Kitabı oku: «La dame de Monsoreau — Tome 3», sayfa 18
CHAPITRE XXXV
LE MATIN DU COMBAT
Un beau jour se levait sur Paris; aucun bourgeois ne savait la nouvelle; mais les gentilshommes royalistes et ceux du parti de Guise, ces derniers encore dans la stupeur, s'attendaient à l'événement, et prenaient des mesures de prudence pour complimenter à temps le vainqueur.
Ainsi qu'on l'a vu dans le chapitre précédent, le roi ne dormit point de toute la nuit: il pria et pleura; et, comme, après tout, c'était un homme brave et expérimenté, surtout en matière de duel, il sortit vers trois heures du matin avec Chicot, pour aller rendre à ses amis le seul office qu'il fût en son pouvoir de leur rendre.
Il alla visiter le terrain où devait avoir lieu le combat.
Ce fut une scène bien remarquable, et, disons-le sans raillerie, bien peu remarquée.
Le roi, vêtu d'habits de couleur sombre, enveloppé d'un large manteau, l'épée au côté, les cheveux et les yeux cachés sous les bords de son chapeau, suivit la rue Saint-Antoine jusqu'à trois cents pas en avant de la Bastille; mais, arrivés là, voyant un grand rassemblement de monde un peu au-dessus de la rue Saint-Paul, il ne voulut point se hasarder dans cette foule, prit la rue Sainte-Catherine, et gagna par derrière l'enclos des Tournelles.
Cette foule, on devine ce qu'elle faisait là: elle comptait les morts de la nuit.
Le roi l'évita, et, en conséquence, ne sut rien de ce qui s'était passé.
Chicot, qui avait assisté à la querelle ou plutôt à l'accord qui avait eu lieu huit jours auparavant, expliquait au roi, sur l'emplacement même où l'affaire allait se passer, la place que devaient occuper les combattants, et les conditions du combat.
A peine renseigné, Henri se mit à mesurer l'espace, regarda entre les arbres, calcula la réflexion du soleil, et dit:
— Quélus se trouvera bien exposé: il aura le soleil à droite, juste dans l'oeil qui lui reste,2 tandis que Maugiron aura toute l'ombre. Quélus aurait dû prendre la place de Maugiron, et Maugiron, qui a des yeux excellents, celle de Quélus. Voilà qui est bien mal réglé jusqu'à présent. Quant à Schomberg, qui a le jarret faible, il a un arbre pour lui servir de retraite en cas de besoin; voilà qui me rassure pour lui. Mais Quélus, mon pauvre Quélus!
Et il secoua tristement la tête.
— Tu me fais peine, mon roi, dit Chicot. Voyons, ne te tourmente pas ainsi, que diable! ils auront ce qu'ils auront.
Le roi leva les yeux au ciel et soupira.
— Voyez, mon Dieu! comme il blasphème, murmura-t-il; mais heureusement vous savez que c'est un fou.
Chicot leva les épaules.
— Et d'Épernon, reprit le roi; je suis, par ma foi, injuste, je ne pensais pas à lui; d'Épernon, qui aura affaire à Bussy, comme il va être exposé!.. Regarde la disposition du terrain, mon brave Chicot: à gauche, une barrière; à droite, un arbre; derrière, un fossé; d'Épernon, qui aura besoin de rompre à tout moment, car Bussy, c'est un tigre, un lion, un serpent; Bussy, c'est une épée vivante, qui bondit, qui se développe, qui se replie.
— Bah! dit Chicot, je ne suis pas inquiet de d'Épernon, moi.
— Tu as tort, il se fera tuer.
— Lui! pas si bête; il aura pris ses précautions, va!
— Comment l'entends-tu?
— J'entends qu'il ne se battra pas, mordieu!
— Allons donc! ne l'as-tu pas entendu tout à l'heure?
— Justement.
— Eh bien?
— Eh bien, c'est pour cela que je te répète qu'il ne se battra point.
— Homme incrédule et méprisant!
— Je connais mon Gascon, Henri; mais, si tu m'en crois, retirons-nous, cher sire; voilà le grand jour venu, retournons au Louvre.
— Peux-tu, croire que je resterai au Louvre pendant le combat?
