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Kitabı oku: «Le vicomte de Bragelonne, Tome III.», sayfa 13

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Chapitre CLV – Comment d'Artagnan accomplit la mission dont le roi l'avait chargé

Pendant que le roi prenait ces dernières dispositions pour arriver à la vérité, d'Artagnan, sans perdre une seconde, courait à l'écurie, décrochait la lanterne, sellait son cheval lui-même, et se dirigeait vers l'endroit désigné par Sa Majesté.

Il n'avait, suivant sa promesse, vu ni rencontré personne, et, comme nous l'avons dit, il avait poussé le scrupule jusqu'à faire, sans l'intervention des valets d'écurie et des palefreniers, ce qu'il avait à faire.

D'Artagnan était de ceux qui se piquent, dans les moments difficiles, de doubler leur propre valeur.

En cinq minutes de galop, il fut au bois, attacha son cheval au premier arbre qu'il rencontra, et pénétra à pied jusqu'à la clairière.

Alors il commença de parcourir à pied, et sa lanterne à la main, toute la surface du rond-point, vint, revint, mesura, examina, et, après une demi-heure d'exploration il reprit silencieusement son cheval, et s'en revint réfléchissant et au pas à Fontainebleau.

Louis attendait dans son cabinet: il était seul et crayonnait sur un papier des lignes qu'au premier coup d'oeil d'Artagnan reconnut inégales et fort raturées.

Il en conclut que ce devaient être des vers.

Il leva la tête et aperçut d'Artagnan.

– Eh bien! monsieur, dit-il, m'apportez-vous des nouvelles?

– Oui, Sire.

– Qu'avez-vous vu?

– Voici la probabilité, Sire, dit d'Artagnan.

– C'était une certitude que je vous avais demandée.

– Je m'en rapprocherai autant que je pourrai; le temps était commode pour les investigations dans le genre de celles que je viens de faire: il a plu ce soir et les chemins étaient détrempés…

– Au fait, monsieur d'Artagnan.

– Sire, Votre Majesté m'avait dit qu'il y avait un cheval mort au carrefour du bois Rochin; j'ai donc commencé par étudier les chemins.

«Je dis les chemins, attendu qu'on arrive au centre du carrefour par quatre chemins.

«Celui que j'avais suivi moi-même présentait seul des traces fraîches. Deux chevaux l'avaient suivi côte à côte: leurs huit pieds étaient marqués bien distinctement dans la glaise.

«L'un des cavaliers était plus pressé que l'autre. Les pas de l'un sont toujours en avant de l'autre d'une demi-longueur de cheval.

– Alors vous êtes sûr qu'ils sont venus à deux? dit le roi.

– Oui, Sire. Les chevaux sont deux grandes bêtes d'un pas égal, des chevaux habitués à la manoeuvre, car ils ont tourné en parfaite oblique la barrière du rond-point.

– Après, monsieur?

– Là, les cavaliers sont restés un instant à régler sans doute les conditions du combat; les chevaux s'impatientaient. L'un des cavaliers parlait, l'autre écoutait et se contentait de répondre. Son cheval grattait la terre du pied, ce qui prouve que, dans sa préoccupation à écouter, il lui lâchait la bride.

– Alors il y a eu combat?

– Sans conteste.

– Continuez; vous êtes un habile observateur.

– L'un des deux cavaliers est resté en place, celui qui écoutait; l'autre a traversé la clairière, et a d'abord été se mettre en face de son adversaire. Alors celui qui était resté en place a franchi le rond-point au galop jusqu'aux deux tiers de sa longueur, croyant marcher sur son ennemi; mais celui-ci avait suivi la circonférence du bois.

– Vous ignorez les noms, n'est-ce pas?

– Tout à fait, Sire. Seulement, celui-ci qui avait suivi la circonférence du bois montait un cheval noir.

– Comment savez-vous cela?

– Quelques crins de sa queue sont restés aux ronces qui garnissent le bord du fossé.

– Continuez.

