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Kitabı oku: «La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1», sayfa 12

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«Je suis dans l'enchantement, ma chère Angélique, de la lettre de ton mari; il est impossible d'être plus tendre et plus aimable: tu l'es bien aussi de me l'avoir envoyée. Tout ce qu'il dit est bien vrai, et après une connoissance si parfaite de toi, je lui saurois bien mauvais gré de ne pas t'aimer; mais là-dessus, tes amies n'ont rien à désirer. Tu dois être revenue de Saint-Louis, je t'en fais mon compliment. Mon bras va bien, je souffre moins qu'hier. Adieu, je t'embrasse; à demain. Je me recommande à tes bonnes prières.»

«À Chantilly, ce 27 novembre 1781.

»Je suis arrivée ici avec mon petit Bombon avant-hier à cinq heures. Le petit a été charmant pendant tout le voyage; il n'a fait que rire et jouer, surtout lorsque nous avons pris la poste; tu ne peux t'imaginer la joie qu'il a eue des six chevaux et des coups de fouet des postillons. Il se porte à merveille, se promène presque toute la journée. Il fait heureusement un beau temps, quoiqu'il soit froid, et il a l'air de s'amuser beaucoup de tout ce qu'il voit.

»Tu es sûrement curieux de savoir comment j'ai été reçue. À merveille. J'ai été, en arrivant, dans l'appartement de Mademoiselle, et lui ai fait dire que j'étois là; elle y est venue tout de suite, et m'a comblée de caresses et d'honnêtetés. Un instant après, M. le prince de Condé y est arrivé, en me disant qu'il avoit imaginé que j'aimerois mieux faire connoissance avec lui chez sa fille que dans le salon, m'a fait beaucoup de remercîments de ma complaisance, enfin beaucoup de choses honnêtes. Depuis que je suis ici, tout le monde m'a comblée d'attentions, et je serois la plus grande dame de la France que je ne serois pas mieux traitée. Hier, pendant la répétition, M. le prince de Condé m'a dit que tu avois joué la comédie avec lui, mais que tu avois bien peur; je lui ai répondu que tu avois acquis beaucoup de talent depuis ce temps-là, que tu jouois très-bien actuellement, que tu avois construit chez toi un petit théâtre fort joli. Il m'a fait des questions sur ta maison, sur la manière dont tu étois là-bas. Je lui ai dit d'un air modeste qu'il étoit difficile de répandre plus d'agréments dans la société que tu ne faisois, et je n'ai pu me refuser à un petit éloge de ton esprit et de ton cœur. Il m'a demandé quand tu reviendrois, et il m'a paru qu'il seroit bien aise de te revoir ici. Nous jouons dimanche la Métromanie et la Fausse Magie, dans laquelle je fais Madame de Saint-Clair. Imagine-toi qu'on a trouvé ma voix jolie. Je sais parfaitement mes airs, de sorte que j'espère n'être pas plus ridicule qu'une autre. Mademoiselle est réellement aimable, elle a beaucoup de naturel et un grand désir de plaire aux femmes qui sont chez elle. Madame de Monaco n'est pas ici, ni madame de Courtebonne non plus; cette dernière est mise de côté tout à fait, mais madame de Monaco est plus que jamais en grande faveur. M. le prince de Condé est parti pour Paris une heure après mon arrivée, pour la seconde fois depuis huit jours, afin de déterminer madame de Monaco à revenir ici. Cette dernière fait la cruelle à cause du petit séjour de madame de Courtebonne ici; elle a imposé, pour première condition de son raccommodement, le renvoi de madame de Courtebonne, qui l'a été honteusement deux jours avant mon arrivée. Je sais tous ces détails par M. de Ginestous, qui épouse une Génoise parente de madame de Monaco. Il se marie lundi, et madame de Monaco doit venir ici après le mariage, si M. le prince de Condé est bien sage. C'est inouï qu'un prince de cet âge-là soit dominé à ce point par une femme.

»Mon départ de Versailles a été réellement une chose touchante. Madame Élisabeth ne pouvoit pas me quitter; moi, je pleurois de tout mon cœur. De là, j'ai été faire mes adieux à ma tante; elle, ses enfants, ma sœur, étoient au désespoir de me quitter. Maman, qui étoit à Paris, a eu la charmante attention de venir avec mon frère et sa femme à Saint-Denis, où nous avons passé une heure ensemble. Il semble que les affreuses inquiétudes que m'avoit données la petite vérole de Bombon aient réveillé pour moi le sentiment de toutes les personnes qui doivent m'aimer un peu. Cela me fait plaisir, je l'avoue, et j'ose dire que je suis en quelque manière digne de l'amitié qu'on a pour moi par le prix infini que j'y attache…»

«À Chantilly, le 29 novembre 1781.

