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Kitabı oku: «La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1», sayfa 13

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«À Versailles, ce 21 janvier 1782.

»Eh bien, mes craintes n'ont été que trop fondées; tout le monde est à Paris, et moi j'ai été obligée de revenir hier au soir ici: j'ai décidément la jaunisse; j'ai vu ce matin Lemonnier et Loustoneau, qui sont venus me voir et qui m'ont dit que ce ne seroit rien du tout, que mon état ne demandoit que du ménagement et de la diète; je me porte beaucoup mieux qu'auparavant à présent que je suis bien jaune: il y a plus de quinze jours que j'avois des maux de cœur et des tristesses qui me donnoient presque des vapeurs; aujourd'hui je me sens gaie, je ne souffre pas du tout, je n'ai qu'un peu mal au cœur, et je suis persuadée que d'ici à cinq ou six jours je serai guérie. Quand je suis arrivée hier, Madame Élisabeth n'étoit pas partie, je l'ai été voir tout de suite, tu ne peux pas t'imaginer avec quelle bonté elle m'a traitée; elle a chargé Loustoneau, sans que je le susse, de lui donner tous les jours de mes nouvelles; elle m'a fait mille caresses pour me consoler de n'être pas à l'entrée, enfin elle a été charmante…»

La fête donnée ensuite par les gardes du corps eut lieu le 30 janvier dans la grande salle de spectacle du palais de Versailles; elle commença par un bal paré et se termina par un bal masqué. La Reine ouvrit le bal par un menuet qu'elle dansa avec un simple garde nommé par le corps, et auquel le Roi accorda le bâton d'exempt.

Madame de Bombelles fut dédommagée de n'avoir point assisté à la fête de l'hôtel de ville de Paris.

«À Versailles, ce 26 janvier 1782.

»Madame Élisabeth m'est venue voir cette après-dînée; elle a fait venir Bombon, qui a été charmant; elle ne l'avoit pas encore vu marcher absolument seul, et pour le faire briller dans tout son éclat, je me suis mise à jouer un petit air sur le clavecin; il a pris son petit fourreau de chaque côté, s'est mis à danser et à tourner tout autour de la chambre, ce qui a fort amusé Madame Élisabeth. En le faisant danser, je pensois à toi, et je me disois: S'il étoit ici, il deviendroit fou de cet enfant! Véritablement tu l'aimerois à la folie, car il est impossible pour son âge d'être plus aimable et de marquer plus d'intelligence dans tout ce qu'il fait. Attends-toi à le trouver bien laid, parce qu'il l'est; mais cela ne t'empêchera pas, au bout de quelques jours, de le trouver charmant par ses manières…»

»À Versailles, ce 3 février 1782.

»Ma jaunisse a été assez aimable pour ne pas m'empêcher d'aller au bal paré, et cela m'a fait un grand plaisir, car c'étoit la plus superbe chose qu'on ait jamais vue; on prétend qu'il s'en falloit bien que les bals qu'on y a donnés pour le mariage des princes approchassent de la magnificence de celui-ci, parce qu'il y avoit un tiers de bougies de plus au dernier; toutes les loges étoient remplies de femmes extrêmement parées; la cour étoit de la plus grande magnificence; enfin c'étoit superbe, et j'étois au désespoir que tu ne fusses pas ici… Ma robe a joué son rôle, elle est superbe; le bal a commencé à six heures et a fini à neuf: à minuit, Madame Élisabeth a été avec mademoiselle de Condé et plusieurs de ses dames dans une loge au bal masqué; elle m'a proposé d'y venir, et comme je croyois qu'elle n'y passeroit qu'une demi-heure, j'ai accepté; point du tout, elle s'y est amusée comme une reine et y est restée jusqu'à trois heures et demie, de manière qu'il en étoit quatre lorsque je me suis mise au lit… La Reine m'a traitée à merveille le jour du bal; elle m'a demandé comment je me portois, s'il étoit bien prudent de sortir déjà; elle m'a dit à demi-voix: – Irez-vous au bal masqué? – Je lui ai répondu en souriant que je n'en savois rien. – Oh! l'enfant! véritablement on ne mérite pas l'honneur d'être chaperon quand on va au bal venant d'avoir la jaunisse. – Comme ma petite belle-sœur étoit avec moi et étoit entrée chez la Reine sans en avoir le droit, je lui ai dit que je craignois d'avoir fait une grande sottise en faisant entrer ma sœur chez elle; elle m'a répondu que cela ne faisoit rien et qu'elle étoit ravie de la voir. J'ai été charmée que cela se fût passé ainsi, car je craignois vraiment d'avoir fait quelque chose de très-mal. Le Roi m'a aussi parlé au bal; il m'a demandé si je trouvois le bal fort beau, je lui répondis que c'étoit superbe. Ensuite il m'a demandé des nouvelles de ma sœur, de maman, de ma tante; il m'a dit: – C'est une épidémie, toutes les sous-gouvernantes sont malades. – Je lui ai dit: Oui, Sire, il ne reste que madame d'Aumale. – Il m'a répondu en riant: Oh! c'est un beau renfort!»

