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Kitabı oku: «La dame de Monsoreau — Tome 3», sayfa 7

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CHAPITRE XIII
OU IL EST TRAITÉ DE DEUX PERSONNAGES IMPORTANTS DE CETTE HISTOIRE, QUE LE LECTEUR AVAIT DEPUIS QUELQUE TEMPS PERDUS DE VUS

Il est un des personnages de cette histoire, il en est même deux, des faits et gestes desquels le lecteur a droit de nous demander compte.

Avec l'humilité d'un auteur de préface antique, nous nous empresserons d'aller au-devant de ces questions, dont nous comprenons toute l'importance.

Il s'agit d'abord d'un énorme moine, aux sourcils épais, aux lèvres rouges et charnues, aux larges mains, aux vastes épaules, dont le col diminue chaque jour de tout ce que prennent de développement la poitrine et les joues.

Il s'agit ensuite d'un fort grand âne dont les côtes s'arrondissent et se ballonnent avec grâce.

Le moine tend chaque jour à ressembler à un muid calé par deux poutrelles.

L'âne ressemble déjà à un berceau d'enfant soutenu par quatre quenouilles.

L'un habite une cellule du couvent de Sainte-Geneviève, où toutes les grâces du Seigneur viennent le visiter.

L'autre habite l'écurie du même couvent, où il vit à même d'un râtelier toujours plein.

L'un répond au nom de Gorenflot.

L'autre devrait répondre au nom de Panurge.

Tous deux jouissent, pour le moment du moins, du destin le plus prospère qu'aient jamais rêvé un âne et un moine. Les Génovéfains entourent de soins leur illustre compagnon, et, semblables aux divinités de troisième ordre qui soignaient l'aigle de Jupiter, le paon de Junon et les colombes de Vénus, les frères servants engraissent Panurge en l'honneur de son maître.

La cuisine de l'abbaye fume perpétuellement; le vin des clos les plus renommés de Bourgogne coule dans les verres les plus larges. Arrive-t-il un missionnaire ayant voyagé dans les pays lointains pour la propagation; arrive-t-il un légat secret du pape apportant des indulgences de la part de Sa Sainteté, on lui montre le frère Gorenflot, ce double modèle de l'église prêchante et militante, qui manie la parole comme saint Luc et l'épée comme saint Paul; on lui montre Gorenflot dans toute sa gloire, c'est-à-dire au milieu d'un festin. On a échancré une table pour le ventre sacré de Gorenflot, et l'on s'épanouit d'un noble orgueil en faisant voir au saint voyageur que Gorenflot engloutit à lui tout seul la ration des huit plus robustes appétits du couvent.

Et quand le nouveau venu a pieusement contemplé cette merveille:

— Quelle admirable nature! dit le prieur en joignant les mains et en levant les yeux au ciel, le frère Gorenflot aime la table et cultive les arts; vous voyez comme il mange! Ah! si vous aviez entendu le sermon qu'il a fait certaine nuit, sermon dans lequel il offrait de se dévouer pour le triomphe de la foi! C'est une bouche qui parle comme celle de saint Jean Chrysostome, et qui engloutit comme celle de Gargantua.

Cependant, parfois, au milieu de toutes ces splendeurs, un nuage passe sur le front de Gorenflot; les volailles du Mans fument inutilement devant ses larges narines; les petites huîtres de Flandre, dont il engloutit un millier en se jouant, bâillent et se contournent en vain dans leur conque nacrée; les bouteilles aux différentes formes restent intactes, quoique débouchées; Gorenflot est lugubre, Gorenflot n'a pas faim, Gorenflot rêve.

Alors le bruit court que le digne Génovéfain est en extase, comme saint François, ou en pamoison, comme sainte Thérèse, et l'admiration redouble.

Ce n'est plus un moine, c'est un saint; ce n'est plus même un saint, c'est un demi-dieu; quelques-uns même vont jusqu'à dire que c'est un dieu complet.

— Chut! murmure-t-on, ne troublons pas la rêverie du frère Gorenflot.

Et l'on s'écarte avec respect.

