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Kitabı oku: «Histoire des salons de Paris. Tome 6», sayfa 14

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SALON DE MADAME REGNAULT DE SAINT-JEAN-D'ANGÉLY,
À PARIS ET AU VAL

Parmi les femmes qui, à la fin du dernier siècle et au commencement de celui-ci, marquèrent par leur beauté, madame Regnault de Saint-Jean-d'Angély tient une des premières places. Elle était parfaitement belle, surtout en 1795 et 1796, au moment où l'armée d'Italie avait ses quartiers à Milan. Son portrait, par Gérard, est à peu près de cette époque; elle y est représentée comme une femme de vingt ans à peu près112.

Madame Regnault de Saint-Jean-d'Angély est une personne que je connais depuis longtemps et que j'ai toujours aimée; elle a de l'esprit, de l'instruction, des talents, et tout ce qu'il faut au cœur pour de solides amitiés; c'est une femme qu'on recherche, qui plaît et qu'on aime quand on la connaît…

Regnault de Saint-Jean-d'Angély n'était pas tout à fait aussi aimable que sa femme; sans doute il avait du talent comme orateur, mais il était un peu brutal, et souvent plus cynique qu'il n'aurait fallu qu'il le fût avec les femmes qui étaient chez lui; mais après tout il avait de la bonté, et puis, pour ceux qui aiment l'Empereur, Regnault de Saint-Jean-d'Angély était un homme vraiment digne d'être apprécié comme un des plus fidèles serviteurs de Napoléon. Cette différence d'amabilité entre le mari et la femme formait une disparate qui quelquefois causait de la rumeur dans le salon de la jolie maison de la rue du Mont-Blanc où nous nous réunissions bien souvent alors.

J'étais fort liée avec madame Regnault dès les premiers temps de mon mariage. Junot était ami de Regnault, et comme sa femme me plaisait, nous nous liâmes, et la chose fut d'autant plus facile que les mêmes liens de société nous furent communs, et lorsque madame Marmont revint d'Italie avec son mari, après la campagne de Marengo, ces relations furent encore plus étendues. Madame Regnault voyait comme moi M. et madame Marmont, M. et madame Maret, M. et madame Duroc, Savary et sa femme, Eugène Beauharnais, et… Que dirai-je? presque toutes les femmes et les maris, dans les premières années du Consulat, étaient plus réunis que par la suite, et faisaient moins maison à part, et nous nous connaissions mutuellement beaucoup.

Regnault de Saint-Jean-d'Angély était un homme d'un grand savoir, dont Napoléon faisait grand cas. Y avait-il un cas difficile à résoudre, c'était toujours Regnault qui en était chargé. Son affection pour l'Empereur, après cela, entrait pour quelque peu dans la réputation qu'on lui accordait; mais il en avait une grande et méritée par lui-même.

Il lui arriva une singulière histoire, la première année où il fut propriétaire de son petit hôtel, rue du Mont-Blanc.

Il était un matin à s'habiller, lorsqu'on lui dit qu'un monsieur fort bien mis demandait à lui parler seul. Regnault achève de s'habiller et fait entrer le monsieur. Sa femme était dans la pièce voisine.

Le monsieur était un homme de cinquante ans environ; ses manières étaient distinguées, et tout en lui annonçait un homme comme il faut. Regnault avait le tact prompt, et lorsqu'il faisait mal, c'était sa faute. Il s'avança vers le monsieur et lui demanda en quoi il pouvait lui être utile.

M. DE ***

Monsieur, ma demande et ma présence sont toutes deux étranges chez vous, mais non dans cette maison… car… elle fut jadis à moi.

REGNAULT

Monsieur, j'ai acheté cette maison il y a un an, je l'ai payée comptant à mon notaire, et, certes, ce qu'elle vaut, si ce n'est plus; alors je…

M. DE ***

Oh! monsieur, je ne viens pas pour réclamer une somme qui ne m'est pas due par vous, je ne le sais que trop… j'ai une autre requête à vous présenter.

REGNAULT

Monsieur, s'il dépend de moi de vous être utile, comptez sur mon appui, et sur tout ce que je pourrai faire.

