Kitabı oku: «Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.», sayfa 31
Chapitre CCLIII – La grotte de Locmaria
Le souterrain de Locmaria était assez éloigné du môle pour que les deux amis dussent ménager leurs forces avant d'y arriver.
D'ailleurs, la nuit s'avançait; minuit avait sonné au fort;
Porthos et Aramis étaient chargés d'argent et d'armes.
Ils cheminaient donc dans la lande qui sépare le môle de ce souterrain, écoutant tous les bruits et tâchant d'éviter toutes les embûches.
De temps en temps, sur la route qu'ils avaient soigneusement laissée à leur gauche, passaient des fuyards venant de l'intérieur des terres, à la nouvelle du débarquement des troupes royales.
Aramis et Porthos, cachés derrière quelque anfractuosité de rocher, recueillaient les mots échappés aux pauvres gens qui fuyaient tout tremblants, portant avec eux leurs effets les plus précieux, et tâchaient, en entendant leurs plaintes, d'en conclure quelque chose pour leur intérêt.
Enfin, après une course rapide, mais fréquemment interrompue par des stations prudentes, ils atteignirent ces grottes profondes dans lesquelles le prévoyant évêque de Vannes avait eu soin de faire rouler sur des cylindres une bonne barque capable de tenir la mer dans cette belle saison.
– Mon bon ami, dit Porthos après avoir respiré bruyamment, nous sommes arrivés, à ce qu'il me paraît; mais je crois que vous m'avez parlé de trois hommes, de trois serviteurs qui devaient nous accompagner. Je ne les vois pas; où sont-ils donc?
– Pourquoi les verriez-vous, cher Porthos? répondit Aramis. Ils nous attendent certainement dans la caverne, et sans nul doute, ils se reposent un moment après avoir accompli ce rude et difficile travail.
Aramis arrêta Porthos, qui se préparait à entrer dans le souterrain.
– Voulez-vous, mon bon ami, dit-il au géant, me permettre de passer le premier? Je connais le signal que j'ai donné à nos hommes, et nos gens, ne l'entendant pas, seraient dans le cas de faire feu sur vous ou de vous lancer leur couteau dans l'ombre.
– Allez, cher Aramis, allez le premier, vous êtes tout sagesse et tout prudence, allez. Aussi bien, voilà cette fatigue dont je vous ai parlé qui me reprend encore une fois.
Aramis laissa Porthos s'asseoir à l'entrée de la grotte, et, courbant la tête, il pénétra dans l'intérieur de la caverne en imitant le cri de la chouette.
Un petit roucoulement plaintif, un cri à peine distinct, répondit dans la profondeur du souterrain.
Aramis continua sa marche prudente, et bientôt il fut arrêté par le même cri qu'il avait le premier fait entendre, et ce cri était lancé à dix pas de lui.
– Êtes-vous là, Yves? fit l'évêque.
– Oui, monseigneur. Goennec est là aussi. Son fils nous accompagne.
– Bien. Toutes choses sont-elles prêtes?
– Oui, monseigneur.
– Allez un peu à l'entrée des grottes, mon bon Yves, et vous y trouverez le seigneur de Pierrefonds, qui se repose, fatigué qu'il est de sa course. Et si, par hasard, il ne peut pas marcher, enlevez-le et l'apportez ici près de moi.
Les trois Bretons obéirent. Mais la recommandation d'Aramis à ses serviteurs était inutile. Porthos, rafraîchi, avait déjà lui-même commencé la descente, et son pas pesant résonnait au milieu des cavités formées et soutenues par les colonnes de silex et de granit.
Dès que le seigneur de Bracieux eut rejoint l'évêque, les Bretons allumèrent une lanterne dont ils s'étaient munis, et Porthos assura son ami qu'il se sentait désormais fort comme à l'ordinaire.
– Visitons le canot, dit Aramis, et assurons-nous d'abord de ce qu'il renferme.
– N'approchez pas trop la lumière, dit le patron Yves; car, ainsi que vous avez bien voulu me le recommander, monseigneur, j'ai mis sous le banc de poupe, dans le coffre, vous savez, le baril de poudre et les charges de mousquet que vous m'aviez envoyés du fort.
