.
(Entrent le prince et sa suite.)
LE PRINCE.—Sujets rebelles, ennemis de la paix, profanateurs de ce fer souillé du sang de vos voisins…—Ne m'écouteront-ils donc pas?—Holà! comment! Hommes ou bêtes que vous êtes, qui ne savez éteindre les flammes de votre rage pernicieuse que dans des flots de sang tirés de vos propres veines; sous peine de la torture, jetez à terre de vos mains sanglantes ces armes forgées par la colère9, et écoutez la sentence de votre prince irrité.—Déjà par votre fait, vieux Capulet, et vous Montaigu, trois querelles intestines ont, sur une parole en l'air, troublé trois fois la tranquillité de nos rues, et fait quitter aux anciens de Vérone les graves ornements qui leur conviennent, pour manier de vieilles pertuisanes dans de vieilles mains rongées par la paix, afin de réprimer les violences de la haine qui vous ronge. Si jamais vous troublez encore nos rues, vous payerez de votre vie la violation de la paix. Pour cette fois, que tous se retirent, excepté vous, Capulet, qui me suivrez; et vous, Montaigu, rendez-vous cette après-midi à l'antique manoir de Villafranca10, où nous tenons notre cour publique de justice, pour y apprendre nos intentions ultérieures sur ce qui vient de se passer. Encore une fois, sous peine de mort, que tous se retirent.
(Sortent le prince, sa suite, Capulet, la signora Capulet, Tybalt, les citoyens et les domestiques.)
LA SIGNORA MONTAIGU.—Qui donc a de nouveau ranimé cette ancienne querelle? Répondez, mon neveu; y étiez-vous lorsqu'elle a commencé?
BENVOLIO.—Les domestiques de votre ennemi et les vôtres étaient déjà ici à se battre chaudement quand je suis arrivé: j'ai tiré l'épée pour les séparer. En ce moment est survenu, l'épée à la main, le bouillant Tybalt, qui, tout en me jetant des défis aux oreilles, s'est mis à faire le moulinet au-dessus de sa tête, et à pourfendre les vents, qui, n'en recevant pas le moindre mal, ont sifflé de mépris. Pendant que nous faisions échange d'estocades et de coups, venaient à tout moment de nouveaux combattants pour l'un et l'autre parti, jusqu'à ce qu'enfin est arrivé le prince, qui les a séparés.
LA SIGNORA MONTAIGU.—Oh! où est Roméo? l'avez-vous vu aujourd'hui? Je suis bien heureuse qu'il ne se soit pas trouvé à cette bagarre.
BENVOLIO.—Ce matin, madame, une heure avant que le divin soleil lançât son premier regard à travers la fenêtre d'or de l'orient, le trouble de mon âme m'a poussé à sortir hors de chez moi; et là, sous le bosquet de sycomores qui s'élève à l'ouest de la ville, aussi matinal que moi dans sa promenade, j'ai vu votre fils. J'ai marché vers lui; mais il m'a aperçu, et s'est glissé dans l'épaisseur du bois. Jugeant de ses sentiments par les miens, qui ne sont jamais plus actifs que dans la solitude, j'ai suivi mon humeur en ne poursuivant pas la sienne, et j'ai évité avec plaisir celui qui me fuyait avec plaisir.
MONTAIGU.—Plus d'une fois avant le jour on l'a vu dans ce lieu augmenter de ses pleurs la fraîche rosée du matin, accroître les nuages des nuages qu'élevaient ses profonds soupirs; mais aussitôt qu'à la dernière extrémité de l'orient le soleil, qui égaye toutes choses, commence à tirer les obscurs rideaux du lit de l'Aurore, mon fils accablé rentre pour se dérober à sa lumière, se retire seul dans sa chambre, ferme les fenêtres, et, interdisant tout accès au doux éclat du jour, se forme ainsi une nuit artificielle. Cette disposition le conduira nécessairement à une mélancolie noire et funeste, si de bons conseils n'en écartent la cause.
