Читайте только на Литрес

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «La dame de Monsoreau — Tome 3», sayfa 6

Yazı tipi:

CHAPITRE XI
DU DÉSAGRÉMENT DES LITIÈRES TROP LARGES ET DES PORTES TROP ÉTROITES

Bussy ne quittait point Diane; le sourire bienveillant de Monsoreau lui donnait une liberté dont il se fût bien gardé de ne point user. Les jaloux ont ce privilège qu'ayant rudement fait la guerre pour conserver leur bien ils ne sont point épargnés, quand une fois les braconniers ont mis le pied sur leurs terres.

— Madame, disait Bussy à Diane, je suis en vérité le plus misérable des hommes. Sur la nouvelle de sa mort, j'ai conseillé au prince de retourner à Paris et de s'accommoder avec sa mère; il a consenti, et voilà que vous restez en Anjou.

— Oh! Louis, répondit la jeune femme en serrant du bout de ses doigts effilés la main de Bussy, osez-vous dire que nous sommes malheureux? Tant de beaux jours, tant de joies ineffables dont le souvenir passe comme un frisson sur mon coeur, vous les oubliez donc, vous?

— Je n'oublie rien, madame; au contraire, je me souviens trop, et voilà pourquoi, pendant ce bonheur, je me trouve si fort à plaindre. Comprenez-vous ce que je vais souffrir, madame, s'il faut que je retourne à Paris, à cent lieues de vous! Mon coeur se brise, Diane, et je me sens lâche.

Diane regarda Bussy; tant de douleur éclatait dans ses yeux, qu'elle baissa la tête et qu'elle se prit à réfléchir.

Le jeune homme attendit un instant, le regard suppliant et les mains jointes.

— Eh bien! dit tout à coup Diane, vous irez à Paris, Louis, et moi aussi.

— Comment! s'écria le jeune homme, vous quitteriez M. de Monsoreau?

— Je le quitterais, répondit Diane, que lui ne me quitterait pas; non, croyez-moi, Louis, mieux vaut qu'il vienne avec nous.

— Blessé, malade comme il est, impossible!

— Il viendra, vous dis-je.

Et aussitôt, quittant le bras de Bussy, elle se rapprocha du prince, lequel répondait de fort mauvaise humeur à Monsoreau, dont Ribérac, Antraguet et Livarot entouraient la litière.

A l'aspect de Diane, le front du comte se rasséréna; mais cet instant de calme ne fut pas de longue durée, il passa comme passe un rayon de soleil entre deux orages.

Diane s'approcha du duc, et le comte fronça le sourcil.

— Monseigneur, dit-elle avec un charmant sourire, on dit Votre Altesse passionnée pour les fleurs. Venez, je veux montrer à Votre Altesse les plus belles fleurs de tout l'Anjou.

François lui offrit galamment la main.

— Où conduisez-vous donc monseigneur, madame? demanda Monsoreau inquiet.

— Dans la serre, monsieur.

— Ah! fit Monsoreau. Eh bien! soit, portez-moi dans la serre.

— Ma foi, se dit Remy, je crois maintenant que j'ai bien fait de ne pas le tuer; Dieu merci! il se tuera bien tout seul.

Diane sourit à Bussy d'une façon qui promettait merveilles.

— Que M. de Monsoreau, lui dit-elle tout bas, ne se doute pas que vous quittez l'Anjou, et je me charge du reste.

— Bien! fit Bussy.

Et il s'approcha du prince, tandis que la litière du Monsoreau tournait derrière un massif.

— Monseigneur, dit-il, pas d'indiscrétion surtout; que le Monsoreau ne sache pas que nous sommes sur le point de nous accommoder.

— Pourquoi cela?

— Parce qu'il pourrait prévenir la reine-mère de nos intentions pour s'en faire une amie, et que, sachant la résolution prise, madame Catherine pourrait bien être moins disposée à nous faire des largesses.

— Tu as raison, dit le duc. Tu t'en défies donc?

— Du Monsoreau? parbleu!

