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Kitabı oku: «La dame de Monsoreau — Tome 3», sayfa 17

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CHAPITRE XXXIII
COMMENT FRÈRE GORENFLOT SE TROUVA PLUS QUE JAMAIS ENTRE LA POTENCE ET L'ABBAYE

L'aventure de la conspiration fut jusqu'au bout une comédie; les Suisses, placés à l'embouchure de ce fleuve d'intrigue, non plus que les gardes françaises embusqués à son confluent, et qui avaient tendu là leurs filets pour y prendre les gros conspirateurs, ne purent pas même saisir le fretin.

Tout le monde avait filé par le passage souterrain.

Ils ne virent donc rien sortir de l'abbaye; ce qui fit qu'aussitôt la porte enfoncée, Crillon se mit à la tête d'une trentaine d'hommes et fit invasion dans Sainte-Geneviève avec le roi.

Un silence de mort régnait dans les vastes et sombres bâtiments. Crillon, en homme de guerre expérimenté, eût mieux aimé un grand bruit; il craignait quelque embûche.

Mais en vain se couvrit-on d'éclaireurs, en vain ouvrit-on les portes et les fenêtres, en vain fouilla-t-on la crypte, tout était désert.

Le roi marchait des premiers, l'épée à la main, criant à tue-tête:

— Chicot! Chicot!

Personne ne répondait.

— L'auraient-ils tué? disait le roi. Mordieu! ils me payeraient mon fou le prix d'un gentilhomme.

— Vous avez raison, sire, répondit Crillon, car c'en est un, et des plus braves.

Chicot ne répondait pas, parce qu'il était occupé à fustiger M. de Mayenne, et qu'il prenait un si grand plaisir à cette occupation, qu'il ne voyait ni n'entendait rien de ce qui se passait autour de lui.

Cependant, lorsque le duc eut disparu, lorsque Gorenflot fut évanoui, comme rien ne préoccupait plus Chicot, il entendit appeler et reconnut la voix royale.

— Par ici, mon fils, par ici! cria-t-il de toute sa force, en essayant de remettre au moins Gorenflot sur son derrière.

Il y parvint et l'adossa contre un arbre.

La force qu'il était obligé d'employer à cette oeuvre charitable ôtait à sa voix une partie de sa sonorité, de sorte que Henri crut un instant remarquer que cette voix arrivait à lui empreinte d'un accent lamentable.

Il n'en était cependant rien: Chicot, au contraire, était dans toute l'exaltation du triomphe; seulement, voyant le piteux état du moine, il se demandait s'il fallait faire percer à jour cette traîtresse bedaine, ou user de clémence envers ce volumineux tonneau.

Il regardait donc Gorenflot comme, pendant un instant, Auguste eût regardé Cinna.

Gorenflot devenait peu à peu à lui, et, si stupide qu'il fût, il ne l'était pas cependant au point de se faire illusion sur ce qui l'attendait; d'ailleurs, il ne ressemblait pas mal à ces sortes d'animaux incessamment menacés par les hommes, qui sentent instinctivement que jamais la main ne les touche que pour les battre, que jamais la bouche ne les effleure que pour les manger.

Ce fut dans cette disposition intérieure d'esprit qu'il rouvrit les yeux.

— Seigneur Chicot! s'écria-t-il.

— Ah! ah! fit le Gascon, tu n'es donc pas mort?

— Mon bon seigneur Chicot, continua le moine en faisant un effort pour joindre les deux mains devant son énorme ventre, est-il donc possible que vous me livriez à mes persécuteurs, moi! Gorenflot?

— Canaille! dit Chicot avec un accent de tendresse mal déguisée.

Gorenflot se mit à hurler. Après être parvenu à joindre les mains, il essayait de se les tordre.

— Moi qui ai fait avec vous de si bons dîners! cria-t-il en suffoquant; moi qui buvais si gracieusement, selon vous, que vous m'appeliez toujours le roi des éponges; moi qui aimais tant les poulardes que vous commandiez à la Corne-d'Abondance, que je n'en laissais jamais que les os.

