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Kitabı oku: «Le vicomte de Bragelonne, Tome III.», sayfa 12

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Une fois debout, il reprit ses pistolets dans ses fontes, et s'avança vers l'endroit où, à la lueur de la flamme, il avait vu apparaître de Wardes. De Guiche s'était, après le premier coup, rendu compte de la manoeuvre de son adversaire, qui était on ne peut plus simple.

Au lieu de courir sur de Guiche ou de rester à sa place à l'attendre, de Wardes avait, pendant une quinzaine de pas à peu près, suivi le cercle d'ombre qui le dérobait à la vue de son adversaire, et, au moment où celui-ci lui présentait le flanc dans sa course, il l'avait tiré de sa place, ajustant à l'aise, et servi au lieu d'être gêné par le galop du cheval.

On a vu que, malgré l'obscurité, la première balle avait passé à un pouce à peine de la tête de de Guiche.

De Wardes était si sûr de son coup, qu'il avait cru voir tomber de Guiche. Son étonnement fut grand lorsque, au contraire le cavalier demeura en selle.

Il se pressa pour tirer le second coup, fit un écart de main et tua le cheval.

C'était une heureuse maladresse, si de Guiche demeurait engagé sous l'animal. Avant qu'il eût pu se dégager, de Wardes rechargeait son troisième coup et tenait de Guiche à sa merci.

Mais, tout au contraire, de Guiche était debout et avait trois coups à tirer.

De Guiche comprit la position… Il s'agissait de gagner de Wardes de vitesse. Il prit sa course, afin de le joindre avant qu'il eût fini de recharger son pistolet.

De Wardes le voyait arriver comme une tempête. La balle était juste et résistait à la baguette. Mal charger était s'exposer à perdre un dernier coup. Bien charger était perdre son temps, ou plutôt c'était perdre la vie.

Il fit faire un écart à son cheval.

De Guiche pivota sur lui-même, et, au moment où le cheval retombait, le coup partit, enlevant le chapeau de de Wardes.

De Wardes comprit qu'il avait un instant à lui; il en profita pour achever de charger son pistolet.

De Guiche, ne voyant pas tomber son adversaire, jeta le premier pistolet devenu inutile, et marcha sur de Wardes en levant le second.

Mais, au troisième pas qu'il fit, de Wardes le prit tout marchant et le coup partit.

Un rugissement de colère y répondit; le bras du comte se crispa et s'abattit. Le pistolet tomba.

De Wardes vit le comte se baisser, ramasser le pistolet de la main gauche, et faire un nouveau pas en avant.

Le moment était suprême.

– Je suis perdu, murmura de Wardes, il n'est point blessé à mort.

Mais au moment où de Guiche levait son pistolet sur de Wardes, la tête, les épaules et les jarrets du comte fléchirent à la fois. Il poussa un soupir douloureux et vint rouler aux pieds du cheval de de Wardes.

– Allons donc! murmura celui-ci.

Et, rassemblant les rênes, il piqua des deux.

Le cheval franchit le corps inerte et emporta rapidement de Wardes au château.

Arrivé là, de Wardes demeura un quart d'heure à tenir conseil.

Dans son impatience à quitter le champ de bataille, il avait négligé de s'assurer que de Guiche fût mort.

Une double hypothèse se présentait à l'esprit agité de de Wardes.

Ou de Guiche était tué, ou de Guiche était seulement blessé.

– Si de Guiche était tué, fallait-il laisser ainsi son corps aux loups? C'était une cruauté inutile, puisque, si de Guiche était tué, il ne parlerait certes pas.

S'il n'était pas tué, pourquoi, en ne lui portant pas secours, se faire passer pour un sauvage incapable de générosité?

Cette dernière considération l'emporta.

De Wardes s'informa de Manicamp.

Il apprit que Manicamp s'était informé de de Guiche et, ne sachant point où le joindre, s'était allé coucher.

De Wardes alla réveiller le dormeur et lui conta l'affaire, que Manicamp écouta sans dire un mot, mais avec une expression d'énergie croissante dont on aurait cru sa physionomie incapable.

