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Kitabı oku: «Le vicomte de Bragelonne, Tome I.», sayfa 7

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Charles II dégagea sa main de celle du roi, et se reculant pour le saluer avec plus de cérémonie:

– De tout mon coeur, merci, répliqua-t-il, Sire, mais j'ai prié sans résultat le plus grand roi de la terre, maintenant je vais demander un miracle à Dieu.

Et il sortit sans vouloir en entendre davantage, le front haut, la main frémissante, avec une contraction douloureuse de son noble visage, et cette sombre profondeur du regard qui, ne trouvant plus d'espoir dans le monde des hommes, semble aller au-delà en demander à des mondes inconnus.

L'officier des mousquetaires, en le voyant ainsi passer livide, s'inclina presque à genoux pour le saluer.

Il prit ensuite un flambeau, appela deux mousquetaires et descendit avec le malheureux roi l'escalier désert, tenant à la main gauche son chapeau, dont la plume balayait les degrés.

Arrivé à la porte, l'officier demanda au roi de quel côté il se dirigeait, afin d'y envoyer les mousquetaires.

– Monsieur, répondit Charles II à demi-voix, vous qui avez connu mon père, dites-vous, peut-être avez-vous prié pour lui? Si cela est ainsi, ne m'oubliez pas non plus dans vos prières. Maintenant je m'en vais seul, et vous prie de ne point m'accompagner ni de me faire accompagner plus loin.

L'officier s'inclina et renvoya ses mousquetaires dans l'intérieur du palais.

Mais lui demeura un instant sous le porche pour voir Charles II s'éloigner et se perdre dans l'ombre de la rue tournante.

– À celui-là, comme autrefois à son père, murmura-t-il, Athos, s'il était là, dirait avec raison: «Salut à la Majesté tombée!»

Puis, montant les escaliers:

– Ah! le vilain service que je fais! dit-il à chaque marche. Ah! le piteux maître! La vie ainsi faite n'est plus tolérable, et il est temps enfin que je prenne mon parti!.. Plus de générosité, plus d'énergie! continua-t-il.

«Allons, le maître a réussi, l'élève est atrophié pour toujours. Mordioux! je n'y résisterai pas. Allons, vous autres, continua-t- il en entrant dans l'antichambre, que faites-vous là à me regarder ainsi? Éteignez ces flambeaux et rentrez à vos postes! Ah! vous me gardiez? Oui, vous veillez sur moi, n'est-ce pas, bonnes gens? Braves niais! je ne suis pas le duc de Guise, allez, et l'on ne m'assassinera pas dans le petit couloir. D'ailleurs, ajouta-t-il tout bas, ce serait une résolution, et l'on ne prend plus de résolutions depuis que M. le cardinal de Richelieu est mort. Ah! à la bonne heure, c'était un homme, celui-là! C'est décidé, dès demain je jette la casaque aux orties!

Puis, se ravisant:

– Non, dit-il, pas encore! J'ai une superbe épreuve à faire, et je la ferai; mais celle-là, je le jure, ce sera la dernière, mordioux!

Il n'avait pas achevé, qu'une voix partit de la chambre du roi.

– Monsieur le lieutenant! dit cette voix.

– Me voici, répondit-il.

– Le roi demande à vous parler.

– Allons, dit le lieutenant, peut-être est-ce pour ce que je pense. Et il entra chez le roi.

Chapitre XII – Le roi et le lieutenant

Lorsque le roi vit l'officier près de lui, il congédia son valet de chambre et son gentilhomme.

– Qui est de service demain, monsieur? demanda-t-il alors. Le lieutenant inclina la tête avec une politesse de soldat et répondit:

– Moi, Sire.

– Comment, encore vous?

– Moi toujours.

– Comment cela se fait-il, monsieur?

– Sire, les mousquetaires, en voyage, fournissent tous les postes de la maison de Votre Majesté, c'est-à-dire le vôtre, celui de la reine mère et celui de M. le cardinal, qui emprunte au roi la meilleure partie ou plutôt la plus nombreuse partie de sa garde royale.

– Mais les intérims?

– Il n'y a d'intérim, Sire, que pour vingt ou trente hommes qui se reposent sur cent vingt. Au Louvre, c'est différent, et si j'étais au Louvre, je me reposerais sur mon brigadier; mais en route, Sire, on ne sait ce qui peut arriver et j'aime assez faire ma besogne moi-même.

– Ainsi, vous êtes de garde tous les jours?

– Et toutes les nuits, oui, Sire.

