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Kitabı oku: «La dame de Monsoreau — Tome 3», sayfa 19

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CHAPITRE XXXVII
LE COMBAT

Le terrain sur lequel allait avoir lieu cette terrible rencontre était ombragé d'arbres, ainsi que nous l'avons vu, et situé à l'écart.

Il n'était fréquenté d'ordinaire que par les enfants, qui venaient y jouer le jour, ou les ivrognes et les voleurs, qui venaient y dormir la nuit.

Les barrières, dressées par les marchands de chevaux, écartaient naturellement la foule, qui, semblable aux flots d'une rivière, suit toujours un courant, et ne s'arrête ou ne revient qu'attirée par quelque remous.

Les passants longeaient cet espace et ne s'y arrêtaient point.

D'ailleurs, il était de trop bonne heure, et l'empressement général se portait vers la maison sanglante de Monsoreau.

Chicot, le coeur palpitant, bien qu'il ne fût pas fort tendre de sa nature, s'assit en avant des laquais et des pages sur une balustrade de bois.

Il n'aimait pas les Angevins, il détestait les mignons; mais les uns et les autres étaient de braves jeunes gens, et sous leur chair courait un sang généraux que bientôt on allait voir jaillir au grand jour.

D'Épernon voulut risquer une dernière fois la bravade.

— Quoi! on a donc bien peur de moi? s'écria-t-il.

— Taisez-vous, bavard! lui dit Antraguet.

— J'ai mon droit, répliqua d'Épernon; la partie fut liée à huit.

— Allons, au large! dit Ribérac impatienté en lui barrant le passage.

Il s'en revint avec des airs de tête superbes, et rengaîna son épée.

— Venez, dit Chicot, venez, fleur des braves, sans quoi vous allez perdre encore une paire de souliers comme hier.

— Que dit ce maître fou?

— Je dis que tout à l'heure il y aura du sang par terre, et vous marcheriez dedans comme vous fîtes cette nuit.

D'Épernon devint blafard. Toute sa jactance tombait sous ce terrible reproche.

Il s'assit à dix pas de Chicot, qu'il ne regardait plus sans terreur.

Ribérac et Schomberg s'approchèrent après le salut d'usage.

Quélus et Antraguet, qui, depuis un instant déjà, étaient tombés en garde, engagèrent le fer en faisant un pas en avant.

Maugiron et Livarot, appuyés chacun sur une barrière, se guettaient en faisant des feintes sur place pour engager l'épée dans leur garde favorite.

Le combat commença comme cinq heures sonnaient à Saint-Paul.

La fureur était peinte sur les traits des combattants; mais leurs lèvres serrées, leur pâleur menaçante l'involontaire tremblement du poignet, indiquaient que cette fureur était maintenue par eux à force de prudence, et que, pareille à un cheval fougueux, elle ne s'échapperait point sans de grands ravages.

Il y eut durant plusieurs minutes, ce qui est un espace de temps énorme, un frottement d'épées qui n'était pas encore un cliquetis. Pas un coup ne fut porté.

Ribérac, fatigué ou plutôt satisfait d'avoir tâté son adversaire, baissa la main, et attendit un moment.

Schomberg fit deux pas rapides, et lui porta un coup qui fut le premier éclair sorti du nuage.

Ribérac fut frappé. Sa peau devint livide, et un jet de sang sortit de son épaule; il rompit pour se rendre compte à lui-même de sa blessure.

Schomberg voulut renouveler le coup; mais Ribérac releva son épée par une parade de prime, et lui porta un coup qui l'atteignit au côté.

Chacun avait sa blessure.

— Maintenant, reposons-nous quelques secondes, si vous voulez, dit Ribérac.

Cependant Quélus et Antraguet s'échauffaient de leur côté; mais Quélus, n'ayant pas de dague, avait un grand désavantage; il était obligé de parer avec son bras gauche, et, comme son bras était nu, chaque parade lui coûtait une blessure.