– Bien, fit Aramis.
Et, prenant lui-même la lanterne, il visita minutieusement toutes les parties du canot avec les précautions d'un homme qui n'est ni timide ni ignorant en face du danger.
Le canot était long, léger, tirant peu d'eau, mince de quille, enfin de ceux que l'on a toujours si bien construits à Belle-Île, un peu haut de bord, solide sur l'eau, très maniable, muni de planches qui, dans les temps incertains, forment une sorte de pont sur lequel glissent les lames, et qui peuvent protéger les rameurs.
Dans deux coffres bien clos, placés sous les bancs de proue et de poupe, Aramis trouva du pain, du biscuit, des fruits secs, un quartier de lard, une bonne provision d'eau dans des outres; le tout formant des rations suffisantes pour des gens qui ne devaient jamais quitter la côte, et se trouvaient à même de se ravitailler si le besoin le commandait.
Les armes, huit mousquets et autant de pistolets de cavalier, étaient en bon état et toutes chargées. Il avait des avirons de rechange en cas d'accident et cette petite voile appelée trinquette, qui aide la marche du canot en même temps que les rameurs nagent, qui est si utile lorsque la brise se fait sentir, et qui ne charge pas l'embarcation.
Lorsque Aramis eut reconnu toutes ces choses, et qu'il se fut montré content du résultat de son inspection:
– Consultons-nous, dit-il, cher Porthos, pour savoir s'il faut essayer de faire sortir la barque par l'extrémité inconnue de la grotte, en suivant la pente et l'ombre du souterrain, ou s'il vaut mieux, à ciel découvert, la faire glisser sur les rouleaux, par les bruyères, en aplanissant le chemin de la petite falaise, qui n'a pas vingt pieds de haut, et donne à son pied, dans la marée, trois ou quatre brasses de bonne eau sur un bon fond.
– Qu'à cela ne tienne, monseigneur répliqua le patron Yves respectueusement; mais je ne crois pas que par la pente du souterrain et dans l'obscurité où nous serons obligés de manoeuvrer notre embarcation, le chemin soit aussi commode qu'en plein air. Je connais bien la falaise, et je puis vous certifier qu'elle est unie comme un gazon de jardin; l'intérieur de la grotte, au contraire, est raboteux; sans compter encore, monseigneur, que, à l'extrémité, nous trouverons le boyau qui mène à la mer, et peut-être le canot n'y passera pas.
– J'ai fait mes calculs, répondit l'évêque, et j'ai la certitude qu'il passerait.
– Soit; je le veux bien, monseigneur, insista le patron; mais Votre Grandeur sait bien que, pour le faire atteindre à l'extrémité du boyau, il faut lever une énorme pierre, celle sous laquelle passe toujours le renard, et qui ferme le boyau comme une porte.
– On la lèvera, dit Porthos; ce n'est rien.
– Oh! je sais que Monseigneur a la force de dix hommes, répliqua
Yves; seulement, c'est bien du mal pour Monseigneur.
– Je crois que le patron pourrait avoir raison, dit Aramis.
Essayons du ciel ouvert.
– D'autant plus, monseigneur, continua le pêcheur, que nous ne saurions nous embarquer avant le jour, tant il y a de travail, et que, aussitôt que le jour paraîtra, une bonne vedette, placée sur la partie supérieure de la grotte, nous sera nécessaire, indispensable même, pour surveiller les manoeuvres des chalands ou des croiseurs qui nous guetteraient.
– Oui, Yves, oui, votre raison est bonne; on va passer sur la falaise.
Et les trois robustes Bretons allaient, plaçant leurs rouleaux sous la barque, la mettre en mouvement, lorsque des aboiements lointains de chiens se firent entendre dans la campagne. Aramis s'élança hors de la grotte; Porthos le suivit.
L'aube teignait de pourpre et de nacre les flots et la plaine; dans le demi-jour, on voyait les petits sapins mélancoliques se tordre sur les pierres, et de longues volées de corbeaux rasaient de leurs ailes noires les maigres champs de sarrasin.