— Eh bien! moi aussi; je crois, en vérité, qu'il a fait exprès le mort.

— Non, par ma foi, il a bel et bien reçu un coup d'épée à travers la poitrine; cet imbécile de Remy, qui l'a tiré d'affaire, l'a cru lui-même mort un instant; il faut, en vérité, qu'il ait l'âme chevillée dans le corps.

On arriva devant la serre. Diane souriait au duc d'une façon plus charmante que jamais.

Le prince passa le premier, puis Diane. Monsoreau voulut venir après; mais, quand sa litière se présenta pour passer, on s'aperçut qu'il était impossible de la faire entrer: la porte, de style ogival, était longue et haute, mais large seulement comme les plus grosses caisses, et la litière de M. de Monsoreau avait six pieds de largeur.

A la vue de cette porte trop étroite et de cette litière trop large, le Monsoreau poussa un rugissement.

Diane entra dans la serre sans faire attention aux gestes désespérés de son mari.

Bussy, pour qui le sourire de la jeune femme, dans le coeur de laquelle il avait l'habitude de lire par les yeux, devenait parfaitement clair, demeura près de Monsoreau en lui disant avec une parfaite tranquillité:

— Vous vous entêtez inutilement, monsieur le comte; cette porte est trop étroite, et jamais vous ne passerez par là.

— Monseigneur! monseigneur! criait Monsoreau, n'allez pas dans cette serre; il y a de mortelles exhalaisons, des fleurs étrangères qui répandent les parfums les plus vénéneux. Monseigneur!..

Mais François n'écoutait pas. Malgré sa prudence accoutumée, heureux de sentir dans ses mains la main de Diane, il s'enfonçait dans les verdoyants détours.

Bussy encourageait Monsoreau à patienter avec la douleur; mais, malgré les exhortations de Bussy, ce qui devait arriver arriva: Monsoreau ne put supporter, non pas la douleur physique, sous ce rapport il semblait de fer, mais la douleur morale. Il s'évanouit.

Remy reprenait tous ses droits; il ordonna que le blessé fût reconduit dans sa chambre.

— Maintenant, demanda Remy au jeune homme, que dois-je faire?

— Eh! pardieu! dit Bussy, achève ce que tu as si bien commencé: reste près de lui, et guéris-le.

Puis il annonça à Diane l'accident arrivé à son mari.

Diane quitta aussitôt le duc d'Anjou et s'achemina vers le château.

— Avons-nous réussi? lui demanda Bussy lorsqu'elle passa à ses côtés.

— Je le crois, dit-elle. En tout cas, ne partez point sans avoir vu Gertrude.

Le duc n'aimait les fleurs que parce qu'il les visitait avec Diane. Aussitôt que Diane fût éloignée, les recommandations du comte lui revinrent à l'esprit, et il sortit du bâtiment.

Ribérac, Livarot et Antraguet le suivirent.

Pendant ce temps, Diane avait rejoint son mari, à qui Remy faisait respirer des sels.

Le comte ne tarda pas à rouvrir les yeux.

Son premier mouvement fut de se soulever avec violence; mais Remy avait prévu ce premier mouvement, et le comte était attaché sur son matelas.

Il poussa un second rugissement; mais, en regardant autour de lui, il aperçut Diane debout à son chevet.

— Ah! c'est vous, madame, dit-il; je suis bien aise de vous voir pour vous dire que ce soir nous partons pour Paris.

Remy jeta les hauts cris; mais Monsoreau ne fit pas plus attention à Remy que s'il n'était pas là.

— Y pensez-vous, monsieur? dit Diane avec son calme habituel, et votre blessure?

— Madame, dit le comte, il n'y a pas de blessure qui tienne, j'aime mieux mourir que souffrir, et, dusse-je mourir par les chemins, ce soir nous partirons.

— Eh bien! monsieur, dit Diane, comme il vous plaira.

— Il me plaît ainsi; faites donc vos préparatifs, je vous prie.

— Mes préparatifs seront vite faits, monsieur. Mais puis-je savoir quelle cause a amené cette subite détermination?