Sans être atteint grièvement, au bout de quelques secondes, il avait la main complètement ensanglantée.

Antraguet, au contraire, comprenant tout son avantage, et non moins habile que Quélus, parait avec une mesure extrême. Trois coups de riposte portèrent, et, sans être touché grièvement, le sang s'échappa de la poitrine de Quélus par trois blessures.

Mais, à chaque coup, Quélus répéta:

— Ce n'est rien.

Livarot et Maugiron en étaient toujours à la prudence.

Quant à Ribérac, furieux de douleur et sentant qu'il commençait à perdre ses forces avec son sang, il fondit sur Schomberg.

Schomberg ne recula pas d'un pas et se contenta de tendre son épée.

Les deux jeunes gens firent coup fourré.

Ribérac eut la poitrine traversée, et Schomberg fut blessé au cou.

Ribérac, blessé mortellement, porta la main gauche à sa plaie en se découvrant.

Schomberg en profita pour porter à Ribérac un second coup qui lui traversa les chairs.

Mais Ribérac, de sa main droite, saisit la main de son adversaire, et, de la gauche, lui enfonça dans la poitrine sa dague jusqu'à la coquille.

La lame aiguë traversa le coeur.

Schomberg poussa un cri sourd et tomba sur le dos, entraînant avec lui Ribérac, toujours traversé par l'épée.

Livarot, voyant tomber son ami, fit un pas de retraite rapide et courut à lui, poursuivi par Maugiron. Il gagna plusieurs pas dans la course, et, aidant Ribérac dans les efforts qu'il faisait pour se débarrasser de l'épée de Schomberg, il lui arracha cette épée de la poitrine.

Mais alors, rejoint par Maugiron, force lui fut de se défendre avec le désavantage d'un terrain glissant, d'une garde mauvaise et du soleil dans les yeux.

Au bout d'une seconde, un coup d'estoc ouvrit la tête de Livarot, qui laissa échapper son épée et tomba sur les genoux.

Quélus était vivement serré par Antraguet. Maugiron se hâta de percer Livarot d'un coup de pointe. Livarot tomba tout à fait.

D'Épernon poussa un grand cri.

Quélus et Maugiron restaient contre le seul Antraguet. Quélus était tout sanglant, mais de blessures légères.

Maugiron était à peu près sauf.

Antraguet comprit le danger. Il n'avait pas reçu la moindre égratignure; mais il commençait à se sentir fatigué; ce n'était cependant pas le moment de demander trêve à un homme blessé et à un autre tout chaud de carnage. D'un coup de fouet il écarta violemment l'épée de Quélus, et, profitant de l'écartement du fer, il sauta légèrement par-dessus une barrière.

Quélus revint par un coup de taille, mais qui n'entama que le bois.

Mais, en ce moment, Maugiron attaqua Antraguet de flanc. Antraguet se retourna. Quélus profita du mouvement pour passer sous la barrière.

— Il est perdu, dit Chicot.

— Vive le roi! dit d'Épernon, hardi, mes lions, hardi!

— Monsieur, du silence, s'il vous plaît, dit Antraguet; n'insultez pas un homme qui se battra jusqu'au dernier souffle.

— Et qui n'est pas encore mort! s'écria Livarot.

Et, au moment où nul ne pensait plus à lui, hideux de la fange sanglante qui lui couvrait le corps, il se releva sur ses genoux et plongea sa dague entre les épaules de Maugiron, qui tomba comme une masse en soupirant:

— Jésus, mon Dieu! je suis mort!

Livarot retomba évanoui; l'action et la colère avaient épuisé le reste de ses forces.

— Monsieur de Quélus, dit Antraguet, baissant son épée, vous êtes un homme brave, rendez-vous, je vous offre la vie.

— Et pourquoi me rendre? dit Quélus, suis-je à terre?

— Non; mais vous êtes criblé de coups, et moi, je suis sain et sauf.

— Vive le roi! cria Quélus, j'ai encore mon épée, monsieur.