Un quart d'heure encore et le jour serait plein; les oiseaux, réveillés, l'annonçaient joyeusement par leurs chants à toute la nature.
Les aboiements qu'on avait entendus, et qui avaient arrêté les trois pêcheurs prêts à remuer la barque, et fait sortir Aramis et Porthos, se prolongeaient dans une gorge profonde, à une lieue environ de la grotte.
– C'est une meute, dit Porthos; les chiens sont lancés sur une piste.
– Qu'est cela? qui chasse en un pareil moment? pensa Aramis.
– Et par ici, surtout, continua Porthos, par ici où l'on craint l'arrivée des royaux!
– Le bruit se rapproche. Oui, vous avez raison Porthos, les chiens sont sur une trace.
– Eh! mais! s'écria tout à coup Aramis, Yves, Yves, venez donc!
Yves accourut, laissant là le cylindre qu'il tenait encore et qu'il allait placer sous la barque quand cette exclamation de l'évêque interrompit sa besogne.
– Qu'est-ce que cette chasse, patron? dit Porthos.
– Eh! monseigneur, répliqua le Breton, je n'y comprends rien. Ce n'est pas en un pareil moment que le seigneur de Locmaria chasserait. Non; et, pourtant, les chiens…
– À moins qu'ils ne se soient échappés du chenil.
– Non, dit Goennec, ce ne sont pas là les chiens du seigneur de
Locmaria.
– Par prudence, reprit Aramis, rentrons dans la grotte; évidemment les voix approchent, et, tout à l'heure, nous saurons à quoi nous en tenir.
Ils rentrèrent; mais ils n'avaient pas fait cent pas dans l'ombre qu'un bruit, semblable au rauque soupir d'une créature effrayée, retentit dans la caverne; et, haletant, rapide, effrayé, un renard passa comme un éclair devant les fugitifs, sauta par-dessus la barque et disparut laissant après lui son fumet âcre, conservé quelques secondes sous les voûtes basses du souterrain.
– Le renard! crièrent les Bretons avec la joyeuse surprise du chasseur.
– Maudits soyons-nous!cria l'évêque, notre retraite est découverte.
– Comment cela? dit Porthos; avons-nous peur d'un renard?
– Eh! mon ami, que dites-vous donc, et que vous inquiétez-vous du renard? Ce n'est pas de lui qu'il s'agit, pardieu! Mais ne savez- vous pas, Porthos, qu'après le renard viennent les chiens, et qu'après les chiens viennent les hommes?
Porthos baissa la tête.
On entendit, comme pour confirmer les paroles d'Aramis, la meute grondeuse arriver avec une effrayante vitesse sur la piste de l'animal.
Six chiens courants débouchèrent au même instant dans la petite lande, avec un bruit de voix qui ressemblait à la fanfare d'un triomphe.
– Voilà bien les chiens, dit Aramis, posté à l'affût derrière une lucarne pratiquée entre deux rochers; quels sont les chasseurs, maintenant?
– Si c'est le seigneur de Locmaria, répondit le patron, il laissera les chiens fouiller la grotte; car il les connaît, et il n'y pénétrera pas lui-même, assuré qu'il sera que le renard sortira de l'autre côté; c'est là qu'il ira l'attendre.
– Ce n'est pas le seigneur de Locmaria qui chasse, répondit l'évêque en pâlissant malgré lui.
– Qui donc, alors? dit Porthos.
– Regardez.
Porthos appliqua son oeil à la lucarne et vit, au sommet du monticule, une douzaine de cavaliers qui poussaient leurs chevaux sur la trace des chiens, en criant: «Taïaut!»
– Les gardes! dit-il.
– Oui, mon ami, les gardes du roi.
– Les gardes du roi, dites-vous, monseigneur? s'écrièrent les
Bretons en pâlissant à leur tour.
– Et Biscarrat à leur tête, monté sur mon cheval gris, continua
Aramis.
Les chiens, au même moment, se précipitèrent dans la grotte comme une avalanche, et les profondeurs de la caverne s'emplirent de leurs cris assourdissants.
