Kitabı oku: «Roméo et Juliette», sayfa 3
SCÈNE III
Un appartement de la maison de Capulet.
LA SIGNORA CAPULET, LA NOURRICE de Juliette.
LA SIGNORA CAPULET.—Nourrice, où est ma fille? Appelle-la, qu'elle vienne.
LA NOURRICE.—Dans l'instant, sur mon honneur12..... à l'âge de douze ans—Je lui ai dit de venir.....—Quoi, mon agneau, mon oiseau du bon Dieu..... Dieu nous préserve..... Où est donc cette petite fille? Juliette!
(Entre Juliette.)
JULIETTE.—Allons, qui m'appelle?
LA NOURRICE.—Votre mère.
JULIETTE.—Me voici, madame; que voulez-vous?
LA SIGNORA CAPULET.—Voici de quoi il s'agit.—Nourrice, laisse-nous un moment, nous avons à parler en secret.—Non, reviens, nourrice, je me suis ravisée; tu entendras notre entretien.—Tu sais que ma fille est d'un âge raisonnable.
LA NOURRICE.—Ma foi, je puis vous dire son âge à une heure près.
LA SIGNORA CAPULET.—Elle n'a pas quatorze ans.
LA NOURRICE.—J'y mettrais quatorze de mes dents qu'elle n'a pas encore quatorze ans..... (et cependant à mon grand chagrin, je vous dis, je vous douze13 qu'il ne m'en reste plus que quatre).... Combien avons-nous d'ici à la Saint-Pierre?
LA SIGNORA CAPULET.—Une quinzaine et quelques jours par-dessus14.
LA NOURRICE.—Par-dessus ou par-dessous, c'est précisément ce jour-là. Vienne la veille de la Saint-Pierre au soir, elle aura quatorze ans.—Suzanne et elle (Dieu fasse paix à toutes les âmes chrétiennes!) étaient du même âge....—C'est bien; Suzanne est avec Dieu; elle était trop bonne pour moi.—Mais, comme je disais, la veille au soir de la Saint-Pierre, elle aura quatorze ans; elle les aura, sûr; je me le rappelle à merveille. Il y a à présent onze ans du tremblement de terre, et elle fut sevrée, jamais je ne l'oublierai, précisément ce jour-là parmi tous les jours de l'année; car j'avais frotté d'absinthe le bout de mon sein, j'étais assise au soleil contre le mur du colombier; mon maître et vous étiez alors à Mantoue…—Oh! j'ai de la mémoire; et comme je vous disais, dès qu'elle eut goûté de l'absinthe sur le bout de mon sein, et qu'elle l'eut trouvée amère, il fallait la voir, pauvre petite, se fâcher et se mettre en colère contre le sein. Comme je disais, voilà le colombier qui tremble. Oh! il ne fut pas besoin, je vous jure, de me dire de trotter, et depuis ce temps-là, il y a onze ans, car elle se tenait déjà seule; quoi! avec le bout de la baguette elle courait et roulait tout partout: car, tenez, c'était la veille qu'elle s'était cassé la tête; et alors mon mari, Dieu veuille avoir son âme, c'était un drôle de corps! il releva l'enfant: «Comment, dit-il, tu te laisses tomber sur le nez! quand tu auras plus d'esprit, tu tomberas en arrière; n'est-ce pas, Jules?» et, par Notre-Dame, la petite coquine cessa de pleurer, et dit: «Oui.» Voyez pourtant ce que c'est qu'une plaisanterie. J'en réponds, je vivrais mille ans que je ne l'oublierais jamais: «N'est-ce pas, Jules?» dit mon mari: et la petite morveuse finit tout de suite et dit: «Oui…»
LA SIGNORA CAPULET.—En voilà assez; je t'en prie, tais-toi.