Ce dernier trait parut le sublime du genre à Chicot, et le détermina tout à fait pour la clémence.

— Les voilà! juste Dieu! cria Gorenflot en essayant de se relever, mais sans pouvoir en venir à bout; les voilà! ils viennent, je suis mort! Oh! bon seigneur Chicot, secourez-moi!

Et le moine, ne pouvant parvenir à se relever, se jeta, ce qui était plus facile, la face contre terre.

— Relève-toi, dit Chicot.

— Me pardonnez-vous?

— Nous verrons.

— Vous m'avez tant battu, que cela peut passer comme ça.

Chicot éclata de rire. Le pauvre moine avait l'esprit si troublé, qu'il avait cru recevoir les coups remboursés à Mayenne.

— Vous riez, bon seigneur Chicot? dit-il.

— Eh! sans doute, je ris, animal!

— Je vivrai donc?

— Peut-être.

— Enfin, vous ne ririez pas si votre Gorenflot allait mourir.

— Cela ne dépend pas de moi, dit Chicot; cela dépend du roi: le roi seul a droit de vie et de mort.

Gorenflot fit un effort, et parvint à se caler sur ses deux genoux.

En ce moment, les ténèbres furent envahies par une splendide lumière; une foule d'habits brodés et d'épées flamboyantes, aux lueurs des torches, entoura les deux amis.

— Ah! Chicot! mon cher Chicot! s'écria le roi, que je suis aise de te revoir!

— Vous entendez, mon bon monsieur Chicot, dit tout bas le moine, ce grand prince est heureux de vous revoir.

— Eh bien?

— Eh bien, dans son bonheur, il ne vous refusera point ce que vous lui demanderez; demandez-lui ma grâce.

— Au vilain Hérodes?

— Oh! oh! silence, cher monsieur Chicot!

— Eh bien, sire, demanda Chicot en se retournant vers le roi, combien en tenez-vous?

— Confiteor! disait Gorenflot.

— Pas un, répliqua Crillon. Les traîtres! il faut qu'ils aient trouvé quelque ouverture à nous inconnue.

— C'est probable, dit Chicot.

— Mais tu les as vus? dit le roi.

— Certainement que je les ai vus.

— Tous?

— Depuis le premier jusqu'au dernier.

— Confiteor! répétait Gorenflot, qui ne pouvait sortir de là.

— Tu les as reconnus, sans doute?

— Non, sire.

— Comment! tu ne les as pas reconnus?

— C'est-à-dire, je n'en ai reconnu qu'un seul, et encore...

— Et encore?

— Ce n'était pas à son visage, sire.

— Et lequel as-tu reconnu?

— M. de Mayenne.

— M. de Mayenne? Celui à qui tu devais...

— Eh bien, nous sommes quittes, sire.

— Ah! conte-moi donc cela, Chicot!

— Plus tard, mon fils, plus tard; occupons-nous du présent.

— Confiteor! répétait Gorenflot.

— Ah! vous avez fait un prisonnier, dit tout à coup Crillon en laissant tomber sa large main sur Gorenflot, qui, malgré la résistance que présentait sa masse, plia sous le coup.

Le moine perdit la parole.

Chicot tarda à répondre, permettant que, pour un moment, toutes les angoisses qui naissent de la plus profonde terreur vinssent habiter le coeur du malheureux moine.

Gorenflot faillit s'évanouir une seconde fois en voyant autour de lui tant de colères inassouvies.

Enfin, après un moment de silence, pendant lequel Gorenflot crut entendre bruire à son oreille la trompette du jugement dernier:

— Sire, dit Chicot, regardez bien ce moine.

Un des assistants approcha une torche du visage de Gorenflot; celui-ci ferma les yeux pour avoir moins à faire en passant de ce monde dans l'autre.

— Le prédicateur Gorenflot? s'écria Henri.

