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Kitabı oku: «Histoire des salons de Paris. Tome 6», sayfa 13

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SALON DE MADAME RÉCAMIER,
À CLICHY

À l'époque où je parle de madame Récamier, il est impossible, à moins de l'avoir vue et d'en avoir conservé le souvenir dans un cœur dévoué à elle, de se faire une idée de sa fraîcheur d'Hébé et de la grâce de son sourire. Il y avait dans l'accord de ce sourire et de son regard plus de charmes qu'il n'en faudrait pour captiver le cœur le plus sévère. C'était une création à part que madame Récamier à cet âge de dix-huit ans; et jamais je n'ai retrouvé ni en Italie, ni en Espagne, ce pays si riche en beauté, ni en Allemagne, ni en Suisse, la terre classique des joues aux feuilles de rose, jamais je n'ai retrouvé ce que m'offrait alors madame Récamier.

Madame Récamier, dans les premières années de son mariage, vivait non pas retirée, mais dans un monde tout intérieur; elle vivait dans une famille nombreuse formée de la sienne et de celle de son mari, et lorsqu'elle allait dans le monde, c'était pour y produire un effet qu'elle ne renouvelait que rarement. Elle était simple et bonne comme elle l'est encore aujourd'hui, et la plus jolie femme de France et peut-être de l'Europe.

M. Récamier n'avait pas encore été atteint par le despotisme impérial à cette époque; M. Barbé-Marbois n'avait pas posé sa main de fer sur sa destinée; il était riche enfin. Cependant il habitait, rue du Mail, no 3, une maison assez ordinaire, et madame Récamier, toujours simple et ne voulant que ce que son mari voulait, ne souhaitait rien au delà.

Cependant elle eut le désir d'avoir une campagne, et M. Récamier lui fit arranger le grand château de Clichy-la-Garenne106, qui appartenait à madame de Lévy. Là elle pouvait venir à Paris facilement, et lui-même pouvait, après la bourse, y aller dîner et revenir le soir.

L'intérieur de madame Récamier était surtout composé d'amis et de personnes supérieures; ce fut toujours un bonheur pour elle que d'aimer un être ou une chose au-dessus d'une ligne ordinaire; et depuis que je la connais, j'ai su l'apprécier encore pour cette volonté d'aimer surtout ce qui est beau et bon, même avec des défauts. C'est la supériorité de sa haute nature qui produit cette volonté; c'est une qualité de plus en elle.

Cette maison de Clichy était jolie, sans être très-recherchée; c'était dans ce lieu que madame Récamier, âgée de dix-huit ans, était recherchée par tout ce qui avait alors un nom.

Un jour, elle était dans un salon qui donnait sur le jardin, occupée à mettre des fleurs dans une grande corbeille où elle les arrangeait selon leurs couleurs. Dans cette occupation elle était ravissante; elle avait une robe de mousseline blanche faite à la prêtresse, comme on le disait alors; ses beaux cheveux n'étaient retenus par aucune autre chose qu'un peigne d'écaille… Fort occupée de ses fleurs, elle n'entendit pas la porte qui s'ouvrit et un nom qui fut annoncé. La personne qui entra demeura quelque temps sans faire un pas. C'était Lucien Bonaparte, alors ministre de l'Intérieur.

– Mon Dieu! que vous êtes charmante ainsi! Elle se retourna vivement, mais sans témoigner de peur; elle n'en avait pas eu, et ne marquait jamais que ce qu'elle éprouvait. Elle salua le jeune ministre d'un de ses gracieux sourires.

– On devrait vous peindre ainsi, lui dit-il.

Elle sourit. – Ce serait une prétention, dit-elle.

Dans ce moment, on entendit rouler une voiture, et le valet de chambre annonça M. Fox et lord et lady Holland.

– Nous sommes venus vous surprendre, dit M. Fox, et je crois que vous aurez encore quelques visites ce matin.

LADY HOLLAND

Oui, le général Moreau, la duchesse de Gordon, et, je crois, madame Divoff et son mari.

LORD HOLLAND

N'est-ce pas ce M. Divoff qui a conservé une immense coiffure frisée et poudrée, parce qu'il ressemble, lui a-t-on dit, à Potemkin?.. C'est une drôle de manie.