– Ah! diable! fit Aramis reprenant tout son sang-froid à la vue de ce danger, certain, inévitable. Je sais bien que nous sommes perdus; mais, au moins, il nous reste une chance: si les gardes qui vont suivre leurs chiens, viennent à s'apercevoir qu'il y a une issue aux grottes, plus d'espoir; car, en entrant ici, ils découvriront la barque et nous-mêmes. Il ne faut pas que les chiens sortent du souterrain. Il ne faut pas que les maîtres y entrent.
– C'est juste, dit Porthos.
– Vous comprenez, ajouta l'évêque avec la rapide précision du commandement: il y a là six chiens, qui seront forcés de s'arrêter à la grosse pierre sous laquelle le renard s'est glissé, mais à l'ouverture trop étroite de laquelle ils seront, eux, arrêtés et tués.
Les Bretons s'élancèrent, le couteau à la main.
Quelques minutes après, un lamentable concert de gémissements, de hurlements mortels; puis, plus rien.
– Bien, dit Aramis froidement. Aux maîtres, maintenant!
– Que faire? dit Porthos.
– Attendre l'arrivée, se cacher et tuer.
– Tuer? répéta Porthos.
– Ils sont seize, dit Aramis, du moins pour le moment.
– Et bien armés, ajouta Porthos avec un sourire de consolation.
– Cela durera dix minutes, dit Aramis. Allons!
Et, d'un air résolu, il prit un mousquet et mit son couteau de chasse entre ses dents.
– Yves, Goennec et son fils, continua Aramis, vont nous passer les mousquets. Vous Porthos, vous ferez feu à bout portant. Nous en aurons abattu huit avant que les autres s'en doutent, c'est certain; puis tous, nous sommes cinq, nous dépêcherons les huit derniers le couteau à la main.
– Et ce pauvre Biscarrat? dit Porthos.
Aramis réfléchit un moment.
– Biscarrat le premier, répliqua-t-il froidement. Il nous connaît.
Chapitre CCLIV – La grotte
Malgré l'espèce de divination qui était le côté remarquable du caractère d'Aramis, l'événement, subissant les chances des choses soumises au hasard, ne s'accomplit pas tout à fait comme l'avait prévu l'évêque de Vannes.
Biscarrat, mieux monté que ses compagnons, arriva le premier à l'ouverture de la grotte, et comprit que, renard et chiens, tout s'était engouffré là. Seulement, frappé de cette terreur superstitieuse qu'imprime naturellement à l'esprit de l'homme toute voie souterraine et sombre, il s'arrêta à l'extérieur de la grotte, et attendit que ses compagnons fussent réunis autour de lui.
– Eh bien? lui demandèrent les jeunes gens tout essoufflés, et ne comprenant rien à son inaction.
– Eh bien! on n'entend plus les chiens; il faut que renard et meute soient engloutis dans ce souterrain.
– Ils ont trop bien mené, dit un des gardes, pour avoir perdu tout à coup la voie. D'ailleurs, on les entendrait rabâcher d'un côté ou de l'autre. Il faut, comme le dit Biscarrat, qu'ils soient dans cette grotte.
– Mais alors, dit un des jeunes gens, pourquoi ne donnent-ils plus de voix?
– C'est étrange, dit un autre.
– Eh bien! mais, fit un quatrième, entrons dans cette grotte.
Est-ce qu'il est défendu d'y entrer, par hasard?
– Non, répliqua Biscarrat. Seulement, il y fait noir comme dans un four, et l'on peut s'y rompre le cou.
– Témoins nos chiens, dit un garde, qui se le sont rompu, à ce qu'il paraît.
– Que diable sont-ils devenus? se demandèrent en choeur les jeunes gens.
Et chaque maître appela son chien par son nom, le siffla de sa fanfare favorite, sans qu'un seul répondît, ni à l'appel, ni au sifflet.
– C'est peut-être une grotte enchantée, dit Biscarrat. Voyons.
Et mettant pied à terre, il fit un pas dans la grotte.
– Attends, attends, je t'accompagne, dit un des gardes voyant
Biscarrat prêt à disparaître dans la pénombre.