Et il se fendit sur Antraguet, qui para le coup, si rapide qu'il eût été.

— Non, monsieur, vous ne l'avez plus, dit Antraguet, saisissant à pleine main la lame près de la garde.

Et il tordit le bras de Quélus, qui lâcha l'épée.

Seulement Antraguet se coupa légèrement un doigt de la main gauche.

— Oh! hurla Quélus, une épée! une épée!

Et, se lançant sur Antraguet d'un bond de tigre, il l'enveloppa de ses deux bras.

Antraguet se laissa prendre au corps, et, passant son épée dans sa main gauche et sa dague dans sa main droite, il se mit à frapper sur Quélus sans relâche et partout, s'éclaboussant à chaque coup du sang de son ennemi, à qui rien ne pouvait faire lâcher prise, et qui criait à chaque blessure:

— Vive le roi!

Il réussit même à retenir la main qui le frappait, et à garrotter, comme eût fait un serpent, son ennemi intact entre ses jambes et ses bras.

Antraguet sentit que la respiration allait lui manquer.

En effet, il chancela et tomba.

Mais, en tombant, comme si tout le devait favoriser ce jour-là, il étouffa, pour ainsi dire, le malheureux Quélus.

— Vive le roi! murmura ce dernier, à l'agonie.

Antraguet parvint à dégager sa poitrine de l'étreinte; il se roidit sur un bras, et, le frappant d'un dernier coup qui lui traversa la poitrine:

— Tiens, lui dit-il, es-tu content?

— Vive le r... articula Quélus, les yeux à demi fermés.

Ce fut tout; le silence et la terreur de la mort régnaient sur le champ de bataille.

Antraguet se releva tout sanglant, mais du sang de son ennemi; il n'avait, comme nous l'avons dit, qu'une égratignure à la main.

D'Épernon, épouvanté, fit un signe de croix et prit la fuite, comme s'il eût été poursuivi par un spectre.

Antraguet jeta sur ses compagnons et ses ennemis, morts et mourants, le même regard qu'Horace dut jeter sur le champ de bataille qui décidait les destins de Rome.

Chicot secourut et releva Quélus, qui rendait son sang par dix-neuf blessures.

Le mouvement le ranima.

Il rouvrit les yeux.

— Antraguet, sur l'honneur, dit-il, je suis innocent de la mort de Bussy.

— Oh! je vous crois, monsieur, fit Antraguet attendri, je vous crois.

— Fuyez, murmura Quélus, fuyez, le roi ne vous pardonnerait pas.

— Et moi, monsieur, je ne vous abandonnerai pas ainsi, dit Antraguet, dût l'échafaud me prendre.

— Sauvez-vous, jeune homme, dit Chicot, et ne tentez pas Dieu; vous vous sauvez par un miracle, n'en demandez pas deux le même jour.

Antraguet s'approcha de Ribérac, qui respirait encore.

— Eh bien? demanda celui-ci.

— Nous sommes vainqueurs, répondit Antraguet à voix basse pour ne pas offenser Quélus.

— Merci, dit Ribérac. Va-t'en.

Et il retomba évanoui.

Antraguet ramassa sa propre épée, qu'il avait laissée tomber dans la lutte, puis celles de Quélus, de Schomberg et de Maugiron.

— Achevez-moi, monsieur, dit Quélus, ou laissez-moi mon épée.

— La voici, monsieur le comte, dit Antraguet en la lui offrant avec un salut respectueux.

Une larme brilla aux yeux du blessé.

— Nous eussions pu être amis, murmura-t-il.

Antraguet lui tendit la main.

— Bien! fit Chicot; c'est on ne peut plus chevaleresque. Mais sauve-toi, Antraguet, tu es digne de vivre.

— Et mes compagnons? demanda le jeune homme.

— J'en aurai soin, comme des amis du roi.

Antraguet s'enveloppa du manteau que lui tendait son écuyer, afin que l'on ne vît pas le sang dont il était couvert, et, laissant les morts et les blessés au milieu des pages et des laquais, il disparut par la porte Saint-Antoine.