– Monsieur, je ne puis souffrir cela, et je veux que vous vous reposiez.

– C'est fort bien, Sire, mais moi, je ne le veux pas.

– Plaît-il? fit le roi, qui ne comprit pas tout d'abord le sens de cette réponse.

– Je dis, Sire, que je ne veux pas m'exposer à une faute. Si le diable avait un mauvais tour à me jouer, vous comprenez, Sire, comme il connaît l'homme auquel il a affaire, il choisirait le moment où je ne serais point là. Mon service avant tout et la paix de ma conscience.

– Mais à ce métier-là, monsieur, vous vous tuerez.

– Eh! Sire, il y a trente-cinq ans que je le fais, ce métier-là, et je suis l'homme de France et de Navarre qui se porte le mieux. Au surplus, Sire, ne vous inquiétez pas de moi, je vous prie; cela me semblerait trop étrange, attendu que je n'en ai pas l'habitude.

Le roi coupa court à la conversation par une question nouvelle.

– Vous serez donc là demain matin? demanda-t-il.

– Comme à présent, oui, Sire.

Le roi fit alors quelques tours dans sa chambre; il était facile de voir qu'il brûlait du désir de parler, mais qu'une crainte quelconque le retenait. Le lieutenant, debout, immobile, le feutre à la main, le poing sur la hanche, le regardait faire ses évolutions, et tout en le regardant, il grommelait en mordant sa moustache:

«Il n'a pas de résolution pour une demi-pistole, ma parole d'honneur! Gageons qu'il ne parlera point.»

Le roi continuait de marcher, tout en jetant de temps en temps un regard de côté sur le lieutenant.

«C'est son père tout craché, poursuivait celui-ci dans son monologue secret; il est à la fois orgueilleux, avare et timide. Peste soit du maître, va!»

Louis s'arrêta.

– Lieutenant? dit-il.

– Me voilà, Sire.

– Pourquoi donc, ce soir, avez-vous crié là-bas, dans la salle:

«Le service du roi, les mousquetaires de Sa Majesté»?

– Parce que vous m'en avez donné l'ordre, Sire.

– Moi?

– Vous-même.

– En vérité, je n'ai pas dit un seul mot de cela, monsieur.

– Sire, on donne un ordre par un signe, par un geste, par un clin d'oeil, aussi franchement, aussi clairement qu'avec la parole. Un serviteur qui n'aurait que des oreilles ne serait que la moitié d'un bon serviteur.

– Vos yeux sont bien perçants alors, monsieur.

– Pourquoi cela, Sire?

– Parce qu'ils voient ce qui n'est point.

– Mes yeux sont bons, en effet, Sire, quoiqu'ils aient beaucoup servi et depuis longtemps leur maître; aussi, toutes les fois qu'ils ont quelque chose à voir, ils n'en manquent pas l'occasion. Or, ce soir ils ont vu que Votre Majesté rougissait à force d'avoir envie de bâiller; que Votre Majesté regardait avec des supplications éloquentes, d'abord Son Éminence, ensuite Sa Majesté la reine mère, enfin la porte par laquelle on sort; et ils ont si bien remarqué tout ce que je viens de dire, qu'ils ont vu les lèvres de Votre Majesté articuler ces paroles: «Qui donc me sortira de là?»

– Monsieur!

– Ou tout au moins ceci, Sire: «Mes mousquetaires!» Alors je n'ai pas hésité. Ce regard était pour moi, la parole était pour moi; j'ai crié aussitôt: «Les mousquetaires de Sa Majesté!» Et d'ailleurs, cela est si vrai, Sire, que Votre Majesté, non seulement ne m'a pas donné tort, mais encore m'a donné raison en partant sur-le-champ.

Le roi se détourna pour sourire; puis, après quelques secondes, il ramena son oeil limpide sur cette physionomie si intelligente, si hardie et si ferme, qu'on eût dit le profil énergique et fier de l'aigle en face du soleil.

– C'est bien, dit-il après un court silence, pendant lequel il essaya, mais en vain, de faire baisser les yeux à son officier.

Mais voyant que le roi ne disait plus rien, celui-ci pirouetta sur ses talons et fit trois pas pour s'en aller en murmurant: «Il ne parlera pas, mordioux! il ne parlera pas!»

– Merci, monsieur, dit alors le roi.

«En vérité, poursuivit le lieutenant, il n'eût plus manqué que cela, être blâmé pour avoir été moins sot qu'un autre.»

Et il gagna la porte en faisant sonner militairement ses éperons.