— Je vous le dirai, madame, quand vous n'aurez plus de fleurs à montrer au prince, ou quand j'aurai fait construire des portes assez larges pour que ma litière entre partout.

Diane s'inclina.

— Mais, madame, dit Remy.

— M. le comte le veut, répondit Diane, mon devoir est d'obéir.

Et Remy crut reconnaître, à un signe de la jeune femme, qu'il devait cesser ses observations.

Il se tut tout en grommelant:

— Ils me le tueront, et puis on dira que c'est la faute de la médecine.

Pendant ce temps, le duc d'Anjou s'apprêtait à quitter Méridor. Il témoigna la plus grande reconnaissance au baron de l'accueil qu'il lui avait fait et remonta à cheval.

Gertrude apparut en ce moment. Elle venait annoncer tout haut au duc que sa maîtresse, retenue près du comte, ne pouvait avoir l'honneur de lui présenter ses hommages, et tout bas, à Bussy, que Diane partait le soir.

On partit.

Le duc avait les volontés dégénérescentes, ou plutôt les perfectionnements de ses caprices.

Diane cruelle le blessait et le repoussait de l'Anjou; Diane souriante lui fut une amorce.

Comme il ignorait la résolution prise par le grand veneur, tout le long du chemin il ne cessa de méditer sur le danger qu'il y aurait à obéir trop facilement aux désirs de la reine-mère.

Bussy avait prévu cela, et il comptait bien sur ce désir de rester.

— Vois-tu, Bussy, lui dit le duc, j'ai réfléchi.

— Bon! monseigneur. Et à quoi? demanda le jeune homme.

— Qu'il n'est pas bon de me rendre ainsi tout de suite aux raisonnements de ma mère.

— Vous avez raison; elle se croit déjà bien assez profonde politique comme cela.

— Tandis que, vois-tu, en lui demandant huit jours, ou plutôt en traînant huit jours; en donnant quelques fêtes auxquelles nous appellerons la noblesse, nous montrerons à notre mère combien nous sommes forts.

— Puissamment raisonné, monseigneur. Cependant il me semble...

— Je resterai ici huit jours, dit le duc, et, grâce à ce délai, j'arracherai de nouvelles conditions à ma mère; c'est moi qui te le dis.

Bussy parut réfléchir profondément.

— En effet, monseigneur, dit-il, arrachez, arrachez; mais tâchez qu'au lieu de profiter par ce retard, vos affaires n'en souffrent pas. Le roi, par exemple...

— Eh bien! le roi?

— Le roi, ne connaissant pas vos intentions, peut s'irriter. Il est très-irascible, le roi.

— Tu as raison; il faudrait que je pusse envoyer quelqu'un pour saluer mon frère de ma part, et pour lui annoncer mon retour: cela me donnera les huit jours dont j'ai besoin.

— Oui; mais ce quelqu'un court grand risque, dit Bussy.

Le duc d'Anjou sourit de son mauvais sourire.

— Si je changeais de résolution, n'est-ce pas? dit-il.

— Eh! malgré la promesse faite à votre frère, vous en changerez si l'intérêt vous y pousse, n'est-ce pas?

— Dame! fit le prince.

— Très-bien! et alors on enverra votre ambassadeur à la Bastille.

— Nous ne le préviendrons pas de ce qu'il porte, et nous lui donnerons une lettre.

— Au contraire, dit Bussy, ne lui donnez pas de lettre et prévenez-le.

— Mais alors personne ne voudra se charger de la mission.

— Allons donc!

— Tu connais un homme qui s'en chargera, toi?

— Oui, j'en connais un.

— Lequel?

— Moi, monseigneur.

— Toi?

— Oui, moi... J'aime les négociations difficiles.

— Bussy, mon cher Bussy, s'écria le duc, si tu fais cela, tu peux compter sur mon éternelle reconnaissance.

Bussy sourit. Il connaissait la mesure de cette reconnaissance dont lui parlait Son Altesse.

Le duc crut qu'il hésitait.