Seulement, lorsque de Wardes eut fini, Manicamp prononça un seul mot:

– Allons!

Tout en marchant, Manicamp se montait l'imagination, et, au fur et à mesure que de Wardes lui racontait l'événement, il s'assombrissait davantage.

– Ainsi, dit-il lorsque de Wardes eut fini, vous le croyez mort?

– Hélas! oui.

– Et vous vous êtes battus comme cela sans témoins?

– Il l'a voulu.

– C'est singulier!

– Comment, c'est singulier?

– Oui, le caractère de M. de Guiche ressemble bien peu à cela.

– Vous ne doutez pas de ma parole, je suppose?

– Hé! hé!

– Vous en doutez?

– Un peu… Mais j'en douterai bien plus encore, je vous en préviens, si je vois le pauvre garçon mort.

– Monsieur Manicamp!

– Monsieur de Wardes!

– Il me semble que vous m'insultez!

– Ce sera comme vous voudrez. Que voulez-vous? moi, je n'ai jamais aimé les gens qui viennent vous dire: «J'ai tué M. Untel dans un coin; c'est un bien grand malheur, mais je l'ai tué loyalement.» Il fait nuit bien noire pour cet adverbe-là monsieur de Wardes!

– Silence, nous sommes arrivés.

En effet, on commençait à apercevoir la petite clairière, et, dans l'espace vide, la masse immobile du cheval mort.

À droite du cheval, sur l'herbe noire, gisait, la face contre terre, le pauvre comte baigné dans son sang.

Il était demeuré à la même place et ne paraissait même pas avoir fait un mouvement.

Manicamp se jeta à genoux, souleva le comte, et le trouva froid et trempé de sang.

Il le laissa retomber.

Puis, s'allongeant près de lui, il chercha jusqu'à ce qu'il eût trouvé le pistolet de de Guiche.

– Morbleu! dit-il alors en se relevant, pâle comme un spectre et le pistolet au poing; morbleu! vous ne vous trompiez pas, il est bien mort!

– Mort? répéta de Wardes.

– Oui, et son pistolet est chargé, ajouta Manicamp en interrogeant du doigt le bassinet.

– Mais ne vous ai-je pas dit que je l'avais pris dans la marche et que j'avais tiré sur lui au moment où il visait sur moi?

– Êtes-vous bien sûr de vous être battu contre lui, monsieur de Wardes? Moi, je l'avoue, j'ai bien peur que vous ne l'ayez assassiné. Oh! ne criez pas! vous avez tiré vos trois coups, et son pistolet est chargé! Vous avez tué son cheval, et lui, lui, de Guiche, un des meilleurs tireurs de France, n'a touché ni vous ni votre cheval! Tenez, monsieur de Wardes, vous avez du malheur de m'avoir amené ici; tout ce sang m'a monté à la tête; je suis un peu ivre, et je crois, sur l'honneur! puisque l'occasion s'en présente, que je vais vous faire sauter la cervelle. Monsieur de Wardes, recommandez votre âme à Dieu!

– Monsieur de Manicamp, vous n'y songez point?

– Si fait, au contraire, j'y songe trop.

– Vous m'assassineriez?

– Sans remords, pour le moment, du moins.

– Êtes-vous gentilhomme?

– On a été page; donc on a fait ses preuves.

– Laissez-moi défendre ma vie, alors.

– Bon! pour que vous me fassiez à moi, ce que vous avez fait au pauvre de Guiche.

Et Manicamp, soulevant son pistolet, l'arrêta, le bras tendu et le sourcil froncé, à la hauteur de la poitrine de de Wardes.

De Wardes n'essaya pas même de fuir, il était terrifié.

Alors, dans cet effroyable silence d'un instant, qui parut un siècle à de Wardes, un soupir se fit entendre.

– Oh! s'écria de Wardes! il vit! il vit! À moi, monsieur de Guiche, on veut m'assassiner!

Manicamp se recula, et, entre les deux jeunes gens, on vit le comte se soulever péniblement sur une main.