»J'ai reçu ta lettre du 14, et ce soir celle du 16. Je ne me suis pas mise à table, et, sous le prétexte de la fatigue, je suis rentrée de bonne heure pour avoir le plaisir de t'écrire bien à mon aise. Je te dirai d'abord que Bombon est d'une joie, d'un bonheur d'être ici, que tu ne peux imaginer, parce qu'il est toute la journée dehors. Nous n'avons heureusement pas encore eu de pluie, et, quoiqu'il fasse très-froid, le temps est assez beau. Moi, je m'amuse assez; mais les répétitions prennent tant de temps que je n'ai exactement le temps de rien faire. On répète le matin l'Amant jaloux, qu'on jouera le dimanche en huit, et le soir la Fausse Magie, qu'on joue dimanche prochain. J'ai eu les plus grands succès dans mon rôle de Madame de Saint-Clair; on a trouvé que je le jouois très-bien et que j'étois très-bonne musicienne. M. le prince de Condé disoit ce soir: «C'est une bien bonne acquisition que nous avons faite là.» Mademoiselle me comble d'amitiés, et, excepté par toi, je n'ai jamais été gâtée comme je le suis depuis que je suis ici…

»Madame Élisabeth m'a déjà écrit depuis que je suis ici. Cette charmante princesse me donne tous les jours plus de marques de bonté et d'amitié; aussi l'aimé-je de tout mon cœur: je ne sais ce que je ne donnerois pas s'il s'agissoit de son bonheur…»

«À Chantilly, ce 3 décembre 1781.

»C'est hier que j'ai débuté. Le spectacle a été charmant; tout le monde a bien joué; je me suis fort bien acquittée de mon rôle de Madame de Saint-Clair dans la Fausse Magie. Je n'ai pas trop eu peur, et j'ai été fort applaudie. On a joué avant la Métromanie dans la plus grande perfection. M. le prince de Condé faisoit Francaleu, et le comte François de Jaucourt le Métromane. Tout le monde a prétendu qu'il l'avoit mieux joué que Molé. En un mot, cela a été à merveille, et j'aurois donné tout au monde pour que tu fusses avec nous; cela t'auroit certainement amusé…»

«À Chantilly, ce 7 décembre 1781.

»Madame de la Roche-Lambert est arrivée hier. On donne dimanche l'Épreuve délicate, pièce nouvelle, et l'Amant jaloux. Je joue le principal rôle dans la première pièce; il est d'une difficulté horrible; je ne le jouerai pas bien: cependant cela ne sera pas ridicule. Madame de la Roche-Lambert fait Éléonore dans l'Amant jaloux, Mademoiselle, Jacinthe, et moi, Isabelle; M. le prince de Condé, Lopez, M. d'Auteuil, Don Alonze, et le comte Louis d'Hautefeuille, Florival. Le trio des trois femmes va à merveille et fait un effet charmant. Riché m'a tant fait répéter que je chante fort bien mon rôle, et si je n'ai pas de grands succès, je suis sûre au moins de ne pas choquer. Mademoiselle me témoigne toujours l'amitié la plus grande. Je l'aime à la folie; elle a dans les manières beaucoup d'analogie avec Madame Élisabeth. Madame de Monaco est arrivée avant-hier au soir; cela m'a bien divertie, je mourois d'envie de la voir. Elle a l'air pédant au souverain degré, prêche morale toute la journée. M. le prince de Condé a l'air d'un petit garçon devant elle. À peine ose-t-il parler à une femme, parce qu'elle est d'une jalousie excessive. Aussi, comme elle n'est pas aux répétitions, il choisit ce moment pour jaser avec sa fille et avec moi. Il rit des folies que nous disons, parce que Mademoiselle est fort gaie; mais à peine rentrée dans le salon, le rideau se tire sur tous les visages: c'est une véritable comédie. M. le prince de Condé va tristement se placer auprès de madame de Monaco; moi, je reste auprès de Mademoiselle, parce que je ne saurois trop marquer que ce n'est que pour elle que je suis venue ici; de plus, que cela m'amuse davantage. Elle ne peut pas souffrir madame de Monaco; celle-ci le lui rend bien. Tout cela m'amuse; je l'avoue, cela ne produit pas le même effet sur tout le monde…»

«À Chantilly, ce 10 décembre 1781.

»J'ai eu hier de véritables succès: j'avois dans la nouvelle pièce un rôle de la plus grande difficulté, et je l'ai fort bien rendu. J'ai ensuite joué Isabelle: le trio des trois femmes a fait le plus grand effet. Madame de la Roche-Lambert, qui faisoit Éléonore, a chanté et joué comme un ange; mademoiselle de Condé a assez bien fait Jacinthe, mais ce rôle cependant n'alloit ni à sa voix ni à sa figure: le spectacle, en tout, a été charmant. M. d'Auteuil, que tu connois, a joué l'Amant jaloux dans la dernière des perfections; M. le prince de Condé, à l'exception qu'il n'a pas beaucoup de voix, a rendu à merveille le rôle de Lopez; il y a mis toute la gaieté et toute la finesse que le rôle exige.

»On joue dimanche prochain le Prince lutin, pièce nouvelle de M. de Saint-Alphonse; la musique est de M. de Laborde, son beau-frère. Elle est dans le goût ancien et très-difficile à apprendre. Je partirai le lendemain pour Versailles, malgré toutes les instances qu'on me fait pour rester quelques jours de plus; mais j'ai promis à Madame Élisabeth de revenir le 17, et ne veux pas manquer à ma parole. Je n'y aurai pas un grand mérite, car quoique je m'amuse fort ici et que j'y sois traitée à merveille, j'éprouverai une véritable satisfaction à revoir Madame Élisabeth et ma famille, et j'attends ce moment avec impatience. Bombon se porte toujours à merveille…

»Adieu; imagine que dès ce matin nous recommençons les répétitions: je suis lasse comme un chien de mes deux rôles d'hier, et nullement en train ce matin de chanter, d'autant plus que cette musique de M. de Laborde me déplaît…»

«Versailles, ce 12 décembre 1781.