— Et je te donnerai dix mille écus pour ton voyage, ajouta-t-il.

— Allons donc! monseigneur, dit Bussy, soyez plus généreux: est-ce que l'on paye ces choses-là?

— Ainsi tu pars?

— Je pars.

— Pour Paris?

— Pour Paris.

— Et quand cela?

— Dame! quand vous voudrez.

— Le plus tôt serait le mieux.

— Oui, eh bien!

— Eh bien?

— Ce soir, si vous voulez, monseigneur.

— Brave Bussy, cher Bussy, tu consens donc réellement?

— Si je consens? dit Bussy; mais, pour le service de Votre Altesse, vous savez bien, monseigneur, que je passerais dans le feu. C'est donc convenu, je pars ce soir. Vous, vivez joyeusement ici, et attrapez-moi de la reine-mère quelque bonne abbaye.

— J'y songe déjà, mon ami.

— Alors adieu, monseigneur.

— Adieu, Bussy... Ah! n'oublie pas une chose.

— Laquelle?

— Prends congé de ma mère.

— J'aurai cet honneur.

En effet, Bussy, plus leste, plus joyeux, plus léger qu'un écolier pour lequel la cloche vient de sonner l'heure de la récréation, fit sa visite à Catherine, et s'apprêta pour partir aussitôt que le signal du départ lui viendrait de Méridor.

Le signal se fit attendre jusqu'au lendemain matin. Monsoreau s'était senti si faible après cette émotion éprouvée, qu'il avait jugé lui-même qu'il avait besoin de cette nuit de repos.

Mais, vers sept heures, le même palefrenier qui avait apporté la lettre de Saint-Luc vint annoncer à Bussy que, malgré les larmes du vieux baron et les oppositions de Remy, le comte venait de partir pour Paris dans une litière qu'escortaient à cheval Diane, Remy et Gertrude.

Cette litière était portée par huit hommes qui, de lieue en lieue, devaient se relayer.

Bussy n'attendait que cette nouvelle. Il sauta sur un cheval sellé depuis la veille et prit le même chemin.

CHAPITRE XII
DANS QUELLES DISPOSITIONS ÉTAIT LE ROI HENRI III QUAND M. DE SAINT-LUC REPARUT A LA COUR

Depuis le départ de Catherine, le roi quelle que fût sa confiance dans l'ambassadeur qu'il avait envoyé dans l'Anjou, le roi, disons-nous, ne songeait plus qu'à s'armer contre les tentatives de son frère.

Il connaissait, par expérience, le génie de sa maison; il savait tout ce que peut un prétendant à la couronne, c'est-à-dire l'homme nouveau contre le possesseur légitime, c'est-à-dire contre l'homme ennuyeux et prévu.

Il s'amusait, ou plutôt il s'ennuyait, comme Tibère, à dresser des listes de proscription, où l'on inscrivait, par ordre alphabétique, tous ceux qui ne se montraient pas zélés a prendre le parti du roi.

Ces listes devenaient chaque jour plus longues.

Et à l'S et à l'L, c'est-à dire plutôt deux fois qu'une, le roi inscrivait chaque jour le nom de M. de Saint-Luc.

Au reste, la colère du roi contre l'ancien favori était bien servie par les commentaires de la cour, par les insinuations perfides des courtisans et par les amères récriminations de la fuite en Anjou de l'époux de Jeanne de Cossé, fuite qui était une trahison depuis le jour où le duc, fuyant lui-même, avait dirigé sa course vers cette province.

En effet, Saint-Luc fuyant à Méridor ne devait-il pas être considéré comme le fourrier de M. le duc d'Anjou, allant préparer les logements du prince à Angers?

Au milieu de tout ce trouble, de tout ce mouvement, de toute cette émotion, Chicot, encourageant les mignons à affiler leurs dagues et leurs rapières, pour tailler et percer les ennemis de Sa Majesté Très-Chrétienne, Chicot, disons-nous, était magnifique à voir.