CHAPITRE XXXVIII
CONCLUSION

Le roi, pâle d'inquiétude et frémissant au moindre bruit, arpentait la salle d'armes, conjecturant, avec l'expérience d'un homme exercé, tout le temps que ses amis avaient dû employer à joindre et à combattre leurs adversaires, ainsi que toutes les chances bonnes ou mauvaises que leur donnaient leur caractère, leur force et leur adresse.

— A cette heure, avait-il dit d'abord, ils traversent la rue Saint-Antoine. Ils entrent dans le champ clos, maintenant. On dégaîne.

A cette heure, ils sont aux mains.

Et, à ces mots, le pauvre roi, tout frissonnant, s'était mis en prières.

Mais le fond du coeur absorbait d'autres sentiments, et cette dévotion des lèvres ne faisait que glisser à la surface.

Au bout de quelques secondes, le roi se releva.

— Pourvu que Quélus, dit-il, se souvienne de ce coup de riposte que je lui ai montré, en parant avec l'épée et en frappant avec la dague. Quant à Schomberg, l'homme de sang-froid, il doit tuer ce Ribérac. Maugiron, s'il n'a pas mauvaise chance, se débarrassera vite de Livarot. Mais d'Épernon! oh! celui-là est mort. Heureusement que c'est celui des quatre que j'aime le moins. Mais, malheureusement, ce n'est pas le tout qu'il soit mort, c'est que, lui mort, Bussy, le terrible Bussy, retombe sur les autres en se multipliant. Ah! mon pauvre Quélus! mon pauvre Schomberg! mon pauvre Maugiron!

— Sire! dit à la porte la voix de Crillon.

— Quoi! déjà! s'écria le roi.

— Non, sire, je n'apporte aucune nouvelle, si ce n'est que le duc d'Anjou demande à parler à Votre Majesté.

— Et pourquoi faire? demanda le roi, dialoguant toujours à travers la porte.

— Il dit que le moment est venu pour lui d'apprendre à Votre Majesté quel genre de service il lui a rendu, et que ce qu'il a à dire au roi calmera une partie des craintes qui l'agitent en ce moment.

— Eh bien, allez donc, dit le roi.

En ce moment et comme Crillon se retournait pour obéir, un pas rapide retentit par les montées, et l'on entendit une voix qui disait à Crillon:

— Je veux parler au roi à l'instant même!

Le roi reconnut la voix et ouvrit lui-même.

— Viens, Saint-Luc, viens, dit-il. Qu'y a-t-il encore? Mais qu'as-tu, mon Dieu, et qu'est-il arrivé? Sont-ils morts?

En effet, Saint-Luc, pâle, sans chapeau, sans épée, tout marbré de taches de sang, se précipitait dans la chambre du roi.

— Sire, s'écria Saint-Luc en se jetant aux genoux du roi, vengeance! je viens vous demander vengeance!

— Mon pauvre Saint-Luc, dit le roi, qu'y a-t-il donc? parle, et qui peut te causer un pareil désespoir?

— Sire, un de vos sujets, le plus noble; un de vos soldats, le plus brave...

La parole lui manqua.

— Hein? fit en avançant Crillon, qui croyait avoir des droits à ce dernier titre surtout.

— A été égorgé cette nuit, traîtreusement égorgé, assassiné! acheva Saint-Luc.

Le roi, préoccupé d'une seule idée, se rassura; ce n'était aucun de ses quatre amis, puisqu'il les avait vus le matin.

— Égorgé, assassiné cette nuit! dit le roi; de qui parles-tu donc, Saint-Luc?

— Sire, vous ne l'aimez pas, je le sais bien, continua Saint-Luc; mais il était fidèle, et, dans l'occasion, je vous le jure, il eût donné tout son sang pour Votre Majesté: sans quoi il n'eût pas été mon ami.

— Ah! fit le roi, qui commençait à comprendre.