»…Tu sauras donc une chose intéressante: c'est que M. de Maurepas est entièrement hors d'affaire. Il a déjà travaillé avec les ministres, et le voilà heureusement encore retiré des portes du tombeau. On dit que le Roi va donner sa survivance à M. de Nivernois; mais cela me paroît dénué de bon sens, car M. de Maurepas n'ayant pas de département ni le titre de premier ministre, il ne peut avoir de survivancier. Madame, fille du Roi, n'aura pas non plus la petite vérole, mais on l'a bien craint. Elle a eu trois fièvres. On avoit déjà préparé un autre appartement pour M. le Dauphin, qui devoit être sous la garde des trois anciennes sous-gouvernantes, et madame de Guéménée restoit à garder avec ma sœur et madame de Villefort. La Reine et Madame Élisabeth devoient s'enfermer avec la petite princesse pour la soigner. Tous ces beaux préparatifs se sont évanouis avec la bonne santé de Madame, qui se porte ce matin à merveille.»

«À Chantilly, ce 15 décembre 1781.

»M. le prince de Condé nous a menées en calèche hier, madame de Sorans et moi, voir tout Chantilly; cela m'a bien amusée. On ne connoît rien quand on n'a pas vu un si beau lieu! Nous avons passé au milieu des écuries: mon Dieu, la belle chose! Il n'y a que l'intérieur du hameau et de l'Isle d'Amour qu'il n'a pas voulu que nous vissions; il veut ne nous les faire connoître que ce printemps. On n'est pas plus aimable, plus honnête pour les femmes que ce prince; il fait les honneurs de chez lui comme s'il étoit un particulier. Il est surtout charmant quand la grande princesse n'est pas ici. Elle est à Paris depuis trois jours, à cause de madame de Ginestous, qui est tombée malade le lendemain de son mariage; mais elle va bien. Mademoiselle est ce qui m'attache le plus ici; elle est réellement charmante. Je pars après-demain matin. J'ai reçu pendant mon séjour ici des lettres charmantes de Madame Élisabeth; elle a la bonté de m'attendre avec impatience, j'en ai une bien grande de l'aller rejoindre, ainsi que toute ma famille…»

«À Versailles, ce 18 décembre 1781.

»Je suis arrivée hier au soir, me portant à merveille, ainsi que Bombon, n'ayant pu m'empêcher de donner quelques regrets à Chantilly, car véritablement le lieu, la vie qu'on y mène, tout y est charmant. Les bontés de Mademoiselle m'avoient attachée à elle: elle m'a paru avoir réellement du chagrin de mon départ; je lui avois inspiré de la confiance: elle ne me cachoit pas les petits dégoûts que lui donnoit madame de Monaco, le peu de fond qu'elle pouvoit faire sur toutes les personnes qui l'entouroient; enfin tout cela a fait que j'ai été très-touchée de me séparer d'elle.

»Le plaisir extrême que j'ai eu à revoir Madame Élisabeth, maman, m'a fait oublier ou du moins m'a fort consolée de n'être plus à Chantilly; mais croirois-tu que ce voyage, qui est la chose la plus simple, a pensé me faire des tracasseries? Le comte de Coigny, qui est méchant comme la gale, en a fait des gorges-chaudes, a prétendu que j'allois être la complaisante de madame de Monaco, mille bêtises à peu près pareilles; madame de Guéménée, par bonté et par une confiance aveugle en ce fat, a dit à maman presque des injures sur mon voyage là-bas. Maman lui a répondu qu'il falloit être bien méchant pour trouver d'autres raisons à mon séjour à Chantilly que celle de l'amitié que Mademoiselle avoit depuis longtemps pour moi; qu'ayant appris que mon fils avoit eu la petite vérole, elle m'avoit proposé d'aller lui faire prendre l'air à Chantilly; qu'il étoit impossible que je me refusasse à cette marque de bonté, et qu'il n'y avoit assurément rien que de fort honnête dans toute ma conduite. Madame de Guéménée lui a répondu qu'effectivement, à la manière dont elle présentoit la chose, elle paroissoit toute simple, qu'elle la trouvoit telle et le diroit bien à toutes les personnes qui lui en parleroient; mais comme maman sait qu'elle ment et qu'elle leur diroit peut-être des choses qui ne seroient pas, elle n'étoit pas tranquille, et en conséquence a fait chercher le comte d'Esterhazy, à qui elle a dit ses inquiétudes. Il lui a dit qu'elle pouvoit être sûre qu'il arrangeroit cela près de la Reine, au cas qu'elle ne le trouveroit pas bon. Il faut qu'effectivement il lui en ait parlé, car il y a trois jours que M. le comte d'Artois, avec un air goguenard, a demandé à Madame Élisabeth ce que j'avois été faire à Chantilly; la Reine a pris la parole et a dit que Mademoiselle, me connoissant, m'avoit engagée à y venir, et qu'elle trouvoit cela fort simple. Il est heureux que cela ait tourné comme cela et que le comte d'Esterhazy ait été ici, car, d'un voyage qui étoit assurément fort honnête, on se seroit servi pour dire beaucoup de mal de moi. Juge quel malheur si la Reine l'avoit cru? En tout, cette fameuse société est composée de personnes bien méchantes et montée sur un ton de morgue et de médisance incroyable. Ils se croient faits pour juger tout le reste de la terre… Ils ont si peur que quelqu'un puisse s'insinuer dans la faveur, qu'ils ne font guère d'éloges, mais ils déchirent bien à leur aise. Il faut cependant voir tout cela et ne rien dire, c'est impatientant! La belle-fille de M. de Vergennes a eu des convulsions; elle est grosse de six mois et on est fort inquiet de son état. Je compte faire une visite à madame de Vergennes: je ne sais si elle me recevra. J'espère au moins voir Monsieur, car je veux le remercier de ce qu'il a dit à Madame Élisabeth et l'en faire souvenir. On dit et même il paroît décidé que c'est l'archevêque de Toulouse qui sera archevêque de Paris. Il n'a pas tout à fait la dévotion du défunt, mais cela vaut bien mieux. C'est un esprit fort, protégé de la société: ainsi cela ira bien…»

«À Versailles, 19 décembre 1781.