D'autant plus magnifique à voir, que, tout en ayant l'air de jouer le rôle de la mouche du coche, Chicot jouait en réalité un rôle beaucoup plus sérieux. Chicot, petit à petit, et pour ainsi dire homme par homme, mettait sur pied une armée pour le service de son maître.

Tout à coup, une après-midi, tandis que le roi soupait avec la reine, dont, à chaque péril politique, il cultivait la société plus assidûment, et que le départ de François avait naturellement amenée près de lui, Chicot entra les bras étendus et les jambes écartées, comme les pantins que l'on écarte à l'aide d'un fil.

— Ouf! dit-il.

— Quoi? demanda le roi.

— M. de Saint-Luc, fit Chicot.

— M. de Saint-Luc! exclama Sa Majesté.

— Oui.

— A Paris?

— Oui.

— Au Louvre?

— Oui.

Sur cette triple affirmation, le roi se leva de table, tout rouge et tout tremblant.

Il eût été difficile de dire quel sentiment l'animait.

— Pardon, dit-il à la reine en essuyant sa moustache et en jetant sa serviette sur son fauteuil, mais ce sont des affaires d'État qui ne regardent point les femmes.

— Oui, dit Chicot en grossissant la voix, ce sont des affaires d'État.

La reine voulut se lever de table pour laisser la place libre à son mari.

— Non, madame, dit Henri, restez, s'il vous plaît; je vais entrer dans mon cabinet.

— Oh! sire, dit la reine avec ce tendre intérêt qu'elle eut constamment pour son ingrat époux, ne vous mettez pas en colère, je vous prie.

— Dieu le veuille! répondit Henri sans remarquer l'air narquois avec lequel Chicot tortillait sa moustache.

Henri s'éloigna vivement hors de la chambre. Chicot le suivit.

Une fois dehors:

— Que vient-il faire ici, le traître? demanda Henri d'une voix émue.

— Qui sait? fit Chicot.

— Il vient, j'en suis sûr, comme député des États d'Anjou. Il vient comme ambassadeur de mon frère; car ainsi vont les rébellions: ce sont des eaux troubles et fangeuses dans lesquelles les révoltés pêchent toutes sortes de bénéfices, sordides, c'est vrai, mais avantageux, et qui, de provisoires et précaires, deviennent peu à peu fixes et immuables. Celui-ci a flairé la rébellion, et il s'en est fait un sauf-conduit pour venir m'insulter ici.

— Qui sait? dit Chicot.

Le roi regarda le laconique personnage.

— Il se peut encore, dit Henri, toujours traversant les galeries d'un pas inégal et qui décelait son agitation; il se peut qu'il vienne pour me redemander ses terres, dont je retiens les revenus, ce qui est un peu abusif peut-être, lui n'ayant pas commis, après tout, de crime qualifié, hein?

— Qui sait? continua Chicot.

— Ah! fit Henri, tu répètes, comme mon papegeai, toujours la même chose. Mort de ma vie! tu m'impatientes enfin avec ton éternel: Qui sait?

— Eh! mordieu! te crois-tu bien amusant, toi, avec tes éternelles questions?

— On répond quelque chose, au moins.

— Et que veux-tu que je te réponde? Me prends-tu, par hasard, pour le Fatum des anciens? me prends-tu pour Jupiter, pour Apollon ou pour Manto? Eh! c'est toi-même qui m'impatientes, morbleu! avec tes sottes suppositions!

— Monsieur Chicot...

— Après, monsieur Henri?

— Chicot, mon ami, tu vois ma douleur, et tu me rudoies.

— N'aie pas de douleur, mordieu!

— Mais tout le monde me trahit!

— Qui sait? ventre-de-biche! qui sait?

Henri, se perdant en conjectures, descendit en son cabinet, où, sur l'étrange nouvelle du retour de Saint-Luc, se trouvaient déjà réunis tous les familiers du Louvre, parmi lesquels, ou plutôt à la tête desquels brillait Crillon, l'oeil en feu, le nez rouge et la moustache hérissée comme un dogue qui demande le combat.

