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Kitabı oku: «Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.», sayfa 17

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Aramis sourit avec l'éclat sinistre de sa sinistre pensée.

– Soit! dit-il.

– Mais, reprit Fouquet après un silence pénible, vous n'avez pas réfléchi que cette oeuvre politique est de nature à bouleverser tout le royaume, et que, pour arracher cet arbre aux racines infinies qu'on appelle un roi, pour le remplacer par un autre, la terre ne sera jamais raffermie à ce point que le nouveau roi soit assuré contre le vent qui restera de l'ancien orage et contre les oscillations de sa propre masse.

Aramis continua de sourire.

– Songez donc, continua M. Fouquet en s'échauffant avec cette force de talent qui creuse un projet et le mûrit en quelques secondes, et avec cette largeur de vue qui en prévoit toutes les conséquences et en embrasse tous les résultats, songez donc qu'il nous faut assembler la noblesse, le clergé, le tiers état, déposer le prince régnant, troubler par un affreux scandale la tombe de Louis XIII, perdre la vie et l'honneur d'une femme, Anne d'Autriche, la vie et la paix d'une autre femme, Marie-Thérèse, et que, tout cela fini, Si nous le finissons…

– Je ne vous comprends pas, dit froidement Aramis. Il n'y a pas un mot utile dans tout ce que vous venez de dire là.

– Comment! fit le surintendant surpris; vous ne discutez pas la pratique, un homme comme vous? Vous vous bornez aux joies enfantines d'une illusion politique, et vous négligez les chances de l'exécution, c'est-à-dire la réalité; est-ce possible?

– Mon ami, dit Aramis en appuyant sur le mot avec une sorte de familiarité dédaigneuse, comment fait Dieu pour substituer un roi à un autre?

– Dieu! s'écria Fouquet, Dieu donne un ordre à son agent, qui saisit le condamné, l'emporte et fait asseoir le triomphateur sur le trône devenu vide. Mais vous oubliez que cet agent s'appelle la mort. Oh! mon Dieu! monsieur d'Herblay, est-ce que vous auriez l'idée…

– Il ne s'agit pas de cela, monseigneur. En vérité, vous allez au-delà du but. Qui donc vous parle d'envoyer la mort au roi Louis XIV? qui donc vous parle de suivre l'exemple de Dieu dans la stricte pratique de ses oeuvres? Non. Je voulais vous dire que Dieu fait les choses sans bouleversement, sans scandale, sans efforts, et que les hommes inspirés par Dieu réussissent comme lui dans ce qu'ils entreprennent, dans ce qu'ils tentent, dans ce qu'ils font.

– Que voulez-vous dire?

– Je voulais vous dire, mon ami, reprit Aramis avec la même intonation qu'il avait donnée à ce mot ami, quand il l'avait prononcé pour la première fois, je voulais vous dire que, s'il y a eu bouleversement, scandale et même effort dans la substitution du prisonnier au roi, je vous défie de me le prouver.

– Plaît-il? s'écria Fouquet, plus blanc que le mouchoir dont il essuyait ses tempes. Vous dites?..

– Allez dans la chambre du roi, continua tranquillement Aramis, et, vous qui savez le mystère, je vous défie de vous apercevoir que le prisonnier de la Bastille est couché dans le lit de son frère.

– Mais le roi? balbutia Fouquet, saisi d'horreur à cette nouvelle.

– Quel roi? dit Aramis de son plus doux accent, celui qui vous hait ou celui qui vous aime?

– Le roi… d'hier?..

– Le roi d'hier? Rassurez-vous; il a été prendre, à la Bastille, la place que sa victime occupait depuis trop longtemps.

– Juste Ciel! Et qui l'y a conduit?

– Moi.

– Vous?

– Oui, et de la façon la plus simple. Je l'ai enlevé cette nuit, et, pendant qu'il redescendait dans l'ombre, l'autre remontait à la lumière. Je ne crois pas que cela ait fait du bruit. Un éclair sans tonnerre, cela ne réveille jamais personne.

Fouquet poussa un cri sourd, comme s'il eût été atteint d'un coup invisible, et prenant sa tête dans ses deux mains crispées:

– Vous avez fait cela? murmura-t-il.

– Assez adroitement. Qu'en pensez-vous?

– Vous avez détrôné le roi? vous l'avez emprisonné?

– C'est fait.