M. DE ***, regardant autour de lui

Monsieur, je dois vous annoncer que j'ai émigré; peut-être cet aveu…

REGNAULT

Monsieur, personne plus que moi ne respecte les opinions. Je suis indulgent pour les autres et demande même tolérance pour moi.

M. DE ***

J'ai donc émigré, monsieur; mais ma femme avait une enfant trop jeune pour l'emmener avec moi… Elle resta! elle resta, monsieur!.. et elle périt sur cet échafaud que j'avais fui!.. Un vieux domestique demeura alors chargé du soin de ma pauvre petite fille… Ce vieux serviteur, demeuré seul avec l'enfant pendant la captivité de la mère, songea à mettre à l'abri ce qui restait de la fortune de ses parents, et, dans cette maison même, il enterra mon argenterie, les diamants de ma femme et une somme de trente mille francs en écus de six francs… Maintenant, monsieur, je me mets à votre disposition. Je sais que la maison est à vous, que tout ce qu'elle contient est à vous… et que…

MADAME REGNAULT, qui est survenue

Monsieur, depuis que votre domestique a enfoui cet argent, la maison a appartenu à une foule de gens dont nous ne pouvons répondre. Si par malheur le trésor que vous venez réclamer est enlevé, nous en serions bien malheureux, je vous le jure; mais s'il est encore ici, je suis caution pour mon mari qu'il vous le rendra à l'instant; n'est-ce pas, mon ami?

REGNAULT, embrassant sa femme

Bonne Laure! est-ce que cela se demande?

M. DE ***

Je puis donc espérer…

REGNAULT

Nous allons descendre dans le jardin pour voir…

M. DE ***

C'est dans la cave, et non pas dans le jardin, monsieur.

REGNAULT

Eh bien! dans la cave soit. Avez-vous un plan de la maison? car les caves sont vastes.

M. DE ***

Oui, monsieur. Et il tira en effet de sa poche une grande feuille de papier sur laquelle une sorte de plan grossier était tracé: tout y était indiqué avec le plus grand soin, mais mal fait.

REGNAULT

Monsieur, descendons; je fais des vœux pour que nous trouvions ce que vous cherchez.

M. DE ***, avec émotion

Vous êtes un noble et digne homme, monsieur!

REGNAULT

Bath! je ne suis pas meilleur qu'un autre… Tenez, demandez à ma femme, elle vous dira que j'ai de mauvais moments.

MADAME REGNAULT

Je ne me souviens que des bons moments: allons à la cave!

On chercha longtemps. M. de *** avait déjà fait au moins cinq ou six fois le tour des caves, et on n'avait rien trouvé. Regnault lui-même avait pris une petite bûche et cognait sur tous les murs. Partout des murs de communication, partout des murs pleins, et le monsieur, désespéré, était au moment d'abandonner sa recherche pour laisser en repos le nouveau maître de cette maison, dont la patience peut s'épuiser, et qui enfin peut le chasser. Mais il connaît mal Regnault. Regnault demeurera là jusqu'au soir; la seule contrariété qu'il éprouve, c'est de craindre qu'on ne trouve pas ce qu'on cherche. Enfin Regnault s'avise de cogner au bas du mur avec un bâton:

– Ah! s'écrie-t-il, il y a quelque chose là!

Tout le monde regarde, c'est évident; il y a un mouvement visible dans le mur… En effet, rien n'avait été sondé à cette hauteur; c'était à hauteur d'appui. On y met le marteau avec l'ordre de Regnault… M. de *** était là avec une impatience qui seule parlait pour l'avertir. Mais ce pouvait être un avertissement trompeur. Enfin, après la chute de quelques briques, lorsque la poussière fut éclaircie, on aperçut une grande caisse, avec tous les renseignements en double sur cette caisse, dans une feuille de plomb roulée.

Le monsieur fit son inventaire à mesure que les objets venaient les uns après les autres. Le pauvre émigré rayonna de joie en voyant cette richesse qui lui assurait une noble indépendance. Regnault jouissait de le voir toucher ces mêmes bijoux antiques, cette argenterie qu'avait possédée son père, et enfin tout ce qui lui était souvenir… Ce M. de ***, après avoir comparé avec la note, fit encore ses remerciements à Regnault et à sa femme, en leur demandant de croire à une éternelle reconnaissance. J'ignore ce qu'est devenu cet homme.