— Ventre de biche! tu y resteras; car, si l'on te voyait ici, chacun dirait, au cas où tes amis seraient vainqueurs, que tu as forcé la victoire par quelque sortilège, et, au cas où ils seraient vaincus, que tu leur as porté malheur.
— Eh! que me font les bruits et les interprétations? Je les aimerai jusqu'au bout.
— Je veux bien que tu sois esprit fort, Henri, je te fais même mon compliment d'aimer tes amis; c'est une vertu rare chez les princes; mais je ne veux pas que tu laisses M. d'Anjou seul au Louvre.
— Crillon n'est-il pas là?
— Eh! Crillon n'est qu'un buffle, un rhinocéros, un sanglier, tout ce que tu voudras de brave et d'indomptable, tandis que ton frère, c'est la vipère, c'est le serpent à sonnettes, c'est tout animal dont la puissance est moins dans sa force que dans son venin.
— Tu as raison, j'aurais dû le faire jeter à la Bastille.
— Je t'avais bien dit que tu avais tort de le voir.
— Oui, j'ai été vaincu par son assurance, par son aplomb, par ce service qu'il prétend m'avoir rendu.
— Raison de plus pour que tu t'en défies. Rentrons, mon fils, crois-moi.
Henri suivit le conseil de Chicot et reprit avec lui le chemin du Louvre, après avoir jeté un dernier regard sur le futur champ du combat.
Déjà tout le monde était sur pied dans le Louvre, lorsque le roi et Chicot y entrèrent. Les jeunes gens s'y étaient éveillés des premiers et se faisaient habiller par leurs laquais.
Le roi demanda à quelle chose ils s'occupaient.
Schomberg faisait des pliés, Quélus se bassinait les yeux avec de l'eau de vigne, Maugiron buvait un verre de vin d'Espagne, d'Épernon aiguisait son épée sur une pierre.
On pouvait le voir d'ailleurs, car il s'était, pour cette opération, fait apporter un grès à la porte de la chambre commune.
— Et tu dis que cet homme n'est pas un Bayard? fit Henri en le regardant avec amour.
— Non, je dis que c'est un rémouleur, voilà tout, reprit Chicot.
D'Épernon le vit et cria:
— Le roi!
Alors, malgré la résolution qu'il avait prise, et que même, sans cette circonstance, il n'eût pas eu la force de maintenir, Henri entra dans leur chambre.
Nous l'avons déjà dit, c'était un roi plein de majesté et qui avait une grande puissance sur lui-même.
Son visage, tranquille et presque souriant, ne trahissait donc aucun sentiment de son coeur.
— Bonjour, messieurs, dit-il; je vous trouve en excellentes dispositions, ce me semble.
— Dieu merci! oui, sire, répliqua Quélus.
— Vous avez l'air sombre, Maugiron.
— Sire, je suis très superstitieux, comme le sait Votre Majesté; et, comme j'ai fait de mauvais rêves, je me remets le coeur avec un doigt de vin d'Espagne.
— Mon ami, dit le roi, il faut se rappeler, et je parle d'après Miron, qui est un grand docteur, il faut se rappeler, dis-je, que les rêves dépendent des impressions de la veille, mais n'influent jamais sur les actions du lendemain, sauf toutefois la volonté de Dieu.
— Aussi, sire, dit d'Épernon, me voyez-vous aguerri. J'ai aussi fort mal songé cette nuit; mais, malgré le songe, le bras est bon et le coup d'oeil perçant.
Et il se fendit contre le mur, auquel il fit une entaille avec son épée fraîche émoulue.
— Oui, dit Chicot, vous avez rêvé que vous aviez du sang à vos bottes; ce rêve-là n'est pas mauvais: il signifie que l'on sera un jour un triomphateur dans le genre d'Alexandre et de César.
— Mes braves, dit Henri, vous savez que l'honneur de votre prince est en question, puisque c'est sa cause, en quelque sorte, que vous défendez; mais l'honneur seulement, entendez-vous bien? Ne vous préoccupez donc pas de la sécurité de ma personne. Cette nuit, j'ai assis mon trône de manière que, d'ici à quelque temps du moins, aucune secousse ne le puisse ébranler. Battez-vous donc pour l'honneur.
— Sire, soyez tranquille; nous perdrons peut-être la vie, dit Quélus; mais, en tout cas, l'honneur sera sauf.