– Non, répondit Biscarrat, il faut qu'il y ait quelque chose d'extraordinaire; ne nous risquons donc pas tous à la fois. Si, dans dix minutes, vous n'avez point de mes nouvelles, vous entrerez, mais tous ensemble, alors.
– Soit, dirent les jeunes gens, qui ne voyaient point, d'ailleurs, pour Biscarrat grand danger à tenter l'entreprise; nous l'attendons.
Et, sans descendre de cheval, ils firent un cercle autour de la grotte.
Biscarrat entra donc seul, et avança dans les ténèbres jusque sous le mousquet de Porthos.
Cette résistance que rencontrait sa poitrine l'étonna; il allongea la main et saisit le canon glacé.
Au même instant, Yves levait sur le jeune homme un couteau, qui allait retomber sur lui de toute la force d'un bras breton, lorsque le poignet de fer de Porthos l'arrêta à moitié chemin.
Puis, comme un grondement sourd, cette voix se fit entendre dans l'obscurité:
– Je ne veux pas qu'on le tue, moi.
Biscarrat se trouvait pris entre une protection et une menace, presque aussi terribles l'une que l'autre.
Si brave que fût le jeune homme, il laissa échapper un cri, qu'Aramis comprima aussitôt, en lui menant un mouchoir sur la bouche.
– Monsieur de Biscarrat, lui dit-il à voix basse, nous ne vous voulons pas de mal, et vous devez le savoir si vous nous avez reconnus; mais, au premier mot, au premier soupir, au premier souffle, nous serons forcés de vous tuer comme nous avons tué vos chiens.
– Oui, je vous reconnais, messieurs, dit tout bas le jeune homme. Mais pourquoi êtes-vous ici? qu'y faites-vous? Malheureux! malheureux! je vous croyais dans le fort.
– Et vous, monsieur, vous deviez nous obtenir des conditions, ce me semble?
– J'ai fait ce que j'ai pu, messieurs; mais…
– Mais?..
– Mais il y a des ordres formels.
– De nous tuer?
Biscarrat ne répondit rien. Il lui en coûtait de parler de corde à des gentilshommes.
Aramis comprit le silence de son prisonnier.
Monsieur Biscarrat, dit-il, vous seriez déjà mort si nous n'avions eu égard à votre jeunesse et à notre ancienne liaison avec votre père; mais vous pouvez encore échapper d'ici en nous jurant que vous ne parlerez pas à vos compagnons de ce que vous avez vu.
– Non seulement je jure que je n'en parlerai point, dit Biscarrat, mais je jure encore que je ferai tout au monde pour empêcher mes compagnons de mettre le pied dans cette grotte.
– Biscarrat! Biscarrat! crièrent du dehors plusieurs voix qui vinrent s'engouffrer comme un tourbillon dans le souterrain.
– Répondez, dit Aramis.
– Me voici! cria Biscarrat.
– Allez, nous nous reposons sur votre loyauté.
Et il lâcha le jeune homme.
Biscarrat remonta vers la lumière.
– Biscarrat! Biscarrat! crièrent les voix plus rapprochées.
Et l'on vit se projeter à l'intérieur de la grotte les ombres de plusieurs formes humaines.
Biscarrat s'élança au-devant de ses amis pour les arrêter, et les rejoignit comme ils commençaient à s'aventurer dans le souterrain.
Aramis et Porthos prêtèrent l'oreille avec l'attention de gens qui jouent leur vie sur un souffle de l'air.
Biscarrat avait regagné l'entrée de la grotte, suivi de ses amis.
– Oh! oh! dit l'un d'eux en arrivant au jour, comme tu es pâle!
– Pâle! s'écria un autre; tu veux dire livide?
– Moi? fit le jeune homme essayant de rappeler toute sa puissance sur lui même.
– Mais, au nom du Ciel, que t'est-il donc arrivé? demandèrent toutes les voix.
– Tu n'as pas une goutte de sang dans les veines, mon pauvre ami, fit un autre en riant.
– Messieurs, c'est sérieux, dit un autre; il va se trouver mal; avez-vous des sels?
Et tous éclatèrent de rire. Toutes ces interpellations, toutes ces railleries se croisaient autour de Biscarrat, comme se croisent au milieu du feu les balles dans une mêlée.