Mais arrivé sur le seuil, et sentant que le désir du roi l'attirait en arrière, il se retourna.

– Votre Majesté m'a tout dit? demanda-t-il d'un ton que rien ne saurait rendre et qui, sans paraître provoquer la confiance royale, contenait tant de persuasive franchise, que le roi répliqua sur-le-champ:

– Si fait, monsieur, approchez.

«Allons donc! murmura l'officier, il y vient enfin!»

– Écoutez-moi.

– Je ne perds pas une parole, Sire.

– Vous monterez à cheval, monsieur, demain, vers quatre heures du matin, et vous me ferez seller un cheval pour moi.

– Des écuries de Votre Majesté?

– Non, d'un de vos mousquetaires.

– Très bien, Sire. Est-ce tout?

– Et vous m'accompagnerez.

– Seul?

– Seul.

– Viendrai-je quérir Votre Majesté, ou l'attendrai-je?

– Vous m'attendrez.

– Où cela, Sire?

– À la petite porte du parc.

Le lieutenant s'inclina, comprenant que le roi lui avait dit tout ce qu'il avait à lui dire.

En effet, le roi le congédia par un geste tout aimable de sa main. L'officier sortit de la chambre du roi et revint se placer philosophiquement sur sa chaise, où, bien loin de s'endormir, comme on aurait pu le croire, vu l'heure avancée de la nuit, il se mit à réfléchir plus profondément qu'il n'avait jamais fait.

Le résultat de ces réflexions ne fut point aussi triste que l'avaient été les réflexions précédentes.

«Allons, il a commencé, dit-il; l'amour le pousse, il marche, il marche! Le roi est nul chez lui, mais l'homme vaudra peut-être quelque chose. D'ailleurs, nous verrons bien demain matin… Oh! oh! s'écria-t-il tout à coup en se redressant, voilà une idée gigantesque, mordioux! et peut-être ma fortune est-elle dans cette idée-là!»

Après cette exclamation, l'officier se leva et arpenta, les mains dans les poches de son justaucorps, l'immense antichambre qui lui servait d'appartement.

La bougie flambait avec fureur sous l'effort d'une brise fraîche qui, s'introduisant par les gerçures de la porte et par les fentes de la fenêtre, coupait diagonalement la salle. Elle projetait une lueur rougeâtre, inégale, tantôt radieuse, tantôt ternie, et l'on voyait marcher sur la muraille la grande ombre du lieutenant, découpée en silhouette comme une figure de Callot, avec l'épée en broche et le feutre empanaché.

«Certes, murmurait-il, ou je me trompe fort, ou le Mazarin tend là un piège au jeune amoureux; le Mazarin a donné ce soir un rendez- vous et une adresse aussi complaisamment que l'eût pu faire M. Dangeau lui-même. J'ai entendu et je sais la valeur des paroles. «Demain matin, a-t-il dit, elles passeront à la hauteur du pont de Blois.» Mordioux! c'est clair, cela! et surtout pour un amant! C'est pourquoi cet embarras, c'est pourquoi cette hésitation, c'est pourquoi cet ordre: «Monsieur le lieutenant de mes mousquetaires, à cheval demain, à quatre heures du matin.» Ce qui est aussi clair que s'il m'eût dit: «Monsieur le lieutenant de mes mousquetaires, demain, à quatre heures du matin, au pont de Blois, entendez-vous?» Il y a donc là un secret d'État que moi, chétif, je tiens à l'heure qu'il est. Et pourquoi est-ce que je le tiens? Parce que j'ai de bons yeux, comme je le disais tout à l'heure à Sa Majesté. C'est qu'on dit qu'il l'aime à la fureur, cette petite poupée d'Italienne! C'est qu'on dit qu'il s'est jeté aux genoux de sa mère pour lui demander de l'épouser! C'est qu'on dit que la reine a été jusqu'à consulter la cour de Rome pour savoir si un pareil mariage, fait contre sa volonté, serait valable! Oh! si j'avais encore vingt-cinq ans! si j'avais là, à mes côtés, ceux que je n'ai plus! si je ne méprisais pas profondément tout le monde, je brouillerais M. de Mazarin avec la reine mère, la France avec l'Espagne, et je ferais une reine de ma façon; mais, bah!»

Et le lieutenant fit claquer ses doigts en signe de dédain.