— Messieurs, continua le roi, je vous aime tendrement, et je vous estime aussi. Laissez-moi donc vous donner un conseil: pas de fausse bravoure; ce n'est pas en mourant que vous me donnerez raison, mais en tuant vos ennemis
— Oh! quant à moi, dit d'Épernon, je ne fais pas de quartier.
— Moi, dit Quélus, je ne réponds de rien; je ferai ce que je pourrai, voilà tout.
— Et moi, dit Maugiron, je réponds à Sa Majesté que, si je meurs, je tuerai mon homme coup pour coup.
— Vous vous battez à l'épée seule?
— A l'épée et à la dague, dit Schomberg.
Le roi tenait sa main sur sa poitrine.
Peut-être cette main et ce coeur, qui se touchaient, se parlaient-ils l'un à l'autre de leurs craintes par leurs frémissements et leurs pulsations; mais, à l'extérieur, fier, l'oeil sec, la lèvre hautaine, il était bien le roi, c'est-à-dire qu'il envoyait bien des soldats au combat, et non des amis à la mort.
— En vérité, mon roi, lui dit Chicot, tu es vraiment beau eu ce moment.
Les gentilshommes étaient prêts, il ne leur restait plus qu'à faire la révérence à leur maître.
— Allez-vous à cheval? dit Henri.
— Non pas, sire, dit Quélus, nous marcherons; c'est un salutaire exercice, il dégage la tête, et Votre Majesté l'a dit mille fois, c'est la tête plus que le bras qui dirige l'épée.
— Vous avez raison, mon fils. Votre main.
Quélus s'inclina et baisa la main du roi: les autres l'imitèrent.
D'Épernon s'agenouilla en disant:
— Sire, bénissez mon épée.
— Non pas, d'Épernon, fit le roi; rendez votre épée à votre page. Je vous réserve des épées meilleures que les vôtres. Apporte les épées, Chicot.
— Non pas, dit le Gascon; donne cette commission au capitaine des gardes, mon fils; je ne suis qu'un fou, moi, qu'un païen même; et les bénédictions du ciel pourraient se changer en sortilèges funestes, si le diable, mon ami, s'avisait de regarder à mes mains et s'apercevait de ce que je porte.
— Quelles sont donc ces épées, sire? demanda Schomberg en jetant un coup d'oeil sur la caisse qu'un officier venait d'apporter.
— Des épées d'Italie, mon fils, des épées forgées à Milan: les coquilles en sont bonnes, vous le voyez; et comme, à l'exception de Schomberg, vous avez tous les mains délicates, le premier coup de fouet vous désarmerait, si vos mains n'étaient bien emboîtées.
— Merci, merci, Majesté, dirent ensemble et d'une seule voix les quatre jeunes gens.
— Allez, il est temps, dit le roi, qui ne pouvait dominer plus longtemps son émotion.
— Sire, demanda Quélus, n'aurons-nous point, pour nous encourager, les regards de Votre Majesté?
— Non, cela ne serait pas convenable; vous vous battrez sans qu'on le sache, vous vous battrez sans mon autorisation. Ne donnons pas de solennité au combat; qu'on le croie surtout le résultat d'une querelle particulière.
Et il les congédia d'un geste vraiment majestueux.
Lorsqu'ils furent hors de sa présence, que les derniers valets eurent franchi le seuil du Louvre, et qu'on n'entendit plus le bruit ni des éperons ni des cuirasses que portaient les écuyers armés en guerre:
— Ah! je me meurs! dit le roi en tombant sur une estrade.
— Et moi, dit Chicot, je veux voir ce duel; j'ai l'idée, je ne sais pourquoi, mais je l'ai, qu'il s'y passera quelque chose de curieux à l'endroit de d'Épernon.
— Tu me quittes, Chicot? dit le roi d'une voix lamentable.
— Oui, dit Chicot, car, si quelqu'un d'entre eux faisait mal son devoir, je serais là pour le remplacer et soutenir l'honneur de mon roi.
— Va donc, dit Henri.
A peine le Gascon eut-il congé, qu'il partit, rapide comme l'éclair.
Le roi alors rentra dans sa chambre, en fit fermer les volets, défendit à qui que ce fût, dans le Louvre, de pousser un cri ou de proférer une parole, et dit seulement à Crillon, qui savait tout ce qui allait se passer:
— Si nous sommes vainqueurs, Crillon, tu me le diras; si, au contraire, nous sommes vaincus, tu frapperas trois coups à ma porte.