BENVOLIO.—Mon noble oncle, en savez-vous la cause?
MONTAIGU.—Je ne la sais point, et ne puis l'apprendre de lui.
BENVOLIO.—L'avez-vous pressé par quelques moyens?
MONTAIGU.—Il l'a été par moi-même et par beaucoup d'autres amis; mais, n'écoutant que lui-même sur ses propres sentiments, il se garde, je ne saurais dire quelle fidélité, mais du moins un secret complet et absolu; aussi rebelle à toute tentative pour sonder ce mystère, que le bouton piqué par un ver envieux avant d'avoir pu déployer à l'air ses pétales odorants et livrer ses beautés au soleil. Si nous pouvions seulement savoir d'où provient son chagrin, nous serions aussi empressés de le guérir que de le connaître.
(Roméo paraît dans l'éloignement.)
BENVOLIO.—Tenez, le voilà qui vient. Veuillez vous éloigner; il faudra qu'il me refuse bien obstinément si je ne parviens pas à savoir ce qui l'afflige.
MONTAIGU.—Je désire bien que tu sois assez heureux pour obtenir par ton insistance une sincère confession.—Venez, madame, retirons-nous.
(Sortent Montaigu et la signora Montaigu.)
BENVOLIO.—Bonjour, mon cousin.
ROMÉO.—Le jour est-il donc si jeune encore?
BENVOLIO.—Neuf heures viennent de sonner.
ROMÉO.—Hélas! les heures tristes paraissent longues. Était-ce mon père que j'ai vu s'éloigner si vite?
BENVOLIO.—C'était lui.—Quel est donc le chagrin qui allonge les heures de Roméo?
ROMÉO.—La privation de ce qui les rendrait courtes si je le possédais.
BENVOLIO.—Amoureux?
ROMÉO.—Accablé11.
BENVOLIO.—D'amour?
ROMÉO.—De la rigueur de celle que j'aime.
BENVOLIO.—Hélas! faut-il que l'Amour, aux regards si doux, soit à l'épreuve si dur et si tyrannique?
ROMÉO.—Hélas! faut-il que l'Amour, avec ses yeux toujours couverts d'un bandeau, trouve sans voir des chemins pour faire sa volonté! Où dînerons-nous?—O dieux!—Quel était donc ce tumulte?—Mais, non, ne me le dis pas; j'ai tout entendu.—Il y a bien à faire avec la haine, mais plus encore avec l'amour.—O amour querelleur, ô haine amoureuse, toi qui es tout et nais d'abord de rien, chose légère qui nous accable, vanité sérieuse, chaos difforme des plus séduisantes apparences, plume de plomb, fumée brillante, feu glacé, santé malade, sommeil toujours éveillé qui n'est point le sommeil! voilà l'amour que je sens, sans y sentir l'amour. Cela ne te fait-il pas rire?
BENVOLIO.—Non, cousin; bien plutôt pleurer.
ROMÉO.—Tendre coeur, et de quoi?
BENVOLIO.—De voir ton tendre coeur si oppressé.
ROMÉO.—Eh bien! telle est l'erreur de l'affection. Mes chagrins demeuraient appesantis dans mon sein; tu les forces à se répandre en les pressant sous le poids du tien, et l'affection que tu me montres ajoute une peine de plus à cet excès de peine que je ressens déjà. L'amour est une fumée qu'élève la vapeur des soupirs: libre de s'échapper, c'est un feu qui éclate dans les yeux des amants; réprimé, une mer que les amants nourrissent de leurs larmes. Qu'est-ce encore autre chose? une folie raisonnable, une bile amère qui suffoque, un doux parfum qui conserve.—Adieu, mon cousin.
(Il veut sortir.)
BENVOLIO.—Doucement, je veux vous accompagner, et c'est me manquer que de me quitter ainsi.