Il reprit ses forces sous ce déluge d'interrogations.
– Que voulez-vous que j'aie vu? demanda-t-il. J'avais très chaud quand je suis entré dans cette grotte, j'y ai été saisi par le froid; voilà tout.
– Mais les chiens, les chiens, les as-tu revus? en as-tu entendu parler? en as-tu eu des nouvelles?
– Il faut croire qu'ils ont pris une autre voie, dit Biscarrat.
– Messieurs, dit un des jeunes gens, il y a, dans ce qui se passe, dans la pâleur et dans le silence de notre ami, un mystère que Biscarrat ne veut pas, ou ne peut sans doute pas révéler. Seulement, et c'est chose sûre, Biscarrat a vu quelque chose dans la grotte. Eh bien! moi, je suis curieux de voir ce qu'il a vu, fût-ce le diable. À la grotte, messieurs! à la grotte!
– À la grotte! répétèrent toutes les voix.
Et l'écho du souterrain alla porter comme une menace à Porthos et à Aramis ces mots: «À la grotte! à la grotte!»
Biscarrat se jeta au-devant de ses compagnons.
– Messieurs! messieurs! s'écria-t-il, au nom du Ciel n'entrez pas!
– Mais qu'y a-t-il donc de si effrayant dans ce souterrain? demandèrent plusieurs voix.
– Voyons, parle, Biscarrat.
– Décidément, c'est le diable qu'il a vu, répéta celui qui avait déjà avancé cette hypothèse.
– Eh bien! mais, s'il l'a vu, s'écria un autre, qu'il ne soit pas égoïste, et qu'il nous le laisse voir à notre tour.
– Messieurs! messieurs! de grâce! insista Biscarrat.
– Voyons, laisse-nous passer.
– Messieurs, je vous en supplie, n'entrez pas!
– Mais tu es bien entré, toi?
Alors, un des officiers qui, d'un âge plus mûr que les autres, était resté en arrière jusque-là et n'avait rien dit, s'avança:
– Messieurs, dit-il d'un ton calme qui contrastait avec l'animation des jeunes gens, il y a là-dedans quelqu'un ou quelque chose qui n'est pas le diable, mais qui, quel qu'il soit, a eu assez de pouvoir pour faire taire nos chiens. Il faut savoir quel est ce quelqu'un ou ce quelque chose.
Biscarrat tenta un dernier effort pour arrêter ses amis; mais ce fut un effort inutile. Vainement il se jeta au-devant des plus téméraires; vainement il se cramponna aux roches pour barrer le passage, la foule des jeunes gens fit irruption dans la caverne, sur les pas de l'officier qui avait parlé le dernier, mais qui, le premier, s'était élancé l'épée à la main pour affronter le danger inconnu.
Biscarrat, repoussé par ses amis, ne pouvant les accompagner, sous peine de passer aux yeux de Porthos et d'Aramis pour un traître et un parjure, alla, l'oreille tendue et les mains encore suppliantes, s'appuyer contre les parois rugueuses d'un rocher, qu'il jugeait devoir être exposé au feu des mousquetaires.
Quant aux gardes, ils pénétraient de plus en plus avec des cris qui s'affaiblissaient à mesure qu'ils s'enfonçaient dans le souterrain.
Tout à coup, une décharge de mousqueterie, grondant comme un tonnerre, éclata sous les voûtes.
Deux ou trois balles vinrent s'aplatir sur le rocher auquel s'appuyait Biscarrat.
Au même instant, des soupirs, des hurlements et des imprécations s'élevèrent, et cette petite troupe de gentilshommes reparut, quelques-uns pâles, quelques-uns sanglants, tous enveloppés d'un nuage de fumée que l'air extérieur semblait aspirer du fond de la caverne.
– Biscarrat! Biscarrat! criaient les fuyards, tu savais qu'il y avait une embuscade dans cette caverne, et tu ne nous as pas prévenus!
– Biscarrat! tu es cause que quatre de nous sont tués; malheur à toi, Biscarrat!
– Tu es cause que je suis blessé à mort, dit un des jeunes gens en recueillant son sang dans sa main, et en le jetant au visage de Biscarrat; que mon sang retombe sur toi!