C'est à ce bal que fut inaugurée la mode de porter des dauphins en or ornés de brillants, comme on portait des jeannettes. À la suite de ses couches, les cheveux de la Reine sont tombés; elle a adopté alors une coiffure dite à l'enfant. Cette coiffure basse a été prise successivement par la cour et par la ville99.

La Reine et avec elle madame la duchesse de Bourbon avaient adopté une mode jusqu'alors réservée aux hommes et que les femmes du grand monde s'empressèrent toutes de prendre: je veux parler des catogans, qui retroussaient les cheveux et les attachaient près de la tête. Ces nœuds de ruban, quand on y joignait les cadenettes, le petit chapeau et le plumet, donnaient à un jeune visage quelque chose de piquant et de cavalier. La simplicité de Madame Élisabeth n'acceptait pas cette parure; le Roi s'en moquait et souvent en parlait avec une sorte d'aigreur. Un jour, il entra chez la Reine avec un chignon. Marie-Antoinette se prit à rire. «Vous devriez, lui dit-il, trouver cela tout simple; ne faut-il pas nous distinguer des femmes, qui ont pris nos modes?» La leçon ne tomba point à terre: les costumes masculins disparurent.

C'est aussi à cette époque qu'il faut placer la révolution qui s'opéra dans la toilette des enfants. Défigurés depuis la Régence avec des boucles, des rouleaux pommadés et saupoudrés à blanc, affublés d'une bourse, d'un chapeau sous le bras, d'une épée au côté, ces pauvres petits êtres retrouvèrent leur chevelure première, bien taillée en rond, brillante et nette, seule parure d'une tête enfantine; puis ils portèrent des habits simples et commodes qui laissaient en liberté les mouvements capricieux de leur âge.

La naissance de Madame Royale, suivie (trois ans plus tard) de celle du premier Dauphin, avait fait vibrer une nouvelle fibre au cœur de Madame Élisabeth. Si le divin Maître voyait avec bonheur venir les petits enfants vers lui, c'était aussi avec bonheur que Madame Élisabeth allait vers les petits enfants. Elle se sentait attirée près d'eux par le double charme de la faiblesse et de l'innocence. Elle montrait surtout le plus tendre intérêt à la petite nièce que le Roi lui avait donnée. Elle fut heureuse du premier sourire que ses caresses firent éclore sur ses lèvres, heureuse de la première lueur de raison qu'elle vit poindre dans son intelligence. Elle en suivit les progrès avec un tendre intérêt, invinciblement ramenée chaque jour vers cette petite tête qui semblait l'initier aux préoccupations, aux soins et aux angoisses maternelles.

Ce fut là comme un nouveau lien qui attacha Madame Élisabeth à Versailles et qui devait la retenir près du trône. Elle fut pour ainsi dire la première institutrice de la jeune Marie-Thérèse, lui inspirant l'idée du bon et du juste, cherchant à lui former un jugement solide, et tournant vers Dieu les naissants mouvements de son cœur. La nièce répondait par la plus entière confiance à l'affection de la tante et par la plus vive attention aux leçons qu'elle en recevait. Elle se prit à l'aimer comme une amie et comme une mère. Madame Élisabeth joignait à une haute raison une jeunesse de caractère et de cœur qui rapprochait la distance entre un enfant de cinq ans et une jeune fille de dix-huit. La pureté est le niveau des âmes: les anges n'ont point d'âge.