Manicamp jeta le pistolet à dix pas, et courut à son ami en poussant un cri de joie.

De Wardes essuya son front inondé d'une sueur glacée.

– Il était temps! murmura-t-il.

– Qu'avez-vous? demanda Manicamp à de Guiche, et de quelle façon êtes vous blessé?

De Guiche montra sa main mutilée et sa poitrine sanglante.

– Comte! s'écria de Wardes, on m'accuse de vous avoir assassiné; parlez, je vous en conjure, dites que j'ai loyalement combattu!

– C'est vrai, dit le blessé, M. de Wardes a combattu loyalement, et quiconque dirait le contraire se ferait de moi un ennemi.

– Eh! monsieur, dit Manicamp, aidez-moi d'abord à transporter ce pauvre garçon, et, après, je vous donnerai toutes les satisfactions qu'il vous plaira, ou, si vous êtes par trop pressé, faisons mieux: pansons le comte avec votre mouchoir et le mien, et, puisqu'il reste deux balles à tirer, tirons-les.

– Merci, dit de Wardes. Deux fois en une heure j'ai vu la mort de trop près: c'est trop laid, la mort, et je préfère vos excuses.

Manicamp se mit à rire, et de Guiche aussi, malgré ses souffrances.

Les deux jeunes gens voulurent le porter, mais il déclara qu'il se sentait assez fort pour marcher seul. La balle lui avait brisé l'annulaire et le petit doigt, mais avait été glisser sur une côte sans pénétrer dans la poitrine. C'était donc plutôt la douleur que la gravité de la blessure qui avait foudroyé de Guiche.

Manicamp lui passa un bras sous une épaule, de Wardes un bras sous l'autre, et ils l'amenèrent ainsi à Fontainebleau, chez le médecin qui avait assisté à son lit de mort le franciscain prédécesseur d'Aramis.

Chapitre CLIII – Le souper du roi

Le roi s'était mis à table pendant ce temps, et la suite peu nombreuse des invités du jour avait pris place à ses côtés après le geste habituel qui prescrivait de s'asseoir.

Dès cette époque, bien que l'étiquette ne fût pas encore réglée comme elle le fut plus tard, la Cour de France avait entièrement rompu avec les traditions de bonhomie et de patriarcale affabilité qu'on retrouvait encore chez Henri IV, et que l'esprit soupçonneux de Louis XIII avait peu à peu effacées, pour les remplacer par des habitudes fastueuses de grandeur, qu'il était désespéré de ne pouvoir atteindre.

Le roi dînait donc à une petite table séparée qui dominait, comme le bureau d'un président, les tables voisines; petite table, avons-nous dit: hâtons-nous cependant d'ajouter que cette petite table était encore la plus grande de toutes.

En outre, c'était celle sur laquelle s'entassaient un plus prodigieux nombre de mets variés, poissons, gibiers, viandes domestiques, fruits, légumes et conserves.

Le roi, jeune et vigoureux, grand chasseur, adonné à tous les exercices violents, avait, en outre, cette chaleur naturelle du sang, commune à tous les Bourbons, qui cuit rapidement les digestions et renouvelle les appétits.

Louis XIV était un redoutable convive; il aimait à critiquer ses cuisiniers; mais, lorsqu'il leur faisait honneur, cet honneur était gigantesque.

Le roi commençait par manger plusieurs potages, soit ensemble, dans une espèce de macédoine, soit séparément; il entremêlait ou plutôt il séparait chacun de ces potages d'un verre de vin vieux.

Il mangeait vite et assez avidement.

Porthos, qui dès l'abord avait par respect attendu un coup de coude de d'Artagnan, voyant le roi s'escrimer de la sorte, se retourna vers le mousquetaire, et dit à demi-voix:

– Il me semble qu'on peut aller, dit-il, Sa Majesté encourage.

Voyez donc.

– Le roi mange, dit d'Artagnan, mais il cause en même temps; arrangez-vous de façon que si, par hasard, il vous adressait la parole, il ne vous prenne pas la bouche pleine, ce qui serait disgracieux.