Et il roula agonisant aux pieds du jeune homme.
– Mais, au moins, dis-nous qui est là! s'écrièrent plusieurs voix furieuses.
Biscarrat se tut.
– Dis-le ou meurs! s'écria le blessé en se relevant sur un genou, et en levant sur son compagnon un bras armé d'un fer inutile.
Biscarrat se précipita vers lui, ouvrant sa poitrine au coup; mais le blessé retomba pour ne plus se relever, en poussant un soupir, le dernier.
Biscarrat, les cheveux hérissés, les yeux hagards, la tête perdue, s'avança vers l'intérieur de la caverne, en disant:
– Vous avez raison, mort à moi qui ai laissé assassiner mes compagnons! je suis un lâche!
Et, jetant loin de lui son épée, car il voulait mourir sans se défendre, il se précipita, tête baissée, dans le souterrain.
Les autres jeunes gens l'imitèrent.
Onze, qui restaient de seize, plongèrent avec lui dans le gouffre.
Mais ils n'allèrent pas plus loin que les premiers: une seconde décharge en coucha cinq sur le sable glacé, et comme il était impossible de voir d'où partait cette foudre mortelle, les autres reculèrent avec une épouvante qui peut mieux se peindre que s'exprimer.
Mais, loin de fuir comme les autres, Biscarrat, demeuré sain et sauf, s'assit sur un quartier de roc et attendit.
Il ne restait plus que six gentilshommes.
– Sérieusement, dit un des survivants, est-ce le diable?
– Ma foi! c'est bien pis, dit un autre.
– Demandons à Biscarrat; il le sait, lui.
– Où est Biscarrat?
Les jeunes gens regardèrent autour d'eux, et virent que Biscarrat manquait à l'appel.
– Il est mort! dirent deux ou trois voix.
– Non pas, répondit un autre, je l'ai vu, moi, au milieu de la fumée, s'asseoir tranquillement sur un rocher; il est dans la caverne, il nous attend.
– Il faut qu'il connaisse ceux qui y sont.
– Et comment les connaîtrait-il?
– Il a été prisonnier des rebelles.
– C'est vrai. Eh bien! appelons-le, et sachons par lui à qui nous avons affaire.
Et toutes les voix crièrent:
– Biscarrat! Biscarrat!
Mais Biscarrat ne répondit point.
– Bon! dit l'officier qui avait montré tant de sang-froid dans cette affaire, nous n'avons plus besoin de lui, voilà des renforts qui nous arrivent.
En effet, une compagnie des gardes, laissée en arrière par leurs officiers, que l'ardeur de la chasse avait emportés, soixante- quinze à quatre-vingts hommes à peu près, arrivait en bel ordre, guidée par le capitaine et le premier lieutenant. Les cinq officiers coururent au-devant de leurs soldats et, dans un langage dont l'éloquence est facile à concevoir, ils expliquèrent l'aventure et demandèrent secours.
Le capitaine les interrompit.
– Où sont vos compagnons? demanda-t-il.
– Morts!
– Mais vous étiez seize!
– Dix sont morts, Biscarrat est dans la caverne, et nous voilà cinq.
– Biscarrat est donc prisonnier?
– Probablement.
– Non, car le voici; voyez.
En effet, Biscarrat apparaissait à l'ouverture de la grotte.
– Il nous fait signe de venir, dirent les officiers. Allons!
– Allons! répéta toute la troupe.
– Monsieur, dit le capitaine s'adressant à Biscarrat, on m'assure que vous savez quels sont les hommes qui sont dans cette grotte et qui font cette défense désespérée. Au nom du roi, je vous somme de déclarer ce que vous savez.
– Mon capitaine, dit Biscarrat, vous n'avez plus besoin de me sommer, ma parole m'a été rendue à l'instant même, et je viens au nom de ces hommes.
– Me dire qu'ils se rendent?
– Vous dire qu'ils sont décidés à se défendre jusqu'à la mort, si on ne leur accorde pas bonne composition.
– Combien sont-ils donc?
– Ils sont deux, dit Biscarrat.