– Quant à l'autre cheval, je n'ai pas eu de peine à en faire le signalement, puisqu'il est resté mort sur le champ de bataille.

– Et de quoi ce cheval est-il mort?

– D'une balle qui lui a troué la tempe.

– Cette balle était celle d'un pistolet ou d'un fusil?

– D'un pistolet, Sire. Au reste, la blessure du cheval m'a indiqué la tactique de celui qui l'avait tué. Il avait suivi la circonférence du bois pour avoir son adversaire en flanc. J'ai d'ailleurs, suivi ses pas sur l'herbe.

– Les pas du cheval noir?

– Oui, Sire.

– Allez, monsieur d'Artagnan.

– Maintenant que Votre Majesté voit la position des deux adversaires, il faut que je quitte le cavalier stationnaire pour le cavalier qui passe au galop.

– Faites.

– Le cheval du cavalier qui chargeait fut tué sur le coup.

– Comment savez-vous cela?

– Le cavalier n'a pas eu le temps de mettre pied à terre et est tombé avec lui. J'ai vu la trace de sa jambe, qu'il avait tirée avec effort de dessous le cheval. L'éperon, pressé par le poids de l'animal, avait labouré la terre.

– Bien. Et qu'a-t-il dit en se relevant?

– Il a marché droit sur son adversaire.

– Toujours placé sur la lisière du bois?

– Oui, Sire. Puis, arrivé à une belle portée, il s'est arrêté solidement, ses deux talons sont marqués l'un près de l'autre, il a tiré et a manqué son adversaire.

– Comment savez-vous cela, qu'il l'a manqué?

– J'ai trouvé le chapeau troué d'une balle.

– Ah! une preuve, s'écria le roi.

– Insuffisante, Sire, répondit froidement d'Artagnan: c'est un chapeau sans lettres, sans armes; une plume rouge comme à tous les chapeaux; le galon même n'a rien de particulier.

– Et l'homme au chapeau troué a-t-il tiré son second coup?

– Oh! Sire, ses deux coups étaient déjà tirés.

– Comment avez-vous su cela?

– J'ai retrouvé les bourres du pistolet.

– Et la balle qui n'a pas tué le cheval, qu'est-elle devenue?

– Elle a coupé la plume du chapeau de celui sur qui elle était dirigée, et a été briser un petit bouleau de l'autre côté de la clairière.

– Alors, l'homme au cheval noir était désarmé, tandis que son adversaire avait encore un coup à tirer.

– Sire, pendant que le cavalier démonté se relevait, l'autre rechargeait son arme. Seulement, il était fort troublé en la rechargeant, la main lui tremblait.

– Comment savez-vous cela?

– La moitié de la charge est tombée à terre, et il a jeté la baguette, ne prenant pas le temps de la remettre au pistolet.

– Monsieur d'Artagnan, ce que vous dites là est merveilleux!

– Ce n'est que de l'observation, Sire, et le moindre batteur d'estrade en ferait autant.

– On voit la scène rien qu'à vous entendre.

– Je l'ai, en effet, reconstruite dans mon esprit, à peu de changements près.

– Maintenant, revenons au cavalier démonté. Vous disiez qu'il avait marché sur son adversaire tandis que celui-ci rechargeait son pistolet?

– Oui; mais au moment où il visait lui-même, l'autre tira.

– Oh! fit le roi, et le coup?

– Le coup fut terrible, Sire; le cavalier démonté tomba sur la face après avoir fait trois pas mal assurés.

– Où avait-il été frappé?

– À deux endroits: à la main droite d'abord, puis, du même coup, à la poitrine.

– Mais comment pouvez-vous deviner cela? demanda le roi plein d'admiration.

– Oh! c'est bien simple: la crosse du pistolet était tout ensanglantée, et l'on y voyait la trace de la balle avec les fragments d'une bague brisée. Le blessé a donc eu, selon toute probabilité, l'annulaire et le petit doigt emportés.

– Voilà pour la main, j'en conviens; mais la poitrine?