— Oui, sire, répondit Crillon en secouant la tête.
CHAPITRE XXXVI
LES AMIS DE BUSSY
Si les amis du roi avaient passé la nuit à dormir tranquillement, ceux du duc d'Anjou avaient pris la même précaution.
A la suite d'un bon souper auquel ils s'étaient réunis d'eux-mêmes, sans le conseil ni la présence de leur patron, qui ne prenait pas de ses favoris les mêmes inquiétudes que le roi prenait des siens, ils se couchèrent dans de bons lits, chez Antraguet, dont la maison avait été choisie comme lieu de réunion, se trouvant la plus proche du champ de bataille.
Un écuyer, celui de Ribérac, grand chasseur et habile armurier, avait passé toute la journée à nettoyer, fourbir et aiguiser les armes.
Il fut, en outre, chargé de réveiller les jeunes gens au point du jour: c'était son habitude tous les matins de fête, de chasse ou de duel.
Antraguet, avant de souper, s'en était allé voir, rue Saint-Denis, une petite marchande qu'il idolâtrait et qu'on n'appelait, dans tout le quartier, que la belle imagière. Ribérac avait écrit à sa mère; Livarot avait fait son testament.
A trois heures sonnant, c'est-à-dire quand les amis du roi s'éveillaient à peine, ils étaient déjà tous sur pied, frais, dispos et armés de bonne sorte.
Ils avaient pris des caleçons et des bas rouges pour que leurs ennemis ne vissent pas leur sang, et que ce sang ne les effrayât point eux-mêmes; ils avaient des pourpoints de soie grise, afin, si l'on se battait tout habillé, qu'aucun pli ne gênât leurs mouvements. Enfin ils étaient chaussés de souliers sans talons, et leurs pages portaient leurs épées, pour que leur bras et leur épaule n'éprouvassent aucune fatigue.
C'était un admirable temps pour l'amour, pour la bataille ou pour la promenade: le soleil dorait les pignons des toits sur lesquels fondait étincelante la rosée de la nuit.
Une senteur âcre et délicieuse en même temps moulait des jardins et se répandait par les rues.
Le pavé était sec et l'air vif.
Avant de sortir de la maison, les jeunes gens avaient fait demander au duc d'Anjou des nouvelles de Bussy.
On leur avait fait répondre qu'il était sorti la veille à dix heures du soir, et qu'il n'était pas rentrée depuis.
Le messager s'informa s'il était sorti seul et armé.
Il apprit qu'il était sortit accompagné de Remy, et que tous deux avaient leurs épées.
Au reste, on n'était point inquiet chez le comte, il faisait souvent des absences semblables; puis on le savait si fort, si brave et si adroit, que ses absences, même prolongées, causaient peu d'inquiétudes.
Les trois amis se firent répéter tous ces détails.
— Bon, dit Antraguet, n'avez-vous pas entendu dire, messieurs, que le roi avait commandé une grande chasse au cerf dans la forêt de Compiègne, et que M. de Monsoreau avait, à cet effet, dû partir hier?
— Oui, répondirent les jeunes gens.
— Alors je sais où il est: tandis que le grand veneur détourne le cerf, lui chasse la biche du grand veneur. Soyez tranquilles, messieurs, il est plus près du terrain que nous, et il y sera avant nous.
— Oui, dit Livarot, mais fatigué, harassé, n'ayant pas dormi.
Antraguet haussa les épaules.
— Est-ce que Bussy se fatigue? répliqua-t-il. Allons! en route, en route, messieurs, nous le prendrons en passant.
Tous se mirent en marche.
C'était juste le moment où Henri distribuait les épées à leurs ennemis; ils avaient donc dix minutes à peu près d'avance sur eux.
Comme Antraguet demeurait vers Saint-Eustache, ils prirent la rue des Lombards, la rue de la Verrerie et enfin la rue Saint-Antoine.
Toutes ces rues étaient désertes.
Les paysans qui venaient de Montreuil, de Vincennes ou de Saint-Maur-les-Fossés, avec leur lait et leurs légumes, et qui dormaient sur leurs chariots ou sur leurs mules, étaient seuls admis à voir cette fière escouade de trois vaillants hommes suivis de leurs trois pages et de leurs trois écuyers.