– Et l'action s'est accomplie ici, à Vaux?

– Ici, à Vaux, dans la chambre de Morphée. Ne semblait-elle pas avoir été bâtie dans la prévoyance d'un pareil acte?

– Et cela s'est passé?

– Cette nuit.

– Cette nuit?

– Entre minuit et une heure.

Fouquet fit un mouvement comme pour se jeter sur Aramis; il se retint.

– À Vaux! chez moi!.. dit-il d'une voix étranglée.

– Mais je crois que oui. C'est surtout votre maison, depuis que

M. Colbert ne peut plus vous la faire voler.

– C'est donc chez moi que s'est exécuté ce crime.

– Ce crime! fit Aramis stupéfait.

– Ce crime abominable! poursuivit Fouquet en s'exaltant de plus en plus, ce crime plus exécrable qu'un assassinat! ce crime qui déshonore à jamais mon nom et me voue à l'horreur de la postérité.

– Çà, vous êtes en délire, monsieur, répondit Aramis d'une voix mal assurée, vous parlez trop haut: prenez garde!

– Je crierai si haut, que l'univers m'entendra.

– Monsieur Fouquet, prenez garde!

Fouquet se retourna vers le prélat, qu'il regarda en face.

– Oui, dit-il, vous m'avez déshonoré en commettant cette trahison, ce forfait, sur mon hôte, sur celui qui reposait paisiblement sous mon toit! oh! malheur à moi!

– Malheur sur celui qui méditait, sous votre toit, la ruine de votre fortune, de votre vie! oubliez-vous cela?

– C'était mon hôte, c'était mon roi!

Aramis se leva, les yeux injectés de sang, la bouche convulsive.

– Ai-je affaire à un insensé? dit-il.

– Vous avez affaire à un honnête homme.

– Fou!

– À un homme qui vous empêchera de consommer votre crime.

– Fou!

– À un homme qui aime mieux mourir, qui aime mieux vous tuer que de laisser consommer son déshonneur.

Et Fouquet, se précipitant sur son épée, replacée par d'Artagnan au chevet du lit, agita résolument dans ses mains l'étincelant carrelet d'acier.

Aramis fronça le sourcil, glissa une main dans sa poitrine, comme, s'il y cherchait une arme. Ce mouvement n'échappa point à Fouquet. Aussi, noble et superbe en sa magnanimité, jeta-t-il loin de lui son épée, qui alla rouler dans la ruelle du lit, et, s'approchant d'Aramis, de façon à lui toucher l'épaule de sa main désarmée:

– Monsieur, dit-il, il me serait doux de mourir ici pour ne pas survivre à mon opprobre, et, si vous avez encore quelque amitié pour moi, je vous en supplie, donnez-moi la mort.

Aramis resta silencieux et immobile.

– Vous ne répondez rien?

Aramis releva doucement la tête, et l'on vit l'éclair de l'espoir se rallumer encore une fois dans ses yeux.

– Réfléchissez, dit-il, monseigneur, à tout ce qui nous attend. Cette justice étant faite, le roi vit encore, et son emprisonnement vous sauve la vie.

– Oui, répliqua Fouquet, vous avez pu agir dans mon intérêt, mais je n'accepte pas votre service. Toutefois, je ne veux point vous perdre. Vous allez sortir de cette maison.

Aramis étouffa l'éclair qui jaillissait de son coeur brisé.

– Je suis hospitalier pour tous, continua Fouquet avec une inexprimable majesté; vous ne serez pas plus sacrifié, vous, que ne le sera celui dont vous aviez consommé la perte.

– Vous le serez, vous, dit Aramis d'une voix sourde et prophétique; vous le serez, vous le serez!

– J'accepte l'augure, monsieur d'Herblay; mais rien ne m'arrêtera. Vous allez quitter Vaux, vous allez quitter la France; je vous donne quatre heures pour vous mettre hors de la portée du roi.

– Quatre heures? fit Aramis railleur et incrédule.

– Foi de Fouquet! nul ne vous suivra avant ce délai. Vous aurez donc quatre heures d'avance sur tous ceux que le roi voudrait expédier après vous.

– Quatre heures! répéta Aramis en rugissant.

– C'est plus qu'il n'en faut pour vous embarquer et gagner Belle-

Île, que je vous donne pour refuge.

– Ah! murmura Aramis.