– Sire, il y avait deux flaques de sang à la distance de deux pieds et demi l'une de l'autre. À l'une de ces flaques, l'herbe était arrachée par la main crispée; à l'autre, l'herbe était affaissée seulement par le poids du corps.

– Pauvre de Guiche! s'écria le roi.

– Ah! c'était M. de Guiche? dit tranquillement le mousquetaire.

Je m'en étais douté; mais je n'osais en parler à Votre Majesté.

– Et comment vous en doutiez-vous?

– J'avais reconnu les armes des Grammont sur les fontes du cheval mort.

– Et vous le croyez blessé grièvement?

– Très grièvement, puisqu'il est tombé sur le coup et qu'il est resté longtemps à la même place; cependant il a pu marcher, en s'en allant, soutenu par deux amis.

– Vous l'avez donc rencontré, revenant?

– Non; mais j'ai relevé les pas des trois hommes: l'homme de droite et l'homme de gauche marchaient librement, facilement; mais celui du milieu avait le pas lourd. D'ailleurs, des traces de sang accompagnaient ce pas.

– Maintenant, monsieur, que vous avez si bien vu le combat qu'aucun détail ne vous en a échappé, dites-moi deux mots de l'adversaire de de Guiche.

– Oh! Sire, je ne le connais pas.

– Vous qui voyez tout si bien, cependant.

– Oui, Sire, dit d'Artagnan, je vois tout; mais je ne dis pas tout ce que je vois, et, puisque le pauvre diable a échappé, que Votre Majesté me permette de lui dire que ce n'est pas moi qui le dénoncerai.

– C'est cependant un coupable, monsieur, que celui qui se bat en duel.

– Pas pour moi, Sire, dit froidement d'Artagnan.

– Monsieur, s'écria le roi, savez-vous bien ce que vous dites?

– Parfaitement, Sire; mais, à mes yeux, voyez-vous, un homme qui se bat bien est un brave homme. Voilà mon opinion. Vous pouvez en avoir une autre; c'est naturel, vous êtes le maître.

– Monsieur d'Artagnan, j'ai ordonné cependant…

D'Artagnan interrompit le roi avec un geste respectueux.

– Vous m'avez ordonné d'aller chercher des renseignements sur un combat, Sire; vous les avez. M'ordonnez-vous d'arrêter l'adversaire de M. de Guiche, j'obéirai; mais ne m'ordonnez point de vous le dénoncer, car, cette fois, je n'obéirai pas.

– Eh bien! arrêtez-le.

– Nommez-le moi, Sire.

Louis frappa du pied.

Puis, après un instant de réflexion:

– Vous avez dix fois, vingt fois, cent fois raison, dit-il.

– C'est mon avis, Sire; je suis heureux que ce soit en même temps celui de Votre Majesté.

– Encore un mot… Qui a porté secours à de Guiche?

– Je l'ignore.

– Mais vous parlez de deux hommes… Il y avait donc un témoin?

– Il n'y avait pas de témoin. Il y a plus… M. de Guiche une fois tombé, son adversaire s'est enfui sans même lui porter secours.

– Le misérable!

– Dame! Sire, c'est l'effet de vos ordonnances. On s'est bien battu, on a échappé à une première mort, on veut échapper à une seconde. On se souvient de M. de Boutteville… Peste!

– Et, alors on devient lâche.

– Non, l'on devient prudent.

– Donc, il s'est enfui?

– Oui, et aussi vite que son cheval a pu l'emporter même.

– Et dans quelle direction?

– Dans celle du château.

– Après?

– Après, j'ai eu l'honneur de le dire à Votre Majesté, deux hommes, à pied, sont venus qui ont emmené M. de Guiche.

– Quelle preuve avez-vous que ces hommes soient venus après le combat?

– Ah! une preuve manifeste; au moment du combat, la pluie venait de cesser, le terrain n'avait pas eu le temps de l'absorber et était devenu humide: les pas enfoncent; mais après le combat, mais pendant le temps que M. de Guiche est resté évanoui, la terre s'est consolidée et les pas s'imprégnaient moins profondément.