LADY HOLLAND

Sa femme est excellente et sa maison fort agréable.

LUCIEN BONAPARTE

Monsieur Fox a-t-il déjà parcouru Paris?

M. FOX

Mais pas autant que je l'aurais voulu. J'ai des affaires, j'ai des amis; le temps court si vite, et puis il y a tant de choses curieuses, qu'en vérité, dans la crainte de ne pouvoir tout voir, je me surprends quelquefois à dire que je ne verrai rien… et puis je dois bientôt quitter ce que j'admirerai. Pourquoi le voir?

Madame Récamier sourit et regarda M. Fox avec une finesse si charmante, que ce sourire traduisait toute une pensée.

M. FOX

Vous me trouvez absurde, n'est-il pas vrai, en parlant ainsi? mais il y a une apparence de vérité. Nous avons en anglais un adage qui signifie: «Il vaut mieux ne jamais se rencontrer que de se rencontrer pour se quitter107

LUCIEN, avec feu

Je ne pense pas ainsi…; et quand je ne devrais voir la femme que j'aime qu'une minute dans un jour et même dans un mois, dans une année, je préfère cette minute fugitive à ne la pas voir du tout. C'est l'oubli, c'est le néant, l'absence totale!.. Voir même pour un moment un objet aimé, une grande et belle chose, cela suffit à l'âme.

Fox regardait Lucien, qui parlait avec feu et qui s'animait avec passion. Fox alla à lui et lui dit avec intérêt:

– Parlerez-vous bientôt à la Chambre?.. Je voudrais vous entendre sur un sujet intéressant.

Lucien fut touché de cette marque d'intérêt, et dit à M. Fox qu'il parlerait le quintidi prochain des manufactures, sur leur accroissement et l'encouragement à donner au commerce.

Fox sourit en entendant le mot quintidi, et dit à Lucien qu'il ignorait quel jour ce serait.

LUCIEN

Pardon! j'ai tort; mais l'habitude, vous le savez, est une autre nature!.. quintidi répond à jeudi prochain. Si vous voulez me faire l'honneur de venir déjeuner avec moi, nous partirons après pour le Corps-Législatif. Je vous présenterai ma petite famille.

On annonça le général Moreau; après lui vinrent M. de Lalande, M. de Chazet, M. Vigée, tous hommes d'esprit, si ce n'est le général, qui n'était pas le contraire, mais qui méritait plutôt le nom d'homme de talent; puis ensuite la duchesse de Gordon et lady Georgina. Lady Georgina était en deuil parce qu'elle avait été fiancée au duc de Bedford, l'aîné de cette maison; il était mort quelques semaines avant, et lady Georgina avait pris le deuil, selon la coutume tolérée en Angleterre. Elle était jolie; mais à côté de madame Récamier c'était cette différence d'une femme qui veut être jolie et d'une femme qui l'est tout naturellement. Lady Georgina apprenait à danser de Gardel, et dansait déjà fort bien le menuet de la cour et la gavotte. – Je ne sais si elle l'a essayé après son retour en Angleterre, lorsqu'elle y retourna avec le duc de Bedford, le frère du fiancé mort, devenu son mari… et pourtant il n'y avait pas plus de deux mois que l'aîné était allé rejoindre ses pères, lorsque la fiancée donna sa main à l'héritier de ses armes et titres, et de sa fortune surtout: il n'y a que les Anglais pour faire des choses comme cela.

La duchesse de Gordon passait pour folle, mais certes elle ne l'était guère. N'étant pas riche, ayant quatre filles, elle déclara que ses quatre filles seraient toutes quatre duchesses, – et elles le furent, moins une: la première fut duchesse de Leinster; la deuxième, duchesse de Richmond; la troisième, duchesse de Bedford, et la quatrième, mariée à lord Blum, fils aîné du lord Cornwallis, eût été infailliblement duchesse si le roi n'eût pas été fou, parce qu'il eût fait lord Cornwallis duc108. – Cette preuve de l'industrie maternelle est assez comique à observer.

Cette vieille duchesse de Gordon fut belle dans son temps, disaient de vieux Anglais. – Nulle trace ne se voyait de cette beauté passée; elle était ridicule, et voilà tout; du reste fort peu riche, et n'ayant de l'argent du duc de Gordon qu'en le menaçant d'aller le trouver en Écosse, où il habitait pour fuir sa femme.