Le prieur seul attend le moment où frère Gorenflot donne un signe quelconque de vie. Il s'approche du moine, lui prend la main avec affabilité et l'interroge avec respect.

Gorenflot lève la tête et regarde le prieur avec des yeux hébétés.

Il sort d'un autre monde.

— Que faisiez-vous, mon digne frère? demande le prieur.

— Moi? dit Gorenflot.

— Oui, vous; vous faisiez quelque chose.

— Oui, mon père, je composais un sermon.

— Dans le genre de celui que vous nous avez si bravement débité dans la nuit de la sainte Ligue.

Chaque fois qu'on lui parle de ce sermon, Gorenflot déplore son infirmité.

— Oui, dit-il en poussant un soupir dans le même genre. Ah! quel malheur que je n'aie pas écrit celui-là!

— Un homme comme vous a-t-il besoin d'écrire, mon cher frère? Non, il parle d'inspiration, il ouvre la bouche, et, comme la parole de Dieu est en lui, la parole de Dieu coule de ses lèvres.

— Vous croyez, dit Gorenflot.

— Heureux celui qui doute, répond le prieur.

En effet, de temps en temps, Gorenflot, qui comprend les nécessités de la position, et qui est engagé par ses antécédents, médite un sermon. Foin de Marcus Tullius, de César, de saint Grégoire, de saint Augustin, de saint Jérôme et de Tertullien, la régénération de l'éloquence sacrée va commencer à Gorenflot. Rerum novus ordo nascitur.

De temps en temps aussi, à la fin de son repas, ou au milieu de ses extases, Gorenflot se lève, et, comme si un bras invisible le poussait, va droit à l'écurie; arrivé là, il regarde avec amour Panurge qui hennit de plaisir, puis il passe sa main pesante sur le pelage plantureux où ses gros doigts disparaissent tout entiers. Alors c'est plus que du plaisir, c'est du bonheur: Panurge ne se contente plus de hennir, il se roule.

Le prieur et trois ou quatre dignitaires du couvent l'escortent d'ordinaire dans ces excursions, et font mille platitudes à Panurge: l'un lui offre des gâteaux, l'autre des biscuits, l'autre des macarons, comme autrefois ceux qui voulaient se rendre Pluton favorable offraient des gâteaux au miel à Cerbère.

Panurge se laisse faire; il a le caractère accommodant; d'ailleurs, lui qui n'a pas d'extases, lui qui n'a pas de sermon à méditer, lui qui n'a d'autre réputation à soutenir que sa réputation d'entêtement, de paresse et de luxure, trouve qu'il ne lui reste rien à désirer, et qu'il est le plus heureux des ânes.

Le prieur le regarde avec attendrissement.

— Simple et doux, dit-il, c'est la vertu des forts.

Gorenflot a appris que l'on dit en latin ita pour dire oui; cela le sert merveilleusement, et, à tout ce qu'on lui dit, il répond ita avec une fatuité qui ne manque jamais son effet.

Encouragé par cette adhésion perpétuelle, l'abbé lui dit parfois:

— Vous travaillez trop, mon cher frère, cela vous rend triste de coeur.

Et Gorenflot répond à messire Joseph Foulon, comme Chicot répond parfois à Sa Majesté Henri III:

— Qui sait?

— Peut-être nos repas sont-ils un peu grossiers, ajoute le prieur, désirez-vous qu'on change le frère cuisinier? vous le savez, cher frère: Quaedam saturationes minus succedunt.

— Ita, répond éternellement Gorenflot en redoublant de tendresse pour son âne.

— Vous caressez bien votre Panurge, mon frère, dit le prieur; la manie des voyages vous reprendrait-elle?

— Oh! répond alors Gorenflot avec un soupir.

Le fait est que c'est là le souvenir qui tourmente Gorenflot. Gorenflot, qui avait d'abord trouvé son éloignement du couvent un immense malheur, a découvert dans l'exil des joies infinies et inconnues dont la liberté est la source. Au milieu de son bonheur, un ver le pique au coeur: c'est le désir de la liberté; la liberté avec Chicot; le joyeux convive; avec Chicot, qu'il aime sans trop savoir pourquoi, peut-être parce que, de temps en temps, il le bat.