– Le bon moyen alors, dit Porthos, c'est de ne point souper. Cependant j'ai faim, je l'avoue, et tout cela sent des odeurs appétissantes, et qui sollicitent à la fois mon odorat et mon appétit.

– N'allez pas vous aviser de ne point manger, dit d'Artagnan, vous fâcheriez Sa Majesté. Le roi a pour habitude de dire que celui-là travaille bien qui mange bien, et il n'aime pas qu'on fasse petite bouche à sa table.

– Alors, comment éviter d'avoir la bouche pleine si on mange? dit

Porthos.

– Il s'agit simplement, répondit le capitaine des mousquetaires, d'avaler lorsque le roi vous fera l'honneur de vous adresser la parole.

– Très bien.

Et, à partir de ce moment, Porthos se mit à manger avec un enthousiasme poli.

Le roi, de temps en temps, levait les yeux sur le groupe, et, en connaisseur, appréciait les dispositions de son convive.

– Monsieur du Vallon! dit-il.

Porthos en était à un salmis de lièvre, et en engloutissait un demi-râble.

Son nom, prononcé ainsi, le fit tressaillir, et, d'un vigoureux élan du gosier, il absorba la bouchée entière.

– Sire, dit Porthos d'une voix étouffée, mais suffisamment intelligible néanmoins.

– Que l'on passe à M. du Vallon ces filets d'agneau, dit le roi.

Aimez-vous les viandes jaunes, monsieur du Vallon?

– Sire, j'aime tout, répliqua Porthos.

Et d'Artagnan lui souffla:

– Tout ce que m'envoie Votre Majesté.

Porthos répéta:

– Tout ce que m'envoie Votre Majesté.

Le roi fit, avec la tête, un signe de satisfaction.

– On mange bien quand on travaille bien, repartit le roi, enchanté d'avoir en tête à tête un mangeur de la force de Porthos.

Porthos reçut le plat d'agneau et en fit glisser une partie sur son assiette.

– Eh bien? dit le roi.

– Exquis! fit tranquillement Porthos.

– A-t-on d'aussi fins moutons dans votre province, monsieur du

Vallon? continua le roi.

– Sire, dit Porthos, je crois qu'en ma province, comme partout, ce qu'il y a de meilleur est d'abord au roi; mais, ensuite, je ne mange pas le mouton de la même façon que le mange Votre Majesté.

– Ah! ah! Et comment le mangez-vous?

– D'ordinaire, je me fais accommoder un agneau tout entier.

– Tout entier?

– Oui, Sire.

– Et de quelle façon?

– Voici: mon cuisinier, le drôle est Allemand, Sire; mon cuisinier bourre l'agneau en question de petites saucisses qu'il fait venir de Strasbourg; d'andouillettes, qu'il fait venir de Troyes; de mauviettes, qu'il fait venir de Pithiviers; par je ne sais quel moyen, il désosse le mouton, comme il ferait d'une volaille, tout en lui laissant la peau, qui fait autour de l'animal une croûte rissolée; lorsqu'on le coupe par belles tranches, comme on ferait d'un énorme saucisson, il en sort un jus tout rosé qui est à la fois agréable à l'oeil et exquis au palais.

Et Porthos fit clapper sa langue.

Le roi ouvrit de grands yeux charmés, et, tout en attaquant du faisan en daube qu'on lui présentait:

– Voilà, monsieur du Vallon, un manger que je convoiterais, dit- il. Quoi! le mouton entier?

– Entier, oui, Sire.

– Passez donc ces faisans à M. du Vallon; je vois que c'est un amateur.

L'ordre fut exécuté.

Puis, revenant au mouton:

– Et cela n'est pas trop gras?

– Non, Sire; les graisses tombent en même temps que le jus et surnagent; alors mon écuyer tranchant les enlève avec une cuiller d'argent, que j'ai fait faire exprès.

– Et vous demeurez? demanda le roi.

– À Pierrefonds, Sire.

– À Pierrefonds; où est cela, monsieur du Vallon? du côté de

Belle-Île?