— Confiteor, confiteor, confiteor, répéta vivement le moine.

— Lui-même, répondit Chicot.

— Celui qui...

— Justement, interrompit le Gascon.

— Ah! ah! fit le roi d'un air de satisfaction.

On eût recueilli la sueur avec une écuelle sur les joues de Gorenflot.

Et il y avait de quoi, car on entendait sonner les épées, comme si le fer lui-même eût été doué de vie et ému d'impatience.

Quelques-uns s'approchèrent menaçants.

Gorenflot les sentit plutôt qu'il ne les vit venir, et poussa un faible cri.

— Attendez, dit Chicot, il faut que le roi sache tout.

Et prenant Henri à l'écart:

— Mon fils, lui dit-il tout bas, rends grâce au Seigneur d'avoir permis à ce saint homme de naître, il y a quelque trente-cinq ans; car c'est lui qui nous a sauvés tous.

— Comment cela?

— Oui, c'est lui qui m'a raconté le complot depuis alpha jusqu'à oméga.

— Quand cela?

— Il y a huit jours à peu près, de sorte que si jamais les ennemis de Votre Majesté le trouvaient, ce serait un homme mort.

Gorenflot n'entendit que les derniers mots.

— Un homme mort!

Et il tomba sur ses deux mains.

— Digne homme, dit le roi en jetant un bienveillant coup d'oeil sur cette masse de chair, qui, aux regards de tout homme sensé, ne représentait qu'une somme de matière capable d'absorber et d'éteindre les brasiers d'intelligence; digne homme! nous le couvrirons de notre protection!

Gorenflot saisit au vol ce regard miséricordieux, et demeura, comme le masque du parasite antique, riant d'un côté jusqu'aux dents et pleurant de l'autre jusqu'aux oreilles.

— Et tu feras bien, mon roi, répondit Chicot, car c'est un serviteur des plus étonnants.

— Que penses-tu donc qu'il faille faire de lui? demanda le roi.

— Je pense que tant qu'il sera dans Paris, il courra gros risque.

— Si je lui donnais des gardes? dit le roi.

Gorenflot entendit cette proposition de Henri.

— Bon! dit-il, il paraît que j'en serai quitte pour la prison. J'aime encore mieux cela que l'estrapade; et, pourvu qu'on me nourrisse bien...

— Non pas, dit Chicot, inutile; il suffit que tu me permettes de l'emmener.

— Où cela?

— Chez moi.

— Eh bien, emmène-le, et reviens au Louvre, où je vais retrouver nos amis, pour les préparer au jour de demain.

— Levez-vous, mon révérend père, dit Chicot au moine.

— Il raille, murmura Gorenflot; mauvais cour!

— Mais relève-toi donc, brute! reprit tout bas le Gascon en lui donnant un coup de genou au derrière.

— Ah! j'ai bien mérité cela! s'écria Gorenflot.

— Que dit-il donc? demanda le roi.

— Sire, reprit Chicot, il se rappelle toutes ses fatigues, il énumère toutes ses tortures, et, comme je lui promets la protection de Votre Majesté, il dit dans la conscience de ce qu'il vaut: «J'ai bien mérité cela!»

— Pauvre diable! dit le roi: aies-en bien soin, au moins, mon ami.

— Ah! soyez tranquille, sire; quand il est avec moi, il ne manque de rien.

— Ah! monsieur Chicot! s'écria Gorenflot, mon cher monsieur Chicot, où me mène-t-on?

— Tu le sauras tout à l'heure. En attendant, remercie Sa Majesté, monstre d'iniquités! remercie.

— De quoi?

— Remercie, te dis-je!

— Sire, balbutia Gorenflot, puisque votre gracieuse Majesté...

— Oui, dit Henri, je sais tout ce que vous avez fait dans votre voyage de Lyon, pendant la soirée de la Ligue, et aujourd'hui enfin. Soyez tranquille, vous serez récompensé selon vos mérites.