«Ce misérable Italien, ce pleutre, ce ladre vert, qui vient de refuser un million au roi d'Angleterre, ne me donnerait peut-être pas mille pistoles pour la nouvelle que je lui porterais. Oh! mordioux! voilà que je tombe en enfance! voilà que je m'abrutis! Le Mazarin donner quelque chose, ha! ha! ha!»

Et l'officier se mit à rire formidablement tout seul.

«Dormons, dit-il, dormons, et tout de suite. J'ai l'esprit fatigué de ma soirée, demain il verra plus clair qu'aujourd'hui.»

Et sur cette recommandation faite à lui-même, il s'enveloppa de son manteau, narguant son royal voisin.

Cinq minutes après, il dormait les poings fermés, les lèvres entrouvertes, laissant échapper, non pas son secret, mais un ronflement sonore qui se développait à l'aise sous la voûte majestueuse de l'antichambre.

Chapitre XIII – Marie de Mancini

Le soleil éclairait à peine de ses premiers rayons les grands bois du parc et les hautes girouettes du château, quand le jeune roi, réveillé déjà depuis plus de deux heures, et tout entier à l'insomnie de l'amour, ouvrit son volet lui-même et jeta un regard curieux sur les cours du palais endormi.

Il vit qu'il était l'heure convenue: la grande horloge de la cour marquait même quatre heures un quart.

Il ne réveilla point son valet de chambre, qui dormait profondément à quelque distance; il s'habilla seul, et ce valet, tout effaré, arrivait, croyant avoir manqué à son service, lorsque Louis le renvoya dans sa chambre en lui recommandant le silence le plus absolu. Alors il descendit le petit escalier, sortit par une porte latérale, et aperçut le long du mur du parc un cavalier qui tenait un cheval de main.

Ce cavalier était méconnaissable dans son manteau et sous son chapeau.

Quant au cheval, sellé comme celui d'un bourgeois riche, il n'offrait rien de remarquable à l'oeil le plus exercé.

Louis vint prendre la bride de ce cheval; l'officier lui tint l'étrier, sans quitter lui-même la selle, et demanda d'une voix discrète les ordres de Sa Majesté.

– Suivez-moi, répondit Louis XIV.

L'officier mit son cheval au trot derrière celui de son maître, et ils descendirent ainsi vers le pont.

Lorsqu'ils furent de l'autre côté de la Loire:

– Monsieur, dit le roi, vous allez me faire le plaisir de piquer devant vous jusqu'à ce que vous aperceviez un carrosse; alors vous reviendrez m'avertir; je me tiens ici.

– Votre Majesté daignera-t-elle me donner quelques détails sur le carrosse que je suis chargé de découvrir?

– Un carrosse dans lequel vous verrez deux dames et probablement aussi leurs suivantes.

– Sire, je ne veux point faire d'erreur; y a-t-il encore un autre signe auquel je puisse reconnaître ce carrosse?

– Il sera, selon toute probabilité, aux armes de M. le cardinal.

– C'est bien, Sire, répondit l'officier, entièrement fixé sur l'objet de sa reconnaissance.

Il mit alors son cheval au grand trot et piqua du côté indiqué par le roi. Mais il n'eut pas fait cinq cents pas qu'il vit quatre mules, puis un carrosse poindre derrière un monticule.

Derrière ce carrosse en venait un autre. Il n'eut besoin que d'un coup d'oeil pour s'assurer que c'étaient bien là les équipages qu'il était venu chercher.

Il tourna bride sur-le-champ, et se rapprochant du roi:

– Sire, dit-il, voici les carrosses. Le premier, en effet, contient deux dames avec leurs femmes de chambre; le second renferme des valets de pied, des provisions, des hardes.

– Bien, bien, répondit le roi d'une voix tout émue. Eh bien! allez, je vous prie, dire à ces dames qu'un cavalier de la cour désire présenter ses hommages à elles seules.

L'officier partit au galop.

– Mordioux! disait-il tout en courant, voilà un emploi nouveau et honorable, j'espère! Je me plaignais de n'être rien, je suis confident du roi. Un mousquetaire, c'est à en crever d'orgueil!

Il s'approcha du carrosse et fit sa commission en messager galant et spirituel.

Deux dames étaient en effet dans le carrosse: l'une d'une grande beauté, quoique un peu maigre; l'autre moins favorisée de la nature, mais vive, gracieuse, et réunissant dans les légers plis de son front tous les signes de la volonté. Ses yeux vifs et perçants, surtout, parlaient plus éloquemment que toutes les phrases amoureuses de mise en ces temps de galanterie. Ce fut à celle-là que d'Artagnan s'adressa sans se tromper, quoique, ainsi que nous l'avons dit, l'autre fût plus jolie peut-être.