LA NOURRICE.—Oui, madame; et pourtant je ne peux pas m'empêcher de rire quand je pense comme elle cessa de crier et dit: «Oui…» Et pourtant, je vous jure, elle avait sur le front une bosse aussi grosse que la coquille d'un poulet. C'était un coup terrible, et elle pleurait amèrement. «Comment, dit mon mari, tu te laisses tomber sur le nez! Tu tomberas en arrière quand tu seras plus grande; n'est-ce pas, Jules?» Elle finit tout de suite et dit: «Oui.»
JULIETTE.—Finis, nourrice, finis, je t'en prie, quand je te le dis.
LA NOURRICE.—Allons, j'ai fini. Que Dieu te marque de sa grâce! Tu étais la plus jolie petite enfant que j'aie jamais nourrie: si je peux vivre assez pour te voir mariée, je n'en demande pas davantage.
LA SIGNORA CAPULET.—Et le mariage est justement le sujet dont je suis venu causer avec elle.—Dites-moi, ma fille Juliette, avez-vous envie de vous marier?
JULIETTE.—C'est un honneur auquel je n'ai jamais pensé.
LA NOURRICE.—Un honneur! Si je n'avais pas été ta seule nourrice, je dirais que tu as sucé la sagesse avec le lait.
LA SIGNORA CAPULET.—Eh bien! pensez maintenant au mariage. Il y a dans Vérone des femmes plus jeunes que vous, considérées et déjà mères; et moi, je m'en souviens bien, j'étais déjà votre mère longtemps avant l'âge où vous voilà fille encore; enfin, en un mot, le brave Pâris vous adresse ses voeux.
LA NOURRICE.—C'est un homme, jeune dame… madame, c'est un homme comme tout le monde… Vraiment, il semble moulé en cire.
LA SIGNORA CAPULET.—L'été de Vérone n'a pas une fleur qui puisse lui être comparée.
LA NOURRICE.—Oh! vraiment, c'est une fleur; ma foi, oui, une vraie fleur.
LA SIGNORA CAPULET.—Qu'en dites-vous? Vous sentez-vous du goût pour ce gentilhomme? Ce soir, vous le verrez à notre fête. Parcourez tout le livre15 de la figure du jeune Pâris, et vous y apercevrez le plaisir écrit avec la plume de la beauté. Examinez ces traits si bien d'accord, et vous verrez comme ils s'expliquent l'un l'autre; et ce que peut encore offrir d'obscur ce charmant volume, vous le trouverez écrit dans la marge de ses yeux. Ce précieux livre d'amour, cet amant encore sans liens ne demande, pour compléter sa beauté, que l'ornement dont il va se couvrir. C'est la mer qui fait vivre le poisson; et la beauté doit être orgueilleuse de donner asile à la beauté. Le livre qui sous ses fermoirs d'or enserre la légende dorée en partage la gloire aux yeux de tous: ainsi, en le possédant, vous partagerez tout ce qui lui appartient sans rien diminuer du vôtre.
LA NOURRICE.—Diminuer! non, en vérité; elle grossira plutôt: les femmes grossissent par le moyen des hommes.
LA SIGNORA CAPULET.—Répondez-moi en un mot: l'amour de Pâris pourrait-il vous plaire?
JULIETTE.—Je verrai à le trouver agréable si le voir peut faire qu'il m'agrée. Mais mon regard ne pénétrera pas plus avant que le point où votre consentement lui donnera la force de se lancer.
(Entre un domestique.)
LE DOMESTIQUE.—Madame, les convives sont arrivés, le souper est servi, on vous attend; on demande ma jeune maîtresse; on jure, dans l'office, après la nourrice; toutes choses sont à point. Il faut que j'aille servir, je vous en prie, venez sur-le-champ.
LA SIGNORA CAPULET.—Nous te suivons. Allons, Juliette, le comte nous attend.
LA NOURRICE.—Allez, ma fille, chercher ce qui donnera d'heureuses nuits à vos heureux jours.
(Elles sortent.)
SCÈNE IV
Une rue.
Entrent ROMÉO, MERCUTIO, BENVOLIO, avec cinq ou six autres masques et des porteurs de flambeaux.
ROMÉO.—Eh bien! est-ce là ce que nous dirons pour notre excuse, ou entrerons nous sans apologie?