– Belle-Île, c'est à moi pour vous, comme Vaux est à moi pour le roi. Allez, d'Herblay, allez! tant que je vivrai, il ne tombera pas un cheveu de votre tête.

– Merci! dit Aramis avec une sombre ironie.

– Partez donc, et me donnez la main pour que tous deux nous courions, vous, au salut de votre vie, moi, au salut de mon honneur.

Aramis retira de son sein la main qu'il y avait cachée. Elle était rouge de son sang; elle avait labouré sa poitrine avec ses ongles, comme pour punir la chair d'avoir enfanté tant de projets plus vains, plus fous, plus périssables que la vie de l'homme. Fouquet eut horreur, eut pitié: il ouvrit les bras à Aramis.

– Je n'avais pas d'armes, murmura celui-ci, farouche et terrible comme l'ombre de Didon.

Puis, sans toucher la main de Fouquet, il détourna sa vue et fit deux pas en arrière. Son dernier mot fut une imprécation; son dernier geste fut l'anathème que dessina cette main rougie, en tachant Fouquet au visage de quelques gouttelettes de son sang.

Et tous deux s'élancèrent hors de la chambre par l'escalier secret, qui aboutissait aux cours intérieures.

Fouquet commanda ses meilleurs chevaux, et Aramis s'arrêta au bas de l'escalier qui conduisait à la chambre de Porthos. Il réfléchit longtemps, pendant que le carrosse de Fouquet quittait au grand galop le pavé de la cour principale.

– Partir seul?.. se dit Aramis. Prévenir le prince?.. Oh! fureur!.. Prévenir le prince, et alors quoi faire?.. Partir avec lui?.. Traîner partout ce témoignage accusateur?.. La guerre?.. La guerre civile, implacable?.. Sans ressource, hélas!.. Impossible!.. Que fera-t-il sans moi?.. Oh! sans moi, il s'écroulera comme moi… Qui sait?.. Que la destinée s'accomplisse!.. Il était condamné, qu'il demeure condamné!.. Dieu!.. Démon!.. Sombre et railleuse puissance qu'on appelle le génie de l'homme, tu n'es qu'un souffle plus incertain, plus inutile que le vent dans la montagne; tu t'appelles hasard, tu n'es rien; tu embrasses tout de ton haleine, tu soulèves les quartiers de roc, la montagne elle-même, et tout à coup tu te brises devant la croix de bois mort, derrière laquelle vit une autre puissance invisible… que tu niais peut-être, et qui se venge de toi, et qui t'écrase sans te faire même l'honneur de dire son nom!.. Perdu!.. Je suis perdu!.. Que faire?.. Aller à Belle-Île?.. Oui. Et Porthos qui va rester ici, et parler, et tout conter à tous! Porthos, qui souffrira peut-être!.. Je ne veux pas que Porthos souffre. C'est un de mes membres: sa douleur est mienne. Porthos partira avec moi, Porthos suivra ma destinée. Il le faut.

Et Aramis, tout à la crainte de rencontrer quelqu'un à qui cette précipitation pût paraître suspecte, Aramis gravit l'escalier sans être aperçu de personne.

Porthos, revenu à peine de Paris, dormait déjà du sommeil du juste. Son corps énorme oubliait la fatigue, comme son esprit oubliait la pensée.

Aramis entra léger comme une ombre, et posa sa main nerveuse sur l'épaule du géant.

– Allons cria-t-il, allons, Porthos, allons!

Porthos obéit, se leva, ouvrit les yeux avant d'avoir ouvert son intelligence.

– Nous partons, fit Aramis.

– Ah! fit Porthos.

– Nous partons à cheval, plus rapides que nous n'avons jamais couru.

– Ah! répéta Porthos.

– Habillez-vous, ami.

Et il aida le géant à s'habiller, et lui mit dans les poches son or et ses diamants.

Tandis qu'il se livrait à cette opération, un léger bruit attira sa pensée.

D'Artagnan regardait à l'embrasure de la porte.

Aramis tressaillit.

– Que diable faites-vous là, si agité? dit le mousquetaire.

– Chut! souffla Porthos.

– Nous partons en mission, ajouta l'évêque.

– Vous êtes bien heureux! dit le mousquetaire.

– Peuh! fit Porthos, je me sens fatigué; j'eusse aimé mieux dormir; mais le service du roi!..

– Est-ce que vous avez vu M. Fouquet? dit Aramis à d'Artagnan.