– Mesdames, dit-il, je suis le lieutenant des mousquetaires, et il y a sur la route un cavalier qui vous attend et qui désire vous présenter ses hommages.

À ces mots, dont il suivait curieusement l'effet, la dame aux yeux noirs poussa un cri de joie, se pencha hors de la portière, et, voyant accourir le cavalier, tendit les bras en s'écriant:

– Ah! mon cher Sire!

Et les larmes jaillirent aussitôt de ses yeux. Le cocher arrêta ses chevaux, les femmes de chambre se levèrent avec confusion au fond du carrosse, et la seconde dame ébaucha une révérence terminée par le plus ironique sourire que la jalousie ait jamais dessiné sur des lèvres de femme.

– Marie! chère Marie! s'écria le roi en prenant dans ses deux mains la main de la dame aux yeux noirs.

Et, ouvrant lui-même la lourde portière, il l'attira hors du carrosse avec tant d'ardeur qu'elle fut dans ses bras avant de toucher la terre. Le lieutenant, posté de l'autre côté du carrosse, voyait et entendait sans être remarqué.

Le roi offrit son bras à Mlle de Mancini, et fit signe aux cochers et aux laquais de poursuivre leur chemin.

Il était six heures à peu près; la route était fraîche et charmante; de grands arbres aux feuillages encore noués dans leur bourre dorée laissaient filtrer la rosée du matin suspendue comme des diamants liquides à leurs branches frémissantes; l'herbe s'épanouissait au pied des haies; les hirondelles, revenues depuis quelques jours, décrivaient leurs courbes gracieuses entre le ciel et l'eau; une brise parfumée par les bois dans leur floraison courait le long de cette route et ridait la nappe d'eau du fleuve; toutes ces beautés du jour, tous ces parfums des plantes, toutes ces aspirations de la terre vers le ciel, enivraient les deux amants, marchant côte à côte, appuyés l'un à l'autre, les yeux sur les yeux, la main dans la main, et qui, s'attardant par un commun désir, n'osaient parler, tant ils avaient de choses à se dire.

L'officier vit que le cheval abandonné errait çà et là et inquiétait Mlle de Mancini. Il profita du prétexte pour se rapprocher en arrêtant le cheval, et, à pied aussi entre les deux montures qu'il maintenait, il ne perdit pas un mot ni un geste des deux amants. Ce fut Mlle de Mancini qui commença.

– Ah! mon cher Sire, dit elle, vous ne m'abandonnez donc pas, vous?

– Non, répondit le roi: vous le voyez bien, Marie.

– On me l'avait tant dit, cependant: qu'à peine serions-nous séparés, vous ne penseriez plus à moi!

– Chère Marie, est-ce donc d'aujourd'hui que vous vous apercevez que nous sommes entourés de gens intéressés à nous tromper?

– Mais enfin, Sire, ce voyage, cette alliance avec l'Espagne? On vous marie!

Louis baissa la tête.

En même temps l'officier put voir luire au soleil les regards de Marie de Mancini, brillants comme une dague qui jaillit du fourreau.

– Et vous n'avez rien fait pour notre amour? demanda la jeune fille après un instant de silence.

– Ah! mademoiselle, comment pouvez-vous croire cela! Je me suis jeté aux genoux de ma mère; j'ai prié, j'ai supplié; j'ai dit que tout mon bonheur était en vous; j'ai menacé…

– Eh bien? demanda vivement Marie.

– Eh bien! la reine mère a écrit en cour de Rome, et on lui a répondu qu'un mariage entre nous n'aurait aucune valeur et serait cassé par le Saint-Père. Enfin, voyant qu'il n'y avait pas d'espoir pour nous, j'ai demandé qu'on retardât au moins mon mariage avec l'infante.

– Ce qui n'empêche point que vous ne soyez en route pour aller au-devant d'elle.

– Que voulez-vous! à mes prières, à mes supplications, à mes larmes, on a répondu par la raison d'État.

– Eh bien?

– Eh bien! que voulez-vous faire, mademoiselle, lorsque tant de volontés se liguent contre moi?

Ce fut au tour de Marie de baisser la tête.

– Alors, il me faudra vous dire adieu pour toujours, dit-elle. Vous savez qu'on m'exile, qu'on m'ensevelit; vous savez qu'on fait plus encore, vous savez qu'on me marie, aussi, moi!

Louis devint pâle et porta une main à son coeur.