BENVOLIO.—Tous ces bavardages-là sont du temps passé16.
Nous n'aurons point de Cupidon avec son bandeau et son écharpe, portant un arc à la tartare fait de latte peinte, pour effrayer les dames au hasard, comme un homme qui chasse les corneilles; nous n'aurons pas non plus de ces prologues sans livres répétés en traînant après le souffleur au moment de notre entrée. Qu'ils nous mesurent des yeux comme il leur plaira, nous leur mesurerons une mesure de danse, et nous voilà partis.
ROMÉO.—Donnez-moi une torche; ces gambades ne me vont pas. Sombre17 comme je le suis, c'est à moi à porter le flambeau.
MERCUTIO.—Vraiment, mon cher Roméo, il faudra bien que vous dansiez.
ROMÉO.—Non pas moi, croyez-moi. Vous autres, vous avez des souliers à danser et le pied léger; moi, j'ai une âme de plomb qui me cloue tellement à terre que je ne saurais remuer.
MERCUTIO.—Vous êtes amoureux, empruntez les ailes de l'Amour pour vous élancer au delà des hauteurs ordinaires.
ROMÉO.—Il m'a lancé un dard qui me perce trop cruellement pour que je puisse me lancer sur ses ailes légères; et enchaîné18 comme je le suis, je ne puis m'élever au-dessus de ma sombre tristesse: je succombe sous le pesant fardeau de l'Amour.
MERCUTIO.—Et en succombant vous écraserez l'Amour: vous êtes un poids trop fort pour quelque chose de si délicat.
ROMÉO.—L'Amour délicat! il est dur, rude, ingouvernable, piquant comme l'épine.
MERCUTIO.—Si l'Amour vous mène rudement, menez rudement l'Amour; s'il vous pique, donnez de l'éperon et vous le mettrez à bas. Allons, une boîte pour mon visage; c'est un masque pour un masque. (Il met son masque.) Que m'importe à présent quel oeil curieux remarque mes difformités? Voici un front refrogné qui rougira pour moi.
BENVOLIO.—Allons, frappe, et entrons; et aussitôt entrés, que chacun ait recours à ses jambes.
ROMÉO.—Donnez-moi une torche. Que des étourdis légers de coeur effleurent de leurs pieds les joncs insensibles19. Pour moi, je tiendrai, comme on dit, la chandelle, et je regarderai. Ce qui me convient, c'est le proverbe des grand'mères: «La fête n'a jamais été si belle, et je m'en vas20.»
MERCUTIO.—Bon, bon, à la nuit tous chats sont gris; c'est le mot du constable: et si tu es gris, nous te tirerons, sauf respect, de la mare où cet amour t'a enfoncé jusqu'aux oreilles. Venez, nous brûlons le jour21. Holà!
ROMÉO.—Cela n'est pas ainsi.
MERCUTIO.—Je veux dire, mon cher, qu'en nous arrêtant ainsi nous dépensons notre lumière sans profit, comme des lampes qui brûleraient le jour. Il faut voir dans ce que nous disons ce que nous avons intention de dire, car c'est là que la raison se trouvera cinq fois plutôt qu'une seule dans nos cinq sens.
ROMÉO.—Oui, nous avons bonne intention en allant à cette mascarade; mais il n'est pas raisonnable d'y aller.
MERCUTIO.—Peut-on te demander pourquoi?
ROMÉO.—J'ai fait un songe cette nuit.
MERCUTIO.—Et moi aussi.
ROMÉO.—Eh bien! qu'avez-vous rêvé?
MERCUTIO.—Que ceux qui rêvent mentent souvent22.
ROMÉO.—Oui, lorsqu'endormis dans leur lit ils rêvent des choses vraies.