ROMÉO.—Eh! je ne me retrouve plus moi-même: je ne suis point ici; ce n'est point Roméo que tu vois, il est quelque part ailleurs.
BENVOLIO.—Dites-le-moi dans votre tristesse; quelle est celle que vous aimez?
ROMÉO.—Quoi! faut-il te le dire en gémissant?
BENVOLIO.—En gémissant? Non, pas tout à fait; mais dites-le-moi tristement: qui est-ce?
ROMÉO.—Demandez à un malade de faire avec tristesse son testament! Oh! qu'il est mal d'importuner d'un tel mot celui qui est si mal!—Tristement, cousin, j'aime une femme.
BENVOLIO.—J'étais arrivé juste en supposant que vous aimiez.
ROMÉO.—Un bien bon tireur! Et elle est belle celle que j'aime.
BENVOLIO.—Un beau but, beau cousin, est plus facile à frapper.
ROMÉO.—Eh bien! à ce coup-ci, vous manquez, on ne pourrait l'atteindre avec l'arc de Cupidon, car elle est animée de l'esprit de Diane, et solidement armée d'une chasteté à l'épreuve; elle vit invulnérable aux faibles coups de l'arc enfantin de l'Amour; elle ne se laissera point assiéger par d'amoureuses négociations, ne supportera pas la rencontre des yeux qui l'assaillent, n'ouvrira point le pan de sa robe à l'or qui séduit même les saints. Oh! elle est riche en beauté, pauvre seulement en ceci, qu'en mourant son trésor de beauté mourra avec elle.
BENVOLIO.—A-t-elle donc juré de vivre dans la chasteté?
ROMÉO.—Elle l'a juré; et cette parcimonie produira un immense dégât, car la beauté réduite par sa sévérité à mourir de faim prive de beauté toute postérité. Elle est trop belle, trop sagement belle, pour mériter le bonheur en me mettant au désespoir. Elle a fait un voeu contre l'amour; et sous ce voeu ma vie est une mort à moi qui vis pour te le dire.
BENVOLIO.—Suivez mon conseil, oubliez de penser à elle.
ROMÉO.—Oh! apprends-moi donc comment je pourrai oublier de penser.
BENVOLIO.—En donnant à tes yeux quelque liberté: considère d'autres beautés.
ROMÉO.—Ce serait le moyen de me faire penser plus souvent à son exquise beauté. Ces masques fortunés, qui caressent le front de nos belles dames, ne font par leur noirceur que nous rappeler la beauté qu'ils cachent. Celui qui est frappé d'aveuglement ne peut oublier le précieux trésor de la vue qu'il a perdu. Montre-moi une maîtresse belle par-dessus toutes les autres, que me sera sa beauté, sinon un livre de souvenirs où je lirai le nom de celle qui surpasse cette beauté incomparable? Adieu, tu ne peux m'apprendre à oublier.
BENVOLIO.—Tu recevras de moi cette doctrine, ou j'en mourrai ton débiteur.
(Ils sortent.)
SCÈNE II
Une rue.
Entrent CAPULET, PARIS, UN DOMESTIQUE.
CAPULET.—Montaigu est lié par la même défense que moi, et sous des peines semblables; et il ne sera pas difficile, je pense, à deux vieillards comme nous de vivre en paix.
PARIS.—Vous jouissez tous d'une existence honorable, et c'est pitié que vous ayez été si longtemps ennemis. Mais parlez, seigneur, que répondez-vous à ma demande?
CAPULET.—En répétant ce que je vous ai déjà dit. Mon enfant est encore étrangère dans le monde; elle n'a pas vu s'accomplir la révolution de quatorze années: laissons encore pâlir l'orgueil de deux étés avant de la croire mûre pour être une épouse.
PARIS.—De plus jeunes qu'elles sont devenues d'heureuses mères.