Plus de bravades, plus de cris, plus de menaces: lorsqu'on se bat pour tuer ou pour être tué, qu'on sait que le duel, de part et d'autre, sera acharné, mortel, sans miséricorde, on réfléchit; les plus étourdis des trois étaient, ce matin-là, les plus rêveurs.
En arrivant à la hauteur de la rue Sainte-Catherine, tous trois portèrent, avec un sourire qui indiquait qu'une même pensée les tenait en ce moment, leurs yeux vers la petite maison de Monsoreau.
— On verra bien de là, dit Antraguet, et je suis sûr que la pauvre Diane viendra plus d'une fois à sa fenêtre.
— Tiens! dit Ribérac, elle y est déjà venue, ce me semble.
— Pourquoi cela?
— Elle est ouverte.
— C'est vrai. Mais pourquoi cette échelle dressée devant la fenêtre, quand le logis a des portes?
— En effet, c'est bizarre, dit Antraguet.
Tous trois s'approchèrent de la maison, avec le pressentiment intérieur qu'ils marchaient à quelque grave révélation.
— Et nous ne sommes pas les seuls à nous étonner, dit Livarot: voyez ces paysans qui passent, et qui se dressent dans leur voiture pour regarder.
Les jeunes gens arrivèrent sous le balcon.
Un maraîcher y était déjà, et semblait examiner la terre.
— Eh! seigneur de Monsoreau, cria Antraguet, venez-vous nous voir? En ce cas, dépêchez-vous, car nous tenons à arriver les premiers.
Ils attendirent, mais inutilement.
— Personne ne répond, dit Ribérac; mais pourquoi, diable! cette échelle?
— Eh! manant, dit Livarot au maraîcher, que fais-tu là? Est-ce que c'est toi qui as dressé cette échelle?
— Dieu m'en garde, messieurs! répondit-il.
— Et pourquoi cela? demanda Antraguet.
— Regardez donc là-haut.
Tous trois levèrent la tête.
— Du sang! s'écria Ribérac.
— Ma foi, oui, du sang, dit le villageois, et qui est bien noir, même.
— La porte a été forcée; dit en même temps le page d'Antraguet.
Antraguet jeta un coup d'oeil de la porte à la fenêtre, et, saisissant l'échelle, il fut sur le balcon en une seconde.
Il plongea son regard dans la chambre.
— Qu'y a-t-il donc? demandèrent les autres, qui le virent chanceler et pâlir.
Un cri terrible fut sa seule réponse.
Livarot était monté derrière lui.
— Des cadavres! la mort! la mort partout! s'écria le jeune homme.
Et tous deux entrèrent dans la chambre.
Ribérac resta en bas, de peur de surprise.
Pendant ce temps, le maraîcher arrêtait, par ses exclamations, tous les passants.
La chambre portait partout les traces de l'horrible lutte de la nuit.
Les taches, ou plutôt une rivière de sang s'était étendue sur le carreau.
Les tentures étaient hachées de coups d'épées et de balles de pistolets.
Les meubles gisaient, brisés et rouges, dans des débris de chair et de vêtements.
— Oh! Remy, le pauvre Remy! dit tout à coup Antraguet.
— Mort? demanda Livarot.
— Déjà froid.
— Mais il faut donc, s'écria Livarot, qu'un régiment de reîtres ait passé par cette chambre!
En ce moment, Livarot vit la porte du corridor ouverte; des traces de sang indiquaient que, de ce côté aussi, avait eu lieu la lutte.
Il suivit les terribles vestiges, et vint jusqu'à l'escalier.
La cour était vide et solitaire.
Pendant ce temps, Antraguet, au lieu de le suivre, prenait le chemin de la chambre voisine.
Il y avait du sang partout: le sang conduisait à la fenêtre.
Il se pencha sur son appui, et plongea son oeil effrayé sur le petit jardin.
Le treillage de fer retenait encore le cadavre livide et roide du malheureux Bussy.
A cette vue, ce ne fut pas un cri, mais un rugissement qui s'échappa de la poitrine d'Antraguet.
Livarot accourut.
— Regarde, dit Antraguet, Bussy mort!
— Bussy assassiné, précipité par une fenêtre! Entre, Ribérac, entre!