Cette aventure, par le soin extrême qu'on apportait à ce qu'on disait dans le monde sur les affaires intérieures, bonnes ou mauvaises, passa presqu'inaperçue, et les choses demeurèrent douteuses pour les curieux.

Regnault racontait cette histoire avec beaucoup d'esprit. Il disait comment l'émigré, M. de ***, avait retourné une grande soupière d'argent, en le regardant en dessous, comme pour le payer de ce qu'il était descendu à la cave, et la noble attitude de madame Regnault et son touchant intérêt l'empêchèrent probablement d'exécuter son projet.

Le fond de la société de Regnault était en grande partie sa famille et celle de sa femme, et puis des artistes très-distingués et hors de ligne. On sait que Garat y passait sa vie, Gérard également; Millin était aussi un habitué, comme Arnault, beau-frère de madame Regnault; Fourcroy, Chaptal, le duc de Bassano, et une foule de personnes qui sont connues, non-seulement par leur nom marquant dans l'Empire, mais par leur talent, leur savoir et leur esprit.

– Madame Regnault avait le goût de sa maison; elle avait aussi une jolie habitation, bien meublée, gaie et convenable pour l'époque. Il n'y avait qu'un salon, une salle à manger, une chambre à coucher et un boudoir, le tout avec les dépendances: voilà quel était l'appartement de madame Regnault de Saint-Jean-d'Angély jusqu'en 1808 ou 1809; son mari occupait le premier de la maison en 1808. Regnault acheta l'hôtel dans lequel il logeait, rue de Provence, no 56, et le fit magnifiquement meubler. Mais je crois que les bons rires que nous avons faits rue du Mont-Blanc ne se sont pas renouvelés rue de Provence.

Madame Regnault, qui entendait la vie du monde, et dont la mère, madame de Bonneuil, avait connu cette vie d'autrefois, madame Regnault me proposa un jour de souper: c'était une innovation, car on ne parlait plus de souper depuis la Révolution; mais madame Regnault voulut amener ce projet à sa fin. Un jour, donc, elle en parla à Regnault; il avait de l'humeur et l'envoya promener. Sa femme se tut et ne dit plus un mot du souper. Le soir venu, M. Regnault rentre de je ne sais quel spectacle, bâille au milieu de nous, étend les bras et s'en va dormir.

Junot était de notre souper; il n'arriva qu'à onze heures et demie, parce qu'il venait des Tuileries. Nous nous mîmes à rire, car nous étions en belle humeur; Junot racontait, et Arnault ne le laissait pas en chemin; cependant depuis plus d'une heure j'entendais une sorte de grondement que je ne pouvais définir: c'était au-dessus de ma tête. Enfin il devint si fort, que c'était comme un coup de vent dans une galerie. Madame Regnault nous dit alors:

– C'est mon mari qui est endormi et qui RONFLE.

Nous nous mîmes à rire… Mais le somnambule ne me fit pas rire, moi; je craignis qu'on ne l'éveillât, et il ne me paraissait pas gai à supporter en pareils moments. Je le dis tout bas à Junot, mais il n'en fit que rire. Madame Hamelin, madame Regnault, moi, mon mari, Auguste de Colbert, le comte de Fuentès, Alphonse Pignatelli, Millin, et puis madame Arnault, qu'alors on appelait Sophie, voilà quelles étaient les personnes qui soupaient chez madame Regnault. Nous avions beaucoup ri, et nous nous disposions à rire encore, lorsque j'entendis contre mon oreille un bruit étrange, comme le bruit du grondement; mais cette fois le grondement descendait l'escalier. Je fis signe, et à l'instant tout le monde, excepté moi, remplit son verre de vin de Champagne, et on demeura en panne jusqu'au moment où le voyageur entrerait. Comme il n'entendait plus rien, il ne savait plus que penser. Tout à coup le comique de cette position nous parut si bouffon, qu'un éclat de rire partit immédiatement comme un coup de tonnerre. À l'instant même la porte s'ouvrit, et je vis près de moi une sorte de spectre aux cheveux hérissés, la poitrine velue, et une tournure vraiment drôle en chemise, en pantalon et sans chapeau, comme on le pense bien. Mais aussi, au même instant que cette figure venait à nous, nous la saluâmes par des acclamations et par des vivat sans fin. Ce spectre, c'était Regnault, qui se plaignait que nous l'empêchions de dormir. – C'est bien plutôt toi, dit Junot, qui nous obsèdes avec tes vieilles histoires de ronflements auxquelles personne ne songe aujourd'hui. Allons, Regnault, sois raisonnable, et va te coucher. À ta santé, avec ton vin de Champagne; il est bon au reste:… où le prends-tu?