– Monsieur d'Artagnan, dit-il, vous êtes, en vérité, le plus habile homme de mon royaume.

– C'est ce que pensait M. de Richelieu, c'est ce que disait

M. de Mazarin, Sire.

– Maintenant, il nous reste à voir si votre sagacité est en défaut.

– Oh! Sire, l'homme se trompe: Errare humanum est, dit philosophiquement le mousquetaire.

– Alors vous n'appartenez pas à l'humanité, monsieur d'Artagnan, car je crois que vous ne vous trompez jamais.

– Votre Majesté disait que nous allions voir.

– Oui.

– Comment cela, s'il lui plaît?

– J'ai envoyé chercher M. de Manicamp, et M. de Manicamp va venir.

– Et M. de Manicamp sait le secret?

– De Guiche n'a pas de secrets pour M. de Manicamp.

– Nul n'assistait au combat, je le répète, et, à moins que

M. de Manicamp ne soit un de ces deux hommes qui l'ont ramené…

– Chut! dit le roi, voici qu'il vient: demeurez là et prêtez l'oreille.

– Très bien, Sire, dit le mousquetaire.

À la même minute, Manicamp et de Saint-Aignan paraissaient au seuil de la porte.

Chapitre CLVI – L'affût

Le roi fit un signe au mousquetaire, l'autre à de Saint-Aignan.

Le signe était impérieux et signifiait: «Sur votre vie, taisez- vous!»

D'Artagnan se retira, comme un soldat, dans l'angle du cabinet.

De Saint-Aignan, comme un favori, s'appuya sur le dossier du fauteuil du roi.

Manicamp, la jambe droite en avant, le sourire aux lèvres, les mains blanches et gracieuses, s'avança pour faire sa révérence au roi.

Le roi rendit le salut avec la tête.

– Bonsoir, monsieur de Manicamp, dit-il.

– Votre Majesté m'a fait l'honneur de me mander auprès d'elle, dit Manicamp.

– Oui, pour apprendre de vous tous les détails du malheureux accident arrivé au comte de Guiche.

– Oh! Sire, c'est douloureux.

– Vous étiez là?

– Pas précisément, Sire.

– Mais vous arrivâtes sur le théâtre de l'accident quelques instants après cet accident accompli?

– C'est cela, oui, Sire, une demi-heure à peu près.

– Et où cet accident a-t-il eu lieu?

– Je crois, Sire, que l'endroit s'appelle le rond-point du bois

Rochin.

– Oui, rendez-vous de chasse.

– C'est cela même, Sire.

– Eh bien! contez-moi ce que vous savez de détails sur ce malheur, monsieur de Manicamp. Contez.

– C'est que Votre Majesté est peut-être instruite, et je craindrais de la fatiguer par des répétitions.

– Non, ne craignez pas.

Manicamp regarda tout autour de lui; il ne vit que d'Artagnan adossé aux boiseries, d'Artagnan calme, bienveillant, bonhomme, et de Saint-Aignan avec lequel il était venu, et qui se tenait toujours adossé au fauteuil du roi avec une figure également gracieuse.

Il se décida donc à parler.

– Votre Majesté n'ignore pas, dit-il, que les accidents sont communs à la chasse?

– À la chasse?

– Oui, Sire, je veux dire à l'affût.

– Ah! ah! dit le roi, c'est à l'affût que l'accident est arrivé?

– Mais oui, Sire, hasarda Manicamp; est-ce que Votre Majesté l'ignorait?

– Mais à peu près, dit le roi fort vite, car toujours Louis XIV répugna à mentir; c'est donc à l'affût, dites-vous, que l'accident est arrivé?

– Hélas! oui, malheureusement, Sire.

Le roi fit une pause.

– À l'affût de quel animal? demanda-t-il.

– Du sanglier, Sire.

– Et quelle idée a donc eue de Guiche de s'en aller comme cela, tout seul, à l'affût du sanglier? C'est un exercice de campagnard, cela, et bon, tout au plus, pour celui qui n'a pas, comme le maréchal de Grammont, chiens et piqueurs pour chasser en gentilhomme.