Pendant ce temps, Livarot s'élançait dans la cour, et rencontrait au bas de l'escalier Ribérac, qu'il emmenait avec lui.
Une petite porte, qui communiquait de la cour au jardin, leur donna passage.
— C'est bien lui! s'écria Livarot.
— Il a le poing haché, dit Ribérac.
— Il a deux balles dans la poitrine.
— Il est criblé de coups de dague.
— Ah! pauvre Bussy! hurlait Antraguet; vengeance! vengeance!
En se retournant, Livarot heurta un second cadavre.
— Monsoreau! cria-t-il.
— Quoi, Monsoreau aussi?
— Oui, Monsoreau percé comme un crible, et qui a eu la tête brisée sur le pavé.
— Ah ça, mais on a donc assassiné tous nos amis, cette nuit!
— Et sa femme, sa femme! cria Antraguet; Diane, madame Diane!
Personne ne répondit, excepté la populace, qui commençait à fourmiller autour de la maison.
C'est en ce moment que le roi et Chicot arrivaient à la hauteur de la rue Sainte-Catherine, et se détournaient pour éviter le rassemblement.
— Bussy! pauvre Bussy! s'écriait Ribérac désespéré.
— Oui, dit Antraguet, on a voulu se défaire du plus terrible de nous tous.
— C'est une lâcheté! c'est une infamie! crièrent les deux autres jeunes gens.
— Allons nous plaindre au duc! cria l'un d'eux.
— Non pas, dit Antraguet, ne chargeons personne du soin de notre vengeance; nous serions mal vengés, ami; attends-moi.
En une seconde il descendit, et rejoignit Livarot et Ribérac.
— Mes amis, dit-il, regardez cette noble figure du plus brave des hommes, voyez les gouttes encore vermeilles de son sang; celui-là nous donne l'exemple; celui-là ne chargeait personne du soin de le venger... Bussy! Bussy! nous ferons comme toi; et, sois tranquille, nous nous vengerons!
En disant ces mots, il se découvrit, posa ses lèvres sur les lèvres de Bussy; et, tirant son épée, il la trempa dans son sang.
— Bussy, dit-il, je jure sur ton cadavre que ce sang sera lavé dans le sang de tes ennemis!
— Bussy, dirent les autres, nous jurons de tuer ou de mourir!
— Messieurs, dit Antraguet, remettant son épée au fourreau, pas de merci, pas de miséricorde, n'est-ce pas?
Les deux jeunes gens étendirent la main sur le cadavre:
— Pas de merci, pas de miséricorde! répétèrent-ils.
— Mais, dit Livarot, nous ne serons plus que trois contre quatre.
— Oui, mais nous n'aurons assassiné personne, nous, dit Antraguet; et Dieu fera forts ceux qui sont innocents. Adieu, Bussy!
— Adieu, Bussy! répétèrent les deux autres compagnons.
Et ils sortirent, l'effroi dans l'âme et la pâleur au front, de cette maison maudite.
Ils y avaient trouvé, avec l'image de la mort, ce désespoir profond qui centuple les forces; ils y avaient recueilli cette indignation généreuse qui rend l'homme supérieur à son essence mortelle.
Ils percèrent avec peine la foule, tant, en un quart d'heure, la foule était devenue considérable.
En arrivant sur le terrain, ils trouvèrent leurs ennemis qui les attendaient, les uns assis sur des pierres, les autres pittoresquement campés sur les barrières de bois.
Ils firent les derniers pas en courant, honteux d'arriver les derniers.
Les quatre mignons avaient avec eux quatre écuyers.
Leurs quatre épées, posées à terre, semblaient attendre et se reposer comme eux.
— Messieurs, dit Quélus en se levant et en saluant avec une espèce de morgue hautaine, nous avons eu l'honneur de vous attendre.
— Excusez-nous, messieurs, dit Antraguet; mais nous fussions arrivés avant vous, sans le retard d'un de nos compagnons.
— M. de Bussy? fit d'Épernon; effectivement, je ne le vois pas. Il paraît qu'il se fait tirer l'oreille, ce matin.
— Nous avons bien attendu jusqu'à présent, dit Schomberg; nous attendrons bien encore.
— M. de Bussy ne viendra pas, répondit Antraguet.
Une stupeur profonde se peignit sur tous les visages; celui de d'Épernon seul exprima un autre sentiment.