CAPULET.—Mais elles se flétrissent trop tôt, ces mères prématurées.—La terre a englouti toutes mes autres espérances; elle est en espérance la maîtresse de mes terres. Mais faites-lui votre cour, aimable Pâris; gagnez son coeur; ma volonté n'est qu'une dépendance de son consentement: si elle vous agrée, c'est dans les limites de son choix que réside mon aveu, et que ma voix vous sera loyalement accordée.—Ce soir je donne une fête dont j'ai depuis longtemps l'usage; j'y ai invité beaucoup de convives, tous mes amis; et parmi eux, je vous verrai avec très-grande joie, comme un de plus, en augmenter le nombre. Attendez-vous à voir ce soir dans ma pauvre maison des étoiles qui foulent aux pieds la terre, éclipsent la lumière des cieux; cette joie bienfaisante que ressent le jeune homme plein d'ardeur lorsqu'avril, dans toute sa parure, marche sur les talons de l'hiver chancelant, vous l'éprouverez ce soir parmi ces jeunes fleurs de beauté prêtes à s'épanouir; écoutez-les toutes, voyez-les toutes, et préférez celle dont le mérite sera le plus grand. Au milieu du spectacle d'une telle réunion, ma fille, réduite à elle-même, pourra faire nombre, mais non pas attirer l'attention.—Allons, venez avec moi.—(A un domestique.) Toi, maraud, trotte dans la belle Vérone; trouve toutes les personnes dont les noms sont écrits ici (il lui donne un papier), et dis-leur que la maison et le maître attendent leur bon plaisir.
(Sortent Capulet et Pâris.)
LE DOMESTIQUE.—Trouver ceux dont les noms sont écrits, ici! Il est écrit que le cordonnier se servira de sa toises et le tailleur de pierres de sa forme; le pêcheur de son pinceau, et le peintre de ses filets. Mais on m'envoie chercher les personnes dont les noms sont inscrits là-dessus, et je ne pourrai jamais trouver les noms que l'écrivain a écrits là-dessus. Il faut que je m'adresse aux savants… dans un moment…
(Entrent Benvolio et Roméo.)
BENVOLIO.—Allons, mon cher, la flamme est un remède à la brûlure qu'a faite une autre flamme; une douleur est diminuée par l'angoisse d'une autre; tournez jusqu'à vous étourdir et vous vous remettez en tournant dans l'autre sens; un chagrin désespéré se guérit par la langueur d'un nouveau chagrin. Laisse entrer dans tes yeux un nouveau poison, et l'ancien venin perdra toute son âcreté.
ROMÉO.—Votre feuille de plantain est excellente pour cela.
BENVOLIO.—Pour quel mal, je t'en prie?
ROMÉO.—Pour vos os brisés?
BENVOLIO.—Allons, Roméo, es-tu fou?
ROMÉO.—Non, pas fou, mais lié plus que ne le serait un fou, tenu en prison, privé d'aliments, fustigé, tourmenté, et..... Bonsoir, mon bon garçon.
LE DOMESTIQUE.—Dieu vous donne le bonsoir.—Je vous en prie, monsieur, savez-vous lire?
ROMÉO.—Oui, c'est un bonheur que j'ai dans ma misère.
LE DOMESTIQUE.—Peut-être l'avez-vous appris sans livres: mais, je vous prie, pouvez-vous lire tout ce que vous voyez?
ROMÉO.—Oui, si je connais les caractères et la langue.
LE DOMESTIQUE.—C'est répondre sincèrement; tenez vous en joie.
ROMÉO.—Arrêtez, mon ami, je sais lire. (Il lit.) «Le seigneur Martino, sa femme et sa fille; le comte Anselme et ses charmantes soeurs; la dame veuve de Vitruvio; le seigneur Placentio et ses aimables nièces; Mercutio et son frère Valentin; mon oncle Capulet, sa femme et ses filles; ma jolie nièce Rosaline; Livia; le seigneur Valentio et son cousin Tybalt, Lucio et l'agréable Hélène.» C'est une belle assemblée. (Il lui rend le papier.) Où doit-elle se réunir?