Gorenflot poussa un soupir.

— Où est Panurge? demanda Chicot.

— Dans l'écurie, pauvre bête!

— Eh bien, va le chercher, monte dessus, et reviens me trouver ici.

— Oui, monsieur Chicot.

Et le moine s'éloigna le plus vite qu'il put, étonné de ne pas être suivi par des gardes.

— Maintenant, mon fils, dit Chicot, garde vingt hommes pour ton escorte, et détaches-en dix autres avec M. de Crillon.

— Où dois-je les envoyer?

— A l'hôtel d'Anjou, et qu'on t'amène ton frère.

— Pourquoi cela?

— Pour qu'il ne se sauve pas une seconde fois.

— Est-ce que mon frère...

— T'es-tu mal trouvé d'avoir suivi mes conseils aujourd'hui?

— Non, par la mordieu!

— Eh bien, fais ce que je te dis.

Henri donna l'ordre au colonel des gardes françaises de lui amener le duc d'Anjou au Louvre.

Crillon, qui n'avait pas une profonde tendresse pour le prince, partit aussitôt.

— Et toi? dit Henri.

— Moi, j'attends mon saint.

— Et tu me rejoins au Louvre?

— Dans une heure.

— Alors je te quitte.

— Va, mon fils.

Henri partit avec le reste de la troupe.

Quant à Chicot, il s'achemina vers les écuries, et, comme il entrait dans la cour, il vit apparaître Gorenflot monté sur Panurge.

Le pauvre diable n'avait pas même eu l'idée d'essayer de se soustraire au sort qui l'attendait.

— Allons, allons, dit Chicot en prenant Panurge par la longe, dépêchons, on nous attend.

Gorenflot ne fit pas l'ombre de la résistance, seulement il versait tant de larmes, qu'on eût pu le voir maigrir à vue d'oeil.

— Quand je le disais! murmurait-il; quand je le disais!

Chicot tirait Panurge à lui, tout en haussant les épaules.

CHAPITRE XXXIV
OU CHICOT DEVINE POURQUOI D'ÉPERON AVAIT DU SANG AUX PIEDS ET N'EN AVAIT PAS AUX JOUES

Le roi, en rentrant au Louvre, trouva ses amis couchés et dormant d'un paisible sommeil.

Les événements historiques ont une singulière influence, c'est de refléter leur grandeur sur les circonstances qui les ont précédés.

Ceux qui considéreront donc les événements qui devaient arriver le matin même, car le roi rentrait vers deux heures au Louvre; ceux, disons-nous, qui considéreront ces événements avec le prestige que donne la prescience, trouveront peut-être quelque intérêt à voir le roi, qui vient de manquer perdre la couronne, se réfugier près de ses trois amis, qui, dans quelques heures, doivent affronter pour lui un danger où ils risquent de perdre la vie.

Le poète, cette nature privilégiée qui ne prévoit pas, mais qui devine, trouvera, nous en sommes certain, mélancoliques et charmants ces jeunes visages que le sommeil rafraîchit, que la confiance fait sourire, et qui, pareils à des frères couchés dans le dortoir paternel, reposent sur leurs lits rangés à côté les uns des autres.

Henri s'avança légèrement au milieu d'eux, suivi par Chicot, qui, après avoir déposé son patient en lieu de sûreté, était venu rejoindre le roi.

Un lit était vide, celui de d'Épernon.

— Pas rentré encore, l'imprudent! murmura le roi; ah! le malheureux! ah! le fou! se battre contre Bussy, l'homme le plus brave de France, le plus dangereux du monde, et n'y pas plus songer!

— Tiens, au fait, dit Chicot.

— Qu'on le cherche! qu'on l'amène! s'écria le roi. Puis qu'on me fasse venir Miron; je veux qu'il endorme cet étourdi, fût-ce malgré lui. Je veux que le sommeil le rende robuste et souple, et en état de se défendre.

— Sire, dit un huissier, voici M. d'Épernon qui rentre à l'instant même.