– Oui, en carrosse, à l'instant.

– Et que vous a-t-il dit?

– Il m'a dit adieu.

– Voilà tout?

– Que vouliez-vous qu'il me dît autre chose? Est-ce que je ne compte pas pour rien depuis que vous êtes tous en faveur?

– Écoutez, dit Aramis en embrassant le mousquetaire, votre bon temps est revenu; vous n'aurez plus à être jaloux de personne.

– Ah bah!

– Je vous prédis pour ce jour un événement qui doublera votre position.

– En vérité!

– Vous savez que je sais les nouvelles?

– Oh! oui!

– Allons, Porthos, vous êtes prêt? Partons!

– Partons!

– Et embrassons d'Artagnan.

– Pardieu!

– Les chevaux?

– Il n'en manque pas ici. Voulez-vous le mien?

– Non, Porthos a son écurie. Adieu! adieu!

Les deux fugitifs montèrent à cheval sous les yeux du capitaine des mousquetaires, qui tint l'étrier à Porthos et accompagna ses amis du regard, jusqu'à ce qu'il les eût vus disparaître.

«En toute autre occasion, pensa le Gascon, je dirais que ces gens- là se sauvent; mais, aujourd'hui, la politique est si changée, que cela s'appelle aller en mission. Je le veux bien. Allons à nos affaires.»

Et il rentra philosophiquement à son logis.

Chapitre CCXXVIII – Comment la consigne était respectée à la Bastille

Fouquet brûlait le pavé. Chemin faisant, il s'agitait d'horreur à l'idée de ce qu'il venait d'apprendre.

Qu'était donc, pensait-il, la jeunesse de ces hommes prodigieux, qui, dans l'âge déjà faible, savent encore composer des plans pareils et les exécuter sans sourciller?

Parfois, il se demandait si tout ce qu'Aramis lui avait conté n'était point un rêve, si la fable n'était pas le piège lui-même, et si, en arrivant à la Bastille, lui, Fouquet, il n'allait pas trouver un ordre d'arrestation qui l'enverrait rejoindre le roi détrôné.

Dans cette idée, il donna quelques ordres cachetés sur sa route, tandis qu'on attelait les chevaux. Ces ordres s'adressaient à M. d'Artagnan et à tous les chefs de corps dont la fidélité ne pouvait être suspecte.

«De cette façon, se dit Fouquet, prisonnier ou non, j'aurai rendu le service que je dois à la cause de l'honneur. Les ordres n'arriveront qu'après moi si je reviens libre, et, par conséquent, on ne les aura pas décachetés. Je les reprendrai. Si je tarde, c'est qu'il me sera arrivé malheur. Alors j'aurai du secours pour moi et pour le roi.»

C'est ainsi préparé qu'il arriva devant la Bastille. Le surintendant avait fait cinq lieues et demie à l'heure.

Tout ce qui n'était jamais arrivé à Aramis arriva dans la Bastille à M. Fouquet. M. Fouquet eut beau se nommer, il eut beau se faire reconnaître, il ne put jamais être introduit.

À force de solliciter, de menacer, d'ordonner, il décida un factionnaire à prévenir un bas officier qui prévint le major. Quant au gouverneur, on n'eût pas même osé le déranger pour cela.

Fouquet, dans son carrosse, à la porte de la forteresse, rongeait son frein et attendait le retour de ce bas officier, qui reparut enfin d'un air assez maussade.

– Eh bien! dit Fouquet impatiemment, qu'a dit le major?

– Eh bien! monsieur répliqua le soldat, M. le major m'a ri au nez. Il m'a dit que M. Fouquet est à Vaux, et que, fût-il à Paris, M. Fouquet ne se lèverait pas à l'heure qu'il est.

– Mordieu! vous êtes un troupeau de drôles! s'écria le ministre en s'élançant hors du carrosse.

Et, avant que le bas officier eût le temps de fermer la porte, Fouquet s'introduisit par la fente, et courut en avant, malgré les cris du soldat qui appelait à l'aide.

Fouquet gagnait du terrain, peu soucieux des cris de cet homme, lequel, ayant enfin joint Fouquet, répéta à la sentinelle de la seconde porte:

– À vous, à vous, sentinelle!