Saint-Luc était là, debout, au milieu de tous ces menaçants visages, sentant bruire autour de lui toutes ces colères, et ne se troublant pas le moins du monde. Chose étrange! il avait amené sa femme, et l'avait fait asseoir sur un tabouret contre la balustrade du lit.

Lui, se promenait le poing sur la hanche, regardant les curieux et les insolents du même regard dont ils le regardaient.

Par égard pour la jeune femme, quelques seigneurs s'étaient écartés, malgré leur envie de coudoyer Saint-Luc, et s'étaient tus, malgré leur désir de lui adresser quelques paroles désagréables.

C'était dans ce vide et dans ce silence que se mouvait l'ex-favori.

Jeanne, modestement enveloppée dans sa mante de voyage, attendait, les yeux baissés.

Saint-Luc, drapé fièrement dans son manteau, attendait; de son côté, avec une attitude qui semblait plutôt appeler que craindre la provocation.

Enfin les assistants attendaient, pour provoquer, de bien savoir ce que revenait faire Saint-Luc à cette cour où chacun, désireux de se partager une portion de son ancienne faveur, le trouvait bien inutile.

En un mot, comme on le voit, de toutes parts, l'attente était grande, lorsque le roi parut.

Henri entra, tout agité, tout occupé de s'exciter lui-même. Cet essoufflement perpétuel compose, la plupart du temps, ce qu'on appelle la dignité chez les princes.

Il entra, suivi de Chicot, qui avait pris les airs calmes et dignes qu'aurait dû prendre le roi de France, et qui regardait le maintien de Saint-Luc, ce qu'aurait dû commencer par faire Henri III.

— Ah! monsieur, vous ici? s'écria tout d'abord le roi, sans faire attention à ceux qui l'entouraient, et semblable en cela au taureau des arènes espagnoles, qui, dans des milliers d'hommes, ne voient qu'un brouillard mouvant, et, dans l'arc-en-ciel des bannières, que la couleur rouge.

— Oui, Sire, répondit simplement et modestement Saint-Luc en s'inclinant avec respect.

Cette réponse frappa si peu l'oreille du roi; ce maintien plein de calme et de déférence communiqua si peu à son esprit aveuglé ces sentiments de raison et de mansuétude que doit exciter la réunion du respect des autres et de la dignité de soi-même, que le roi continua sans intervalle:

— Vraiment, votre présence au Louvre me surprend étrangement.

A cette agression brutale, un silence de mort s'établit autour du roi et de son favori.

C'était le silence qui s'établit en un champ clos autour de deux adversaires qui vont vider une question suprême.

Saint-Luc le rompit le premier.

— Sire, dit-il avec son élégance habituelle et sans paraître troublé le moins du monde de la boutade royale, je ne suis, moi, surpris que d'une chose: c'est que, dans les circonstances où elle se trouve, Votre Majesté ne m'ait pas attendu.

— Qu'est-ce à dire, monsieur? répliqua Henri avec un orgueil tout à fait royal et en relevant sa tête, qui, dans les grandes circonstances, prenait une incomparable expression de dignité.

— Sire, répondit Saint-Luc, Votre Majesté court un danger.

— Un danger! s'écrièrent les courtisans.

— Oui, messieurs, un danger grand, réel, sérieux, un danger dans lequel le roi a besoin depuis le plus grand jusqu'au plus petit de tous ceux qui lui sont dévoués; et, convaincu que, dans un danger pareil à celui que je signale, il n'y a pas de fa***e assistance, je viens remettre aux pieds de mon roi l'offre de mes très-humbles services.

— Ah! ah! fit Chicot; vois-tu, mon fils, que j'avais raison de dire:

Qui sait?

Henri III ne répondit point tout d'abord. Il regarda l'assemblée; l'assemblée était émue et offensée; mais Henri distingua bientôt dans le regard des assistants la jalousie qui s'agitait au fond de la plupart des coeurs.

Il en conclut que Saint-Luc avait fait quelque chose dont était incapable la majorité de l'assemblée, c'est-à-dire quelque chose de bien.

Cependant il ne voulut point se rendre ainsi tout à coup.