– Oh! non pas, Sire, Pierrefonds est dans le Soissonnais.

– Je croyais que vous me parliez de ces moutons à cause des prés salés.

– Non, Sire, j'ai des prés qui ne sont pas salés, c'est vrai, mais qui n'en valent pas moins.

Le roi passa aux entremets, mais sans perdre de vue Porthos, qui continuait d'officier de son mieux.

– Vous avez un bel appétit, monsieur du Vallon, dit-il, et vous faites un bon convive.

– Ah! ma foi! Sire, si Votre Majesté venait jamais à Pierrefonds, nous mangerions bien notre mouton à nous deux, car vous ne manquez pas d'appétit non plus, vous.

D'Artagnan poussa un bon coup de pied à Porthos sous la table.

Porthos rougit.

– À l'âge heureux de Votre Majesté, dit Porthos pour se rattraper, j'étais aux mousquetaires, et nul ne pouvait me rassasier. Votre Majesté a bel appétit, comme j'avais l'honneur de le lui dire, mais elle choisit avec trop de délicatesse pour être appelée un grand mangeur.

Le roi parut charmé de la politesse de son antagoniste.

– Tâterez-vous de ces crèmes? dit-il à Porthos?

– Sire, Votre Majesté me traite trop bien pour que je ne lui dise pas la vérité tout entière.

– Dites, monsieur du Vallon, dites.

– Eh bien! Sire, en fait de sucreries, je ne connais que les pâtes, et encore il faut qu'elles soient bien compactes; toutes ces mousses m'enflent l'estomac, et tiennent une place qui me paraît trop précieuse pour la si mal occuper.

– Ah! messieurs, dit le roi en montrant Porthos voilà un véritable modèle de gastronomie. Ainsi mangeaient nos pères, qui savaient si bien manger, ajouta Sa Majesté, tandis que nous, nous picorons.

Et, en disant ces mots, il prit une assiette de blanc de volaille mêlée de jambon.

Porthos, de son côté, entama une terrine de perdreaux et de râles.

L'échanson remplit joyeusement le verre de Sa Majesté.

– Donnez de mon vin à M. du Vallon, dit le roi.

C'était un des grands honneurs de la table royale, D'Artagnan pressa le genou de son ami.

– Si vous pouvez avaler seulement la moitié de cette hure de sanglier que je vois là, dit-il à Porthos, je vous juge duc et pair dans un an.

– Tout à l'heure, dit flegmatiquement Porthos, je m'y mettrai.

Le tour de la hure ne tarda pas à venir en effet, car le roi prenait plaisir à pousser ce beau convive, il ne fit point passer de mets à Porthos, qu'il ne les eût dégustés lui-même: il goûta donc la hure. Porthos se montra beau joueur, au lieu d'en manger la moitié, comme avait dit d'Artagnan, il en mangea les trois quarts.

– Il est impossible, dit le roi à demi-voix, qu'un gentilhomme qui soupe si bien tous les jours, et avec de si belles dents, ne soit pas le plus honnête homme de mon royaume.

– Entendez-vous? dit d'Artagnan à l'oreille de son ami.

– Oui, je crois que j'ai un peu de faveur, dit Porthos en se balançant sur sa chaise.

– Oh! vous avez le vent en poupe. Oui! oui! oui!

Le roi et Porthos continuèrent de manger ainsi à la grande satisfaction des conviés, dont quelques-uns, par émulation, avaient essayé de les suivre, mais avaient dû renoncer en chemin.

Le roi rougissait, et la réaction du sang à son visage annonçait le commencement de la plénitude.

C'est alors que Louis XIV, au lieu de prendre de la gaieté, comme tous les buveurs, s'assombrissait et devenait taciturne.

Porthos, au contraire, devenait guilleret et expansif.

Le pied de d'Artagnan dut lui rappeler plus d'une fois cette particularité.

Le dessert parut.

Le roi ne songeait plus à Porthos; il tournait ses yeux vers la porte d'entrée, et on l'entendit demander parfois pourquoi M. de Saint-Aignan tardait tant à venir.