Les visites se succédèrent chez madame Récamier; lady Georgina et sa mère devant rester à dîner laissèrent partir une portion des visites du matin. La jolie mademoiselle Bernard (mademoiselle de Sivrieux), depuis madame Michel, demeura aussi pour le soir, ainsi que lord et lady Holland et M. Fox. – Le général Moreau et Lucien Bonaparte ne purent rester et repartirent pour Paris, mais point ensemble, car ils ne s'aimaient pas; Lucien aimait son frère et ne pouvait estimer celui qui était envieux de sa gloire.

Lorsque le salon fut moins nombreux, M. de Chazet demanda à madame Récamier si elle avait vu la pièce nouvelle.

– Laquelle? demanda madame Récamier.

M. DE CHAZET

Les Aveux difficiles.

MADAME RÉCAMIER

Non. De qui est-elle?

M. DE CHAZET

Vigée, salue donc.

M. VIGÉE

Il faudrait, pour saluer, que Madame eût vu la pièce, et qu'elle en fût contente: ce qui est douteux.

M. DE CHAZET

Sois modeste tant que tu voudras; moi, je dirai que la pièce est jolie, et très-jolie.

LADY HOLLAND

Je l'ai vue et l'ai trouvée charmante. J'ignorais qu'elle fût de Monsieur; je lui en fais mon compliment.

M. DE CHAZET

Il est fâcheux qu'elle n'ait qu'un acte: pourquoi ne pas avoir fait de cette pièce109 une œuvre capitale en trois ou cinq actes? Il y a de la délicatesse, de l'esprit, et tout ce qui plaît dans le dialogue.

MADAME RÉCAMIER

M. Vigée, je crains d'être indiscrète, mais si vous vouliez nous dire quelques vers de votre pièce;… certainement vous vous les rappelez.

M. VIGÉE

Ah! madame, ce serait un tour de force que de me rappeler de mauvais vers…

Toutes les femmes l'entourent et le prient.

M. DE CHAZET

Allons! Vigée. Je vais te mettre en train…

 
En parlant de Cléante, on me parla de soi,
Puis insensiblement, et contre mon attente,
On oublia bientôt jusqu'au nom de Cléante.
Cléante m'écrivait souvent: soins superflus!
J'en parlais bien encor, mais je n'y pensais plus.
 
LADY HOLLAND

Oh! que ces vers sont jolis, fins et délicats de pensée!

MADAME RÉCAMIER à Vigée

Eh bien! M. Vigée?

M. VIGÉE

Madame, pardonnez-moi; je ne puis me rappeler deux vers de suite; mais si la pièce est assez heureuse pour vous plaire par l'échantillon que vous en a dit Chazet, j'aurai l'honneur de vous envoyer une loge pour la troisième représentation, qui est après-demain.

Clichy était un lieu non-seulement habité par une femme qui le rendait agréable, mais sa proximité de Paris le rendait une campagne à part parmi les autres. Après le dîner, ce même jour, il vint le général Junot, sa femme, Eugène Beauharnais, M. Ouvrard, M. Collot, et une femme dont le nom, déjà fameux, devait grandir encore et devenir célèbre et glorieux pour notre France: cette femme était madame de Staël…

Madame de Staël avait apprécié madame Récamier ce qu'elle valait; son esprit supérieur avait jugé cette fleur, cette violette embaumée qui pouvait bien vouloir se cacher, mais jamais être inaperçue, et dont le parfum de beauté, de vertus et de tout ce qui la fait aimer, la fera toujours découvrir par celui qui passera près d'elle.

Madame de Staël allait publier Delphine: le roman n'était pas encore terminé; mais l'auteur en lisait quelquefois des lettres détachées; et, ce même jour, elle en apportait une ou deux pour les lire à madame Récamier. Mais aussitôt qu'elle vit autant de monde, elle cacha son manuscrit.

– Pour vous, à la bonne heure, dit-elle en pressant la main de madame Récamier; pour vous seule.