À cette époque, la Reine fit un choix qui fut un sujet de joie pour Madame Élisabeth: la vicomtesse d'Aumale, son amie, fut détachée de l'éducation des Enfants de France et spécialement chargée de celle de Madame Royale. Malheureusement cette faveur confiante de la Reine excita quelque jalousie ombrageuse dans son entourage, qui parvint à lui persuader qu'en mettant sa fille entre les mains de madame d'Aumale, elle l'avait placée sous la tutelle de Madame Élisabeth. Ce prétexte suffit pour écarter madame d'Aumale; mais il était impuissant à séparer Marie-Thérèse et Élisabeth. Elles ne se revirent plus aussi assidûment; mais leurs cœurs s'étaient compris, et les liens qui les attachaient l'une à l'autre devaient être resserrés par les disgrâces de la cour, comme ils le furent plus tard par le malheur.

Madame Élisabeth était née pour l'intimité: autant elle était vive, confiante et expansive dans son cercle familier de Montreuil, autant elle laissait voir de timidité, de réserve, je dirai même d'embarras, non pas seulement quand elle se trouvait en représentation dans les salons de la Reine, mais dans son propre intérieur, alors qu'elle y était entourée de la plupart de ses dames. Elle semblait craindre que ses paroles, ses regards même ne montrassent une préférence à une d'elles. Les saillies de son esprit étaient comprimées par les sollicitudes de son cœur, et ses discours, son maintien même se ressentaient de cette gêne. Du reste, un merveilleux instinct lui faisait reconnaître les personnes, si peu nombreuses, hélas! dignes d'être admises à sa familiarité. La duchesse de Duras, la vicomtesse d'Aumale étaient de ces personnes qui, par les grâces de leur esprit, la droiture de leur raison aussi bien que par l'élévation de leur âme, avaient gagné son amitié et sa confiance. Difficile dans ses choix, Madame Élisabeth était dévouée dans ses affections. Ses amies étaient des sœurs pour elle; les intérêts de leur famille, les soucis de leurs affaires devenaient ses soucis et ses intérêts. Si une d'elles était souffrante, elle s'empressait de l'aller voir, elle lui tenait compagnie. Elle leur prodiguait dans leur disgrâce les mêmes soins et les mêmes égards que dans leur faveur. Elle n'avait pas cessé de voir madame d'Aumale depuis son éloignement de Madame Royale; et malgré l'opposition que la triste affaire du collier avait soulevée contre tous les membres de la maison de Rohan, elle ne crut pas devoir refuser à madame de Marsan les marques habituelles de ses bons sentiments pour elle; avec cette déférence et ces respects affectueux qu'elle gardait toujours vis-à-vis de la Reine, elle la pria de ne pas s'étonner de lui voir rendre à son ancienne institutrice ce qu'elle devait à son âge et à ses vertus.

Dans cette heureuse année de 1781, le Roi fit l'acquisition de la propriété que la princesse de Guéménée avait à Montreuil et que les désastres de sa fortune ne lui avaient plus permis de conserver100. Il pria la Reine, qu'il avait mise dans la confidence de ses projets, d'emmener, dans une de ses promenades, Élisabeth à Montreuil, et de descendre avec elle dans cette habitation qu'il savait lui être agréable. Heureuse de la surprise qu'elle va causer à sa belle-sœur, Marie-Antoinette l'engage à l'accompagner: «Si vous voulez, lui dit-elle, nous nous arrêterons à cette maison de Montreuil où vous alliez volontiers quand vous étiez enfant? – Cela me fera grand plaisir, répond Élisabeth, car j'y ai passé des heures très-agréables.» On arrive à Montreuil, où tout est disposé pour recevoir de telles visiteuses, et dès qu'elles y sont entrées: «Ma sœur, dit la Reine, vous êtes chez vous. Ce sera votre Trianon. Le Roi, qui se fait un plaisir de vous l'offrir, m'a laissé celui de vous le dire.»