Manicamp plia les épaules.

– La jeunesse est téméraire, dit-il sentencieusement.

– Enfin!.. continuez, dit le roi.

– Tant il y a, continua Manicamp, n'osant s'aventurer et posant un mot après l'autre, comme fait de ses pieds un paludier dans un marais, tant il y a, Sire, que le pauvre de Guiche s'en alla tout seul à l'affût.

– Tout seul, voire! le beau chasseur! Eh! M. de Guiche ne sait-il pas que le sanglier revient sur le coup?

– Voilà justement ce qui est arrivé, Sire.

– Il avait donc eu connaissance de la bête?

– Oui, Sire. Des paysans l'avaient vue dans leurs pommes de terre.

– Et quel animal était-ce?

– Un ragot.

– Il fallait donc me prévenir, monsieur, que de Guiche avait des idées de suicide; car, enfin, je l'ai vu chasser, c'est un veneur très expert. Quand il tire sur l'animal acculé et tenant aux chiens, il prend toutes ses précautions, et cependant il tire avec une carabine, et, cette fois, il s'en va affronter le sanglier avec de simples pistolets!

Manicamp tressaillit.

– Des pistolets de luxe, excellents pour se battre en duel avec un homme et non avec un sanglier, que diable!

– Sire, il y a des choses qui ne s'expliquent pas bien.

– Vous avez raison, et l'événement qui nous occupe est une de ces choses là. Continuez.

Pendant ce récit, de Saint-Aignan, qui eût peut-être fait signe à Manicamp de ne pas s'enferrer, était couché en joue par le regard obstiné du roi.

Il y avait donc, entre lui et Manicamp, impossibilité de communiquer. Quant à d'Artagnan, la statue du Silence, à Athènes, était plus bruyante et plus expressive que lui.

Manicamp continua donc, lancé dans la voie qu'il avait prise, à s'enfoncer dans le panneau.

– Sire, dit-il, voici probablement comment la chose s'est passée.

De Guiche attendait le sanglier.

– À cheval ou à pied? demanda le roi.

– À cheval. Il tira sur la bête, la manqua.

– Le maladroit!

– La bête fonça sur lui.

– Et le cheval fut tué?

– Ah! Votre Majesté sait cela?

– On m'a dit qu'un cheval avait été trouvé mort au carrefour du bois Rochin. J'ai présumé que c'était le cheval de de Guiche.

– C'était lui, effectivement, Sire.

– Voilà pour le cheval, c'est bien; mais pour de Guiche?

– De Guiche une fois à terre, fut fouillé par le sanglier et blessé à la main et à la poitrine.

– C'est un horrible accident; mais, il faut le dire, c'est la faute de de Guiche. Comment va-t-on à l'affût d'un pareil animal avec des pistolets! Il avait donc oublié la fable d'Adonis?

Manicamp se gratta l'oreille.

– C'est vrai, dit-il, grande imprudence.

– Vous expliquez-vous cela, monsieur de Manicamp?

– Sire, ce qui est écrit est écrit.

– Ah! vous êtes fataliste!

Manicamp s'agitait, fort mal à son aise.

– Je vous en veux, monsieur de Manicamp, continua le roi.

– À moi, Sire.

– Oui! Comment! vous êtes l'ami de Guiche, vous savez qu'il est sujet à de pareilles folies, et vous ne l'arrêtez pas?

Manicamp ne savait à quoi s'en tenir; le ton du roi n'était plus précisément celui d'un homme crédule.

D'un autre côté, ce ton n'avait ni la sévérité du drame, ni l'insistance de l'interrogatoire.

Il y avait plus de raillerie que de menace.

– Et vous dites donc, continua le roi, que c'est bien le cheval de Guiche que l'on a retrouvé mort?

– Oh! mon Dieu, oui, lui-même.

– Cela vous a-t-il étonné?