Lafon, qui venait aussi souvent chez madame Récamier, vint ce même soir; lui et mon mari récitèrent des vers de Ducis et de Tancrède. Madame de Staël, en voyant Junot et Lafon, se sentit excitée à suivre leur exemple, et proposa à madame Récamier de jouer avec elle une scène qu'elle a faite sur le sujet si pathétique d'Agar dans le désert… Madame de Staël fut sublime dans le rôle d'Agar, et madame Récamier vraiment angélique dans le rôle de l'ange… Sa ravissante figure avait une expression radieuse qui frappa tout ce qui était autour d'elle. Fox était dans l'enchantement.

– Quelle charmante créature! disait-il; c'est vraiment l'œuvre de la Divinité dans un jour de fête! Voyez comme elle est douce! ce sourire! ce regard! ce son de voix! cette chevelure soyeuse! et cette expression gaie, calme et pure que reflète son regard, et qui annonce le contentement d'une belle âme!..

En entendant M. Fox, on était non-seulement de son avis, mais heureux de penser comme lui; il semblait qu'on voyait dans l'avenir, que d'aimer un jour cette même personne avec toute la tendresse du cœur suffirait seul pour faire oublier ses peines, quelque vives qu'elles fussent.

M. Ouvrard, qui était aussi un des habitués du salon de Clichy, ce même soir, demanda à madame Récamier de venir voir le Raincy, qu'il venait d'acquérir avec M. Destillères.

– Vous seriez bien aimable de venir voir nos lilas et nos arbres de Judée, dit-il avec cette courtoisie qu'il avait vraiment devinée.

– Je ne connais pas le Raincy, dit lady Holland.

– Voilà, milady, une belle occasion de le connaître; et, se tournant vers madame Récamier, il la pria de venir au Raincy avec toute la société de Clichy, et d'engager qui lui conviendrait.

L'offre fut acceptée, et le jour fixé au mardi suivant.

La journée de Clichy se termina comme habituellement. On fit de la musique; madame Récamier joua admirablement du piano; une de ses cousines, jolie personne de seize ans, qui l'accompagnait avec un tambour de basque, en jouait avec une grâce charmante (car on en joue). Steiblt venait de publier ses Bacchanales, qui étaient de jolis airs de sa composition avec accompagnement de tambour de basque. Madame Récamier dansait aussi un pas avec le tambour de basque dans lequel elle était semblable aux Heures d'Herculanum.

La journée passée au Raincy fut charmante.

M. Ouvrard fit servir le déjeuner dans l'orangerie. Le temps était superbe, et ce beau parc éclairé par un soleil de juin bien pur et bien doux encore, quand il n'est pas encore brûlant, et que ses rayons d'or éclairent cette belle futaie qui est à côté du château, et vient ensuite glisser sur les belles pelouses qui sont enserrées, comme par une ceinture de fleurs, par l'allée de lilas et celle d'arbres de Judée en fleurs.

Madame Récamier et madame de Staël vinrent ensemble; les autres se suivirent: mon mari et moi, avec Lucien et M. Fox, madame Visconti et Berthier; lady Georgina et sa mère; lord et lady Yarmouth; M. de Montrond; M. et madame Divoff; la belle duchesse de Courlande, et le prince Trobetzkoï, qu'elle repoussait alors et qu'un an après elle avait pour mari; le prince Grégoire Gagarin, le comte Armand de Fuentès, Don Alphonse Pignatelli, son frère… Eugène Beauharnais et une foule d'autres personnes dont les noms me sont échappés.

C'était une ravissante habitation que le Raincy. On admirait surtout cette salle de bain offrant le luxe le plus beau, celui qui est caché. En effet, en entrant dans cette salle de bain, vous ne voyez pas d'abord ce qui en fait le grand prix. Les cuves ont été creusées dans les Vosges et sont faites d'un seul morceau de granit; elles ont été creusées dans un seul bloc chacune, et ensuite amenées à Paris. La cheminée est en vert antique; le carreau est en larges dalles de marbre jaune antique et fort estimé. La salle est en demi-lune; dans la partie circulaire, est un sopha en velours vert. Au-dessus et tout autour de cette demi-rotonde est représenté le bain de Diane avec ses nymphes et Actéon. Les cuves sont enfermées entre quatre piliers de granit aussi des Vosges. À ces pilastres sont attachés des stores en satin blanc. C'est une délicieuse retraite que cette salle de bain. À côté est une charmante chambre à coucher110. Lorsque trois ans plus tard je fus maîtresse du Raincy, j'y logeais de préférence à mon appartement du premier.