D'Épernon venait de rentrer, en effet. Apprenant le retour du roi, et se doutant de la visite qu'il allait faire au dortoir, il se glissait vers la chambre commune, espérant y arriver inaperçu.

Mais on le guettait, et, comme nous l'avons vu, on annonça son retour au roi. Voyant qu'il n'y avait pas moyen d'échapper à la mercuriale, il aborda le seuil, tout confus.

— Ah! te voilà enfin! dit Henri; viens ici, malheureux, et vois les amis.

D'Épernon jeta un regard tout autour de la chambre, et fit signe qu'effectivement il avait vu.

— Vois tes amis, continua Henri: ils sont sages, ils ont compris de quelle importance est le jour de demain; et toi, malheureux, au lieu de prier comme ils ont fait, et de dormir comme ils font, tu vas courir le passe-dix et les ribaudes. Cordieu! que tu es pâle! et la belle figure que tu feras demain, si tu n'en peux déjà plus ce soir!

D'Épernon était bien pâle, en effet, si pâle, que la remarque du roi le fit rougir.

— Allons, continua Henri, couche-toi, je le veux! et dors. Pourras-tu dormir, seulement?

— Moi? dit d'Épernon comme si une pareille question le blessait au fond du coeur.

— Je te demande si tu auras le temps de dormir. Sais-tu que vous vous battez au jour; que, dans cette malheureuse saison, le jour vient à quatre heures? il en est deux; deux heures te restent à peine.

— Deux heures bien employées, dit d'Épernon, suffisent à bien des choses.

— Tu dormiras?

— Parfaitement, sire.

— Et moi, je n'en crois rien.

— Pourquoi cela?

— Parce que tu es agité, tu penses à demain. ***<p>*** Hélas! tu as raison, car demain, c'est aujourd'hui. Mais, malgré moi, m'emporte le désir secret de dire que nous ne sommes point encore arrivés au jour fatal.

— Sire, dit d'Épernon, je dormirai, je vous le promets; mais, pour cela, faut-il encore que Votre Majesté me laisse dormir.

— C'est juste, dit Chicot.

En effet, d'Épernon se déshabilla, et se coucha avec un calme et même une satisfaction qui parurent de bonne augure au prince et à Chicot.

— Il est brave comme un César, dit le roi.

— Si brave, fit Chicot en se grattant l'oreille, que, ma parole d'honneur, je n'y comprends plus rien.

— Vois, il dort déjà.

Chicot s'approcha du lit; car il doutait que la sécurité de d'Épernon allât jusque-là.

— Oh! oh! fit-il tout à coup.

— Quoi donc? demanda le roi.

— Regarde.

Et, du doigt, Chicot montra au roi les bottes de d'Épernon.

— Du sang, murmura te roi.

— Il a marché dans le sang, mon fils. Quel brave!

— Serait-il blessé? demanda, le roi avec inquiétude.

— Bah! il l'aurait dit. Et puis, à moins qu'il ne fût blessé comme Achille, au talon...

— Tiens, et son pourpoint aussi est taché, vois sa manche. Que lui est-il donc arrivé?

— Peut-être a-t-il tué quelqu'un, dit Chicot.

— Pourquoi faire?

— Pour se faire la main, donc!

— C'est singulier! fit le roi.

Chicot se gratta beaucoup plus sérieusement l'oreille.

— Hum! hum! dit-il.

— Tu ne me réponds pas.

— Si fait; je fais: hum! hum! Cela signifie beaucoup de choses, ce me semble.

— Mon Dieu! dit Henri, que se passe-t-il donc autour de moi, et quel est l'avenir qui m'attend? Heureusement que demain...

— Aujourd'hui, mon fils, tu confonds toujours.

— Oui, c'est vrai.

— Eh bien, aujourd'hui?

— Aujourd'hui je serai tranquille.

— Pourquoi cela?

— Parce qu'ils m'auront tué les Angevins maudits.