Les inspirations fraternelles de Louis XVI ne l'avaient pas trompé. Ce don devait être pour Madame Élisabeth une source de jouissances intimes; car, de ce moment, elle put associer ses amies à son existence de chaque jour et se dérober aux pompes de la cour quand son devoir n'y marquait pas sa place. Le parc dont elle prenait possession est situé à droite de la barrière lorsque l'on entre à Versailles: il longe l'avenue de Paris et s'étend de la rue de Bon-Conseil à la rue Saint-Jules; son entrée est au no 2 de la rue de Bon-Conseil, le seul de cette rue. Cette entrée est telle qu'elle était avant la Révolution, telle qu'elle a toujours été. Ce parc, amoindri par la Révolution, a recouvré, sous le propriétaire actuel, ses anciennes limites. Les modifications qu'il a reçues ont dû en changer un peu l'aspect; les arbres, en grandissant, lui ont sans doute donné aussi un caractère plus tranquille et plus mélancolique. Ce parc n'a pas moins de huit hectares, sur lesquels aurait pu se déployer tout un quartier de villas et d'agréables chalets; mais, jaloux d'y conserver les traditions du passé, l'honorable propriétaire de ce royal domaine a su le défendre contre les calculs de la spéculation et de l'intérêt personnel.

Au milieu d'une pelouse ornée de bouquets d'arbres et de massifs de fleurs s'élève la maison, dont quatre colonnes de marbre soutiennent le péristyle. La partie du bâtiment central, figurée par une teinte plus noire sur le plan ci-joint, est telle qu'elle était du temps de Madame Élisabeth; les deux ailes qui l'encadrent, abattues dans les mauvais jours de la Révolution, ont été rebâties vers le commencement de ce siècle sur leurs anciens fondements.

PLAN DE LA PROPRIÉTÉ DE MADAME ÉLISABETH, À MONTREUIL-VERSAILLES (1787.)


À gauche, on aperçoit la ferme où Madame Élisabeth établit bientôt sa laiterie, qui devait être un des instruments les plus actifs de sa bienfaisance. Une allée d'arbres arrondis en berceau forme une ceinture de verdure et d'ombrage le long de l'avenue de Paris. Un des premiers actes de la propriétaire fut de détacher de son domaine une petite maison située rue Champ-la-Garde101, et de la donner à madame de Mackau. Il lui semblait qu'elle ne pouvait mieux inaugurer sa première possession qu'en priant son ancienne institutrice de la partager avec elle. «La petite maison de ma mère, a écrit madame de Bombelles, avoit une porte qui communiquoit dans le jardin de Madame Élisabeth. M. de Bombelles y eut une maladie qui lui causa des douleurs horribles: la princesse, qui avoit pour lui des bontés extrêmes, venoit le voir journellement, l'encourageoit, le consoloit et partageoit les peines que me causoit cet état, comme auroit pu faire la sœur la plus tendre.» Madame Élisabeth retrouvait aussi de précieux souvenirs à Montreuil. C'était dans ce village, et à quelques pas de sa demeure, que s'élevait le pavillon et que s'étendait le parc102 qui avaient appartenu à madame de Marsan, et qui lui rappelaient les heures les plus heureuses de son enfance, celles qu'elle avait passées avec sa chère Clotilde. C'était là que le premier médecin du Roi lui avait donné des leçons de botanique, au milieu des plus beaux arbres de l'Amérique, importés en France par M. de la Galissonnière, ancien gouverneur du Canada. Après la mort de madame de Marsan, ces arbres au feuillage varié, plantés de la main même de M. Lemonnier, ce jardin dessiné sur ses plans, ce pavillon distribué et orné d'après ses avis, étaient devenus sa propriété et son séjour habituel. Madame Élisabeth était heureuse d'un voisinage qui lui permettait de voir souvent ce digne homme, chez lequel elle se plaisait à honorer tout ensemble l'âge, le talent, la science et la vertu. Entre eux s'établit un échange continuel de services et une touchante communauté de plaisirs: le savant professeur associait la princesse à ses études de botanique dans son jardin, à ses expériences de physique dans son cabinet; et Madame Élisabeth, en revanche, l'associait à sa charité, en le faisant le distributeur de ses aumônes dans le village.

Le Roi avait décidé que Madame Élisabeth ne coucherait à Montreuil que lorsqu'elle aurait atteint sa vingt-cinquième année; mais dès qu'elle fut en possession de son cher petit domaine, elle ne passait plus à Versailles que la soirée et la nuit, et même, pendant l'été, elle n'y passait guère que la nuit. Dès le matin elle entendait la messe dans la chapelle du château, et immédiatement après elle montait en voiture avec quelques-unes de ses dames pour aller à Montreuil. Quelquefois même elle s'y rendait à pied. La vie qu'elle y menait était uniforme et pareille à celle que la famille la plus unie passe dans un château à cent lieues de Paris. Heures de travail, de promenade, de lecture; vie isolée ou en commun, tout y était réglé avec méthode. L'heure du dîner réunissait la princesse et ses dames autour de la même table.