Enfin, au moment où Sa Majesté terminait un pot de confitures de prunes avec un grand soupir, M. de Saint-Aignan parut.

Les yeux du roi, qui s'étaient éteints peu à peu, brillèrent aussitôt.

Le comte se dirigea vers la table du roi, et, à son approche,

Louis XIV se leva.

Tout le monde se leva, Porthos même, qui achevait un nougat capable de coller l'une à l'autre les deux mâchoires d'un crocodile. Le souper était fini.

Chapitre CLIV – Après souper

Le roi prit le bras de Saint-Aignan et passa dans la chambre voisine.

– Que vous avez tardé, comte! dit le roi.

– J'apportais la réponse, Sire, répondit le comte.

– C'est donc bien long pour elle de répondre à ce que je lui écrivais?

– Sire, Votre Majesté avait daigné faire des vers; Mlle de La Vallière a voulu payer le roi de la même monnaie, c'est-à-dire en or.

– Des vers, de Saint-Aignan!.. s'écria le roi ravi. Donne, donne.

Et Louis rompit le cachet d'une petite lettre qui renfermait effectivement des vers que l'histoire nous a conservés, et qui sont meilleurs d'intention que de facture.

Tels qu'ils étaient, cependant, ils enchantèrent le roi, qui témoigna sa joie par des transports non équivoques; mais le silence général avertit Louis, si chatouilleux sur les bienséances, que sa joie pouvait donner matière à des interprétations.

Il se retourna et mit le billet dans sa poche; puis, faisant un pas qui le ramena sur le seuil de la porte auprès de ses hôtes:

– Monsieur du Vallon, dit-il, je vous ai vu avec le plus vif plaisir, et je vous reverrai avec un plaisir nouveau.

Porthos s'inclina, comme eût fait le colosse de Rhodes, et sortit à reculons.

– Monsieur d'Artagnan, continua le roi, vous attendrez mes ordres dans la galerie; je vous suis obligé de m'avoir fait connaître M. du Vallon. Messieurs, je retourne demain à Paris, pour le départ des ambassadeurs d'Espagne et de Hollande. À demain donc.

La salle se vida aussitôt.

Le roi prit le bras de Saint-Aignan, et lui fit relire encore les vers de La Vallière.

– Comment les trouves-tu? dit-il.

– Sire… charmants!

– Ils me charment, en effet, et s'ils étaient connus…

– Oh! les poètes en seraient jaloux; mais ils ne les connaîtront pas.

– Lui avez-vous donné les miens?

– Oh! Sire, elle les a dévorés.

– Ils étaient faibles, j'en ai peur.

– Ce n'est pas ce que Mlle de La Vallière en a dit.

– Vous croyez qu'elle les a trouvés de son goût?

– J'en suis sûr, Sire…

– Il me faudrait répondre, alors.

– Oh! Sire… tout de suite… après souper… Votre Majesté se fatiguera.

– Je crois que vous avez raison: l'étude après le repas est nuisible.

– Le travail du poète surtout; et puis, en ce moment, il y aurait préoccupation chez Mlle de La Vallière.

– Quelle préoccupation?

– Ah! Sire, comme chez toutes ces dames.

– Pourquoi?

– À cause de l'accident de ce pauvre de Guiche.

– Ah! mon Dieu! est-il arrivé un malheur à de Guiche?

– Oui, Sire, il a toute une main emportée, il a un trou à la poitrine, il se meurt.

– Bon Dieu! et qui vous a dit cela?

– Manicamp l'a rapporté tout à l'heure chez un médecin de

Fontainebleau, et le bruit s'en est répandu ici.

– Rapporté? Pauvre de Guiche! et comment cela lui est-il arrivé?

– Ah! voilà, Sire! comment cela lui est-il arrivé?

– Vous me dites cela d'un air tout à fait singulier, de Saint-

Aignan. Donnez-moi des détails… Que dit-il?

– Lui, ne dit rien, Sire, mais les autres.

– Quels autres?