— Tu crois, Henri?

— J'en suis sûr, ils sont braves.

— Je n'ai pas entendu dire que les Angevins fussent lâches.

— Non sans doute; mais vois comme ils sont forts, vois le bras de Schomberg: les beaux muscles! les beaux bras!

— Ah! si tu voyais celui d'Antraguet!

— Vois cette lèvre impérieuse de Quélus, et ce front de Maugiron, hautain jusque dans son sommeil! Avec de telles figures on ne peut manquer de vaincre. Ah! quand ces yeux-là lancent l'éclair, l'ennemi est déjà à moitié vaincu.

— Cher ami, dit Chicot en secouant tristement la tête, il y a, au-dessous de fronts aussi hautains que celui-ci, des yeux que je connais, qui lancent des éclairs non moins terribles que ceux sur lesquels tu comptes. Est-ce là tout ce qui te rassure?

— Non, viens, et je te montrerai quelque chose.

— Où cela?

— Dans mon cabinet.

— Et ce quelque chose que tu vas me montrer te donne la confiance de la victoire?

— Oui.

— Viens donc.

— Attends.

Et Henri fit un pas pour se rapprocher des jeunes gens.

— Quoi? demanda Chicot.

— Écoute, je ne veux, demain, ou plutôt aujourd'hui, ni les attrister, ni les attendrir. Je vais prendre congé d'eux tout de suite.

Chicot secoua la tête.

— Prends, mon fils, dit-il.

L'intonation de voix avec laquelle il prononça ces paroles était si mélancolique, que le roi sentit un frisson qui parcourait ses veines et qui conduisait une larme a ses yeux arides.

— Adieu, mes amis, murmura le roi; adieu, mes bons amis.

Chicot se détourna, son coeur n'était pas plus de marbre que celui du roi.

Mais bientôt, comme malgré lui, ses yeux se reportèrent sur les jeunes gens.

Henri se penchait vers eux, et les baisait au front l'un après l'autre.

Une pâle bougie rose éclairait cette scène, et communiquait sa teinte funèbre aux draperies de la chambre et aux visages des acteurs.

Chicot n'était pas superstitieux; mais, lorsqu'il vit Henri toucher de ses lèvres le front de Maugiron, de Quélus et de Schomberg, son imagination lui représenta un vivant désolé qui venait faire ses adieux à des morts déjà couchés sur leurs tombeaux.

— C'est singulier, dit Chicot, je n'ai jamais éprouvé cela; pauvres enfants!

A peine le roi eut-il achevé d'embrasser ses amis, que d'Épernon rouvrit les yeux pour voir s'il était parti.

Il venait de quitter la chambre, appuyé sur le bras de Chicot.

D'Épernon sauta en bas de son lit, et se mit à effacer du mieux qu'il put les taches de sang empreintes sur ses bottes et sur son habit.

Cette occupation ramena sa pensée vers la scène de la place de la Bastille.

— Je n'eusse jamais eu, murmura-t-il, assez de sang pour cet homme qui en a tant versé ce soir à lui seul.

Et il se recoucha.

Quant à Henri, il conduisit Chicot à son cabinet, et, ouvrant un long coffret d'ébène doublé de satin blanc:

— Tiens, dit-il, regarde.

— Des épées, fit Chicot. Je vois bien. Après.

— Oui, des épées; mais des épées bénites, cher ami.

— Par qui?

— Par notre saint-père le pape lui-même, lequel m'accorde cette faveur. Tel que tu le vois, ce coffret, pour aller à Rome et revenir, me coûte vingt chevaux et quatre hommes; mais j'ai les épées.

— Piquent-elles bien? demanda Chicot.

— Sans doute; mais ce qui fait leur mérite suprême, Chicot, c'est d'être bénites.

— Oui, je le sais bien; mais cela me fait toujours plaisir de savoir qu'elles piquent.

— Païen!

— Voyons, mon fils, maintenant parlons d'autres choses.