— Hélas! dit timidement un jeune frère qui a suivi le jeu de la physionomie du moine, je crois que vous avez raison, digne prieur, et que le séjour du couvent fatigue le révérend père.

— Pas précisément; dit Gorenflot; mais je sens que je suis né pour une vie de lutte, pour la politique du carrefour, pour le prêche de la borne.

Et, en disant ces mots, les yeux de Gorenflot s'animent; il pense aux omelettes de Chicot, au vin d'Anjou de maître Claude Bonhommet, à la salle basse de la Corne-d'Abondance.

Depuis la soirée de la Ligue, ou plutôt depuis la matinée du lendemain où il est rentré à son couvent, on ne l'a pas laissé sortir; depuis que le roi s'est fait chef de l'Union, les ligueurs ont redoublé de prudence.

Gorenflot est si simple, qu'il n'a même pas pensé à user de sa position pour se faire ouvrir les portes. On lui a dit: «Frère, il est défendu de sortir,» et il n'est point sorti.

On ne se doutait point de cette flamme intérieure qui lui rendait pesante la félicité du couvent.

Aussi, voyant que sa tristesse augmente de jour en jour, le prieur lui dit un matin:

— Très-cher frère, nul ne doit combattre sa vocation; la vôtre est de militer pour le Christ: allez donc, remplissez la mission que le Seigneur vous a confiée; seulement, veillez bien sur votre précieuse vie, et revenez pour le grand jour.

— Quel grand jour? demande Gorenflot absorbé dans sa joie.

— Celui de la Fête-Dieu.

— Ita! dit le moine avec un air de profonde intelligence; mais, ajouta Gorenflot, afin que je m'inspire chrétiennement par des aumônes, donnez-moi quelque argent.

Le prieur s'empressa d'aller chercher une large bourse, qu'il ouvrit à Gorenflot. Gorenflot y plongea sa large main.

— Vous verrez ce que je rapporterai au couvent, dit-il en faisant passer dans la large poche de son froc ce qu'il venait d'emprunter à la bourse du prieur.

— Vous avez votre texte, n'est-ce pas, très-cher frère? demanda Joseph Foulon.

— Oui, certainement.

— Confiez-le-moi.

— Volontiers, mais à vous seul.

Le prieur s'approcha de Gorenflot et prêta une oreille attentive.

— Écoutez.

— J'écoute.

— Le fléau qui bat le grain se bat lui-même, dit Gorenflot.

— Oh! magnifique! oh! sublime! s'écria le prieur.

Et les assistants, partageant de confiance l'enthousiasme de messire Joseph Foulon, répétèrent d'après lui: «Magnifique! sublime!»

— Et maintenant, mon père, suis-je libre, demanda Gorenflot avec humilité.

— Oui, mon fils, s'écria le révérend abbé, allez et marchez dans la voie du Seigneur.

Gorenflot fit seller Panurge, l'enfourcha avec l'aide de deux vigoureux moines et sortit du couvent vers les sept heures du soir.

C'était le jour même où Saint-Luc était arrivé de Méridor. Les nouvelles qui venaient de l'Anjou tenaient Paris en émotion.

Gorenflot, après avoir suivi la rue Saint-Étienne, venait de prendre à droite et de dépasser les Jacobins, quand tout à coup Panurge tressaillit: une main vigoureuse venait de s'appesantir sur sa croupe.

— Qui va là? s'écria Gorenflot effrayé.

— Ami, répliqua une voix que Gorenflot crut reconnaître.

Gorenflot avait bonne envie de se retourner; mais, comme les marins, qui, toutes les fois qu'ils s'embarquent, ont besoin d'habituer de nouveau leur pied au roulis, toutes les fois que Gorenflot remontait sur son âne, il était quelque temps à reprendre son centre de gravité.

— Que demandez-vous? dit-il.

— Voudriez-vous, mon respectable frère, reprit la voix, m'indiquer le chemin de la Corne-d'Abondance?

— Morbleu! s'écria Gorenflot au comble de la joie, c'est M. Chicot en personne.

— Justement, répondit le Gascon, j'allais vous chercher au couvent, mon très-cher frère, quand je vous ai vu sortir, je vous ai suivi quelque temps, de peur de me compromettre en vous parlant; mais, maintenant que nous sommes bien seuls, me voilà. Bonjour, frocard. Ventre-de-biche! je te trouve maigri.

— Et vous, monsieur Chicot, je vous trouve engraissé, parole d'honneur.

— Je crois que nous nous flattons tous les deux.

— Mais, qu'avez-vous donc, monsieur Chicot? dit le moine, vous paraissez bien chargé.

— C'est un quartier de daim que j'ai volé à Sa Majesté, dit le Gascon; nous en ferons des grillades.

— Cher monsieur Chicot! s'écria le moine; et sous l'autre bras?

— C'est un flacon de vin de Chypre envoyé par un roi à mon roi.

— Voyons, dit Gorenflot.

— C'est mon vin à moi; je l'aime beaucoup, dit Chicot en écartant son manteau, et toi, frère moine?

— Oh! oh! s'écria Gorenflot en apercevant la double aubaine et en s'ébaudissant si fort sur sa monture, que Panurge plia sous lui; oh! oh!

Dans sa joie, le moine leva les bras au ciel, et d'une voix qui fit trembler à droite et à gauche les vitres des maisons, il chanta, tandis que Panurge l'accompagnait en hihannant:

 
La musique a des appas,
Mais on ne fait que l'entendre.
Les fleurs ont le parfum tendre,
Mais l'odeur ne nourrit pas.
Sans que notre main y touche,
Un beau ciel flatte nos yeux;
Mais le vin coule en la bouche,
Mais le vin se sent, se touche
Et se boit; je l'aime mieux
Que musique, fleurs et cieux.
 

C'était la première fois que Gorenflot chantait depuis près d'un mois.

CHAPITRE XIV

Laissons les deux amis entrer au cabaret de la Corne-d'Abondance, où Chicot, en se le rappelle, ne conduisait jamais le moine qu'avec des intentions dont celui-ci était loin de soupçonner la gravité, et revenons à M. de Monsoreau, qui suit en litière le chemin de Méridor à Paris, et à Bussy, qui est parti d'Angers avec l'intention de faire la même route.

Non-seulement il n'est pas difficile à un cavalier bien monté de rejoindre des gens qui vont à pied, mais encore il court un risque, c'est celui de les dépasser.

La chose arriva à Bussy.

On était à la fin de mai, et la chaleur était grande, surtout vers le midi. Aussi M. de Monsoreau ordonna-t-il de faire halte dans un petit bois qui se trouvait sur la route; et, comme il désirait que son départ fût connu le plus tard possible de M. le duc d'Anjou, il veilla à ce que toutes les personnes de sa suite entrassent avec lui dans l'épaisseur du taillis pour passer la plus grande ardeur du soleil. Un cheval était chargé de provisions: on put donc faire la collation sans avoir recours à personne.

Pendant ce temps, Bussy passa.

Mais Bussy n'allait pas, comme on le pense bien, par la route, sans s'informer, si l'on n'avait pas vu des chevaux, des cavaliers et une litière portée par des paysans.

Jusqu'au village de Durtal, il avait obtenu les renseignements les plus positifs et les plus satisfaisants; aussi, convaincu que Diane était devant lui, avait-il mis son cheval au pas, se haussant sur ses étriers au sommet de chaque monticule, afin d'apercevoir au loin la petite troupe à la poursuite de laquelle il s'était mis. Mais, contre son attente, tout à coup les renseignements lui manquèrent; les voyageurs qui le croisaient n'avaient rencontré personne, et, en arrivant aux premières maisons de la Flèche, il acquit la conviction qu'au lieu d'être en retard il était en avance, et qu'il précédait au lieu de suivre.

Alors il se rappela le petit bois qu'il avait rencontré sur sa route, et il s'expliqua les hennissements de son cheval qui avait interrogé l'air de ses naseaux fumants au moment où il y était entré.

Son parti fut pris à l'instant même; il s'arrêta au plus mauvais cabaret de la rue, et, après s'être assuré que son cheval ne manquerait de rien, moins inquiet de lui-même que de sa monture, à la vigueur de laquelle il pouvait avoir besoin de recourir, il s'installa près d'une fenêtre, en ayant le soin de se cacher derrière un lambeau de toile qui servait de rideau.

Ce qui avait surtout déterminé Bussy dans le choix qu'il avait fait de cette espèce de bouge, c'est qu'il était situé en face la meilleure hôtellerie de la ville, et qu'il ne doutait point que Monsoreau ne fit halte dans cette hôtellerie.

Bussy avait deviné juste; vers quatre heures de l'après-midi, il vit apparaître un coureur, qui s'arrêta à la porte de l'hôtellerie.

Une demi-heure après, vint le cortège.

Il se composait, en personnages principaux, du comte, de la comtesse, de Remy et de Gertrude;

En personnages secondaires, de huit porteurs qui se relayaient de cinq lieues en cinq lieues.

Le coureur avait mission de préparer les relais des paysans. Or, comme Monsoreau était trop jaloux pour ne pas être généreux, cette manière de voyager, tout inusitée qu'elle était, ne souffrait ni difficulté ni retard.

Les personnages principaux entrèrent les uns après les autres dans l'hôtellerie; Diane resta la dernière, et il sembla à Bussy qu'elle regardait avec inquiétude autour d'elle. Son premier mouvement fut de se montrer, mais il eut le courage de se retenir; une imprudence les perdait.

La nuit vint, Bussy espérait que, pendant la nuit, Remy sortirait, ou que Diane paraîtrait à quelque fenêtre; il s'enveloppa de son manteau et se mit en sentinelle dans la rue.

Il attendit ainsi jusqu'à neuf heures du soir; à neuf heures du soir, le coureur sortit.

Cinq minutes après, huit hommes s'approchèrent de la porte: quatre entrèrent dans l'hôtellerie.

— Oh! se dit Bussy, voyageraient-ils de nuit? Ce serait une excellente idée qu'aurait M. de Monsoreau.

Effectivement, tout venait à l'appui de cette probabilité: la nuit était douce, le ciel tout parsemé d'étoiles, une de ces brises qui semblent le souffle de la terre rajeunie passait dans l'air, caressante et parfumée.

La litière sortit la première.

Puis vinrent à cheval Diane, Remy et Gertrude.

Diane regarda encore avec attention autour d'elle; mais, comme elle regardait, le comte l'appela, et force lui fut de revenir près de la litière.

Les quatre hommes de relais allumèrent des torches et marchèrent aux deux côtés de la route.

— Bon, dit Bussy, j'aurais commandé moi-même les détails de cette marche, que je n'eusse pas mieux fait.

Et il rentra dans son cabaret, sella son cheval, et se mit à la poursuite du cortège.

Cette fois, il n'y avait point à se tromper de route ou à le perdre de vue: les torches indiquaient clairement le chemin qu'il suivait.

Monsoreau ne laissait point Diane s'éloigner un instant de lui.

Il causait avec elle, ou plutôt il la gourmandait. Cette visite dans la serre servait de texte à d'inépuisables commentaires et à une foule de questions envenimées.

Remy et Gertrude se boudaient, ou, pour mieux dire, Remy rêvait et Gertrude boudait Remy.

La cause de cette bouderie était facile à expliquer: Remy ne voyait plus la nécessité d'être amoureux de Gertrude, depuis que Diane était amoureuse de Bussy.

Le cortège s'avançait donc, les uns disputant, les autres boudant, quand Bussy, qui suivait la cavalcade hors de la portée de la vue, donna, pour prévenir Remy de sa présence, un coup de sifflet d'argent avec lequel il avait l'habitude d'appeler ses serviteurs à l'hôtel de la rue de Grenelle-Saint-Honoré.

Le son en était aigu et vibrant. Ce son retentissait d'un bout à l'autre de la maison, et faisait accourir bêtes et gens.

Nous disons bêtes et gens, parce que Bussy, comme tous les hommes forts, se plaisait à dresser des chiens au combat, des chevaux indomptables et des faucons sauvages.

Or, au son de ce sifflet, les chiens tressaillaient dans leurs chenils, les chevaux dans leurs écuries, les faucons sur leurs perchoirs.

Remy le reconnut à l'instant même. Diane tressaillit et regarda le jeune homme, qui fit un signe affirmatif.

Puis il passa à sa gauche, et lui dit tout bas:

— C'est lui.

— Qu'est-ce? demanda Monsoreau, et qui vous parle, madame?

— A moi? personne, monsieur.

— Si fait, une ombre a passé près de vous, et j'ai entendu une voix.

— Cette voix, dit Diane, est celle de M. Remy; êtes-vous jaloux aussi de M. Remy?

— Non; mais j'aime à entendre parler tout haut, cela me distrait.

— Il y a cependant des choses que l'on ne peut pas dire devant M. le comte, interrompit Gertrude, venant au secours de sa maîtresse.

— Pourquoi cela?

— Pour deux raisons.

— Lesquelles?

— La première, parce qu'on peut dire des choses qui n'intéressent pas monsieur le comte, ou des choses qui l'intéressent trop.

— Et de quel genre étaient les choses que M. Remy vient de dire à madame?

— Du genre de celles qui intéressent trop monsieur.

— Que vous disait Remy? madame, je veux le savoir.

— Je disais, monsieur le comte, que si vous vous démenez ainsi, vous serez mort avant d'avoir fait le tiers de la route.

On put voir, aux sinistres rayons des torches, le visage de Monsoreau devenir aussi pâle que celui d'un cadavre.

Diane, toute palpitante et toute pensive, se taisait.

— Il vous attend à l'arrière, dit d'une voix à peine intelligible Remy à Diane; ralentissez un peu le pas de votre cheval; il vous rejoindra.

Remy avait parlé si bas, que Monsoreau n'entendit qu'un murmure; il fît un effort, renversa sa tête en arrière, et vit Diane qui le suivait.

— Encore un mouvement pareil, monsieur le comte, dit Remy, et je ne réponds pas de l'hémorrhagie.

Depuis quelque temps, Diane était devenue courageuse. Avec son amour était née l'audace, que toute femme véritablement éprise pousse d'ordinaire au delà des limites raisonnables. Elle tourna bride et attendit.

Au même moment, Remy descendait de cheval, donnait sa bride à tenir à Gertrude, et s'approchait de la litière pour occuper le malade.

— Voyons ce pouls, dit-il, je parie que nous avons la fièvre.

Cinq secondes après, Bussy était à ses côtés.

Les deux jeunes gens n'avaient plus besoin de se parler pour s'entendre; ils restèrent pendant quelques instants suavement embrassés.

— Tu vois, dit Bussy rompant le premier le silence, tu pars et je te suis.

— Oh! que mes jours seront beaux, Bussy, que mes nuits seront douces, si je te sais toujours ainsi près de moi!

— Mais le jour, il nous verra.

— Non, tu nous suivras de loin, et c'est moi seulement qui te verrai, mon Louis. Au détour des routes, au sommet des monticules, la plume de ton feutre, la broderie de ton manteau, ton mouchoir flottant; tout me parlera en ton nom, tout me dira que tu m'aimes. Qu'au moment où le jour baisse, où le brouillard bleu descend dans la plaine, je voie ton doux fantôme s'incliner en m'envoyant le baiser du soir, et je serai heureuse, bien heureuse!

— Parle, parle toujours, ma Diane bien-aimée, tu ne peux savoir toi-même tout ce qu'il y a d'harmonie dans ta douce voix.

— Et quand nous marcherons la nuit, et cela arrivera souvent, car Remy lui a dit que la fraîcheur du soir était bonne pour ses blessures, quand nous marcherons la nuit, alors, comme ce soir, de temps en temps, je resterai en arrière; de temps en temps, je pourrai te presser dans mes bras, et te dire, dans un rapide serrement de main, tout ce que j'aurai pensé de toi dans le courant du jour.

— Oh! que je t'aime! que je t'aime! murmura Bussy.

— Vois-tu, dit Diane, je crois que nos âmes sont assez étroitement unies, pour que, même à distance l'un de l'autre, même sans nous parler, sans nous voir, nous soyons heureux par la pensée.

— Oh! oui! mais te voir, mais te presser dans mes bras, oh! Diane!

Diane!

Et les chevaux se touchaient et se jouaient en secouant leurs brides argentées, et les deux amants s'étreignaient et oubliaient le monde.

Tout à coup, une voix retentit, qui les fit tressaillir tous deux, Diane de crainte. Bussy de colère.

— Madame Diane, criait cette voix, où êtes-vous? Madame Diane, répondez!

Ce cri traversa l'air comme une funèbre évocation.

— Oh! c'est lui, c'est lui! je l'avais oublié, murmura Diane. C'est lui, je rêvais! O doux songe! réveil affreux!

— Écoute, s'écriait Bussy, écoute, Diane; nous voici réunis. Dis un mot, et rien ne peut plus t'enlever à moi. Diane, fuyons. Qui nous empêche de fuir? Regarde: devant nous l'espace, le bonheur, la liberté! Un mot, et nous partons! un mot, et, perdue pour lui, tu m'appartiens éternellement.

Et le jeune homme la retenait doucement.

— Et mon père? dit Diane.

— Quand le baron saura que je t'aime... murmura-t-il.

— Oh! fit Diane. Un père, que dis-tu là?

Ce seul mot fit rentrer Bussy en lui-même.

— Rien par violence, chère Diane, dit-il, ordonne et j'obéirai.

— Écoute, dit Diane en étendant la main, notre destinée est là; soyons plus forts que le démon qui nous persécute; ne crains rien, et tu verras si je sais aimer.

— Il faut donc nous séparer, mon Dieu! murmura Bussy.

— Comtesse! comtesse! cria la voix. Répondez, ou, dussé-je me tuer, je saute au bas de cette infernale litière.

— Adieu, dit Diane, adieu; il le ferait comme il le dit, et il se tuerait.

— Tu le plains?

— Jaloux! fit Diane, avec un adorable accent et un ravissant sourire.

Et Bussy la laissa partir.

En deux élans, Diane était revenue près de la litière: elle trouva le comte à moitié évanoui.

— Arrêtez! murmura le comte, arrêtez!

— Morbleu! disait Remy, n'arrêtez pas! il est fou, s'il veut se tuer, qu'il se tue.

Et la litière marchait toujours.

— Mais après qui donc criez-vous? disait Gertrude, Madame est là, à mes côtés. Venez, madame, et répondez-lui; bien certainement M. le comte a le délire.

Diane, sans prononcer une parole, entra dans le cercle de lumière épandu par les torches.

— Ah! fit Monsoreau épuisé, où donc étiez-vous?

— Où voulez-vous que je sois, monsieur, sinon derrière vous?

— A mes côtés, madame, à mes côtés; ne me quittez pas.

Diane n'avait plus aucun motif pour rester en arrière; elle savait que Bussy la suivait. Si la nuit eût été éclairée par un rayon de lune, elle eût pu le voir.

On arriva à la halte. Monsoreau se reposa quelques heures, et voulut partir. Il avait hâte, non point d'arriver à Paris, mais de s'éloigner d'Angers.

De temps en temps, la scène que nous venons de raconter se renouvelait.

Remy disait tout bas:

— Qu'il étouffe de rage, et l'honneur du médecin sera sauvé.

Mais Monsoreau ne mourut pas; au contraire, au bout de dix jours, il était arrivé à Paris et il allait sensiblement mieux.

C'était décidément un homme fort habile que Remy, plus habile qu'il ne l'eût voulu lui-même.

Pendant les dix jours qu'avait duré le voyage, Diane avait, à force de tendresses, démoli toute cette grande fierté de Bussy.

Elle l'avait engagé à se présenter chez Monsoreau, et à exploiter l'amitié qu'il lui témoignait.

Le prétexte de la visite était tout simple: la santé du comte.

Remy soignait le mari, et remettait les billets à la femme.

— Esculape et Mercure, disait-il, je cumule.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
Hacim:
310 s. 1 illüstrasyon
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Public Domain
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