MERCUTIO.—Oh! je vois que la reine Mab vous a visité cette nuit: c'est la fée sage-femme23. Elle vient, petite et légère comme l'agate placée à l'index d'un alderman, traînée par un attelage de minces atomes, et parcourt le nez des hommes pendant leur sommeil. Les rayons de ses roues sont faits de longues pattes de faucheur; l'impériale de sa voiture d'ailes de sauterelles; ses traits de la plus fine toile d'araignée; ses harnais des rayons humides d'un clair de lune. Le manche de son fouet est un os de grillon, et la mèche une mince pellicule. Son postillon est un petit moucheron vêtu de gris, pas à moitié si gros que le petit ver rond retiré avec la pointe d'une aiguille du doigt d'une jeune fille. Son chariot est une coquille de noisette vide travaillée par l'écureuil, ouvrier en bois, ou par le vieux ver, de temps immémorial associé des fées. C'est dans cet équipage qu'elle galope toutes les nuits au travers du cerveau des amants, et ils rêvent d'amour; sur les genoux des hommes de cour, et ils rêvent aussitôt de révérences; sur les doigts des gens de loi, et sur-le-champ ils rêvent d'épices; sur les lèvres des dames, et à l'instant elles rêvent de baisers: mais souvent Mab irritée les punit par des boutons d'avoir empesté leur haleine en mangeant des confitures24. Quelquefois elle galope sur le nez d'un courtisan, et il rêve qu'il flaire une place à solliciter. Quelquefois elle vient, avec la queue d'un pourceau de dîme, chatouiller le nez d'un prébendaire endormi, et il rêve d'un second bénéfice. Tantôt elle dirige son char sur le cou d'un soldat, et il rêve d'ennemis qu'il pourfend, de brèches, d'embuscades, de coutelas d'Espagne, de rasades profondes de cinq brasses: alors elle bat le tambour à son oreille; il s'éveille en sursaut, et dans sa frayeur il jure une ou deux invocations, puis se rendort. C'est cette même Mab qui pendant la nuit mêle la crinière des chevaux et la frise en sales tampons de crins ensorcelés, qui, une fois débrouillés, présagent de grands malheurs. C'est la sorcière qui pèse sur le sein des jeunes filles étendues dans leur lit, pour leur apprendre à supporter et en faire des femmes fortes25. C'est elle qui…
ROMÉO.—Paix, paix, Mercutio, paix; ce sont des riens que tu nous dis là.
MERCUTIO.—Tu as raison, car je parle de songes, enfants d'un cerveau oisif, produit de quelques vaines chimères, d'une substance aussi légère que l'air, et plus inconstante que le vent, qui, caressant le sein glacé du nord, s'irrite soudain, et, par une bouffée contraire, tourne sa face vers le midi qui verse la rosée.
BENVOLIO.—Ce vent dont vous nous parlez nous rejette loin de nous-mêmes. Le souper est fini et nous arriverons trop tard.
ROMÉO.—Trop tôt, au contraire, j'en ai peur. Un pressentiment funeste semble me dire qu'au milieu des réjouissances de cette nuit quelque événement encore suspendu dans les astres va commencer son cours terrible, et amener, par le traître coup d'une mort prématurée, le terme de cette vie méprisée que je renferme en mon sein. Mais, que celui qui gouverne ma course dirige ma voile! Allons, joyeux seigneurs.
BENVOLIO.—Battez, tambours.
(Ils sortent.)
SCÈNE V
Une salle de la maison de Capulet, garnie de musiciens.
Entrent des DOMESTIQUES.
PREMIER DOMESTIQUE.—Où est Potpan, qu'il ne m'aide pas à desservir? Lui, manier le tranchoir! jouer du tranchoir!
SECOND DOMESTIQUE.—Quand le bon air d'une maison est remis dans les mains d'un ou deux hommes, et des mains sales encore, cela fait mal au coeur26.
PREMIER DOMESTIQUE.—Emporte les pliants, dérange le buffet, aie l'oeil à la vaisselle. Mon cher, mets de côté pour moi un morceau de massepain27; et si tu veux me faire plaisir, tu diras au portier de laisser entrer Suzanne Grindstone et Nell.—Antoine! Potpan!
SECOND DOMESTIQUE.—Oui, mon garçon, nous voilà.