— Soit; mais dépêchons.

— Tu veux dormir?

— Non, je veux prier.

— En ce cas, parlons d'affaires. As-tu fait venir M. d'Anjou?

— Oui, il attend en bas.

— Que comptes-tu en faire?

— Je compte le faire jeter à la Bastille.

— C'est fort sage. Seulement choisis un cachot bien profond, bien sûr, bien clos; celui, par exemple, qui a reçu le connétable de Saint-Pol ou Jacques d'Armagnac.

— Oh! sois tranquille.

— Je sais où l'on vend de beau velours noir, mon fils.

— Chicot, c'est mon frère!

— C'est juste, et, à la cour, le deuil de famille se porte en violet.

Lui parleras-tu?

— Oui, certainement, ne fût-ce que pour lui ôter tout espoir, en lui prouvant que ses complots sont découverts.

— Hum! fit Chicot.

— Vois-tu quelque inconvénient à ce que je l'entretienne?

— Non; mais, à ta place, je supprimerais le discours et doublerais la prison.

— Qu'on amène le duc d'Anjou! dit Henri.

— C'est égal, dit Chicot en secouant la tête, je m'en tiens à ma première idée.

Un moment après, le duc entra; il était fort pâle et désarmé. Crillon le suivait, tenant son épée à la main.

— Où l'avez-vous trouvé? demanda le roi à Crillon, l'interrogeant du même ton que si le duc n'eût point été là.

— Sire, Son Altesse n'était pas chez elle, mais un instant après que j'eus pris possession de son hôtel au nom de Votre Majesté, Son Altesse est rentrée, et nous l'avons arrêtée sans résistence.

— C'est bien heureux, dit le roi avec dédain.

Puis, se retournant vers le prince:

— Où étiez-vous, monsieur? demanda-t-il.

— Quelque part que je fusse, sire, soyez convaincu, répondit le duc, que je m'occupais de vous.

— Je m'en doute, dit Henri, et votre réponse me prouve que je n'avais pas tort de vous rendre la pareille.

François s'inclina, calme et respectueux.

— Voyons; où étiez-vous? dit le roi en marchant vers son frère, que faisiez-vous tandis qu'on arrêtait vos complices?

— Mes complices? dit François.

— Oui, vos complices, répéta le roi.

— Sire, à coup sûr, Votre Majesté est mal renseignée à mon égard.

— Oh! cette fois, monsieur, vous ne m'échapperez pas, et votre carrière de crimes est terminée. Cette fois encore vous n'hériterez pas de moi, mon frère...

— Sire, sire, par grâce, modérez-vous: il y a bien certainement quelqu'un qui vous aigrit contre moi.

— Misérable! s'écria Henri au comble de la colère, tu mourras de faim dans un cachot de la Bastille.

— J'attends vos ordres, sire, et je les bénis, dussent-ils me frapper de mort.

— Mais enfin, où étiez-vous, hypocrite?

— Sire, je sauvais Votre Majesté, et je travaillais à la gloire et à la tranquillité de son règne.

— Oh! fit le roi pétrifié, sur mon honneur, l'audace est grande.

Bah! fit Chicot en se renversant en arrière, contez-nous donc cela, mon prince, ce doit être curieux.

— Sire, je le dirais à l'instant même à Votre Majesté, si Votre Majesté m'eût traité en frère; mais, comme elle me traite en coupable, j'attendrai que l'événement parle pour moi.

Sur ces mots, il salua de nouveau et plus profondément encore que la première fois, le roi son frère, et, se retournant vers Crillon et les autres officiers qui étaient là:

— Ça, dit-il, lequel d'entre vous, messieurs, va conduire le premier prince du sang de France à la Bastille?

Chicot réfléchissait: un éclair illumina son esprit.

— Ah! ah! murmura-t-il, je crois que je comprends, à cette heure, pourquoi M. d'Épernon avait tant de sang aux pieds et en avait si peu sur les joues.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
Hacim:
310 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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