– S'il ne se fût agi que de ma vie, moi aussi j'ai été si fort persécutée que j'eusse cédé, mais j'ai cru qu'il s'agissait de la vôtre, mon cher Sire, et j'ai combattu pour conserver votre bien.

– Oh! oui, mon bien, mon trésor! murmura le roi, plus galamment que passionnément peut-être.

– Le cardinal eût cédé, dit Marie, si vous vous fussiez adressé à lui, si vous eussiez insisté. Le cardinal appeler le roi de France son neveu! comprenez-vous, Sire! Il eût tout fait pour cela, même la guerre; le cardinal, assuré de gouverner seul, sous le double prétexte qu'il avait élevé le roi et qu'il lui avait donné sa nièce, le cardinal eût combattu toutes les volontés, renversé tous les obstacles. Oh! Sire, Sire, je vous en réponds. Moi, je suis une femme et je vois clair dans tout ce qui est amour.

Ces paroles produisirent sur le roi une impression singulière. On eût dit qu'au lieu d'exalter sa passion, elles la refroidissaient. Il ralentit le pas et dit avec précipitation:

– Que voulez-vous, mademoiselle! tout a échoué.

– Excepté votre volonté, n'est-ce pas, mon cher Sire?

– Hélas! dit le roi rougissant, est-ce que j'ai une volonté, moi!

– Oh! laissa échapper douloureusement Mlle de Mancini, blessée de ce mot.

– Le roi n'a de volonté que celle que lui dicte la politique, que celle que lui impose la raison d'État.

– Oh! c'est que vous n'avez pas d'amour! s'écria Marie; si vous m'aimiez, Sire, vous auriez une volonté.

En prononçant ces mots, Marie leva les yeux sur son amant, qu'elle vit plus pâle et plus défait qu'un exilé qui va quitter à jamais sa terre natale.

– Accusez-moi, murmura le roi, mais ne me dites point que je ne vous aime pas.

Un long silence suivit ces mots, que le jeune roi avait prononcés avec un sentiment bien vrai et bien profond.

– Je ne puis penser, Sire, continua Marie, tentant un dernier effort, que demain, après-demain, je ne vous verrai plus; je ne puis penser que j'irai finir mes tristes jours loin de Paris, que les lèvres d'un vieillard, d'un inconnu, toucheraient cette main que vous tenez dans les vôtres; non, en vérité, je ne puis penser à tout cela, mon cher Sire, sans que mon pauvre coeur éclate de désespoir.

Et, en effet, Marie de Mancini fondit en larmes. De son côté, le roi, attendri, porta son mouchoir à ses lèvres et étouffa un sanglot.

– Voyez, dit-elle, les voitures se sont arrêtées; ma soeur m'attend, l'heure est suprême: ce que vous allez décider sera décidé pour toute la vie! Oh! Sire, vous voulez donc que je vous perde? Vous voulez donc, Louis, que celle à qui vous avez dit: «Je vous aime» appartienne à un autre qu'à son roi, à son maître, à son amant? Oh! du courage, Louis! un mot, un seul mot! dites: «Je veux!» et toute ma vie est enchaînée à la vôtre, et tout mon coeur est à vous à jamais.

Le roi ne répondit rien.

Marie alors le regarda comme Didon regarda Énée aux Champs élyséens, farouche et dédaigneuse.

– Adieu, donc, dit-elle, adieu la vie, adieu l'amour, adieu le

Ciel!

Et elle fit un pas pour s'éloigner; le roi la retint, lui saisit la main, qu'il colla sur ses lèvres, et, le désespoir l'emportant sur la résolution qu'il paraissait avoir prise intérieurement, il laissa tomber sur cette belle main une larme brûlante de regret qui fit tressaillir Marie comme si effectivement cette larme l'eût brûlée.

Elle vit les yeux humides du roi, son front pâle, ses lèvres convulsives, et s'écria avec un accent que rien ne pourrait rendre:

– Oh! Sire, vous êtes roi, vous pleurez, et je pars!

Le roi, pour toute réponse, cacha son visage dans son mouchoir.

L'officier poussa comme un rugissement qui effraya les deux chevaux. Mlle de Mancini, indignée, quitta le roi et remonta précipitamment dans son carrosse en criant au cocher:

– Partez, partez vite!

Le cocher obéit, fouetta ses chevaux, et le lourd carrosse s'ébranla sur ses essieux criards, tandis que le roi de France, seul, abattu, anéanti, n'osait plus regarder ni devant ni derrière lui.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
630 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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