Le factionnaire croisa la pique sur le ministre; mais celui-ci, robuste et agile, emporté d'ailleurs par la colère, arracha la pique des mains du soldat et lui en caressa rudement les épaules. Le bas officier, qui s'approchait trop, eut sa part de la distribution: tous deux poussèrent des cris furieux, au bruit desquels sortit tout le premier corps de garde de l'avancée.

Parmi ces gens, il y en eut un qui reconnut le surintendant et s'écria:

– Monseigneur!.. Ah! monseigneur!.. Arrêtez, vous autres!

Et il arrêta effectivement les gardes qui se préparaient à venger leurs compagnons.

Fouquet commanda qu'on lui ouvrit la grille; mais on lui objecta la consigne.

Il ordonna qu'on prévînt le gouverneur; mais celui-ci était déjà instruit de tout le bruit de la porte; à la tête d'un piquet de vingt hommes, il accourait, suivi de son major, dans la persuasion qu'une attaque avait lieu contre la Bastille.

Baisemeaux reconnut aussi Fouquet, et laissa tomber son épée qu'il tenait déjà toute brandie.

– Ah! monseigneur, balbutia-t-il, que d'excuses!..

– Monsieur, fit le surintendant rouge de chaleur et tout suant, je vous fais mon compliment: votre service se fait à merveille.

Baisemeaux pâlit, croyant que ces paroles n'étaient qu'une ironie, présage de quelque furieuse colère. Mais Fouquet avait repris haleine, appelant du geste la sentinelle et le bas officier, qui se frottaient les épaules.

– Il y a vingt pistoles pour le factionnaire, dit-il, cinquante pour l'officier. Mon compliment, messieurs! j'en parlerai au roi. À nous deux, monsieur de Baisemeaux.

Et, sur un murmure de satisfaction générale, il suivit le gouverneur au Gouvernement.

Baisemeaux tremblait déjà de honte et d'inquiétude. La visite matinale d'Aramis lui semblait avoir, dès à présent, des conséquences dont un fonctionnaire pouvait, à bon droit, s'épouvanter.

Ce fut bien autre chose encore quand Fouquet, d'une voix brève et avec un regard impérieux:

– Monsieur, dit-il, vous avez vu M. d'Herblay ce matin?

– Oui, monseigneur.

– Eh bien! monsieur, vous n'avez pas horreur du crime dont vous vous êtes rendu complice?

«Allons, bien!» pensa Baisemeaux.

Puis il ajouta tout haut:

– Mais quel crime, monseigneur?

– Il y a là de quoi vous faire écarteler, monsieur, songez-y! Mais ce n'est pas le moment de s'irriter. Conduisez-moi sur-le- champ auprès du prisonnier.

– Auprès de quel prisonnier? fit Baisemeaux frémissant.

– Vous faites l'ignorant, soit! C'est ce que vous pouvez faire de mieux. En effet, si vous avouiez une pareille complicité, ce serait fait de vous. Je veux donc bien paraître ajouter foi à votre ignorance.

– Je vous prie, monseigneur…

– C'est bien. Conduisez-moi auprès du prisonnier.

– Auprès de Marchiali?

– Qu'est-ce que c'est que Marchiali?

– C'est le détenu amené ce matin par M. d'Herblay.

– On l'appelle Marchiali? fit le surintendant, troublé dans ses convictions par la naïve assurance de Baisemeaux.

– Oui, monseigneur, c'est sous ce nom qu'on l'a inscrit ici.

Fouquet regarda jusqu'au fond du coeur de Baisemeaux. Il lut, avec cette habitude des hommes que donne l'usage du pouvoir, une sincérité absolue. D'ailleurs, en observant une minute cette physionomie, comment croire qu'Aramis eût pris un pareil confident?

– C'est, dit-il au gouverneur, le prisonnier que M. d'Herblay avait emmené avant-hier?

– Oui, monseigneur.

– Et qu'il a ramené ce matin? ajouta vivement Fouquet, qui comprit aussitôt le mécanisme du plan d'Aramis.

– C'est cela; oui, monseigneur.

– Et il s'appelle Marchiali?

– Marchiali. Si Monseigneur vient ici pour me l'enlever tant mieux; car j'allais écrire encore à son sujet.

– Que fait-il donc?

– Depuis ce matin, il me mécontente extrêmement; il a des accès de rage à faire croire que la Bastille s'écroulera par son fait.

– Je vais vous en débarrasser, en effet, dit Fouquet.

– Ah! tant mieux.