– Chez Ruinart.

– C'est bien ça, et moi aussi.

– Ah! tu le trouves bon! dit Regnault en se radoucissant; donne-m'en donc un verre.

– À condition, dit Junot, que tu diras: Vive l'Empereur!

– Quelle condition! s'écria Regnault, oui sans doute; et levant son verre, il cria de sa voix de tempête: À la santé de l'Empereur!..

Et prenant goût à la chose:

– Écoutez-moi comme si vous vouliez faire, dit-il… Et buvant un second verre de vin de Champagne, il n'eut bientôt plus de raison pour gronder les autres.

– Conviens que c'est amusant, un souper, Regnault?

– Oui, dit Regnault… Vive l'Empereur!

Regnault nous regarda avec des yeux qui nous firent rire de nouveau; il but encore trois ou quatre verres de vin de Champagne, mangea du pâté de foies gras, et bientôt il fut tout à fait en gaîté, mais sans être gris ni même attaqué.

– Vive l'Empereur! s'écriait-il… Allons, qu'on me fasse raison.

Pendant près d'une demi-heure la main de Regnault ne fut occupée qu'à se servir du brochet et à se verser du vin de Champagne; il laissait causer les autres. – Allons, lui dit Junot, va te recoucher, Regnault, et laisse-nous rire.

– Mais si tu faisais du tapage, on pourrait te faire un mauvais parti; va te coucher, et vive l'Empereur!

Il se leva, et s'en alla comme un bon garçon qu'il était alors. Nous rîmes joyeusement tout en causant, et le souper se prolongea jusqu'à trois heures du matin; et nous avions bien ri…

Ces soupers se renouvelèrent chez madame Regnault et chez moi. Madame Regnault avait quelquefois des ennuis à supporter avec Regnault, quoiqu'il l'aimât beaucoup; mais il avait des coups de boutoir terribles, et il faut bien des mots du cœur pour effacer le souvenir d'une brusquerie…

Au Val, charmante habitation que M. Regnault a parfaitement arrangée, il y avait une façon de vivre toute joyeuse; le bâtiment est gothique et l'intérieur est gothique, même pour l'habitation. Madame Regnault fit meubler ce château, ou plutôt cette abbaye, comme une habitation religieuse gothique, mais non pas comme un couvent… Chaque chambre avait son ameublement bien conforme à la position de la chambre, soit sur le parc, soit les cours. L'appartement de madame Regnault était comme un appartement de châtelaine: tous les meubles étaient gothiques; la plupart sont du temps de Louis XIV et du siècle antérieur… Tout y est bien et tout y est confortable.

La vie du Val était à peu près comme la vie de château dans tous les châteaux de France. Madame Regnault, après que son mari fut parti, demeura au Val… Elle y resta fort tranquille pendant quelques mois; mais Fouché, flairant du mal à faire partout où l'on pouvait porter une douleur, la fit surveiller et même tomber dans un piége par une infâme manœuvre. Un homme vint prendre ses lettres, et cet homme n'était qu'un agent surveillé par un autre homme, qui surprit les lettres de madame Regnault à son mari alors en Amérique, et elle fut arrêtée au Val, où elle demeurait alors… Les gendarmes y arrivèrent au moment où le berger faisait sortir le troupeau du château; et comme le porche était embarrassé, un homme de chez le concierge eut le temps de courir avertir M. Regnault, le fils de Regnault de Saint-Jean-d'Angély; car cet homme ne pouvait croire qu'on voulût arrêter une femme: c'était elle cependant. Le jeune homme se sauva, et elle fut prise au moment où elle passait un peignoir pour aller au secours de son beau-fils… En recevant l'ordre qui l'arrêtait, madame Regnault fut stupéfaite. Était-ce bien en France, dans le dix-neuvième siècle, qu'une femme était arrêtée dans sa campagne au milieu de ses fleurs, de ses oiseaux, de tout ce qui rappelle enfin la vie d'une femme!.. Madame Regnault ne dit pas une parole qui pût faire présumer même son indignation; elle aurait craint de s'abaisser…