Et quelque chose comme un éclair, sinon de joie, du moins d'espérance, illumina son visage.

— Vengeance, sire, pour M. de Bussy! cria Saint-Luc; vengeance!

— Pour M. de Bussy? répéta le roi en appuyant sur chaque mot.

— Oui, pour M. de Bussy, que vingt assassins ont poignardé cette nuit.

Et bien leur en a pris d'être vingt, car il en a tué quatorze.

— M. de Bussy mort!..

— Oui, sire.

— Alors, il ne se bat pas ce matin! dit tout à coup le roi, emporté par un mouvement irrésistible.

Saint-Luc lança au roi un regard qu'il ne put soutenir: en se détournant, il vit Crillon, qui, toujours debout près de la porte, attendait de nouveaux ordres.

Il lui fit signe d'amener le duc d'Anjou.

— Non, sire, ajouta Saint-Luc d'une voix sévère, M. de Bussy ne s'est point battu, en effet, et voilà pourquoi je viens demander, non pas vengeance, comme j'ai eu tort de le dire à Votre Majesté, mais justice, car j'aime mon roi, et surtout l'honneur de mon roi par-dessus toutes choses, et je trouve qu'en poignardant M. de Bussy on a rendu un déplorable service à Votre Majesté.

Le duc d'Anjou venait d'arriver à la porte; il s'y tenait débout et immobile comme une statue de bronze.

Les paroles de Saint-Luc avaient éclairé le roi; elles lui rappelaient le service que son frère prétendait lui avoir rendu.

Son regard se croisa avec celui du duc, et il n'eut plus de doute: car, en même temps qu'il lui répondait oui du regard, le duc avait fait de haut en bas un signe imperceptible de tête.

— Savez-vous ce que l'on va dire maintenant? s'écria Saint-Luc. On va dire, si vos amis sont vainqueurs, qu'ils ne le sont que parce que vous avez fait égorger Bussy.

— Et qui dit cela, monsieur? demanda le roi.

— Pardieu! tout le monde, dit Crillon se mêlant, sans façon et comme d'habitude, à la conversation.

— Non, monsieur, dit le roi, inquiet et subjugué par cette opinion de celui qui était le plus brave de son royaume depuis que Bussy était mort, non, monsieur, on ne le dira pas, car vous me nommerez l'assassin.

Saint-Luc vit une ombre se projeter.

C'était le duc d'Anjou, qui venait de faire deux pas dans la chambre.

Il se retourna et le reconnut.

— Oui, sire, je le nommerai! dit-il en se relevant, car je veux à tout prix disculper Votre Majesté d'une si abominable action.

— Eh bien, dites.

Le duc s'arrêta et attendit tranquillement.

Crillon se tenait derrière lui, le regardant de travers et secouant la tête.

— Sire, reprit Saint-Luc, cette nuit, on a fait tomber Bussy dans un piège: tandis qu'il rendait visite à une femme dont il était aimé, le mari, prévenu par un traître, est rentré chez lui avec des assassins; il y en avait partout, dans la rue, dans la cour et jusque dans le jardin.

Si tout n'eût pas été fermé, comme nous l'avons dit, dans la chambre du roi, on eût pu voir, malgré sa puissance sur lui-même, pâlir le prince à ces dernières paroles.

— Bussy s'est défendu comme un lion, sire; mais le nombre l'a emporté, et...

— Et il est mort, interrompit le roi, et mort justement; car je ne vengerai certes pas un adultère.