– Ils sont deux, et veulent nous imposer des conditions?
– Ils sont deux, et nous ont déjà tué dix hommes, dit Biscarrat.
– Quels gens est-ce donc? des géants?
– Mieux que cela. Vous rappelez-vous l'histoire du bastion Saint-
Gervais, mon capitaine?
– Oui, où quatre mousquetaires du roi ont tenu contre toute une armée?
– Eh bien! ces deux hommes étaient de ces mousquetaires.
– Vous les appelez?..
– À cette époque, on les appelait Porthos et Aramis. Aujourd'hui, on les appelle M. d'Herblay et M. du Vallon.
– Et quel intérêt ont-ils dans tout ceci?
– Ce sont eux qui tenaient Belle-Île pour M. Fouquet.
Un murmure courut parmi les soldats à ces deux mots. «Porthos et
Aramis.»
– Les mousquetaires! les mousquetaires! répétaient-ils.
Et, chez tous ces braves jeunes gens, l'idée qu'ils allaient avoir à lutter contre deux des plus vieilles gloires de l'armée faisait courir un frisson, moitié d'enthousiasme, moitié de terreur.
C'est qu'en effet ces quatre noms, d'Artagnan, Athos, Porthos et
Aramis, étaient vénérés par tout ce qui portait une épée, comme dans l'Antiquité étaient vénérés les noms d'Hercule, de Thésée, de
Castor et de Pollux.
– Deux hommes! s'écria le capitaine, et ils nous ont tué dix officiers en deux décharges. C'est impossible, monsieur Biscarrat.
– Eh! mon capitaine, répondit celui-ci, je ne vous dis point qu'ils n'ont pas avec eux deux ou trois hommes comme les mousquetaires du bastion Saint-Gervais avaient avec eux trois ou quatre domestiques; mais croyez-moi, capitaine, j'ai vu ces gens- là, j'ai été pris par eux, je les connais; ils suffiraient à eux seuls pour détruire tout un corps d'armée.
– C'est ce que nous allons voir, dit le capitaine, et cela dans un moment. Attention, messieurs!
Sur cette réponse, personne ne bougea plus, et chacun s'apprêta à obéir.
Biscarrat seul risqua une dernière tentative.
– Monsieur, dit-il à voix basse, croyez-moi, passons notre chemin; ces deux hommes, ces deux lions que l'on va attaquer se défendront jusqu'à la mort. Ils nous ont déjà tué dix hommes; ils en tueront encore le double, et finiront par se tuer eux-mêmes plutôt que de se rendre. Que gagnerons-nous à les combattre?
– Nous y gagnerons, monsieur, la conscience de n'avoir pas fait reculer quatre-vingts gardes du roi devant deux rebelles. Si j'écoutais votre conseil, monsieur, je serais un homme déshonoré, et, en me déshonorant, je déshonorerais l'armée. En avant, vous autres!
Et il marcha le premier jusqu'à l'ouverture de la grotte.
Arrivé là, il fit halte.
Cette halte avait pour but de donner à Biscarrat et à ses compagnons le temps de lui dépeindre l'intérieur de la grotte. Puis, quand il crut avoir une connaissance suffisante des lieux, il divisa la compagnie en trois corps, qui devaient entrer successivement en faisant un feu nourri dans toutes les directions. Sans doute, à cette attaque, on perdrait cinq hommes encore, dix peut-être; mais certes, on finirait par prendre les rebelles, puisqu'il n'y avait pas d'issue, et que, à tout prendre, deux hommes n'en pouvaient pas tuer quatre-vingts.
– Mon capitaine, demanda Biscarrat, je demande à marcher à la tête du premier peloton.
– Soit! répondit le capitaine. Vous en avez tout l'honneur. C'est un cadeau que je vous fais.
– Merci!répondit le jeune homme avec toute la fermeté de sa race.
– Prenez votre épée, alors.
– J'irai ainsi que je suis, mon capitaine, dit Biscarrat; car je ne vais pas pour tuer, mais pour être tué.
Et, se plaçant à la tête du premier peloton, le front découvert et les bras croisés:
– Marchons, messieurs! dit-il.