Un moment elle eut la pensée de demander un jour pour mettre de l'ordre dans ses affaires; puis elle changea de volonté; elle se contenta d'écrire ce qu'il y avait à faire chez elle, et puis elle partit dans une voiture à elle, escortée par des gendarmes comme une criminelle, tandis qu'elle n'était qu'une noble femme à l'âme vraiment élevée et patriotique. Elle quitta la France pour aller chercher d'autres douleurs, et pendant bien des mois elle ne sut et ne connut de la vie que les larmes et les souffrances… Puis vint le jour de la rentrée dans la patrie, et ce jour fut encore pour elle pénible à supporter, car il fut un jour de deuil113.

SALON DE Mme LA DUCHESSE DE LUYNES

Le salon de madame la duchesse de Luynes ne mérita ce nom que vers l'époque où M. de Luynes fut nommé sénateur, qui est la même (1806) que celle où sa belle-fille fut nommée dame du palais de l'Impératrice. Jamais la nouvelle d'une faveur ne produisit d'effet plus différent dans une famille. M. de Luynes, fort peu joyeux de sa nature, témoigna un tel contentement que cela en vint au point de faire faire à ce propos de bruyantes exclamations à son beau-frère114, qui ne s'étonnait de rien de ce qui arrivait en dehors de ses habitudes de jeu. Il en fut de même de tous les habitués de l'hôtel de Luynes. Quant à la duchesse de Luynes, elle se contenta de lever les épaules et continua de s'informer si celui pour qui elle avait parié à une partie de whist qui se jouait dans une autre pièce avait gagné ou perdu.

Le même jour avait vu apporter un autre paquet dans cette maison; mais bien différente du vieux duc, celle à qui il était adressé ne l'avait pas reçu avec la même joie. Elle avait au contraire témoigné un grand mépris pour cette nomination de dame du palais, et son premier mot fut un refus positif.

Mais M. de Luynes, qui presque toujours laissait aller les affaires de sa famille à la grâce de Dieu, parut cette fois se prononcer. Il avait eu peur; on lui avait parlé de je ne sais quelle révision du procès du maréchal d'Ancre, et puis des donations faites à la maison de Luynes; enfin on l'avait mystifié en lui parlant de choses impossibles, et il avait non-seulement accepté, mais fait accepter sa belle-fille.

– J'irai donc, répondit-elle, mais on s'en repentira plus qu'on ne s'en louera.

L'hôtel de Luynes était une maison comme il n'y en avait aucune dans Paris, non pas à cause du mélange des partis; il y avait unité complète dans ce qui composait la société de la belle-mère et de la belle-fille. C'étaient toutes les personnes d'une opinion pure, et les étrangers de marque qui à cette époque arrivaient en foule à Paris.

M. de Luynes avait conservé sa fortune, et même l'avait augmentée dans la Révolution en acquittant des remboursements en assignats, et rachetant des droits de cette même manière. Il eut le même bonheur en tout, traversa la Révolution en ne faisant pas parler de lui, et arriva enfin à cette époque où il fut nommé sénateur, et sa belle-fille dame du palais. La fortune de M. de Luynes était immense; l'intérieur de sa maison, soit à Paris, soit à Dampierre, avait quelque chose de prince souverain, surtout dans un temps où toute la grandeur de l'Empire, grandeur de gloire, vraie et positive, mais encore toute neuve et à faire, n'avait pas autour d'elle cet appui du vieux temps, ces preuves matérielles, d'anciens serviteurs, de meubles antiques, de demeures féodales qui, pour être dépouillées de leurs droits, n'en étaient pas moins des témoins vivants et parlants de la noblesse de leurs maîtres…

La fortune du duc de Luynes avait toujours été immense, même au milieu de ceux qui étaient ses pairs et quelques-uns ses supérieurs. Il était bon homme, grand dormeur, passant à l'occupation du sommeil les trois quarts de sa vie, si bien, qu'à table, il vous offrait d'un plat, portait la main à la cuiller et dormait avant de l'avoir soulevée. Dans un pareil cas son valet de chambre le poussait légèrement; alors il s'éveillait, achevait sa politesse, et retombait dans son sommeil ou plutôt dans sa léthargie.