– Conduisez-moi à sa prison.

– Monseigneur me donnera bien l'ordre…

– Quel ordre?

– Un ordre du roi.

– Attendez que je vous en signe un.

– Cela ne suffirait pas, monseigneur; il me faut l'ordre du roi.

– Vous qui êtes si scrupuleux, dit-il pour faire sortir les prisonniers, montrez-moi donc l'ordre avec lequel on avait délivré celui-ci.

Baisemeaux montra l'ordre de délivrer Seldon.

– Eh bien! fit Fouquet, Seldon, ce n'est pas Marchiali.

– Mais Marchiali n'est pas libéré, monseigneur; il est ici.

– Puisque vous dites que M. d'Herblay l'a emmené et ramené.

– Je n'ai pas dit cela.

– Vous l'avez si bien dit, qu'il me semble encore l'entendre.

– La langue m'a fourché.

– Monsieur de Baisemeaux, prenez garde!

– Je n'ai rien à craindre, monseigneur, je suis en règle.

– Osez-vous le dire?

– Je le dirais devant un apôtre. M. d'Herblay m'a apporté un ordre de libérer Seldon, et Seldon est libéré.

– Je vous dis que Marchiali est sorti de la Bastille.

– Il faut me prouver cela, monseigneur.

– Laissez-le-moi voir?

– Monseigneur, qui gouverne en ce royaume, sait trop bien que nul n'entre auprès des prisonniers sans un ordre exprès du roi.

– M. d'Herblay est bien entré lui.

– C'est ce qu'il faudrait prouver, monseigneur.

– Monsieur de Baisemeaux, encore une fois, faites attention à vos paroles.

– Les actes sont là.

– M. d'Herblay est renversé.

– Renversé, M. d'Herblay? Impossible!

– Vous voyez qu'il vous a influencé.

– Ce qui m'influence, monseigneur, c'est le service du roi; je fais mon devoir; donnez-moi un ordre de lui, et vous entrerez.

– Tenez, monsieur le gouverneur, je vous engage ma parole que, si vous me laissez pénétrer près du prisonnier, je vous donne un ordre du roi à l'instant.

– Donnez-le tout de suite, monseigneur.

– Et que, si vous me refusez, je vous fais arrêter sur-le-champ avec tous vos officiers.

– Avant de commettre cette violence, monseigneur, vous réfléchirez, dit Baisemeaux fort pâle, que nous n'obéirons qu'à un ordre du roi, et qu'il sera aussitôt fait à vous d'en avoir un pour voir M. Marchiali, que d'en obtenir un pour me faire tant de mal, à moi innocent.

– C'est vrai! s'écria Fouquet furieux, c'est vrai! Eh bien! monsieur de Baisemeaux, ajouta-t-il d'une voix sonore, en attirant à lui le malheureux, savez-vous pourquoi je veux avec tant d'ardeur parler à ce prisonnier?

– Non, monseigneur, et daignez observer combien vous me causez de frayeur; j'en tremble, je vais tomber en défaillance.

– Vous tomberez encore mieux en défaillance tout à l'heure, monsieur Baisemeaux, quand je reviendrai ici avec dix-mille hommes et trente pièces de canon.

– Mon Dieu! voilà Monseigneur qui devient fou!

– Quand j'ameuterai contre vous et vos maudites tours tout le peuple de Paris, et que je forcerai vos portes et que je vous ferai pendre aux créneaux de la tour du coin!

– Monseigneur, monseigneur, par grâce!

– Je vous donne dix minutes pour vous résoudre, ajouta Fouquet d'une voix calme; je m'assieds ici, dans ce fauteuil, et vous attends. Si dans dix minutes vous persistez, je sors, et croyez- moi fou tant qu'il vous plaira; mais vous verrez!

Baisemeaux frappa du pied comme un homme au désespoir, mais ne répliqua rien.

Ce que voyant, Fouquet saisit une plume, de l'encre, et écrivit:

«Ordre à M. le prévôt des marchands de rassembler la garde bourgeoise et de marcher sur la Bastille, pour le service du roi.»