– Non, Sire. À la dernière chasse, M. de Saint-Maure, Votre Majesté se le rappelle, a eu un cheval tué sous lui, et de la même façon.

– Oui, mais éventré.

– Sans doute, Sire.

– Le cheval de Guiche eût été éventré comme celui de M. de Saint-

Maure que cela ne m'étonnerait point, pardieu!

Manicamp ouvrit de grands yeux.

– Mais ce qui m'étonne, continua le roi, c'est que le cheval de Guiche, au lieu d'avoir le ventre ouvert, ait la tête cassée.

Manicamp se troubla.

– Est-ce que je me trompe? reprit le roi, est-ce que ce n'est point à la tempe que le cheval de Guiche a été frappé? Avouez, monsieur de Manicamp, que voilà un coup singulier.

– Sire, vous savez que le cheval est un animal très intelligent, il aura essayé de se défendre.

– Mais un cheval se défend avec les pieds de derrière, et non avec la tête.

– Alors, le cheval, effrayé, se sera abattu, dit Manicamp, et le sanglier, vous comprenez, Sire, le sanglier…

– Oui, je comprends pour le cheval; mais pour le cavalier?

– Eh bien! c'est tout simple: le sanglier est revenu du cheval au cavalier, et, comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire à Votre Majesté, a écrasé la main de de Guiche au moment où il allait tirer sur lui son second coup de pistolet; puis, d'un coup de boutoir, il lui a troué la poitrine.

– Cela est on ne peut plus vraisemblable, en vérité, monsieur de Manicamp; vous avez tort de vous défier de votre éloquence, et vous contez à merveille.

– Le roi est bien bon, dit Manicamp en faisant un salut des plus embarrassés.

– À partir d'aujourd'hui seulement, je défendrai à mes gentilshommes d'aller à l'affût. Peste! autant vaudrait leur permettre le duel.

Manicamp tressaillit et fit un mouvement pour se retirer.

– Le roi est satisfait? demanda-t-il.

– Enchanté; mais ne vous retirez point encore, monsieur de

Manicamp, dit Louis, j'ai affaire de vous.

«Allons, allons, pensa d'Artagnan, encore un qui n'est pas de notre force.»

Et il poussa un soupir qui pouvait signifier: «Oh! les hommes de notre force, où sont-ils maintenant?»

En ce moment, un huissier souleva la portière et annonça le médecin du roi.

– Ah! s'écria Louis, voilà justement M. Valot qui vient de visiter M. de Guiche. Nous allons avoir des nouvelles du blessé.

Manicamp se sentit plus mal à l'aise que jamais.

– De cette façon, au moins, ajouta le roi, nous aurons la conscience nette.

Et il regarda d'Artagnan, qui ne sourcilla point.

Chapitre CLVII – Le médecin

M. Valot entra.

La mise en scène était la même: le roi assis, de Saint-Aignan toujours accoudé à son fauteuil, d'Artagnan toujours adossé à la muraille, Manicamp toujours debout.

– Eh bien! monsieur Valot, fit le roi, m'avez-vous obéi?

– Avec empressement, Sire.

– Vous vous êtes rendu chez votre confrère de Fontainebleau?

– Oui, Sire.

– Et vous y avez trouvé M. de Guiche?

– J'y ai trouvé M. de Guiche.

– En quel état? Dites franchement.

– En très piteux état, Sire.

– Cependant, voyons, le sanglier ne l'a pas dévoré?

– Dévoré qui?

– Guiche.

– Quel sanglier?

– Le sanglier qui l'a blessé.

– M. de Guiche a été blessé par un sanglier?

– On le dit, du moins.

– Quelque braconnier plutôt…

– Comment, quelque braconnier?..

– Quelque mari jaloux, quelque amant maltraité, lequel, pour se venger, aura tiré sur lui.

– Mais que dites-vous donc là, monsieur Valot? Les blessures de M. de Guiche ne sont-elles pas produites par la défense d'un sanglier?