— Sire, je n'ai pas fini mon récit, reprit Saint-Luc. Le malheureux, après s'être défendu, près d'une demi-heure dans la chambre, après avoir triomphé de ses ennemis, le malheureux se sauvait blessé, sanglant, mutilé; il ne s'agissait plus que de lui tendre une main secourable, que je lui eusse tendue, moi, si je n'eusse été arrêté, avec la femme qu'il m'avait confiée, par ses assassins; si je n'eusse été garrotté, bâillonné. Malheureusement on avait oublié de m'ôter la vue comme on m'avait ôté la parole, et j'ai vu, sire, j'ai vu deux hommes s'approcher du malheureux Bussy, suspendu par la cuisse aux lances d'une grille de fer; j'ai entendu le blessé leur demander secours, car, dans ces deux hommes, il avait le droit de voir deux amis. Eh bien, l'un, sire, — c'est horrible à raconter, mais, croyez-le, c'était encore bien plus horrible à voir et à entendre, — l'un a ordonné de faire feu, et l'autre a obéi.

Crillon serra les poings et fronça le sourcil.

— Et vous connaissez l'assassin? demanda le roi, ému malgré lui.

— Oui, dit Saint-Luc.

Et, se retournant vers le prince en chargeant sa parole et son geste de toute sa haine si longtemps contenue:

— C'est monseigneur! dit-il; l'assassin, c'est le prince! l'assassin, c'est l'ami!

Le roi s'attendait à ce coup. Le duc le supporta sans sourciller.

— Oui, dit-il tranquillement; oui, M. de Saint-Luc a bien vu et bien entendu: c'est moi qui ai fait tuer M. de Bussy, et Votre Majesté appréciera cette action, car M. de Bussy était mon serviteur, c'est vrai; mais, ce matin, quelque chose que j'aie pu lui dire, M. de Bussy devait porter les armes contre Votre Majesté.

— Tu mens, assassin! tu mens! s'écria Saint-Luc: Bussy percé de coups, Bussy la main hachée de coups d'épée, l'épaule brisée d'une balle, Bussy pendant accroché par la cuisse au treillis de fer, Bussy n'était plus bon qu'à inspirer de la pitié à ses plus cruels ennemis, et ses plus cruels ennemis l'eussent secouru. Mais toi, toi, l'assassin de la Mole et de Coconnas, tu as tué Bussy comme, les uns après les autres, tous tes amis; tu as tué Bussy, non parce qu'il était l'ennemi de ton frère, mais parce qu'il était le confident de tes secrets. Ah! Monsoreau savait bien, lui, pourquoi tu faisais ce crime.

— Cordieu, murmura Crillon, que ne suis-je le roi!

— On m'insulte chez vous, mon frère, dit le duc, blême de terreur, car, entre la main convulsive de Crillon et le regard sanglant de Saint-Luc, il ne se sentait pas en sûreté.

— Sortez! Crillon, dit le roi.

Crillon sortit.

— Justice, sire! justice! continua de crier Saint-Luc.

— Sire, dit le duc, punissez-moi d'avoir sauvé, ce matin, les amis de Votre Majesté, et d'avoir donné une éclatante justice à votre cause, qui est la mienne.

— Et moi, reprit Saint-Luc, ne se possédant plus, je te dis que la cause dont tu es est une cause maudite, et qu'où tu passes doit s'abattre sur tes pas la colère de Dieu! Sire! sire! votre frère a protégé nos amis: malheur à eux!

Le roi sentit passer en lui comme un frisson de terreur.

En ce moment même, on entendit au dehors une vague rumeur, puis des pas précipités, puis des interrogatoires empressés.

Il se fit un grand, un profond silence.

Au milieu de ce silence, et comme si une voix du ciel venait donner raison à Saint-Luc, trois coups, frappés avec lenteur et solennité, ébranlèrent la porte sous le poing vigoureux de Crillon.

Une sueur froide inonda les tempes de Henri et bouleversa les traits de son visage.

— Vaincus! s'écria-t-il; mes pauvres amis vaincus!

— Que vous disais-je, sire? s'écria Saint-Luc.

Le duc joignit les mains avec terreur.

— Vois-tu, lâche! s'écria le jeune homme avec un superbe effort, voilà comme les assassinats sauvent l'honneur des princes! Viens donc m'égorger aussi, je n'ai pas d'épée!

Et il lança son gant de soie au visage du duc.

François poussa un cri de rage et devint livide.