Plus tard, avant de revenir à la cour, on s'agenouillait dans le salon, et, conformément à l'usage conservé dans quelques familles, on faisait en commun la prière du soir. Puis on se remettait en route vers ce palais soucieux dont on était si près tout à la fois et si loin, et l'on rentrait dans son domicile officiel avec le souvenir d'une douce journée remplie par le travail, égayée par l'amitié et sanctifiée par la prière.

Madame Élisabeth s'attachait de plus en plus à sa maison de campagne par le bien qu'elle y faisait. Elle se tenait au courant de toutes les humbles misères du village et des environs. Y avait-il un malade? un médecin était envoyé chez lui, et quelques pièces d'argent y arrivaient aussitôt, afin de faire face aux nécessités du traitement. Quand on pense que pour toute fortune Madame Élisabeth n'avait que la pension dont elle jouissait comme sœur du Roi, on demeure étonné du nombre prodigieux de bonnes œuvres auxquelles ses ressources pouvaient suffire! C'est qu'elle avait déjà appris à économiser sur sa parure, afin de pouvoir suivre l'élan de son cœur. Sa première femme de chambre lui rendait compte chaque mois de l'emploi de son petit budget, et lorsque la dépense en avait dépassé le chiffre, Madame Élisabeth, afin de rétablir l'équilibre, retranchait, sur les prévisions du mois suivant, un objet de sa propre toilette. Ainsi, c'était toujours un sacrifice personnel qui comblait le déficit causé par la charité.

Les dépenses considérables pour les choses de luxe lui apparaissaient comme un vol fait à la bienfaisance. Un jour, on lui propose un bijou qu'on savait être de son goût: «C'est fort joli, dit-elle, mais avec ce que cela me coûterait, nous soutiendrons quelques malheureux de plus.» Un marchand de bric-à-brac vint un autre jour lui offrir pour son salon de Montreuil un ornement de cheminée d'une sculpture remarquable, et qui était de mode toute nouvelle: «Quel en est le prix? demande la princesse. – Quatre cents livres. – Ce n'est certainement pas trop cher, répond-elle; mais je ne puis. – Je ne demande point d'argent comptant, dit le marchand; j'attendrai tant que Madame voudra. – Je vous remercie, et ne m'en voulez pas de vous refuser: avec quatre cents livres, je puis monter deux petits ménages.» C'est ainsi que, sans autre luxe que celui commandé par son état, sans aucun goût de dépense personnelle, Madame Élisabeth était pour elle-même aussi économe qu'elle était prodigue pour les indigents.

Elle devait à sa nouvelle manière de vivre un avantage précieux: elle voyait ses frères plus souvent. Monsieur venait passer avec elle des heures qu'il savait lui rendre courtes par le charme de sa conversation. «Mon frère le comte de Provence, disait-elle un jour, est tout ensemble le conseiller le plus éclairé et le conteur le plus charmant. Son jugement sur les hommes et sur les choses le trompe rarement, et sa prodigieuse mémoire lui fournit en toutes circonstances une source intarissable d'anecdotes intéressantes.»

Monsieur menait une vie sédentaire, protégeant et cultivant les lettres, et passant habituellement plusieurs heures de la matinée à étudier ou à lire dans son cabinet. Il se plaisait à faire des vers; on a même prétendu qu'il avait composé plus d'un ouvrage de longue haleine sur l'histoire et la physique. On connaît le quatrain qu'il fit un jour pour la Reine: ayant cassé un éventail appartenant à cette princesse, il lui en envoya un autre auquel étaient attachés les vers que voici:

 
Au milieu des chaleurs extrêmes,
Heureux d'amuser vos loisirs,
J'aurai soin près de vous d'attirer les Zéphirs;
Les Amours y viendront d'eux-mêmes.
 

Si la société du comte d'Artois n'offrait pas à Madame Élisabeth les mêmes ressources que celle de Monsieur, elle lui présentait des agréments d'un autre genre. Il était vif, léger, aimable, passionné, plein de grâce et de loyauté. À peine sorti de l'adolescence, il prétendait qu'il serait roi. On racontait de lui trente espiègleries qui révélaient la vivacité de son esprit. Il paria un jour contre ses frères qu'il paraîtrait couvert devant le Roi, son aïeul, sans que ce prince le trouvât mauvais. La gageure fut acceptée. Le comte d'Artois entra dans la chambre de Louis XV le chapeau sur la tête: «Grand-papa, lui dit-il, n'est-il pas vrai que ce chapeau me va bien? Mes frères prétendent le contraire et me plaisantent. Comment Votre Majesté me trouve-t-elle? – Fort bien, mon fils. – Sire, ayez donc la bonté de le leur dire, car ils ne me croiront pas.»

Madame Élisabeth, plus raisonnable que son frère, se permettait souvent de le sermonner; au commencement, c'était toujours en riant qu'il accueillait ses conseils. En avançant dans la vie, il se mit à aimer sa sœur avec une tendresse mêlée de vénération, et se trouvait fier d'appartenir de si près à une princesse douée de tant de vertus. Ce sentiment s'accrut et se fortifia dans le malheur. Lorsque, sorti de France, il recevait une de ses lettres, on le devinait à l'émotion de bonheur qui s'imprimait sur ses traits; il ouvrait la lettre avec trouble, et suivait, à travers ses larmes, cette main chérie dans chaque ligne qu'elle avait tracée. Jamais tendresse réciproque de frère et de sœur ne fut plus vive, plus vraie et plus expansive.

Madame Élisabeth se plaisait aussi infiniment dans la société de ses tantes, surtout de Madame Adélaïde, qui avait toujours eu une affection particulière pour Louis XVI et s'était occupée de lui dès ses premières années, alors que la cour semblait négliger le petit duc de Berry, encore éloigné du trône. Élisabeth partageait les sentiments de gratitude que son royal frère avait voués à celle de ses tantes qui lui avait montré le plus d'attachement. Mesdames, du reste, étaient d'un commerce extrêmement agréable, et prouvaient que les exercices de la piété ne sont pas incompatibles avec les charmes de l'esprit.

Élisabeth ne négligeait pas non plus celle de ses tantes qui avait échangé la soie et les dentelles contre la bure et le cilice. Ses goûts et ses sentiments se trouvaient à l'aise dans le cloître des Carmélites, où elle rencontrait tout ensemble des leçons d'abnégation et des témoignages d'attachement. Le Roi s'inquiéta un moment de la fréquence de ses visites à Saint-Denis: «Je ne demande pas mieux, lui dit-il un jour, que vous alliez voir votre tante, à la condition que vous ne l'imiterez pas: Élisabeth, j'ai besoin de vous.» Le cœur d'Élisabeth le lui avait dit avant le Roi, et c'était souvent la pensée même de son frère qui la ramenait près de Madame Louise, se plaisant à unir ses prières à celles de la pieuse carmélite, pour demander à Dieu de répandre ses grâces sur le membre de leur famille qui en avait le plus besoin, puisqu'il portait le poids de la fortune publique. Les vœux de ces deux saintes femmes demandant à genoux le bonheur de Louis XVI ne devaient pas se réaliser dans ce monde.

Ce n'était point assez de se faire la bienfaitrice de ceux qui l'entouraient, elle se tenait au courant de toutes les bonnes œuvres qui étaient à sa portée, afin de s'y associer; elle épiait les malheurs qui se passaient dans des régions où son bras ne pouvait atteindre, afin d'y intéresser le Roi lui-même.

Dans l'automne de 1785, elle apprend par M. Perrenay de Grosbois, premier président de la cour des comptes, à Besançon, qu'il existait à Montfleur, bailliage d'Orgelet, dans le Jura, un vieillard du nom de Jacob (Jean), né à Sarsie le 10 novembre 1669, et par conséquent âgé de cent seize ans, n'ayant pour subsister que le faible produit du travail de sa fille, déjà fort âgée elle-même. Madame Élisabeth en informe M. de Calonne, le contrôleur général des finances, qui, éclairé sur la vérité de ces faits par l'intendant de Franche-Comté, les porte à la connaissance du Roi. Le centenaire reçut peu de temps après une gratification extraordinaire de douze cents livres et une pension viagère de deux cents livres; mais il ne sut jamais à quelle initiative ce don royal était dû. Ce vénérable vieillard eut l'honneur d'être présenté au Roi et à la famille royale le 11 octobre 1789, et le 23 à l'Assemblée nationale. Il avait alors, comme on le voit, cent vingt ans. Son portrait, par F. Garnerey, fut accepté par l'Assemblée et déposé dans ses archives le 3 décembre suivant.