»Il faut que tu saches mes folies: imagine-toi que dimanche, nous avons, comme tu sais, joué la comédie; j'ai eu assez de succès. Après le spectacle, on a soupé; vers minuit, on a commencé à danser; nous avons dansé jusqu'à sept heures du matin, et nous n'avons fini que parce que nous ne pouvions plus remuer de lassitude. Mademoiselle, après m'avoir fait des adieux très-tendres, a été se coucher; moi, j'ai été me déshabiller, ai fait une petite toilette, arrangé mes affaires, joué avec mon fils, et je suis partie à neuf heures et demie. Je me suis arrêtée quelque temps à Paris et suis arrivée à cinq heures du soir à Versailles, Bombon m'ayant amusée comme une reine pendant la route par ses petites manières. J'ai trouvé en arrivant un valet de pied de Madame Élisabeth qui m'a priée, de sa part, de venir tout de suite. J'y ai couru, comme tu t'imagines bien. Notre entrevue a été très-tendre: j'étois dans le ravissement de revoir cette petite princesse; nous avons eu bien des choses à nous dire; on m'a fait bien des questions. De là, j'ai été voir maman, toute ma famille. Comme Madame Élisabeth a soupé ce jour-là chez la Reine, j'ai été souper chez maman; mais sur les dix heures, l'extrême fatigue que j'éprouvois m'a fait tomber dans une ivresse incroyable: je tombois de sommeil et je parlois toujours malgré cela, je disois des choses dépourvues de bon sens… J'ai pris le parti le plus sage, qui étoit celui de m'aller coucher…»

«À Versailles, ce 22 décembre 1781.

»J'ai eu un grand plaisir depuis que je t'ai écrit, bien moins causé par la chose en elle-même que par les grâces qui l'ont accompagnée. Imagine-toi que, pour les fêtes qui vont se donner, Madame Élisabeth m'a fait faire un habit superbe. Il est arrivé avant-hier: il y avoit déjà plusieurs jours qu'elle m'avoit dit que bientôt je saurois un secret qui l'occupoit beaucoup. Effectivement, jeudi, elle m'a remis un gros paquet qu'elle m'a dit arrivé de Chantilly. Je l'ai ouvert, j'ai vu enveloppe sur enveloppe, point d'écriture, ce qui me confirmoit dans l'idée que ce secret étoit une plaisanterie; enfin, après avoir déchiré encore bien des enveloppes, j'ai trouvé une petite lettre; sur le dessus étoit écrit de la main de Madame Élisabeth: «À ma tendre amie»; et dedans il y avoit: «Reçois avec bonté, mon cher petit ange tutélaire, ce gage de ma tendre amitié.» Au même instant le grand habit a paru; je suis restée confondue, la joie la plus vive a succédé au premier moment d'étonnement; je me suis mise à pleurer, me suis jetée aux pieds de Madame Élisabeth; elle étoit dans l'enchantement de ma joie, de mon bonheur: la seule chose qui l'ait altéré, ce bonheur, lorsque j'ai examiné mon habit, c'est de le trouver trop beau: il est brodé en or et en argent, de toutes les couleurs; enfin c'est un habit qui va à près de cinq mille francs, ainsi tu peux en juger. Quoiqu'elle m'ait dit qu'elle le payeroit quand elle voudroit, cela la gênera cependant un jour, et cette idée m'afflige. J'aimerois cent fois mieux que l'habit fût de cinquante louis. Enfin cela est fait et je ne puis m'empêcher d'être ravie; la petite lettre m'a charmée: j'ai trouvé cette tournure-là pleine d'amabilité; mais ce n'est pas tout, elle m'a dit de lui donner ma garniture de martre et qu'elle se chargeoit de la faire arranger pour le jour du bal que donnent les gardes du corps, parce qu'il faut être en robe. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour m'y opposer, il n'y a pas eu moyen, et réellement je me trouve en ce moment-ci accablée de ses bienfaits. D'un côté, j'en jouis, et de l'autre, je les trouve trop considérables; mais elle y met tant de grâce et tant de bonté qu'elle me force presque à croire que ces dons ne l'embarrasseront pas. Madame de Causans a paru presque aussi contente que moi des bontés de Madame Élisabeth; elle étoit dans le secret. Il est impossible de donner plus de marques d'amitié qu'elle m'en donne. Sa tête va fort bien à présent, et je l'aime réellement de tout mon cœur. Madame Élisabeth est impatientée, ainsi que moi, d'imaginer que tu n'apprendras ce fameux secret que dans neuf jours. Je ne te l'ai pas mandé tout de suite, parce que, d'après les informations que j'ai prises à la poste sur les jours où je devois t'écrire, tu n'en aurois pas eu la nouvelle plus tôt…»