PREMIER DOMESTIQUE.—On a besoin de vous, on vous appelle, on vous demande, on vous cherche dans la grande salle.
SECOND DOMESTIQUE.—Nous ne pouvons pas être ici et là en même temps. Allons, gai, mes amis; soyons vifs un moment, et que celui qui vivra le dernier emporte tout.
(Ils se retirent.)
(Entrent Capulet, les convives et les masques.)
CAPULET.—Cavaliers, soyez les bienvenus. Voilà des dames à qui les cors ne font pas mal au pied, et qui vous donneront bien un tour de danse.—Ah, ah! mesdames, laquelle de vous refusera de danser maintenant? Celle qui fera la dégoûtée, je protesterai qu'elle a des cors aux pieds. Est-ce là vous serrer de près?—Cavaliers, soyez les bienvenus. J'ai vu le temps où je portais un masque aussi, et où je pouvais conter mes histoires tout bas à l'oreille d'une belle dame, et de manière à ne pas lui déplaire. Ce temps est passé; il est passé, passé.—Vous êtes les bienvenus, cavaliers.—Allons, musiciens, commencez. En cercle, en cercle, faites place; et vous, jeunes filles, sautez. (Les instruments jouent et l'on danse.) Holà! valets, encore des lumières, relevez les tables contre le mur; éteignez le feu, la salle devient trop chaude.—Allons, mon cher, voilà un divertissement imprévu qui ne prend pas mal. Asseyez-vous, asseyez-vous, bon cousin Capulet; car vous et moi nous avons passé nos jours de danse. Combien y a-t-il de temps que vous et moi nous avons porté un masque pour la dernière fois?
SECOND CAPULET.—Par Notre-Dame, il y a trente ans.
CAPULET.—Comment donc, mon cher? il n'y a pas tant, il n'y a pas tant. C'était à la noce de Lucentio: il y aura, vienne la Pentecôte quand elle voudra, quelque vingt-cinq ans; nous y allâmes en masque.
SECOND CAPULET.—Il y a davantage, davantage: son fils est plus âgé que cela; son fils a trente ans.
CAPULET.—Vous me direz cela, à moi? Il y a deux ans que son fils était encore mineur.
ROMÉO.—Quelle est cette dame dont s'est enrichie la main de ce cavalier?
UN DOMESTIQUE.—Je ne la connais pas, monsieur.
ROMÉO.—Oh! c'est d'elle que la flamme de ces flambeaux doit apprendre à briller. Sa beauté près de ce visage semblable à la nuit ressemble à un joyau attaché à l'oreille d'un Éthiopien: beauté trop brillante pour les usages de la vie, trop précieuse pour la terre! Telle une blanche colombe parmi les corbeaux, telle paraît cette dame auprès de ses compagnes. Quand la danse aura cessé, j'observerai où elle se tient; et je rendrai heureuse ma main téméraire en touchant la sienne. Mon coeur a-t-il aimé jusqu'à ce moment? Protestez du contraire, mes yeux, car jusqu'à cette nuit je n'avais jamais vu la véritable beauté.
TYBALT.—A sa voix, cet homme doit être un Montaigu. Garçon, donne-moi ma rapière. Comment, ce misérable osera venir ici, caché sous un masque grotesque, pour dénigrer et ridiculiser notre fête! Par la tige et l'honneur de ma race, je ne crois pas pécher en lui donnant le coup de la mort.
CAPULET.—Qu'est-ce que c'est, mon neveu? Pourquoi tempêtez-vous ainsi?
TYBALT.—Mon oncle, cet homme est un Montaigu, notre ennemi; un traître qui est venu ici ce soir, en haine de nous, pour se moquer de notre fête.
CAPULET.—Est-ce le jeune Roméo?
TYBALT.—C'est lui-même, ce traître de Roméo.