Plus tard (c'était en 1788), notre princesse apprit par l'évêque de Noyon que dans cette ville, le dernier jour du mois de mai, quatre hommes étaient tombés dans une fosse, où, déjà asphyxiés par une odeur pestilentielle, ils n'ont dû la vie qu'à une jeune fille nommée Catherine Vassent, qui s'est offerte elle-même à la mort pour les sauver. Quand la relation de ce drame103, imprimée à Noyon, parvint à Madame Élisabeth, elle venait d'user les dernières ressources du mois, et ne pouvait rien offrir à cette jeune héroïne, qui était aussi pauvre que courageuse. Elle va trouver Louis XVI, et lui fait elle-même, d'une voix émue, la lecture de ce récit. Quand elle eut fini: «Ma sœur, lui dit le Roi, je vous remercie de m'avoir donné communication d'un acte aussi honorable et aussi touchant; priez M. de Grimaldi104 d'annoncer à Catherine Vassent que je lui ferai remettre deux mille quatre cents livres lors de son mariage.»

Reprenons le cours chronologique de notre récit. Au mois de février 1782, l'état de Madame, fille du Roi, causa d'assez vives inquiétudes: cette petite princesse eut des convulsions, la fièvre avec des redoublements et un gros rhume. Sa guérison heureusement fut presque aussi prompte que l'attaque de la maladie avait été vive. Mais un autre souci occupa la famille royale: Madame Sophie, déjà souffrante depuis quelque temps, tomba gravement malade. Le 21, elle exprima le désir de recevoir ses sacrements; le Roi, la Reine et presque tous les membres de leur famille furent témoins de cet acte religieux.

Madame Sophie-Philippine-Élisabeth-Justine de France, tante du Roi, mourut le 3 mars, dans sa quarante-huitième année. Une lettre écrite le lendemain par madame de Bombelles à son mari, donne les détails suivants: «Madame Sophie est morte à une heure et demie du matin; elle a tourné à la mort le 2. Au matin, on croyoit que ses souffrances venoient de l'effet des remèdes, et on étoit si persuadé qu'elle ne mourroit pas encore, que, le soir même, il y a eu spectacle au château. En en sortant, on est allé prévenir le Roi et la Reine que Madame Sophie étoit très-mal. Ils y ont été, ainsi que Monsieur, M. le comte d'Artois et Madame Élisabeth, et ils y sont restés jusqu'à son dernier moment. Cette pauvre princesse a eu toute sa connaissance jusqu'à une demi-heure avant sa mort. C'est son hydropisie, qui a remonté dans la poitrine, et s'est jetée sur le cœur, qui l'a tuée. Elle est morte étouffée de la même mort à peu près que l'Impératrice. Elle est partie ce soir à six heures pour Saint-Denis; elle a demandé en mourant de n'être pas ouverte, et d'être enterrée sans aucune cérémonie. Madame Élisabeth est extrêmement affligée et frappée de l'horrible spectacle de la mort de Madame, sa tante. Je ne l'ai presque pas quittée depuis ce moment-là, et je t'écris de chez elle; elle a beaucoup pleuré hier; aujourd'hui elle est plus calme… Sa santé est bonne, quoiqu'elle soit très-triste: elle veut absolument faire son testament, elle n'est occupée que de la mort. Il n'est pas étonnant qu'avec la tête aussi vive elle soit aussi frappée; mais j'espère que d'ici à quelques jours son esprit se tranquillisera, et qu'elle n'aura l'idée de la mort qu'autant qu'elle nous est nécessaire pour bien vivre. Mesdames sont dans un état affreux; elles sont véritablement bien à plaindre. Madame de Montmorin est au désespoir, ainsi que toutes les femmes qui appartenoient à cette pauvre princesse, et dont elle étoit adorée.»