La naissance du Dauphin semblait avoir comblé les vœux du pays: les campagnes comme les villes en exprimaient leur joie. «Le peuple, les grands, écrivait madame Campan, tout parut à cet égard ne faire qu'une même famille… Les fêtes furent aussi brillantes qu'ingénieuses: les arts et métiers de Paris dépensèrent des sommes considérables pour se rendre à Versailles en corps avec leurs différents attributs; des vêtements frais et élégants formaient le plus agréable coup d'œil; presque tous avoient de la musique à la tête de leurs troupes. Arrivés dans la cour royale, ils se la distribuèrent avec intelligence et donnèrent le spectacle du tableau mouvant le plus curieux. Des ramoneurs, aussi bien vêtus que ceux qui paroissent sur le théâtre, portoient une cheminée très-décorée, au haut de laquelle étoit juché un des plus petits de leurs compagnons; les porteurs de chaises en avoient une très-dorée, dans laquelle on voyoit une belle nourrice et un petit Dauphin; les bouchers paroissoient avec leur bœuf gras; les pâtissiers, les maçons, les serruriers, tous les métiers étoient en mouvement: les serruriers frappoient sur une enclume; les cordonniers achevoient une petite paire de bottes pour le Dauphin; les tailleurs un petit uniforme de son régiment, etc. Le Roi resta longtemps sur son balcon pour jouir de ce spectacle, qui intéressa toute la cour. L'enthousiasme fut si général, que, la police ayant mal surveillé l'ensemble de cette réunion, les fossoyeurs eurent l'impudence d'envoyer aussi leur députation et les signes représentatifs de leur sinistre profession. Ils furent rencontrés par la princesse Sophie, tante du Roi, qui en fut saisie d'effroi et vint demander au Roi que ces insolents fussent à l'instant chassés de la marche des corps et métiers qui défiloient sur la terrasse.»

Hélas, non! ce n'étaient point des insolents. C'étaient de pauvres gens qui, oublieux des pensées de deuil qu'éveillait la nature de leurs fonctions, avaient naïvement voulu prendre part à l'allégresse publique. Mais il est impossible de ne pas remarquer ce qu'il y avait de tragique dans cette apparition des fossoyeurs au milieu de ces joies. Le sinistre avenir semblait projeter son ombre fatale sur les réjouissances mêmes du présent. Ajoutons que dans toutes les fêtes auxquelles donnait lieu un événement favorable dans la vie de Marie-Antoinette, un symptôme de malheur apparaissait toujours comme un funèbre avertissement.

«Les dames de la Halle, continue madame Campan, vinrent complimenter la Reine et furent reçues avec le cérémonial que l'on accordoit à cette classe de marchandes; elles se présentèrent au nombre de cinquante, vêtues de robes de soie noire, ce qui jadis étoit la grande parure des femmes de leur état; presque toutes avoient des diamants. La princesse de Chimay fut à la porte de la chambre de la Reine recevoir trois de ces femmes qui furent introduites jusqu'auprès du lit; l'une d'elles harangua Sa Majesté: son discours avoit été fait par M. de la Harpe et étoit écrit dans un éventail, sur lequel elle jeta plusieurs fois les yeux, mais sans aucun embarras; elle étoit jolie et avoit un très-bel organe. Elle dit entre autres choses à la Reine: «Il y a longtemps que nous vous aimons sans oser vous le dire; nous avons besoin de tout notre respect pour ne pas abuser de la permission de vous l'exprimer.»

»Elle dit au Roi: «Sire, le ciel devoit un fils à un Roi qui regarde son peuple comme sa famille; nos prières et nos vœux le demandoient depuis longtemps. Ils sont enfin exaucés. Nous voilà sûres que nos enfants seront aussi heureux que nous, car cet enfant doit vous ressembler. Vous lui apprendrez, Sire, à être bon et juste comme vous. Nous nous chargeons d'apprendre aux nôtres comment il faut aimer et respecter son Roi.»

»Enfin elles dirent au Dauphin: «Vous ne pouvez entendre encore les vœux que nous faisons autour de votre berceau: on vous les expliquera quelque jour; ils se réduisent tous à voir en vous l'image de ceux de qui vous tenez la vie.»

Les poissardes chantèrent plusieurs couplets: le Roi et la Reine remarquèrent celui-ci:

 
Ne craignez pas, cher papa,
D'voir augmenter vot'famille,
Le bon Dieu z'y pourvoira:
Fait's-en tant qu'Versaille en fourmille;
Y eût-il cent Bourbons cheu nous,
Y a du pain, du laurier pour tous.
 

Leurs Majestés furent touchées de ces discours et de ces chansons.

La Reine y répondit avec affabilité. Louis XVI voulut qu'un grand repas fût donné à toutes ces femmes; selon l'usage suivi en pareille circonstance, un maître d'hôtel de Sa Majesté, le chapeau sur la tête, faisait seul les honneurs de cette table. Les portes restèrent ouvertes, et une multitude de gens eurent la curiosité d'aller voir ce spectacle.

Doublement heureux de la joie qu'avait éveillée au sein de la nation la naissance de leur fils97, le Roi et la Reine résolurent d'aller en l'église de Notre-Dame de Paris remercier Dieu de la grâce qu'ils avaient reçue de lui. La ville de Paris leur avait offert une fête à cette occasion. De leur côté, les gardes du corps avaient obtenu du Roi la permission de donner à la Reine un bal paré dans la grande salle de l'Opéra de Versailles. Une grave maladie de madame la comtesse d'Artois vint suspendre les préparatifs de ces réjouissances. Madame de Bombelles écrivait à son mari:

«À Versailles, le 27 décembre 1781.

»Adieu toutes les fêtes, madame la comtesse d'Artois est au plus mal d'une fièvre qui d'abord avoit si peu inquiété que je ne t'en avois pas parlé, mais qui est devenue des plus graves, puisque les médecins disent qu'elle est maligne. Ils craignent aussi que le sang ne soit gangrené: elle a des cloches, qu'on appelle des phlyctènes, qui l'annoncent. Elle a été administrée hier à minuit. Cette pauvre petite princesse, dans les moments où elle a sa tête, dit qu'elle sent bien qu'elle va mourir; tout le monde en est persuadé et très-affligé, parce que c'étoit la bonté même; tout ce qui l'entoure se désespère: M. le comte d'Artois ne la quitte pas; Madame, apprenant hier après dîner que sa sœur alloit plus mal, et craignant qu'on ne l'empêchât de la voir davantage, s'est mise à courir de toutes ses forces pour aller chez elle; elle est tombée en montant l'escalier, s'est évanouie, et il lui a pris des convulsions affreuses qui ont duré deux grandes heures (il n'est pas encore sûr qu'elle ne fasse pas une fausse couche). Pendant ce temps-là, madame la comtesse d'Artois ne voyant pas venir Madame, s'est mise à faire des cris, des hurlements affreux, disant qu'elle avoit quelque chose à lui dire, qu'elle vouloit la voir absolument. On a été chercher Monsieur, qui est arrivé chez elle et a été obligé de lui dire que Madame avoit fait une chute, qu'elle alloit être saignée et qu'elle ne pouvoit pas sortir de son lit. Madame Élisabeth est si affligée de l'état de madame la comtesse d'Artois que je n'ai pas voulu la quitter hier de la journée; elle a été avec la Reine chez Madame pendant son évanouissement et ses convulsions. La Reine s'est conduite parfaitement: elle lui a donné tous les soins, toutes les marques d'amitié qu'elle lui devoit; si cette catastrophe pouvoit les raccommoder ensemble, ce seroit au moins un dédommagement. J'espère encore que madame la comtesse d'Artois n'en mourra pas. Elle est si jeune, elle a toujours eu l'air si sain, que les médecins doivent trouver beaucoup de ressources pour la tirer de là. Il est certain qu'elle est bien mal, et ce qui est un bien mauvais signe, c'est qu'elle tire ses draps avec ses mains; elle a toujours l'air de chercher quelque chose: tous les gens qui sont à la mort ont la même manie, c'est une espèce de convulsion. Enfin, il falloit que cette pauvre petite princesse mourût pour qu'on parlât d'elle; mais aussi n'est-ce qu'en bien. Le regret est général, et si elle pouvoit revenir, l'alarme qu'elle auroit donnée feroit qu'on l'aimeroit beaucoup…»

«À Versailles, ce 29 décembre 1781.

»Madame la comtesse d'Artois est, Dieu merci, hors de tout danger… Madame Élisabeth a tant de bontés pour moi, me traite avec tant d'amitié, que la vie que je mène près d'elle est infiniment douce et agréable; et il n'est personne qui n'éprouve par quelque endroit de petits désagréments. Je t'avouerai encore que ce qui me fait de la peine est qu'il me paroît que la Reine me traite moins bien depuis que j'ai été à Chantilly: elle qui, pendant la maladie de Bombon, avoit paru y prendre le plus grand intérêt, n'a pas imaginé de m'en dire un mot… Madame Élisabeth me dit que je radote; cela me rassure un peu, mais cependant pas tout à fait, parce qu'il est fort possible que la Reine ne lui dise pas ce qu'elle pense de moi, connoissant l'intérêt qu'elle prend à ce qui me regarde. Je ne lui en parle plus, dans la crainte de l'ennuyer, mais je n'en pense pas moins, et cela m'attriste; enfin, nous verrons comment tout cela tournera. À la garde de Dieu! Je ferai tout ce que je croirai devoir faire et puis je me tiendrai tranquille; car, dans le fait, quand votre conduite est parfaitement honnête, les propos ne peuvent jamais être bien longs…»

La convalescence de madame la comtesse d'Artois, dont la maladie avait interrompu toutes les joies, rendit l'essor au plaisir, et la ville de Paris donna à la Reine la fête annoncée depuis longtemps. La date est faite pour éveiller dans l'âme tout un monde de pensées: cette fête eut lieu le lundi 21 janvier. En voici la relation officielle, que la Gazette s'empressa de publier dans un supplément:

SUPPLÉMENT À LA GAZETTE DU MARDI 29 JANVIER 1782

Relation de la fête que la ville de Paris a donnée à Leurs Majestés le Roi et la Reine, les 21 et 23 de ce mois, à l'occasion de la naissance de Monseigneur le Dauphin.

«Le 21 janvier 1782, la Reine, partie de la Muette à neuf heures et demie, a pris ses voitures de cérémonie au rond du cours: Sa Majesté, ayant cent gardes du corps du Roi, étoit accompagnée dans sa voiture de Madame Élisabeth de France, de Madame Adélaïde de France, de la princesse Louise-Adélaïde de Bourbon-Condé, de la princesse de Lamballe et de la princesse de Chimay.

»La Reine, depuis l'endroit où elle a pris ses voitures de cérémonie, a été au pas d'abord à Notre-Dame, et ensuite à Sainte-Geneviève, pour y rendre grâces à Dieu de la naissance heureuse de Monseigneur le Dauphin. À une heure un quart, Sa Majesté, que les acclamations publiques avoient suivie partout, est arrivée à l'hôtel de ville, où elle a été reçue au bas de l'escalier suivant l'usage. En entrant dans la grande salle de l'hôtel de ville, la Reine y a trouvé les princes, seigneurs et dames invités, qui l'avoient précédée pour la recevoir et pour y attendre l'arrivée du Roi: tout ce noble cortége étoit vêtu avec la magnificence digne d'une fête aussi éclatante.

»Le Roi, parti du château de la Muette à midi trois quarts, a pris ses carrosses de cérémonie au même endroit où la Reine avoit pris les siens; Sa Majesté étoit escortée de cent cinquante de ses gardes, des chevau-légers, des gendarmes de sa garde ordinaire, et du vol du cabinet; tous ces corps marchant à leur rang ordinaire et fixé pour les cérémonies: le Roi étoit accompagné dans sa voiture de Monsieur, de monseigneur comte d'Artois, du prince de Lambesc, grand écuyer de France; du duc de Coigny, premier écuyer, et du duc d'Ayen, capitaine des gardes. La foule étoit si grande sur toute la route du Roi qu'elle offroit le plus brillant coup d'œil. Sa Majesté trouva la même affluence sur toute sa route jusqu'à l'hôtel de ville, où elle arriva et où elle fut reçue, selon l'usage, au bas de l'escalier de cet hôtel.

»Avant de se mettre à table pour dîner, Leurs Majestés eurent la bonté de se montrer plusieurs fois sur le balcon, d'où elles devoient voir le feu d'artifice; et cette faveur du Roi et de la Reine fut sentie et exprimée de la manière la plus vive par les cris de joie du peuple immense qui étoit rassemblé dans la place.

»À deux heures trois quarts, Leurs Majestés se mirent à table, et le repas somptueux qui leur fut servi dura deux heures moins un quart. Le Roi et la Reine étoient placés au haut de la table; Monsieur étoit à la droite de Sa Majesté, et monseigneur comte d'Artois à la gauche de la Reine; Madame Élisabeth se trouvoit immédiatement après Monsieur, Madame Adélaïde de France après monseigneur comte d'Artois, la jeune princesse de Bourbon-Condé après Madame Élisabeth, la princesse de Lamballe après Madame Adélaïde, et toutes les autres dames, au nombre de soixante-dix, comme elles se sont trouvées, la table étant composée de soixante-dix-huit couverts.

»Le Roi a été servi par le sieur de Caumartin, prévôt des marchands, qui lui a présenté la serviette avant de se mettre à table, et la Reine par la dame de la Porte, nièce du sieur de Caumartin, qui lui a présenté la serviette; les princes et princesses de France par les échevins, le procureur du Roi et le receveur de la ville: le dîner avoit été préparé par les officiers du Roi et donné par la ville; pendant le dîner, il y eut de la musique. Après le service de la table de Leurs Majestés, on servit d'autres tables dans des salles préparées pour les seigneurs et pour les personnes de la suite du Roi et de la Reine.

»Après le dîner, Leurs Majestés ont passé dans la grande salle, où elles ont tenu appartement et jeu pendant une heure et demie, c'est-à-dire depuis cinq heures jusqu'à six heures et demie.

»Alors Leurs Majestés se sont rendues avec les princes, princesses et tous les seigneurs et dames de la cour, dans la salle où elles avoient dîné et d'où elles ont vu le feu d'artifice, après lequel la cour est revenue dans la pièce où s'étoit tenu le jeu.

»À sept heures et un quart, le Roi, reconduit au bas de l'escalier de l'hôtel de ville comme il y avoit été reçu, est reparti de la même manière qu'il étoit venu; et la Reine, également reconduite au bas de l'escalier de l'hôtel de ville, est partie à huit heures moins un quart de la manière dont elle étoit arrivée: Leurs Majestés retrouvant partout la même affluence de peuple et les mêmes transports.

»Leurs Majestés, en s'en retournant, ont vu plusieurs des illuminations qui se trouvoient sur leur route, et notamment celle de la place Vendôme, dont Leurs Majestés ont fait le tour. Elles virent aussi en passant la brillante illumination de la place Louis XV, ayant pour regard le palais de Bourbon, dont l'illumination avoit le plus grand éclat.

»Les officiers des gardes du corps qui entouroient les carrosses du Roi et de la Reine ont jeté de l'argent en plusieurs endroits.

»Leurs Majestés, pendant toute cette journée, si précieuse aux Parisiens, ont témoigné partout la satisfaction la plus grande, et ont fait les compliments les plus honorables et les plus flatteurs au prévôt des marchands et à toutes les personnes qui ont eu la direction de cette fête.

»On ne peut se dispenser de donner ici une esquisse légère des constructions élégantes et pittoresques, des embellissements et ornements exécutés sous la direction du sieur Moreau, architecte du Roi, maître général, contrôleur-inspecteur des bâtiments de la ville.

»Le feu d'artifice étoit disposé sur le nouveau quai, au moyen duquel la place se trouvoit agrandie. Il représentoit le temple de l'Hymen formé par un portique de colonnes, surmonté d'un fronton et couronné d'un attique… Sur un autel élevé au centre brûloient, pour la prospérité de la famille royale et celle de monseigneur le Dauphin, les offrandes de la nation. Devant le portique du temple, on voyait la France recevant des mains de l'Hymen l'enfant auguste et précieux qui vient de naître. L'édifice étoit surmonté par des enfants et des aigles qui ornoient le temple de guirlandes, etc., etc.

»L'hôtel de ville étant d'une étendue médiocre pour une si grande occasion, et le feu d'artifice étant placé sur le quai, les croisées de l'hôtel ne se trouvoient plus en face ni disposées pour jouir du spectacle de cet ensemble.

»Le besoin d'augmenter le local pour recevoir et placer plus convenablement Leurs Majestés et la cour avoit déterminé le sieur Moreau, dont les talents et le goût sont connus, à construire une galerie en retour du bâtiment de l'hôtel de ville et en face du feu d'artifice.

»En couvrant la cour de l'hôtel de ville, on en avoit formé une très-grande salle pour le festin et pour le bal. Les deux étages d'arcades dont elle est décorée formoient des tribunes ornées de tout ce que l'art peut offrir de plus riche, de plus varié et de plus commode.

»Dans la pièce appelée la grande salle, Leurs Majestés ont tenu appartement et jeu. Une des extrémités étoit ornée d'un dais magnifique sous lequel étoit placé le portrait du Roi en pied, ainsi que les bustes du Roi et de la Reine sur des piédestaux. Deux fauteuils étoient placés sur une estrade élevée au milieu par deux gradins. À l'autre bout étoit une cheminée ornée d'emblèmes et enrichie d'or et de marbre précieux. Tous les meubles répondoient à cette magnificence, ainsi que ceux d'un appartement préparé pour la Reine à un des coins de cette salle; au côté opposé se trouvoit l'entrée pratiquée pour la grande galerie qui avoit été construite, et dont on a parlé.

»Cette pièce avoit quarante-huit pieds de large sur cent trente-deux de long et vingt-huit de hauteur. Elle a servi pour le dîner de Leurs Majestés, leurs loges et celles de la cour pour voir le feu; même richesse, même goût d'ornements et de meubles: dans les deux extrémités on avoit placé des musiciens qui, pendant le dîner, ont exécuté, d'un côté, des symphonies du meilleur choix, et, de l'autre, les morceaux de chant les plus agréables.

»Le dehors de cette galerie, qui a eu le plus grand succès, étoit décoré par un frontispice de douze colonnes corinthiennes peintes en marbre, cannelées, surmontées de leur entablement et balustrade, portées sur un soubassement. L'édifice étoit couronné par un attique divisé en pilastres et bas-reliefs, au milieu duquel s'élevoit un fronton chargé de cartels et d'écussons aux armes de France.

»La loge de Leurs Majestés, pour voir le feu d'artifice, occupoit les trois entre-colonnements du milieu, qui formoient un avant-corps et rotonde avec coupole portés par huit supports… À l'aplomb de chaque support étoit placé un vase d'or, d'où partoit un lis. Le dessus de la loge étoit en calotte, couvert d'une étoffe cramoisie avec nervures et compartiments, surmonté d'un dauphin.

»Le 23, la place de l'hôtel de ville, l'édifice du feu d'artifice et la galerie ont été illuminés le soir pour le bal qui devoit terminer cette fête. Le Roi et la Reine ont honoré ce bal de leur présence; mais l'affluence étonnante des masques, cet empressement irrésistible qui porte les sujets à s'approcher toujours le plus qu'ils peuvent de leurs maîtres, n'a pas permis à Leurs Majestés d'y rester plus d'une heure98.

»Dans l'une et l'autre des fêtes, l'ordre essentiel pour la sûreté publique, la liberté des débouchés et la circulation, a été parfaitement établi, et l'on ne peut que féliciter infiniment toutes les personnes qui ont concouru si heureusement à ce qu'aucun désordre, aucun accident n'aient troublé dans ces deux occasions la joie et l'allégresse publiques.

»Sa Majesté, ayant gratifié du cordon de l'ordre de Saint-Michel les sieurs Richer et de Bordenave, premier et deuxième échevins; le sieur Buffault, receveur général de la ville, et le sieur Moreau, maître général des bâtiments de la même ville, a permis qu'à commencer du premier jour de la fête ils se décorassent des marques de cet ordre, quoiqu'ils ne fussent pas encore reçus chevaliers.»

Madame de Bombelles ne put prendre part à cette fête, dont son imagination s'était fait un grand plaisir. Elle écrit à son mari:

97.Les provinces fêtaient, chacune à sa manière, le grand événement qui avait donné au trône un héritier direct.
  Le 1er janvier 1782, le prince de Condé, gouverneur et lieutenant général en Bourgogne, accompagné de M. Amelot, secrétaire d'État ayant ce département, présentèrent au Roi et à la Reine, au nom des états de cette province, une délibération de ses élus généraux sur les fêtes qu'ils avaient ordonnées à cette occasion, ainsi qu'une médaille d'or, portant, d'un côté, les bustes du Roi et de la Reine et les noms de Leurs Majestés; de l'autre, les armes de Bourgogne, avec ces mots distribués en lignes circulaires et concentriques: Mariages de douze filles dotées par les états de Bourgogne, à la naissance de Monseigneur le Dauphin, 1781.
98.L'affluence était extrême. Les cris de Vive le Roi! se répétaient de toutes parts avec enthousiasme. Ce fut dans un de ces moments où la foule, en criant Vive le Roi! l'entourait au point qu'il était pressé de partout et ne pouvait plus avancer, que Louis XVI dit avec une gaieté vive et franche: «Mais si vous voulez qu'il vive, ne l'étouffez donc pas.»
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
31 temmuz 2017
Hacim:
723 s. 6 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
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