– Les blessures de M. de Guiche sont produites par une balle de pistolet qui lui a écrasé l'annulaire et le petit doigt de la main droite, après quoi, elle a été se loger dans les muscles intercostaux de la poitrine.

– Une balle! Vous êtes sûr que M. de Guiche a été blessé par une balle?.. s'écria le roi jouant l'homme surpris.

– Ma foi, dit Valot, si sûr que la voilà, Sire.

Et il présenta au roi une balle à moitié aplatie.

Le roi la regarda sans y toucher.

– Il avait cela dans la poitrine, le pauvre garçon? demanda-t-il.

– Pas précisément. La balle n'avait pas pénétré, elle s'était aplatie, comme vous voyez, ou sous la sous-garde du pistolet ou sur le côté droit du sternum.

– Bon Dieu! fit le roi sérieusement, vous ne me disiez rien de tout cela, monsieur de Manicamp?

– Sire…

– Qu'est-ce donc, voyons, que cette invention de sanglier, d'affût, de chasse de nuit? Voyons, parlez.

– Ah! Sire…

– Il me paraît que vous avez raison, dit le roi en se tournant vers son capitaine des mousquetaires, et qu'il y a eu combat.

Le roi avait, plus que tout autre, cette faculté donnée aux grands de compromettre et de diviser les inférieurs.

Manicamp lança au mousquetaire un regard plein de reproches.

D'Artagnan comprit ce regard, et ne voulut pas rester sous le poids de l'accusation.

Il fit un pas.

– Sire, dit-il, Votre Majesté m'a commandé d'aller explorer le carrefour du bois Rochin, et de lui dire, d'après mon estime, ce qui s'y était passé. Je lui ai fait part de mes observations, mais sans dénoncer personne. C'est Sa Majesté elle-même qui, la première, a nommé M. le comte de Guiche.

– Bien! bien! monsieur, dit le roi avec hauteur; vous avez fait votre devoir, et je suis content de vous, cela doit vous suffire. Mais vous, monsieur de Manicamp, vous n'avez pas fait le vôtre, car vous m'avez menti.

– Menti, Sire! Le mot est dur.

– Trouvez-en un autre.

– Sire, je n'en chercherai pas. J'ai déjà eu le malheur de déplaire à Sa Majesté, et, ce que je trouve de mieux c'est d'accepter humblement les reproches qu'elle jugera à propos de m'adresser.

– Vous avez raison, monsieur, on me déplaît toujours en me cachant la vérité.

– Quelquefois, Sire, on ignore.

– Ne mentez plus, ou je double la peine.

Manicamp s'inclina en pâlissant.

D'Artagnan fit encore un pas en avant, décidé à intervenir, si la colère toujours grandissante du roi atteignait certaines limites.

– Monsieur, continua le roi, vous voyez qu'il est inutile de nier la chose plus longtemps. M. de Guiche s'est battu.

– Je ne dis pas non, Sire, et Votre Majesté eût été généreuse en ne forçant pas un gentilhomme au mensonge.

– Forcé! Qui vous forçait?

– Sire, M. de Guiche est mon ami. Votre Majesté a défendu les duels sous peine de mort. Un mensonge sauve mon ami. Je mens.

– Bien, murmura d'Artagnan, voilà un joli garçon, mordioux!

– Monsieur, reprit le roi, au lieu de mentir, il fallait l'empêcher de se battre.

– Oh! Sire, Votre Majesté, qui est le gentilhomme le plus accompli de France, sait bien que, nous autres, gens d'épée, nous n'avons jamais regardé M. de Boutteville comme déshonoré pour être mort en Grève. Ce qui déshonore, c'est d'éviter son ennemi, et non de rencontrer le bourreau.

– Eh bien! soit, dit Louis XIV, je veux bien vous ouvrir un moyen de tout réparer.

– S'il est de ceux qui conviennent à un gentilhomme, je le saisirai avec empressement, Sire.

– Le nom de l'adversaire de M. de Guiche?

– Oh! oh! murmura d'Artagnan, est-ce que nous allons continuer

Louis XIII?..

– Sire!.. fit Manicamp avec un accent de reproche.