CAPULET.—Modère-toi, mon cher neveu; laisse-le en paix, il a l'air d'un noble cavalier; et, pour dire la vérité, tout Vérone le vante comme un jeune homme vertueux et d'une conduite honorable. Je ne voudrais pas, pour tous les trésors de cette ville, lui faire ici, dans ma maison, la moindre insulte. Sois donc patient, ne fais pas attention à lui: c'est ma volonté; et si tu la respectes, tu prendras un visage gracieux et quitteras cet air de mauvaise humeur qui sied mal dans une fête.
TYBALT.—Il sied très-bien quand un pareil traître devient votre convive: je ne le souffrirai pas.
CAPULET.—Vous le souffrirez vraiment, mon petit ami! Je vous dis que vous le souffrirez. Allons donc; est-ce moi qui suis le maître ici, ou bien vous? Allons donc, vous ne le souffrirez pas? Dieu me pardonne! vous allez mettre le trouble parmi mes hôtes, vous prendrez les airs d'un coq sur son panier28! vous ferez le maître!....
TYBALT.—Mais, mon oncle, c'est une honte....
CAPULET.—Allez, allez, vous êtes un jeune insolent.... Nous verrons vraiment.... Cette farce pourrait bien vous tourner mal. Je sais ce que je dis. Il faudra que vous veniez ici me contrarier! En vérité, vous prenez bien votre temps.—A merveille, mes enfants.—Vous n'êtes qu'un fat, allez; tenez-vous tranquille, ou....—Encore des lumières; encore des lumières. N'avez-vous pas de honte?—Je vous forcerai bien à être tranquille. Comment!—Allons, gai, mes enfants.
TYBALT.—Cette patience forcée, et la colère à laquelle je voudrais m'abandonner, font, en se heurtant, trembler tout mon corps des assauts qu'elles se livrent. Je m'en irai; mais cette intrusion qui semble douce maintenant, se changera en fiel amer.
(Il sort.)
ROMÉO, à Juliette.—Si d'une main trop indigne j'ai profané la sainteté de l'autel, voici la douce expiation de ma faute: mes lèvres, pèlerins rougissants, sont prêtes à adoucir par un tendre baiser la rude impression de ma main.
JULIETTE.—Bon pèlerin, vous faites injure à votre main, qui n'a montré en ceci qu'une dévotion pleine de convenance; car les saints ont des mains que peuvent toucher celles des pèlerins; et joindre les mains est le baiser du pieux voyageur en terre sainte.
ROMÉO.—Les saints n'ont-ils pas des lèvres? et les pieux voyageurs aussi?
JULIETTE.—Oui, pèlerin, des lèvres qu'ils doivent employer à prier.
ROMÉO.—Oh! s'il en est ainsi, chère sainte, permets aux lèvres de faire l'office des mains: elles te prient, exauce leur prière, de peur que ma foi ne se change en désespoir.
JULIETTE.—Les saints ne bougent pas, bien qu'ils exaucent la prière qui leur est faite.
ROMÉO.—Alors ne bougez pas, tandis que je vais recueillir le fruit de ma prière: ainsi vos lèvres auront purifié les miennes de leur péché.
(Il lui donne un baiser.)
JULIETTE.—Alors mes lèvres doivent avoir pris le péché dont elles ont déchargé les vôtres.
ROMÉO.—Pris le péché de mes lèvres! ô faute doucement punie! Rendez-moi mon péché.
JULIETTE.—Vous donnez des baisers avec méthode29.
LA NOURRICE.—Madame, votre mère veut vous dire un mot.
ROMÉO.—Quelle est sa mère?
LA NOURRICE.—Vraiment, jeune homme; sa mère est la maîtresse de la maison, et c'est une bonne dame, sage et vertueuse. J'ai nourri sa fille avec qui vous causiez; et je dis que celui qui mettra la main dessus aura du comptant.
ROMÉO.—C'est une Capulet!—Oh! qu'il va m'en coûter cher! ma vie est engagée à mon ennemie.
BENVOLIO.—Allons, Roméo, partons, la fête est à son plus beau moment.
ROMÉO.—Oui, j'en ai peur, et mon tourment n'en est que plus grand.