— Monsieur, répondit-il, vous n'avez fait que votre devoir, car vos services nous sont dus.

— Les services de tous les sujets du roi sont dus au roi, je le sais, Sire, répondit Saint-Luc; mais, par le temps qui court, beaucoup de gens oublient de payer leurs dettes. Moi, Sire, je viens payer la mienne, heureux que Votre Majesté veuille bien me compter toujours au nombre de ses débiteurs.

Henri, désarmé par cette douceur et cette humilité persévérantes, fit un pas vers Saint-Luc.

— Ainsi, dit-il, vous revenez sans autre motif que celui que vous dites, vous revenez sans mission, sans sauf-conduit?

— Sire, dit vivement Saint-Luc, reconnaissant, au ton dont lui parlait le roi, qu'il n'y avait plus dans son maître ni reproche ni colère, je reviens purement et simplement pour revenir, et cela à franc étrier. Maintenant, Votre Majesté peut me faire jeter à la Bastille dans une heure, arquebuser dans deux; mais j'aurai fait mon devoir. Sire, l'Anjou est en feu; la Touraine va se révolter; la Guyenne se lève pour lui donner la main. M. le duc d'Anjou travaille l'ouest et le midi de la France.

— Et il y est bien aidé, n'est-ce pas? s'écria le roi.

— Sire, dit Saint-Luc, qui comprit le sens des paroles royales, ni conseils ni représentations n'arrêtent le duc; et M. de Bussy, tout ferme qu'il soit, ne peut rassurer votre frère sur la terreur que Votre Majesté lui a inspirée.

— Ah! ah! dit Henri, il tremble donc, le rebelle!

Et il sourit dans sa moustache.

— Tudieu! dit Chicot en se caressant le menton, voilà un habile homme!

Et, poussant le roi du coude:

— Range-toi donc, Henri, dit-il, que j'aille donner une poignée de main à M. de Saint-Luc.

Ce mouvement entraîna le roi. Il laissa Chicot faire son compliment à l'arrivant, puis, marchant avec lenteur vers son ancien ami, et, lui posant la main sur l'épaule:

— Sois le bien-venu, Saint-Luc, lui dit-il.

— Ah! Sire, s'écria Saint-Luc en baisant la main du roi, j'ai retrouvé mon maître bien-aimé!

— Oui; mais moi, je ne te retrouve pas, dit le roi, ou du moins je te retrouve si maigri, mon pauvre Saint-Luc, que je ne t'eusse pas reconnu en te voyant passer.

A ces mots, une voix féminine se fit entendre.

— Sire, dit cette voix, c'est du chagrin d'avoir déplu à Votre Majesté.

Quoique cette voix fût douce et respectueuse, Henri tressaillit. Cette voix lui était aussi antipathique que l'était à Auguste le bruit du tonnerre.

— Madame de Saint-Luc! murmura-t-il. Ah! c'est vrai, j'avais oublié...

Jeanne se jeta à ses genoux.

— Relevez-vous, madame, dit le roi. J'aime tout ce qui porte le nom de Saint-Luc.

Jeanne saisit la main du roi et la porta à ses lèvres.

Henri la retira vivement.

— Allez, dit Chicot à la jeune femme, allez, convertissez le roi, ventre-de-biche! vous êtes assez jolie pour cela.

Mais Henri tourna le dos à Jeanne, et, passant son bras autour du col de Saint-Luc, entra avec lui dans ses appartements.

— Ah çà! lui dit-il, la paix est faite, Saint-Luc?

— Dites, Sire, répondit le courtisan, que la grâce est accordée!

— Madame, dit Chicot à Jeanne indécise, une bonne femme ne doit pas quitter son mari... surtout lorsque son mari est en danger.

Et il poussa Jeanne sur les talons du roi et de Saint-Luc.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
Hacim:
310 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin, ses formatı mevcut
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 4,8, 8 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 4,7, 3 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 5, 4 oylamaya göre
Ses
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin PDF
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 3,8, 4 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin PDF
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre
Metin PDF
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre