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Kitabı oku: «Le Collier de la Reine, Tome II», sayfa 24

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Chapitre XCIV
La sellette

Le jour était venu enfin, après de longs débats, où l'arrêt de la cour du parlement allait être provoqué par les conclusions du procureur général.

Les accusés, à l'exception de monsieur de Rohan, avaient été transférés à la Conciergerie pour être plus rapprochés de la salle d'audience, qui s'ouvrait à sept heures chaque matin.

Devant les juges présidés par le premier président d'Aligre, la contenance des accusés avait continué d'être ce qu'elle avait été pendant l'instruction.

Oliva, franche et timide; Cagliostro, tranquille, supérieur et rayonnant parfois de cette splendeur mystique qu'il se plaisait à affecter.

Villette, honteux, bas et pleurant.

Jeanne, insolente, l'œil étincelant, toujours menaçante et venimeuse.

Le cardinal, simple, rêveur, frappé d'atonie.

Jeanne avait bien vite pris les habitudes de la Conciergerie, et captivé par ses caresses mielleuses et ses petits secrets les bonnes grâces de la concierge du Palais, de son mari et de son fils.

De cette façon, elle s'était rendu la vie plus douce et les communications, plus libres. Il faut toujours plus de place au singe qu'au chien, à l'intrigant qu'à l'esprit tranquille.

Les débats n'apprirent rien de nouveau à la France. C'était bien toujours ce même collier volé avec audace par l'une ou l'autre des deux personnes qu'on accusait et qui s'accusaient réciproquement.

Décider entre les deux quel était le voleur, c'était tout le procès.

Cet esprit qui porte les Français toujours, et qui les portait surtout en ce temps-là aux extrêmes, avait greffé un autre procès sur le véritable.

Il s'agissait de savoir si la reine avait eu raison de faire arrêter le cardinal et de l'accuser de téméraires incivilités.

Pour quiconque raisonnait politique en France, cette annexe au procès constituait la cause véritable. Monsieur de Rohan avait-il cru pouvoir dire à la reine ce qu'il lui avait dit, agir en son nom, comme il l'avait fait; avait-il été l'agent secret de Marie-Antoinette, agent désavoué sitôt que l'affaire avait fait du bruit?

En un mot, dans cette cause incidente, le cardinal inculpé avait-il agi de bonne foi, comme un confident intime, vis-à-vis de la reine?

S'il avait agi de bonne foi, la reine était donc coupable de toutes ces intimités, même innocentes, qu'elle avait niées et que madame de La Motte insinuait avoir existé. Et puis, comme total aux yeux de l'opinion, qui ne ménage rien, des intimités sont-elles innocentes, qu'on est contraint de nier à son mari, à ses ministres, à ses sujets.

Tel est le procès que les conclusions du procureur général vont diriger vers son but, vers sa morale.

Le procureur général prit la parole.

Il était l'organe de la cour, il parlait au nom de la dignité royale méconnue, outragée, il plaidait pour le principe immense de l'inviolabilité royale.

Le procureur général entrait dans le procès réel pour certains accusés; il prenait corps à corps le procès incident quant au cardinal. Il ne pouvait admettre que dans cette affaire du collier, la reine pût assumer sur elle un tort, un seul. Si elle n'en avait aucun, ils tombaient donc tous sur la tête du cardinal.

Il conclut donc inflexiblement:

à la condamnation de Villette aux galères;

à la condamnation de Jeanne de La Motte en la marque, le fouet et la réclusion à perpétuité dans l'hôpital;

à la mise hors de cause de Cagliostro;

au renvoi pur et simple d'Oliva;

à l'aveu auquel serait contraint le cardinal d'une témérité offensante envers la Majesté royale, aveu à la suite duquel il serait banni de la présence du roi et de la reine, et dépouillé de ses charges et dignités.

Ce réquisitoire frappa le parlement d'indécision et les accusés de terreur. La volonté royale s'y expliquait de telle force, que si l'on eût vécu un quart de siècle auparavant, alors même que les parlements avaient commencé à secouer le joug et à revendiquer leur prérogative, ces conclusions du procureur du roi eussent été dépassées par le zèle et le respect des juges pour le principe, encore vénéré, de l'infaillibilité du trône.

Mais quatorze conseillers seulement adoptèrent l'opinion complète du procureur général, et la division se mit dès lors dans l'assemblée.

On procéda au dernier interrogatoire, formalité presque inutile avec de pareils accusés, puisqu'il avait pour but de provoquer des aveux avant l'arrêt, et qu'il n'y avait ni paix ni trêve à demander aux acharnés adversaires qui luttaient depuis si longtemps. C'était moins leur propre absolution qu'ils demandaient que la condamnation de leur partie.

L'usage était que l'accusé comparût devant ses juges assis sur un petit siège de bois, siège humble, bas, honteux, déshonoré par le contact des accusés qui de ce siège avaient passé à l'échafaud.

C'est là que vint s'asseoir le faussaire Villette, qui demanda pardon avec ses larmes et ses prières.

Il déclara tout ce qu'on sait, savoir qu'il était coupable du faux, coupable de complicité avec Jeanne de La Motte. Il témoigna que son repentir, ses remords étaient déjà pour lui un supplice capable de désarmer ses juges.

Celui-là n'intéressait personne; il n'était et ne parut rien autre chose qu'un coquin. Congédié par la cour, il regagna en larmoyant sa cellule de la Conciergerie.

Après lui parut, à l'entrée de la salle, madame de La Motte, conduite par le greffier Frémyn.

Elle était vêtue d'un mantelet et d'une chemise de linon batiste, d'un bonnet de gaze sans rubans; une sorte de gaze blanche lui couvrait le visage; elle portait ses cheveux sans poudre. Sa présence fit une vive impression sur l'assemblée.

Elle venait de subir le premier des outrages auxquels elle était réservée: on l'avait fait passer par le petit escalier, comme les criminels vulgaires.

La chaleur de la salle, le bruit des conversations, le mouvement des têtes qui ondulaient de tous côtés commencèrent par la troubler; ses yeux vacillèrent un moment comme pour s'habituer au miroitement de tout cet ensemble.

Alors le même greffier qui la tenait par la main la conduisit assez vivement à la sellette placée au centre de l'hémicycle et pareille à ce petit bloc sinistre qu'on appelle le billot quand il se dresse sur un échafaud au lieu de s'élever dans une salle d'audience.

À la vue de ce siège infamant qu'on lui destinait, à elle, orgueilleuse de s'appeler Valois, et de tenir en ses mains la destinée d'une reine de France, Jeanne de La Motte pâlit, elle jeta un regard courroucé autour d'elle, comme pour intimider les juges qui se permettaient cet outrage; mais rencontrant partout des volontés fermes, et de la curiosité au lieu de miséricorde, elle refoula son indignation furieuse, et s'assit pour n'avoir pas l'air de tomber sur la sellette.

On remarqua dans les interrogatoires, qu'elle donnait à ses réponses tout le vague duquel les adversaires de la reine eussent pu tirer le plus d'avantage pour défendre leur opinion. Elle ne précisa rien que les affirmations de son innocence, et força le président de lui adresser une question sur l'existence de ces lettres qu'elle disait venir du cardinal pour la reine, de celles aussi que la reine aurait écrites au cardinal.

Tout le venin du serpent allait se répandre dans la réponse à cette question.

Jeanne commença par protester de son désir de ne pas compromettre la reine; elle ajouta que nul mieux que le cardinal ne pouvait répondre à la question.

– Invitez-le, dit-elle, à produire ses lettres ou copie, pour en faire la lecture et satisfaire votre curiosité. Quant à moi, je ne saurais affirmer si ces lettres sont du cardinal à la reine ou de la reine au cardinal; je trouve celles-ci trop libres et trop familières d'une souveraine à un sujet; je trouve celles-là trop irrévérencieuses, venant d'un sujet pour aller à une reine.

Le silence profond, terrible, qui accueillit cette attaque, dut prouver à Jeanne qu'elle n'avait inspiré que de l'horreur à ses ennemis, de l'effroi à ses partisans, de la défiance à ses juges impartiaux. Elle ne quitta la sellette qu'avec le doux espoir que le cardinal y serait assis comme elle. Cette vengeance lui suffisait pour ainsi dire. Que devint-elle quand, en se retournant pour considérer une dernière fois ce siège d'opprobre où elle forçait un Rohan de s'asseoir après elle, elle ne vit plus la sellette, que, sur l'ordre de la cour, les huissiers avaient fait disparaître et remplacer par un fauteuil.

Un rugissement de rage s'exhala de sa poitrine; elle bondit hors de la salle et se mordit les mains avec frénésie.

Son supplice commençait. Le cardinal s'avança lentement à son tour. Il venait de descendre de carrosse: la grande porte avait été ouverte pour lui.

Deux huissiers, deux greffiers l'accompagnaient; le gouverneur de la Bastille marchait à son côté.

À son entrée, un long murmure de sympathie et de respect partit des bancs de la cour. Il y fut répondu par une puissante acclamation du dehors. C'était le peuple qui saluait l'accusé et le recommandait à ses juges.

Le prince Louis était pâle, très ému. Vêtu d'un habit long de cérémonie, il se présentait avec le respect et la condescendance dus à des juges par un accusé qui accepte leur juridiction et l'invoque.

On montra le fauteuil au cardinal, dont les yeux avaient craint de se porter vers l'enceinte, et le président lui ayant adressé un salut et une parole encourageante, toute la cour le pria de s'asseoir avec une bienveillance qui redoubla la pâleur et l'émotion de l'accusé.

Lorsqu'il prit la parole, sa voix tremblante, coupée de soupirs, ses yeux troublés, son maintien humble remuèrent profondément la compassion de l'auditoire. Il s'expliqua lentement, présenta des excuses plutôt que des preuves, des supplications plutôt que des raisonnements, et s'arrêtant tout à coup, lui, l'homme éloquent, disert, il produisit par cette paralysie de son esprit et de son courage un effet plus puissant que tous les plaidoyers et tous les arguments.

Ensuite parut Oliva; la pauvre fille retrouva la sellette. Bien des gens frémirent en voyant cette vivante image de la reine sur le siège honteux qu'avait occupé Jeanne de La Motte; ce fantôme de Marie-Antoinette, reine de France, sur la sellette des voleuses et des faussaires, épouvanta les plus ardents persécuteurs de la monarchie. Ce spectacle aussi en allécha plusieurs, comme le sang que l'on fait goûter au tigre.

Mais on se disait partout que la pauvre Oliva venait, au greffe, de quitter son enfant, qu'elle allaitait, et quand la porte venait à s'ouvrir, les vagissements du fils de monsieur Beausire venaient plaider douloureusement en faveur de sa mère.

Après Oliva parut Cagliostro le moins coupable de tous. Il ne lui fut pas enjoint de s'asseoir, bien que le fauteuil eût été conservé près de la sellette.

La cour craignait le plaidoyer de Cagliostro. Un semblant d'interrogatoire, coupé par le c'est bien! du président d'Aligre, satisfit aux exigences de la formalité.

Et alors, la cour annonça que les débats étaient clos, et que la délibération commençait. La foule s'écoula lentement, par les rues et les quais, se promettant de revenir dans la nuit, pour entendre l'arrêt, qui, disait-on, ne tarderait pas à être prononcé.

Chapitre XCV
D'une grille et d'un abbé

Les débats terminés, après le retentissement de l'interrogatoire et les émotions de la sellette, tous les prisonniers furent logés pour cette nuit à la Conciergerie.

La foule, ainsi que nous l'avons dit, vint au soir se placer en groupes silencieux, quoique animés, sur la place du Palais, pour recevoir fraîchement la nouvelle de l'arrêt aussitôt qu'il serait rendu.

À Paris, chose étrange! les grands secrets sont précisément ceux que la foule connaît avant qu'ils n'aient éclaté dans leur entier développement.

La foule attendait donc, en savourant la réglisse anisée dont ses fournisseurs ambulants trouvaient l'alimentation première sous la première arche du Pont-au-Change.

Il faisait chaud. Les nuages de juin roulaient lourdement les uns sur les autres, comme des panaches d'épaisse fumée. Le ciel brillait à l'horizon de feux pâles et réitérés.

Tandis que le cardinal, à qui la faveur avait été accordée de se promener sur les terrasses qui relient les donjons, s'entretenait avec Cagliostro du succès probable de leur mutuelle défense; tandis qu'Oliva, dans sa cellule, caressait son petit enfant et le berçait entre ses bras; que, dans sa loge, Réteau, l'œil sec, les ongles dans ses dents, comptait en idée les écus promis par monsieur de Crosne et les opposait comme total aux mois de captivité que lui promettait le parlement; pendant ce temps, Jeanne, retirée en la chambre de la concierge, madame Hubert, essayait de distraire son esprit brûlé avec un peu de bruit, avec un peu de mouvement.

Cette chambre, haute de plafond, vaste comme une salle, dallée comme une galerie, était éclairée sur le quai par une grande fenêtre en ogive. Les petites vitres de cette fenêtre interceptaient la plus grande partie du jour, comme si, dans cette chambre même où logeaient des gens libres, on eût dû épouvanter la liberté, un énorme grillage de fer appliqué au-dehors venait sur les vitres mêmes doubler l'obscurité par l'entrecroisement des barres de fer et des filets de plomb qui encadraient chaque losange de verre.

Du reste, la lumière que tamisait ce double crible était comme adoucie pour l'œil des prisonniers. Elle n'avait plus rien de ce rayonnement insolent du soleil libre, elle n'était point faite pour offenser ceux qui ne pouvaient sortir. Il y a dans toutes choses, même dans les mauvaises que l'homme a faites, si le temps, ce pondérateur intermédiaire entre l'homme et Dieu, a passé par-dessus, il y a des harmonies qui mitigent et permettent une transition entre la douleur et le sourire.

C'est dans cette salle que, depuis sa réclusion à la Conciergerie, madame de La Motte vivait tout le jour en compagnie de la concierge, de son fils et de son mari. Nous avons dit qu'elle avait l'esprit souple, le caractère séduisant. Elle s'était fait aimer de ces gens; elle avait trouvé moyen de leur prouver que la reine était une grande coupable. Un jour devait venir où, dans cette même salle, une autre concierge, apitoyée aussi sur les malheurs d'une prisonnière, la croirait innocente en la voyant patiente et bonne, et cette prisonnière, ce serait la reine!

Madame de La Motte allait donc – c'est elle-même qui le dit – oublier, dans la société de cette concierge et de ses connaissances, ses idées mélancoliques, et payait ainsi par sa belle humeur les complaisances qu'on avait pour elle. Ce jour-là, jour de la clôture de l'audience, quand Jeanne revint auprès de ces bonnes gens, elle les trouva soucieux et gênés.

Une nuance n'était pas indifférente à cette femme rusée: elle espérait avec rien, elle s'alarmait avec tout. En vain essayait-elle d'arracher la vérité à madame Hubert, celle-ci et les siens se renfermèrent dans des généralités banales.

Ce jour-là, disons-nous, Jeanne aperçut dans le coin de la cheminé un abbé, commensal intermittent de la maison. C'était un ancien secrétaire du précepteur de monsieur le comte de Provence; homme simple de façons, caustique avec mesure, sachant sa cour, et qui, depuis longtemps éloigné de la maison de madame Hubert, était redevenu assidu depuis l'arrivée de madame de La Motte à la Conciergerie.

Il y avait aussi deux ou trois des employés supérieurs du Palais; on regardait beaucoup madame de La Motte; on parlait peu.

Elle prit gaiement l'initiative.

– Je suis sûre, dit-elle, qu'on cause plus chaudement là-haut que nous ne parlons ici.

Un faible murmure d'assentiment, échappé au concierge et à sa femme, répondit seul à cette provocation.

– En haut? fit l'abbé, jouant l'ignorance. Où cela, madame la comtesse?

– Dans la salle où mes juges délibèrent, répliqua Jeanne.

– Oh! oui, oui, dit l'abbé.

Et le silence recommença.

– Je crois, dit-elle, que mon attitude d'aujourd'hui a fait bon effet. Vous devez déjà savoir cela, n'est-ce pas?

– Mais, oui, madame, dit timidement le concierge.

Et il se leva comme pour rompre l'entretien.

– Votre avis, monsieur l'abbé? reprit Jeanne. Est-ce que mon affaire ne se dessine pas bien? Songez qu'on n'articule aucune preuve.

– Il est vrai, madame, dit l'abbé. Aussi, avez-vous beaucoup à espérer.

– N'est-ce pas? s'écria-t-elle.

– Cependant, ajouta l'abbé, supposez que le roi…

– Eh bien! le roi, que fera-t-il? dit Jeanne avec véhémence.

– Eh! madame, le roi peut ne vouloir pas qu'on lui donne un démenti.

– Il ferait condamner monsieur de Rohan alors, c'est impossible.

– Il est vrai que cela est difficile, répondit-on de toutes parts.

– Or, se hâta de glisser Jeanne, dans cette cause, qui dit monsieur de Rohan, dit moi.

– Non pas, non pas, reprit l'abbé, vous vous faites illusion, madame. Il y aura un accusé absous… Moi, je pense que ce sera vous, et je l'espère, même. Mais il n'y en aura qu'un. Il faut un coupable au roi, autrement, que deviendrait la reine?

– C'est vrai, dit sourdement Jeanne, blessée d'être contredite, même sur une espérance qu'elle ne faisait qu'affecter. Il faut un coupable au roi. Eh bien! alors, monsieur de Rohan est aussi bon que moi pour cela.

Un silence effrayant pour la comtesse s'établit après ces paroles.

L'abbé le rompit le premier.

– Madame, dit-il, le roi n'a pas de rancune, et, sa première colère satisfaite, il ne songera plus au passé.

– Mais qu'appelez-vous une colère satisfaite? dit Jeanne avec ironie. Néron avait ses colères comme Titus avait les siennes.

– Une condamnation… quelconque, se hâta de dire l'abbé, c'est une satisfaction.

– Quelconque!.. monsieur, s'écria Jeanne, voilà un affreux mot… Il est trop vague… Quelconque, c'est tout dire!

– Oh! je ne parle que d'une réclusion dans un couvent, répliqua froidement l'abbé; c'est l'idée que, d'après les bruits qui courent, le roi aurait adoptée le plus volontiers à votre égard.

Jeanne regarda cet homme avec une terreur qui fit place aussitôt à la plus furieuse exaltation.

– La réclusion dans un couvent! dit-elle; c'est-à-dire une mort lente, ignominieuse par les détails, une mort féroce qui paraîtra un acte de clémence!.. La réclusion dans l'in pace, n'est-ce pas? Les tortures de la faim, du froid, des corrections! Non, assez de supplices, assez de honte, assez de malheur pour l'innocence quand la coupable est puissante, libre, honorée! La mort tout de suite, mais la mort que j'aurai choisie, le libre arbitre pour me punir d'être née à ce monde infâme!

Et, sans écouter ni les représentations, ni les prières, sans souffrir qu'on l'arrêtât, repoussant le concierge, renversant l'abbé, écartant madame Hubert, elle courut à un dressoir pour y chercher un couteau.

Ces trois personnes réussirent à la détourner; elle prit sa course comme une panthère que les chasseurs ont inquiétée, non effrayée, et, poussant des hurlements d'une colère trop bruyante pour être naturelle, elle s'élança dans un cabinet attenant à la salle, et là, soulevant un énorme vase de faïence dans lequel végétait un rosier étiolé, elle s'en frappa la tête à plusieurs reprises.

Le vase se brisa, un morceau demeura dans la main de cette furie; on vit le sang couler sur son front par les gerçures de la peau, qui s'était fendue. La concierge se jeta en pleurant dans ses bras. On l'assit sur un fauteuil; on l'inonda d'eau de senteur et de vinaigre. Elle s'était évanouie après d'affreuses convulsions.

Lorsqu'elle revint à elle, l'abbé pensa qu'elle étouffait.

– Voyez! dit-il, ce grillage intercepte le jour et l'air. N'est-il pas possible de faire respirer un peu cette pauvre femme?

Alors, madame Hubert, oubliant tout, courut à une armoire située près de la cheminée, en tira une clef qui lui servit à ouvrir ce grillage, et aussitôt l'air et la vie entrèrent à flots dans l'appartement.

– Ah! dit l'abbé, je ne savais pas que ce grillage pût s'ouvrir à l'aide d'une clef. Pourquoi tant de précautions, mon Dieu?

– C'est l'ordre! répliqua la concierge.

– Oui, je comprends, ajouta l'abbé avec une intention marquée, cette fenêtre n'est qu'à sept pieds environ du sol, elle donne sur le quai. S'il arrivait que des prisonniers s'échappassent de l'intérieur de la Conciergerie, en passant par votre salle, ils trouveraient la liberté sans avoir rencontré un seul porte-clefs ni une sentinelle.

– Précisément, dit la concierge.

L'abbé remarqua du coin de l'œil que madame de La Motte avait entendu, compris, qu'elle avait tressailli même, et qu'aussitôt après avoir recueilli les paroles de l'abbé elle avait levé les yeux sur l'armoire, fermée seulement par un bouton de cuivre, où la concierge serrait cette clef de la grille.

C'en fut assez pour lui. Sa présence ne paraissait plus être utile. Il prit congé.

Cependant, revenant sur ses pas, comme les personnages de théâtre qui font une fausse sortie:

– Que de monde sur la place! dit-il. Toute la foule se porte avec tant d'acharnement de ce côté du palais qu'il n'y a pas une âme sur le quai.

Le concierge se pencha au-dehors.

– C'est vrai, dit-il.

– Ne pense-t-on pas, poursuivit l'abbé, toujours comme si madame de La Motte ne pouvait l'entendre – et elle l'entendait fort bien – , ne croit-on pas que l'arrêt sera rendu dans la nuit? Non, n'est-ce pas?

– Je ne suppose pas, dit le concierge, qu'il soit rendu avant demain matin.

– Eh bien! ajouta l'abbé, tâchez de laisser reposer un peu cette pauvre madame de La Motte. Après tant de secousses, elle doit avoir besoin de repos.

– Nous nous retirerons dans notre chambre, dit le brave concierge à sa femme, et nous laisserons madame ici sur le fauteuil, à moins qu'elle ne veuille s'aller mettre au lit.

Jeanne, se soulevant, rencontra l'œil de l'abbé, qui guettait sa réponse. Elle feignit de se rendormir.

Alors l'abbé disparut, et le concierge et sa femme partirent aussi, après avoir refermé doucement la grille et remis la clef à sa place.

Aussitôt qu'elle fut seule, Jeanne ouvrit les yeux.

«L'abbé me conseille de fuir, pensa-t-elle. Peut-on plus clairement m'indiquer et la nécessité de l'évasion et le moyen! Me menacer d'une condamnation avant l'arrêt des juges, c'est d'un ami qui veut me pousser à prendre ma liberté, ce ne peut être d'un barbare qui m'insulte.

«Pour m'enfuir, je n'ai qu'un pas à faire; j'ouvre cette armoire, puis cette grille, et me voilà sur le quai désert.

«Désert, oui!.. Personne; la lune elle-même se cache dans les cieux.

«Fuir!.. Oh! la liberté! le bonheur de retrouver mes richesses… le bonheur de rendre à mes ennemis tout le mal qu'ils m'auront fait!»

Elle s'élança vers l'armoire et saisit la clef. Déjà elle s'approchait de la serrure du grillage.

Soudain elle crut voir, sur la ligne noire du parapet du pont, une forme noire qui en coupait l'uniforme régularité.

«Un homme est là, dit-elle, dans l'ombre; l'abbé, peut-être; il veille sur mon évasion; il m'attend pour me prêter secours. Oui, mais si c'était un piège… si, descendue sur le quai, j'allais être saisie, surprise en flagrant délit d'évasion?.. L'évasion, c'est l'aveu du crime, l'aveu du moins de la peur! Qui s'évade fuit devant sa conscience… D'où vient cet homme?.. Il paraît se rattacher à monsieur de Provence… Qui me dit que ce n'est pas un émissaire de la reine ou des Rohan?.. Comme on paierait cher, de ce côté, une fausse démarche de ma part… Oui, quelqu'un est là qui guette!..

«Me faire fuir quelques heures avant l'arrêt! Ne le pouvait-on plus tôt si l'on m'eût véritablement voulu servir? Mon Dieu! qui sait si déjà la nouvelle n'est pas venue à mes ennemis de mon acquittement résolu dans le conseil des juges? Qui sait si l'on ne veut parer ce coup terrible pour la reine avec une preuve ou un aveu de ma culpabilité. L'aveu, la preuve, ce serait ma fuite. Je resterai!»

Jeanne, à partir de ce moment, demeura convaincue qu'elle venait d'échapper au piège. Elle sourit, redressa sa tête astucieuse et hardie, et d'un pas assuré elle alla remettre la clef du grillage dans la petite armoire près de la cheminée.

Puis, se rasseyant dans le fauteuil entre la lumière et la fenêtre, elle observa de loin, tout en feignant de dormir, l'ombre de cet homme qui guettait, et qui, fatigué sans doute d'attendre, finit par se lever et par disparaître avec les premières lueurs de l'aube, à deux heures et demie du matin, alors que l'œil commençait à distinguer l'eau de ses rives.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
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