— Il ne viendra pas! dit-il; ah! ah! le brave des braves a donc peur?
— Ce ne peut être pour cela, reprit Quélus.
— Vous avez raison, monsieur, dit Livarot.
— Et pourquoi ne viendra-t-il pas? demanda Maugiron.
— Parce qu'il est mort! répliqua Antraguet.
— Mort! s'écrièrent les mignons.
D'Épernon ne dit rien, et pâlit même légèrement.
— Et mort assassiné! reprit Antraguet. Ne le savez-vous pas, messieurs?
— Non, dit Quélus. Et pourquoi le saurions-nous?
— D'ailleurs, est-ce sûr? demanda d'Épernon.
Antraguet tira sa rapière.
— Si sûr, dit-il, que voilà de son sang sur mon épée.
— Assassiné! s'écrièrent les trois amis du roi. M. de Bussy assassiné!
D'Épernon continuait de secouer la tête d'un air de doute.
— Ce sang crie vengeance! dit Ribérac; ne l'entendez-vous pas, messieurs?
— Ah çà! reprit Schomberg, on dirait que votre douleur a un sens.
— Pardieu! fit Antraguet.
— Qu'est-ce à dire? s'écria Quélus.
— Cherche à qui le crime profite, dit le légiste, murmura Livarot.
— Ah ça, messieurs, vous expliquerez-vous haut et clair? dit Maugiron d'une voix tonnante.
— Nous venons justement pour cela, messieurs, dit Ribérac, et nous avons plus de sujets qu'il n'en faut pour nous égorger cent fois.
— Alors, vite l'épée à la main, dit d'Épernon en tirant son arme du fourreau; et faisons vite.
— Oh! oh! vous êtes bien pressé, monsieur le Gascon, dit Livarot; vous ne chantiez pas si haut quand nous étions quatre contre quatre.
— Est-ce notre faute, si vous n'êtes plus que trois? répondit d'Épernon.
— Oui, c'est votre faute! s'écria Antraguet; il est mort parce qu'on l'aimait mieux couché dans la tombe que debout sur le terrain; il est mort le poing coupé, pour que son poing ne pût plus soutenir son épée; il est mort parce qu'il fallait à tout prix éteindre ses yeux, dont l'éclair vous eût ébloui tous quatre. Comprenez-vous? suis-je clair?
Schomberg, Maugiron et d'Épernon hurlaient de rage.
— Assez, assez, messieurs! dit Quélus. Retirez-vous, monsieur d'Épernon; nous nous battrons trois contre trois; ces messieurs verront alors si, malgré notre droit, nous sommes gens à profiter d'un malheur que nous déplorons comme eux. Venez, messieurs, venez, ajouta le jeune homme en jetant son chapeau en arrière et en levant la main gauche, tandis que de la droite il faisait siffler son épée; venez, et, en nous voyant combattre à ciel ouvert et sous le regard de Dieu, vous pourrez juger si nous sommes des assassins. Allons, de l'espace! de l'espace!
— Ah! je vous haïssais, dit Schomberg, maintenant je vous exècre!
— Et moi, dit Antraguet, il y a une heure je vous eusse tué, maintenant je vous égorgerais. En garde, messieurs, en garde!
— Avec nos pourpoints ou sans pourpoints? demanda Schomberg.
— Sans pourpoint, sans chemise, dit Antraguet; la poitrine à nu, le coeur à découvert.
Les jeunes gens jetèrent leurs pourpoints et arrachèrent leurs chemises.
— Tiens, dit Quélus en se dévêtant, j'ai perdu ma dague. Elle tenait mal au fourreau, et sera tombée en route.
— Ou vous l'aurez laissée chez M. de Monsoreau, place de la Bastille, dit Antraguet, dans quelque fourreau dont vous n'aurez pas osé la retirer.
Quélus poussa un hurlement de rage, et tomba en garde.
— Mais il n'a pas de dague, monsieur Antraguet, il n'a pas de dague! cria Chicot, qui arrivait en ce moment sur le champ de bataille.
— Tant pis pour lui, dit Antraguet; ce n'est point ma faute.
Et, tirant sa dague de la main gauche, il tomba en garde de son côté.
Quélus avait eu, dans un duel précédent, l'oeil gauche crevé d'un coup d'épée.
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