– Vous ne voulez pas le nommer, à ce qu'il paraît? dit le roi.

– Sire, je ne le connais pas.

– Bravo! dit d'Artagnan.

– Monsieur de Manicamp, remettez votre épée au capitaine.

Manicamp s'inclina gracieusement, détacha son épée en souriant et la tendit au mousquetaire.

Mais de Saint-Aignan s'avança vivement entre d'Artagnan et lui.

– Sire, dit-il, avec la permission de Votre Majesté.

– Faites, dit le roi, enchanté peut-être au fond du coeur que quelqu'un se plaçât entre lui et la colère à laquelle il s'était laissé emporter.

– Manicamp, vous êtes un brave, et le roi appréciera votre conduite; mais vouloir trop bien servir ses amis, c'est leur nuire. Manicamp, vous savez le nom que Sa Majesté vous demande?

– C'est vrai, je le sais.

– Alors, vous le direz.

– Si j'eusse dû le dire, ce serait déjà fait.

– Alors, je le dirai, moi, qui ne suis pas, comme vous, intéressé à cette prud'homie.

– Vous, vous êtes libre; mais il me semble cependant…

– Oh! trêve de magnanimité; je ne vous laisserai point aller à la

Bastille comme cela. Parlez, ou je parle.

Manicamp était homme d'esprit, et comprit qu'il avait fait assez pour donner de lui une parfaite opinion; maintenant, il ne s'agissait plus que d'y persévérer en reconquérant les bonnes grâces du roi.

– Parlez, monsieur, dit-il à de Saint-Aignan. J'ai fait pour mon compte tout ce que ma conscience me disait de faire, et il fallait que ma conscience ordonnât bien haut, ajouta-t-il en se retournant vers le roi, puisqu'elle l'a emporté sur les commandements de Sa Majesté; mais Sa Majesté me pardonnera, je l'espère, quand elle saura que j'avais à garder l'honneur d'une dame.

– D'une dame? demanda le roi inquiet.

– Oui, Sire.

– Une dame fut la cause de ce combat?

Manicamp s'inclina.

Le roi se leva et s'approcha de Manicamp.

– Si la personne est considérable, dit-il, je ne me plaindrai pas que vous ayez pris des ménagements, au contraire.

– Sire, tout ce qui touche à la maison du roi, ou à la maison de son frère, est considérable à mes yeux.

– À la maison de mon frère? répéta Louis XIV avec une sorte d'hésitation… La cause de ce combat est une dame de la maison de mon frère?

– Ou de Madame.

– Ah! de Madame?

– Oui, Sire.

– Ainsi, cette dame?..

– Est une des filles d'honneur de la maison de Son Altesse Royale

Mme la duchesse d'Orléans.

– Pour qui M. de Guiche s'est battu, dites-vous?

– Oui, et, cette fois, je ne mens plus.

Louis fit un mouvement plein de trouble.

– Messieurs, dit-il en se retournant vers les spectateurs de cette scène, veuillez vous éloigner un instant, j'ai besoin de demeurer seul avec M. de Manicamp. Je sais qu'il a des choses précieuses à me dire pour sa justification, et qu'il n'ose le faire devant témoins… Remettez votre épée, monsieur de Manicamp.

Manicamp remit son épée au ceinturon.

– Le drôle est, décidément, plein de présence d'esprit, murmura le mousquetaire en prenant le bras de Saint-Aignan et en se retirant avec lui.

– Il s'en tirera, fit ce dernier à l'oreille de d'Artagnan.

– Et avec honneur, comte.

Manicamp adressa à de Saint-Aignan et au capitaine un regard de remerciement qui passa inaperçu du roi.

– Allons, allons, dit d'Artagnan en franchissant le seuil de la porte, j'avais mauvaise opinion de la génération nouvelle. Eh bien! je me trompais, et ces petits jeunes gens ont du bon.

Valot précédait le favori et le capitaine.

Le roi et Manicamp restèrent seuls dans le cabinet.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
560 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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