Le jour même de son décès, cette lettre patente fut expédiée:

«De par le Roi:

»Chers et bien amés, Dieu ayant disposé de notre très-chère tante Sophie-Philippine-Élisabeth-Justine, notre intention est que son corps soit inhumé dans l'église royale de Saint-Denis, en France, par le sieur évêque de Chartres, son premier aumônier, et nous vous mandons et ordonnons de le recevoir avec toute la décence et l'honneur qui lui est dû, le jour et ainsi que le maître des cérémonies vous dira de notre part, et d'ouvrir le tombeau où reposent les princes de notre sang et de la branche de Bourbon. Si n'y faites faute, car telle est notre volonté. Donné à Versailles, le 3 mars 1782.»

Le 4, la cour prit le deuil pour trois semaines. Cette mort et la cérémonie funèbre à laquelle elle devait donner lieu réveillèrent de vieux souvenirs d'infractions faites, en semblable circonstance, aux règles de l'étiquette: le duc de Penthièvre et la princesse de Lamballe, qui craignaient de voir se renouveler de telles omissions, adressèrent au Roi la supplique suivante:

«M. de Penthièvre et madame de Lamballe sont obligés de recourir aux bontés de Votre Majesté dans la triste circonstance présente, pour la supplier de vouloir bien ne pas permettre que madame de Lamballe soit éloignée, comme elle l'a été lors du funeste événement de la mort de Madame la Dauphine, d'une cérémonie où elle est appelée par le rang que l'autorité royale lui a réglé. M. le comte d'Eu et M. de Penthièvre réclamèrent contre ce qui eut lieu à la mort de Madame la Dauphine, et le Roi voulut bien leur dire qu'il maintiendroit le rang qu'il leur avoit accordé; les papiers joints à ces très-humbles représentations instruiront Votre Majesté de ce qui se passa dans ce temps. Il doit y avoir trois princesses à la conduite du corps de Madame Sophie, et une à celle du cœur qui ne soit point du nombre des princesses averties pour la conduite du corps; du moins l'usage et ce qui s'est pratiqué à la mort de Madame Henriette, en 1752, le requièrent ainsi. M. de Penthièvre et madame de Lamballe supplient Votre Majesté de vouloir bien ordonner que madame de Lamballe soit avertie pour l'une ou l'autre de ces cérémonies, s'il ne se trouve point quatre princesses passant avant elle qui puissent en remplir les fonctions: ils ne demandent en cela que le maintien de ce qui est porté dans les brevets d'honneur dont Votre Majesté les fait jouir, et par conséquent l'exécution de sa volonté.

99.Mémoires de la baronne d'Oberkirch.
100.On s'occupa beaucoup en France de la faillite du prince de Guéménée. «C'était la chose la plus douloureuse du monde; on se demandait comment un Rohan avait pu se laisser amener à une position semblable, et à finir ainsi. Il y avait clameur de haro dans le peuple; les gens les plus atteints étaient des domestiques, de petits marchands, des portiers, qui portaient leurs épargnes au prince. Il avait tout reçu, tout demandé, même des sommes folles, et il a tout dissipé, tout perdu. Parmi les gens du cardinal-archevêque, il s'en trouvait plusieurs de complétement ruinés. Le prince Louis leur a rendu sur-le-champ ce qu'un prince de sa maison leur enlevait. Il a été en cela très-noble et très-généreux. Tout sera payé ou presque tout, les usures exceptées. Les Rohan se sont réunis pour cela. Madame de Guéménée a été sublime, elle a donné sur-le-champ sa fortune tout entière et ses diamants. La princesse de Marsan (qui était une Rohan-Soubise) voulait se mettre au couvent, et consacrer sa fortune à sauver l'honneur des Rohan. Madame la princesse de Guéménée a rendu sa charge de gouvernante des Enfants de France, dont sa volonté seule pouvait la dépouiller, puisque c'était une des grandes charges de la Couronne.» Mémoires de la baronne d'Oberkirch, t. II, p. 1, Paris, Charpentier, 1853.
101.Nommée ainsi en souvenir du dernier bailli de Versailles, M. Froment de Champ-la-Garde. Cette maison porte aujourd'hui le no 4.
102.Aujourd'hui rue Champ-la-Garde, no 11.
103.Voir cette relation aux documents placés à la fin du volume, no XV.
104.Évêque de Noyon.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
31 temmuz 2017
Hacim:
723 s. 6 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
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