Au moment où l'on allait commencer une promenade avant le déjeuner, promenade qu'on devait faire dans des chars-à-bancs et des calèches préparés par M. Ouvrard pour les amis de madame Récamier, on vit arriver une calèche par la grande avenue de peupliers.

– C'est madame Krudner, dit madame Récamier.

– Ah! dit madame de Staël, madame de Krudner qui vient de publier un roman?

– Oui, Valérie.

– Il est bien, ce roman. Il y a de l'âme, il y a du cœur et du style; elle fera bien de continuer, car je lui soupçonne un vrai talent.

Ce roman de Valérie est, en effet, charmant; Valérie fut lu par moi avec grand intérêt, et le cas que l'on fait aujourd'hui de ce même livre me montre que son mérite est réel, pour avoir survécu à trente années de sommeil et même à trente-quatre.

Je ne connaissais pas madame de Krudner; je voulus lui être présentée, et je la vis de près avec beaucoup d'intérêt. Sans doute elle ne frappait pas comme madame de Staël, parce qu'elle n'avait que du talent et que madame de Staël avait du génie. Cette différence doit être admise par qui n'a connu ni l'une ni l'autre.

Madame de Krudner était une femme de très-grande taille, paraissant en avoir une plus grande encore en raison de sa maigreur. Elle était d'une extrême pâleur et très-blonde; elle avait été elle-même l'original de Valérie. On me dit qu'elle ne le niait pas lorsqu'on le lui demandait; j'avoue qu'étant jeune, cela me parut étrange. Toutefois, je la trouvai ce qu'elle était, parfaitement aimable; elle avait déjà le goût des idées mystiques et novatrices, et ne pouvait parler pendant une heure sur un sujet sans y mêler aussitôt quelques mots de religion.

La journée fut charmante; Ouvrard s'entend comme personne à monter une partie, à la diriger et à la maintenir toute une journée. Je l'ai vu ainsi au Raincy, et lorsqu'il recevait à la pompe à feu. Garat avait été invité; il chanta, et la journée fut complète.

J'ai parlé tout à l'heure de la simplicité de la campagne de Clichy; il n'en fut pas toujours ainsi autour de madame Récamier. M. Récamier, voulant que sa jeune femme trouvât chez elle les jouissances de son âge, acheta, même sans l'en prévenir, le superbe hôtel de la rue du Mont-Blanc dans lequel loge aujourd'hui madame Lehon. Bertaut, l'architecte, fut requis pour meubler cet hôtel et en faire un palais enchanté; Bertaut avait du goût, et un goût exquis; je n'ai jamais vu un appartement arrangé par lui autrement que très-bien. Celui de madame Récamier fut un des mieux parmi les plus soignés; la salle à manger, la chambre à coucher, le premier salon, le grand salon, tout était magnifiquement et élégamment meublé. La chambre à coucher, surtout, a du reste servi de modèle à tout ce qu'on a fait en ce genre; je ne crois pas que depuis on ait fait mieux. Je ne le pense pas comme les gens qui croient que rien n'est beau que ce qu'a produit leur temps; je le dis parce que l'évidence est là.

Ce fut dans cette maison que se donna le premier bal en règle qui se soit donné dans une maison particulière, parce que les bals de ministres sortent de la ligne, ainsi que les bals étrangers. Je dis donc que les bals de madame Récamier furent les plus beaux qu'on eût vus jusque-là dans Paris; elle en faisait les honneurs avec une grâce parfaite et cette bonté si gracieuse qui lui gagne les cœurs. Quand je parle d'elle, il me faut être en garde contre moi-même, car je répèterais toujours ce que je dis d'elle; il me semble que je ne l'ai pas encore assez dit.