On doit penser d'après cela que ce n'est pas le duc de Luynes qui tenait la maison éveillée jusqu'à cinq heures du matin; et telle était la rage de veiller dans cette maison, que j'ai vu souvent partir M. de Lavaupalière de chez moi à trois heures du matin pour aller à l'hôtel de Luynes; car c'était ainsi qu'on parlait; on ne disait pas: Je vais chez madame de Luynes ou madame de Chevreuse; on disait: Je vais à l'hôtel de Luynes.

Cet hôtel de Luynes contenait, dans le fait, presque toute la famille de madame de Luynes: son fils et sa belle-fille, son gendre et sa fille, son neveu Adrien de Montmorency et son frère le duc de Laval. Elle était bonne, madame de Luynes, et je n'en veux pour preuve ajoutée à tout ce qu'en pense ce qui reste de ses amis, que la conduite qu'elle a tenue avec sa belle-fille, lors de la persécution de la malheureuse madame de Chevreuse.

L'hôtel de Luynes était une maison joyeuse s'il en fut jamais. Le jeu, la danse, la chasse, la causerie, tout s'y trouvait, même les grands et bons dîners, ce qui, pour les habitués comme M. de Lavaupalière, était un point presque aussi important que le creps. Jamais les immenses salles de cette maison n'étaient sombres; ou les bougies, ou le soleil les éclairaient. Les domestiques veillaient par quartier, car ils n'auraient pas tenu longtemps contre une telle fatigue.

Les personnes qui allaient habituellement chez madame de Luynes étaient: M. de Talleyrand, M. de Montrond, M. de Narbonne, M. de Sainte-Foix, M. de Lavaupalière, Adrien de Montmorency son neveu, le duc de Laval son frère, M. de Choiseul-Gouffier, M. de Nassau, M. le bailly de Ferrette, madame de La Ferté, madame de Balby, madame de Vaudemont (moins que les autres), madame de Montmorency (également), et puis tout ce qu'on appelait strictement le faubourg Saint-Germain, indépendamment de la famille de madame de Chevreuse, qui était fort étendue par elle-même et par ses alliances; toute la jeunesse élégante de ce même faubourg, amie des deux frères de la duchesse.

On conçoit qu'avec de tels éléments, en y ajoutant ce qu'était naturellement madame de Luynes, une véritable grande dame, l'hôtel de Luynes pouvait facilement devenir une maison agréable.

Lorsque madame de Chevreuse se maria115, ce qui, je crois, fut en l'an VI ou au commencement de l'an VII, la maison de madame de Luynes était une maison ouverte, mais un peu comme celle de madame de La Ferté; et véritablement, quoique le nom de La Ferté fût un beau nom autrement connu que par les Amours des Gaules, on ne convenait guère, lorsqu'on était femme, qu'on avait été chez madame de La Ferté. Madame de Luynes avait bien une autre attitude que madame de La Ferté; mais cet éternel jeu qu'on trouvait chez elle en éloignait les jeunes femmes. Lorsque madame de Chevreuse fut dans cette maison, ce fut un soleil qui se leva sur ce demi-jour et l'éclaira brillamment. Il est difficile de faire le portrait de madame de Chevreuse: elle était rousse, maigre, et ses traits n'avaient rien d'une grande régularité; mais elle était si parfaitement élégante, si distinguée; elle avait tellement de cette manière impossible à copier qui révèle la femme comme il faut avec toutes ses grâces, que je n'ai jamais souhaité à une femme de ressembler à une autre qu'à madame de Chevreuse, quand elle voudrait briller avec fracas et devenir une personne à la mode. Je ne sais si madame de Chevreuse a voulu être à la mode, ou si ses manières étaient naturelles. Ce que je sais, c'est qu'elle a parfaitement réussi à marquer dans le monde, où elle n'a fait que passer, comme un brillant météore.