Baisemeaux haussa les épaules; Fouquet écrivit:

«Ordre à M. le duc de Bouillon et à M. le prince de Condé de prendre le commandement des suisses et des gardes, et de marcher sur la Bastille, pour le service de Sa Majesté…»

Baisemeaux réfléchit. Fouquet écrivit:

«Ordre à tout soldat, bourgeois ou gentilhomme, de saisir et d'appréhender au corps, partout où ils se trouveront, le chevalier d'Herblay, évêque de Vannes, et ses complices qui sont: 1° M. de Baisemeaux, gouverneur de la Bastille, suspect des crimes de trahison, rébellion et lèse-majesté…»

– Arrêtez, monseigneur, s'écria Baisemeaux; je n'y comprends absolument rien; mais tant de maux, fussent-ils déchaînés par la folie même, peuvent arriver d'ici à deux heures, que le roi, qui me jugera, verra si j'ai eu tort de faire fléchir la consigne devant tant de catastrophes imminentes. Allons au donjon, monseigneur; vous verrez Marchiali.

Fouquet s'élança hors de la chambre, et Baisemeaux le suivit, en essuyant la sueur froide qui ruisselait de son front.

– Quelle affreuse matinée! disait-il; quelle disgrâce!

– Marchez vite! répondait Fouquet.

Baisemeaux fit signe au porte-clefs de les précéder. Il avait peur de son compagnon. Celui-ci s'en aperçut.

– Trêve d'enfantillages! dit-il rudement. Laissez là cet homme; prenez les clefs vous-même et me montrez le chemin. Il ne faut pas que personne, comprenez-vous, puisse entendre ce qui va se passer ici.

– Ah! fit Baisemeaux indécis.

– Encore! s'écria Fouquet. Ah! dites tout de suite non et je vais sortir de la Bastille pour porter moi-même mes dépêches.

Baisemeaux baissa la tête, prit les clefs et gravit, seul avec le ministre, l'escalier de la tour.

À mesure qu'ils s'avançaient dans cette tourbillonnante spirale, certains murmures étouffés devenaient des cris distincts et d'affreuses imprécations.

– Qu'est-ce que cela? demanda Fouquet.

– C'est votre Marchiali, fit le gouverneur; voilà comment hurlent les fous!

Il accompagna cette réponse d'un coup d'oeil plus rempli d'allusions blessantes que de politesse pour Fouquet.

Celui-ci frissonna. Il venait, dans un cri plus terrible que les autres, de reconnaître la voix du roi.

Il s'arrêta au palier, prit le trousseau des mains de Baisemeaux. Celui-ci crut que le nouveau fou allait lui rompre le crâne avec l'une de ces clefs.

– Ah! cria-t-il, M. d'Herblay ne m'avait point parlé de cela.

– Ces clefs donc! dit Fouquet en les lui arrachant. Où est celle de la porte que je veux ouvrir?

– Celle-ci.

Un cri effrayant, suivi d'un coup terrible dans la porte, vint faire écho dans l'escalier.

– Retirez-vous! dit Fouquet à Baisemeaux d'une voix menaçante.

– Je ne demande pas mieux, murmura celui-ci. Voilà deux enragés qui vont se trouver face à face. L'un mangera l'autre, j'en suis assuré.

– Partez, répéta Fouquet. Si vous mettez le pied dans cet escalier avant que je vous appelle, souvenez-vous que vous prendrez la place du plus misérable des prisonniers de la Bastille.

– J'en mourrai, c'est sûr! grommela Baisemeaux en se retirant d'un pas chancelant.

Les cris du prisonnier retentissaient, de plus en plus formidables. Fouquet s'assura que Baisemeaux arrivait au bas des degrés. Il mit la clef dans la première serrure.

Ce fut alors qu'il entendit clairement la voix étranglée au roi qui criait avec rage:

– Au secours! je suis le roi! au secours!

La clef de la seconde porte n'était pas la même que celle de la première. Fouquet fut obligé de chercher dans le trousseau.

Cependant, le roi ivre, fou, forcené, criait à tue-tête:

– C'est M. Fouquet qui m'a fait conduire ici! Au secours contre

M. Fouquet! je suis le roi! au secours pour le roi contre

M. Fouquet!

Ces vociférations déchiraient le coeur du ministre. Elles étaient suivies de coups effrayants, frappés dans la porte avec cette chaise dont le roi se servait comme d'un bélier. Fouquet réussit à trouver la clef. Le roi était à bout de ses forces: il n'articulait plus, il rugissait.

– Mort à Fouquet! hurlait-il, mort au scélérat Fouquet!

La porte s'ouvrit.

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Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
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