Mais le roi ne vit rien, n'entendit rien: il avait laissé tomber son front entre ses mains.

— Oh! murmura-t-il, mes pauvres amis, ils sont vaincus, blessés! Oh! qui me donnera d'eux des nouvelles certaines?

— Moi, sire, dit Chicot.

Le roi reconnut cette voix amie, et tendit ses bras en avant.

— Eh bien? dit-il.

— Deux sont déjà morts, et le troisième va rendre le dernier soupir.

— Quel est ce troisième qui n'est pas encore mort?

— Quélus, sire.

— Et où est-il?

— A l'hôtel Boissy, où je l'ai fait transporter.

Le roi n'en écouta point davantage, et s'élança hors de l'appartement en poussant des cris lamentables.

Saint-Luc avait conduit Diane chez son amie, Jeanne de Brissac, de là son retard à se présenter au Louvre.

Jeanne passa trois jours et trois nuits à veiller la malheureuse femme, en proie au plus atroce délire.

Le quatrième jour, Jeanne, brisée de fatigue, alla prendre un peu de repos; mais, lorsqu'elle rentra, deux heures après, dans la chambre de son amie, elle ne la trouva plus3

On sait que Quélus, le seul des trois combattants défenseurs de la cause du roi qui ait survécu à dix-neuf blessures, mourut dans ce même hôtel de Boissy, où Chicot l'avait fait transporter, après une agonie de trente jours, et entre les bras du roi.

Henri fut inconsolable. Il fit faire à ses trois amis de magnifiques tombeaux, où ils étaient taillés en marbre et dans leur grandeur naturelle.

Il fonda des messes à leur intention, les recommanda aux prières des prêtres, et ajouta à ses oraisons habituelles ce distique, qu'il répéta toute sa vie après ses prières du matin et du soir:

 
Que Dieu reçoive en son giron
Quélus, Schomberg et Maugiron,
 

Pendant près de trois mois, Crillon garda à vue le duc d'Anjou, que le roi avait pris dans une haine profonde, et auquel il ne pardonna jamais.

On atteignit ainsi le mois de septembre, époque à laquelle Chicot, qui ne quittait pas son maître, et qui eût consolé Henri, si Henri eût pu être consolé, reçut la lettre suivante, datée du prieuré de Beaune. Elle était écrite de la main d'un clerc.

«Cher seigneur Chicot,

«L'air est doux dans notre pays, et les vendanges promettent d'être belles en Bourgogne, cette année.

«On dit que le roi, notre sire, à qui j'ai sauvé la vie, à ce qu'il paraît, a toujours beaucoup de chagrin; amenez-le au prieuré, cher monsieur Chicot, nous lui ferons boire d'un vin de 1550, que j'ai découvert dans mon cellier, et qui est capable de faire oublier les plus grandes douleurs; cela le réjouira, je n'en doute point, car j'ai trouvé, dans les livres saints, cette phrase admirable: «Le bon vin réjouit le coeur de l'homme!» C'est très-beau en latin; je vous le ferai lire. Venez donc, cher monsieur Chicot, venez avec le roi, venez avec M. d'Épernon, venez avec M. de Saint-Luc; et vous verrez que nous engraisserons tous.

«Le révérend prieur DOM GORENFLOT, qui se dit votre humble serviteur et ami.

«P.S. Vous direz au roi que je n'ai pas encore eu le temps de prier pour l'âme de ses amis, comme il me l'avait recommandé, à cause des embarras que m'a donnés mon installation; mais, aussitôt les vendanges faites, je m'occuperai certainement d'eux.»

— Amen! dit Chicot, voilà de pauvres diables bien recommandés à Dieu!

3
  Peut-être l'auteur nous racontera-t-il ce qu'elle était devenue dans son prochain roman intitulé les Quarante-Cinq, où nous retrouverons une partie des personnages qui ont pris part à l'intrigue de la Dame de Monsoreau. — Note de l'éditeur —


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Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
Hacim:
310 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

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