– Ceux qui l'ont rapporté, Sire.

– Qui sont-ils, ceux-là?

– Je ne sais, Sire; mais M. de Manicamp le sait, M. de Manicamp est de ses amis.

– Comme tout le monde, dit le roi.

– Oh! non, reprit de Saint-Aignan, vous vous trompez, Sire; tout le monde n'est pas précisément des amis de M. de Guiche.

– Comment le savez-vous?

– Est-ce que le roi veut que je m'explique?

– Sans doute, je le veux.

– Eh bien! Sire, je crois avoir ouï parler d'une querelle entre deux gentilshommes.

– Quand?

– Ce soir même, avant le souper de Votre Majesté.

– Cela ne prouve guère. J'ai fait des ordonnances si sévères à l'égard des duels, que nul, je suppose, n'osera y contrevenir.

– Aussi Dieu me préserve d'accuser personne! s'écria de Saint-

Aignan. Votre Majesté m'a ordonné de parler, je parle.

– Dites donc alors comment le comte de Guiche a été blessé.

– Sire, on dit à l'affût.

– Ce soir?

– Ce soir.

– Une main emportée! un trou à la poitrine! Qui était à l'affût avec M. de Guiche?

– Je ne sais, Sire… Mais M. de Manicamp sait ou doit savoir.

– Vous me cachez quelque chose, de Saint-Aignan.

– Rien, Sire, rien.

– Alors expliquez-moi l'accident; est-ce un mousquet qui a crevé?

– Peut-être bien. Mais, en y réfléchissant, non, Sire, car on a trouvé près de de Guiche son pistolet encore chargé.

– Son pistolet? Mais, on ne va pas à l'affût avec un pistolet, ce me semble.

– Sire, on ajoute que le cheval de de Guiche a été tué, et que le cadavre du cheval est encore dans la clairière.

– Son cheval? De Guiche va à l'affût à cheval? De Saint-Aignan, je ne comprends rien à ce que vous me dites. Où la chose s'est- elle passée?

– Sire, au bois Rochin, dans le rond-point.

– Bien. Appelez M. d'Artagnan.

De Saint-Aignan obéit. Le mousquetaire entra.

– Monsieur d'Artagnan, dit le roi, vous allez sortir par la petite porte du degré particulier.

– Oui, Sire.

– Vous monterez à cheval.

– Oui, Sire.

– Et vous irez au rond-point du bois Rochin. Connaissez-vous l'endroit?

– Sire, je m'y suis battu deux fois.

– Comment! s'écria le roi, étourdi de la réponse.

– Sire, sous les édits de M. le cardinal de Richelieu repartit d'Artagnan avec son flegme ordinaire.

– C'est différent, monsieur. Vous irez donc là, et vous examinerez soigneusement les localités. Un homme y a été blessé, et vous y trouverez un cheval mort. Vous me direz ce que vous pensez sur cet événement.

– Bien, Sire.

– Il va sans dire que c'est votre opinion à vous, et non celle d'un autre que je veux avoir.

– Vous l'aurez dans une heure, Sire.

– Je vous défends de communiquer avec qui que ce soit.

– Excepté avec celui qui me donnera une lanterne, dit d'Artagnan.

– Oui, bien entendu, dit le roi en riant de cette liberté, qu'il ne tolérait que chez son capitaine des mousquetaires.

D'Artagnan sortit par le petit degré.

– Maintenant, qu'on appelle mon médecin, ajouta Louis.

Dix minutes après, le médecin du roi arrivait essoufflé.

– Monsieur, vous allez, lui dit le roi, vous transporter avec M. de Saint-Aignan où il vous conduira, et me rendrez compte de l'état du malade que vous verrez dans la maison où je vous prie d'aller.

Le médecin obéit sans observation, comme on commençait dès cette époque à obéir à Louis XIV, et sortit précédant de Saint-Aignan.

– Vous, de Saint-Aignan, envoyez-moi Manicamp, avant que le médecin ait pu lui parler.

De Saint-Aignan sortit à son tour.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
560 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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