LE DOMESTIQUE.—Là-haut.
ROMÉO.—Où, là-haut?
LE DOMESTIQUE.—A souper, à la maison.
ROMÉO.—A la maison de qui?
LE DOMESTIQUE.—De mon maître.
ROMÉO.—Au fait, c'est ce que j'aurais dû vous demander d'abord.
LE DOMESTIQUE.—Maintenant je vous dirai, sans que vous me le demandiez, que mon maître est le puissant et riche Capulet; et si vous n'êtes pas de la maison de Montaigu, je vous invite à venir avaler un verre de vin. Tenez-vous en joie.
(Il sort.)
BENVOLIO.—A cette ancienne fête des Capulet soupera Rosaline, celle que tu aimes tant: avec toutes les beautés qu'on admire à Vérone. Viens-y, et d'un oeil sans prévention compare sa figure avec quelques autres que je te montrerai, et ton cygne ne te paraîtra plus qu'une corneille.
ROMÉO.—Quand la religieuse dévotion de mes yeux pourra me soutenir un pareil mensonge, que mes larmes se changent en flammes, et que ces hérétiques diaphanes, si souvent noyés sans pouvoir mourir, soient brûlés comme imposteurs. Une femme plus belle que mon amante! Le soleil qui voit tout n'a jamais vu son égale depuis le commencement du monde.
BENVOLIO.—Bon, vous l'avez vue belle parce qu'il n'y avait personne autre à côté; elle se balançait elle-même dans vos deux yeux: mais pesez dans ces balances de cristal la dame de vos pensées avec telle autre jeune fille que je vous montrerai brillant à cette fête, et à peine trouverez-vous bien celle qui vous paraît maintenant la plus belle de toutes.
ROMÉO.—J'irai, non pour y voir un semblable objet, mais pour m'y pénétrer de plaisir dans la splendeur de celui qui m'est cher.
(Ils sortent.)
GREGORY. No, for then we should be colliers.
SAMSON. I mean, an we be in choler we'll draw.
GREGORY. Ay, while you live, draw your neck out, o'the collar.
Carry coals (porter du charbon) était, du temps de Shakspeare, une expression proverbiale en anglais pour dire supporter des injures. Samson, jouant sur les deux sens de cette expression, répond: Non, car nous serions des charbonniers. Il a fallu changer cette réplique de Samson pour qu'elle se rapportât à l'expression avaler des pilules, la seule qui, en français puisse rendre carry coals. On a été de même obligé à quelques légères altérations dans les deux répliques suivantes, dont la plaisanterie porte sur la consonance des mots choler (colère) et collar (collier, collier de fer). La même liberté, et de plus grandes encore seront souvent indispensables dans le cours de cette pièce, pour donner un sens quelconque à cette suite de jeux de mots, de calembours, de quolibets, dont se compose, durant les deux premiers actes, la conversation de presque tous les personnages, et aussi pour éviter ou adoucir quelques plaisanteries trop grossières. C'est un travail ingrat autant que rebutant de chercher dans la partie burlesque de notre langue de quoi travestir convenablement des bouffonneries où l'esprit ne peut découvrir d'autre mérite que celui qu'elles empruntent de ce grotesque attirail, et où l'on est à chaque instant tenté de demander pardon au lecteur de la peine qu'on prend pour lui transmettre ces puérilités: mais c'est Shakspeare qu'il s'agit de faire connaître, ou du moins le goût de ce temps d'où est sorti Shakspeare.
ROM. Out.
BENV. Of love?
ROM. Out of her… etc.
Out of love signifie ici par amour. Benvolio, selon l'usage des jeunes gens de cette pièce de ne parler presque jamais sérieusement, veut tourner en plaisanterie la réponse de Roméo, en lui faisant dire qu'il est amoureux par amour. Cela ne pouvait se rendre.