CAPULET.—Arrêtez, cavaliers, ne songez pas encore à nous quitter: nous avons là une ridicule petite collation sans cérémonie.—Vous le voulez donc absolument? Allons, je vous remercie tous; je vous remercie, honnêtes cavaliers; bonne nuit.—Encore des torches par là!—Allons, allons donc chercher nos lits. Ah! par ma foi, mon cher (au second Capulet), il se fait tard. Je vais aller me reposer.
(Ils sortent.)
JULIETTE.—Approche, nourrice; dis-moi, quel est ce cavalier?
LA NOURRICE.—C'est le fils et l'héritier du vieux Tibério.
JULIETTE.—Quel est celui qui sort actuellement?
LA NOURRICE.—Je crois, ma foi, que c'est le jeune Pétruccio.
JULIETTE.—Et celui qui le suit, qui ne voulait pas danser?
LA NOURRICE.—Je ne le connais pas.
JULIETTE.—Va, demande son nom.—S'il est marié, il est probable que mon tombeau sera mon lit nuptial.
LA NOURRICE.—Son nom est Roméo: c'est un Montaigu, le fils unique de votre grand ennemi.
JULIETTE.—Mon unique amour lié de l'unique objet de ma haine!.... Je l'ai vu trop tôt sans le connaître! et je l'ai connu trop tard! O prodige de l'amour qui vient de naître en moi, que je sois forcée d'aimer un ennemi détesté!
LA NOURRICE.—Qu'est-ce que c'est? qu'est-ce que c'est?
JULIETTE.—Un vers que je viens d'apprendre de quelqu'un avec qui j'ai dansé.
(Une voix dans l'intérieur appelle Juliette.)
LA NOURRICE.—Tout à l'heure, tout à l'heure. (A Juliette.) Venez, allons-nous-en; tous les étrangers sont partis.
(Elles sortent.)
(Entre le choeur.)
LE CHOEUR.—Une ancienne passion languit maintenant sur son lit de mort, et de jeunes désirs soupirent après son héritage. Cette beauté pour qui l'amour gémissait et demandait à mourir, comparée à la tendre Juliette, a maintenant cessé d'être belle. Maintenant Roméo est aimé, et il aime à son tour; la magie des regards a jeté sur eux le même charme. Cependant il faut qu'il se plaigne à celle qu'il croit son ennemie, et qu'elle dérobe sur de cruels hameçons le doux appât de l'Amour. Étant tenu pour un ennemi, il ne pourra avoir accès près d'elle pour exprimer ces voeux que les amants ont accoutumé de jurer; tandis qu'elle, aussi pressée d'amour, aura bien moins de moyens encore de chercher à rencontrer celui qu'elle aime depuis un moment, mais la passion leur prête sa puissance, l'occasion leur fournira les moyens de se rapprocher, et tempérera leur détresse par une douceur extrême.
(Il sort.)
FIN DU PREMIER ACTE
The game was never so fair and I am done.Tut, dun's the mouse, the constable's word,If thou art dun, we'll draw thee from the mire, etc. Il y a ici entre done et dun un jeu de mots intraduisible. Dun's the mouse (la souris est grise) serait, selon les commentateurs, un proverbe équivalent à notre proverbe: A la nuit, tous chats sont gris. Mais ils se trouvent hors d'état d'expliquer suffisamment l'allusion contenue dans ces mots the constable's word. En adoptant dans la traduction leur version sur le dun's the mouse, je serais plutôt tenté d'y voir un jeu de mots employé par quelque constable dans une occasion où, ayant à se saisir d'un malfaiteur, il aura employé, pour avertir ses gens sans alarmer celui qu'il cherchait, ces mots insignifiants, dun's the mouse (la souris est grise), pour ceux-ci, done's the mouse (la souris est prise, c'en est fait de la souris). Quoi qu'il en soit, cette explication n'est pas plus mauvaise qu'aucune de celles qu'ont données les commentateurs. Dun out from the mire était une ancienne chanson: on a substitué à cette allusion impossible à rendre un jeu de mots sur ces deux sens du mot gris, qui n'est point dans Shakspeare, à charge de revanche.