Madame Récamier est la première personne de Paris (car il faut que justice soit rendue à qui il appartient) qui ait eu une maison ouverte où l'on reçût: elle voyait d'abord beaucoup de monde pour l'état de son mari; ensuite, pour elle, il y avait une autre manière de vivre, une autre société que celle que nécessairement son goût exquis ne pouvait confondre avec ces hommes qui savent et connaissent la vie;… portée à la bonne compagnie par sa nature, aimant ce qui est distingué, le cherchant et voulant avoir un bonheur intérieur dans cette maison où le luxe n'était pas tout pour elle, et où son cœur cherchait des amis… Elle se forma une société, et malgré sa jeunesse elle eut la gloire dès ce moment de servir de règle et de modèle aux autres femmes.

On y rencontrait, outre madame de Staël, Adrien de Montmorency, Benjamin Constant, Mathieu de Montmorency, ces hommes qui connaissent le monde et l'embellissent avec leurs coutumes courtoises et l'extrême quintessence du savoir-vivre comme avec leur esprit; M. de Bouillé, et d'autres hommes encore qui pouvaient être avec ceux que je viens de nommer, comme M. de Chateaubriand, M. de Bonald, M. de Valence, M. Ouvrard; ce dernier avait la connaissance du monde et pouvait être à la fois l'homme du jour et l'homme d'autrefois.

Après Clichy, madame Récamier eut une autre campagne, Saint-Brice; c'était un plus beau lieu que Clichy: les ombrages étaient plus épais, les eaux plus belles. Madame Récamier aimait Saint-Brice… mais bientôt il lui devint plus cher par l'hospitalité qu'elle y donna à une amie malheureuse. Madame de Staël, poursuivie par Napoléon, trouva sous le toit de madame Récamier ce que toujours on aura près d'elle: du repos et de l'espoir.

Junot était à Saint-Brice lorsque madame de Staël y arriva; son désespoir lui fit mal.

– Sauvez-la, dit madame Récamier à Junot.

– Je le voudrais pour vous, puisque vous le souhaitez, et pour elle aussi, car elle me fait mal; mais elle a bien irrité l'Empereur.

– Faites tous vos efforts, répéta l'ange.

– Je ferai si bien que je me brouillerai plutôt avec lui s'il ne me l'accorde pas.

– N'allez pas faire de coup de tête, lui dit madame Récamier de sa douce voix… et à cette voix toute tempête se calmait.

Mais tout fut inutile. Comme on l'a vu dans le volume précédent, Napoléon fut inflexible, et dans sa colère il laissa échapper une parole haineuse contre madame Récamier; aussi, lorsque quelques mois plus tard, étant demandée par cette même amie qui voulait lui dire un dernier adieu, madame Récamier voulut tout quitter pour aller rejoindre madame de Staël, Junot la supplia de rester.

– Vous ne reviendrez plus, lui disait-il, le cœur brisé… Vous ne reviendrez plus ici…

– C'est impossible, on ne peut me punir de remplir un devoir sacré, disait la douce et angélique créature, elle qui n'avait jamais éprouvé un sentiment haineux… et dont l'âme, quoique passionnée, est remplie de cette mansuétude qui fait aimer plutôt que haïr.

Hélas! la prédiction de l'amitié ne fut que trop vraie! Madame Récamier ne revint plus à Paris… et ne revit plus cet ami qui lui était si dévoué que dans l'exil, et lorsque lui-même marchait à la mort111!..

106.Ce château fut habité, en 1815, par madame de Staël, où elle reçut toute l'Europe couronnée; il fut détruit par la bande noire l'année suivante.
107.For ever or never.
108.Le régent ne peut faire un duc, il n'en a pas le droit.
109.Madame de Genlis fît paraître en 1802, dans la Bibliothèque des Romans, une petite nouvelle intitulée: Lindane et Valmire, qui n'est pas autre chose que l'intrigue de cette pièce.
110.Lorsqu'en 1816, j'eus l'honneur d'être présentée au duc d'Orléans, il me demanda si pendant que j'avais été maîtresse du Raincy, avant de le céder à Napoléon, j'avais fait faire cette salle de bain. – Non, monseigneur, répondis-je. – Je crois bien, dit le prince en souriant, ni moi non plus. Je ne suis pas assez grand seigneur pour cela.
111.Je parlerai de cet exil dans mes Salons de la Restauration.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 mayıs 2017
Hacim:
300 s. 1 illüstrasyon
ISBN:
http://www.gutenberg.org/ebooks/44676
Telif hakkı:
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