Sa tournure surtout était fort élégante. Il y avait dans sa taille une telle souplesse, des mouvements si gracieux sans affectation, qu'on ne pouvait s'empêcher de la regarder lorsqu'elle marchait ou qu'elle dansait. Du reste, cette élégance lui était devenue particulière depuis son mariage; car avant ce moment je l'avais rencontrée bien souvent chez une de nos amies communes, mademoiselle de C… et alors personne ne faisait attention, parmi nous autres jeunes filles, à Ermesinde de Narbonne, rousse, maigre, pâle et pas du tout agréable; ces malheureux cheveux, qu'elle avait au reste en horreur, lui donnaient de la timidité116.

L'hôtel de Luynes était toujours ouvert; jamais la porte n'y était défendue; il y avait toujours quelqu'un, soit M. de Luynes, s'il ne dormait pas ou s'il n'était pas au sénat, car il y allait quelquefois, ou madame de Luynes, ou madame de Chevreuse, ou madame de Montmorency; enfin la maison était toujours habitée: cela donnait un air de gaîté à cette habitation déjà si belle par elle-même. Le jour, le soleil éclairait des fenêtres où partout on voyait des rideaux, de riches draperies; le soir, partout des lumières brillaient à ces mêmes fenêtres; que les maîtres fussent absents ou bien au logis, la maison était éclairée et chauffée, car jamais l'absence n'était ni longue ni entière. – Si madame de Luynes était chez M. de Talleyrand, ou bien au spectacle, ou chez madame de Balby, les habitués montaient et l'attendaient chez elle. À cette époque, je ne sais plus pour quel motif, madame de Chevreuse fit le vœu de ne pas aller au spectacle de trois ou quatre années; elle allait bien dans la salle de l'Opéra pour un concert, pour l'oratorio, mais non pas pour le spectacle. Ce vœu la rendit beaucoup plus sédentaire. Je crois que c'était pour avoir un enfant.

C'était une personne de beaucoup d'esprit, sans aucun doute, et vraiment charmante, que madame de Chevreuse; aussi, lorsque je songe à son martyre, mon cœur s'attendrit et ne trouve que des larmes pour une si jeune destinée brisée à son matin, lorsque tout lui souriait, lorsque les trois voix, si rarement d'accord entre elles, du passé, du présent et de l'avenir, ne lui répondaient que par le mot BONHEUR!.. Oh! oui, c'est un grand malheur alors que la mort… l'agonie est doublée dans son horreur, et ce qu'on souffre est bien au delà des souffrances du malheureux qui ne voit dans la mort que sa délivrance.

La réputation de madame de Chevreuse fut toujours intacte, quelle que fût la mauvaise humeur des femmes qu'elle éclipsait, et celle des hommes dont elle repoussait les vœux: ce fut ainsi que la trouva son brevet de dame du palais, lorsqu'elle le reçut.

– Je refuse, dit la jeune femme en repoussant doucement le parchemin signé par l'Empereur.

– Mais, ma chère enfant, lui dit son beau-père, cela ne vous est pas possible; songez à ce qui peut en résulter. Mon fils, dites donc…

M. DE CHEVREUSE

J'ai déjà parlé à Ermesinde; elle ne veut rien entendre.

MADAME DE CHEVREUSE

Je crois inutile de répéter ici ce que j'ai dit mille fois; je hais cette cour impériale et je la méprise. Après cette profession de foi, voulez-vous donc me contraindre à en faire partie?

LE DUC DE LUYNES

Mais enfin, si vous refusez, il en peut résulter les plus grands malheurs pour toute la famille.

MADAME DE CHEVREUSE

Ces malheurs ne sont que pour moi, et je brave la tyrannie de Bonaparte. Que peut-il me faire, après tout?

LE DUC DE LUYNES

Beaucoup de mal, ma chère enfant, beaucoup de mal… je sais ce que je dis.

MADAME DE CHEVREUSE

Je refuse, monsieur, mon parti est pris… Ah! ma mère, s'écria-t-elle en s'élançant dans les bras de la duchesse de Luynes qui entrait… ah! ma mère, venez à mon secours! vous me comprenez, vous!

MADAME DE LUYNES

Comme vous la faites pleurer!.. et pour quel sujet encore! Ermesinde, tu feras ce que tu voudras, entends-tu?

M. DE CHEVREUSE

Mais, ma mère, ne connaissez-vous pas la menace de l'Empereur?

MADAME DE CHEVREUSE

Mon Dieu, mon Dieu! vous m'effrayez beaucoup.

MADAME DE LUYNES

Calmez-vous, chère petite, et comptez toujours sur moi.

MADAME DE CHEVREUSE

Mais, monsieur, dites-moi de quoi il est question. Que puis-je résoudre, si j'ignore de quoi il s'agit?

LE DUC DE LUYNES

Eh bien! madame, il s'agit de voir notre fortune entièrement perdue…

MADAME DE CHEVREUSE

Grand Dieu! comment cela se peut-il?

LE DUC DE LUYNES

Parce que cet homme prétend qu'on peut revenir sur le procès du maréchal d'Ancre… que les valeurs qu'il avait soustraites étaient valeurs royales appartenant au trésor, et que le Roi n'avait pas le droit d'en faire un don à notre ancêtre.

MADAME DE CHEVREUSE

Mais cette menace est absurde.

M. DE CHEVREUSE

C'est ce que j'ai dit.

MADAME DE LUYNES

Sans doute; mais il ne faut pas, avec un tel homme, se retrancher dans son droit. À quoi cela a-t-il servi à Moreau et à tant d'autres?

MADAME DE CHEVREUSE, réfléchissant

Vous avez raison, ma mère!.. mais cependant… Ah! c'est affreux!.. (Allant à son beau-père.) Monsieur, j'accepte; je ne veux pas être un flambeau de discorde entre cet homme et votre maison…

LE DUC DE LUYNES attendri, lui baisant la main

Ma bru, vous êtes une digne fille des Narbonne… Je vous aimais… maintenant je vous honorerai profondément.

MADAME DE LUYNES pleurant en l'embrassant

Ma noble, ma digne, ma bien-aimée en tout, oui, vous êtes un ange et ma joie en ce monde.

M. DE CHEVREUSE

Et à moi ma gloire.

MADAME DE CHEVREUSE, souriant avec peine

Eh bien! eh bien, ne m'attendrissez pas… si vous êtes tous contents, je le suis aussi. Dieu veuille que nous n'ayons pas à nous en repentir!..

Ce fut ainsi qu'elle accepta la place de dame du palais. Je l'ai vue étant de service auprès de l'Impératrice. Sans doute elle n'y était pas inconvenante; mais si j'eusse été l'Impératrice, jamais je ne me serais exposée à de pareils traits de la part de madame de Chevreuse.

L'Empereur n'eut en cette circonstance aucune dignité de lui-même. Au lieu de laisser madame de Chevreuse maîtresse de sa volonté et libre de suivre son humeur, il lui donna un rôle intéressant, celui de victime… Dès lors tout le monde la plaignit et tout le monde le blâma…

Lorsqu'il vit que la chose tournait à ce vent-là, il gouverna autrement sa barque. Madame de Chevreuse fut entourée de soins, de prévenances; elle recevait de magnifiques bouquets, des plantes rares, sans nom d'envoi, et un mystère se leva sur cette vie si pure.

Elle démêla l'odieuse iniquité; et comme l'innocence adroite, parce qu'elle est naturelle, elle eut bientôt dissipé cette trame mal ourdie. – Mais cela ne lui donna pas de goût pour celui qui pouvait agir ainsi.

112.Ce portrait est gravé et se vend comme une gravure représentant Sapho: c'est du moins le nom qui est au bas. Pourquoi n'avoir pas laissé la marge en blanc?
113.Regnault de Saint-Jean-d'Angély mourut le jour ou le lendemain de son retour dans Paris.
114.M. le duc de Laval, frère de la duchesse de Luynes, était père d'Adrien de Montmorency.
115.Elle était mademoiselle de Narbonne Fritzlar.
116.En se mariant, elle prit une perruque blonde que lui fit Duplan, et si artistement, qu'on n'y voyait rien.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 mayıs 2017
Hacim:
300 s. 1 illüstrasyon
ISBN:
http://www.gutenberg.org/ebooks/44676
Telif hakkı:
Public Domain